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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 23 MAI 2019
N° 2019/
JLT/FP-D
Rôle N° RG 17/19427 – N° Portalis DBVB-V-B7B-BBMM3
[E] [T]
C/
Société WOLTERS KLUWER FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :23 MAI 2019
à :
Me Steve DOUDET, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-
PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE en date du 20 Septembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00795.
APPELANT
Monsieur [E] [T], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Steve DOUDET, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A.S. WOLTERS KLUWER FRANCE Société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 480 081 306 00130, représentée par son représentant légal en exercice et domicilié en cette qualité au siège social , demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et par Me Lionel SEBILLE, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 11 Mars 2019 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2019,
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
M. [E] [T], journaliste, a été embauché par la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE, en qualité de rédacteur/reporter pigiste, à compter du 1er juin 2010.
Se plaignant d’une diminution de son activité professionnelle à l’origine d’une baisse de ses revenus, M. [T] a saisi le Conseil de Prud’hommes de Grasse le 15 septembre 2016 pour obtenir la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Par jugement du 20 septembre 2017, le conseil de prud’hommes l’a débouté de ses demandes, a dit que son ancienneté dans un emploi de journaliste pigiste remonte au 1er juin 2010 et l’a condamné à payer à la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [T] a relevé appel le 26 octobre 2017 de ce jugement notifié le 27 septembre 2017.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions déposées le 7 mars 2019 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, M. [T], concluant à la réformation du jugement, sollicite de :
– dire que la convention par laquelle la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE s’assure son concours en qualité de journaliste professionnel, est un contrat de travail à durée indéterminée à effet rétroactif du 1er juin 2010,
– requalifier la relation de travail en collaboration permanente,
– condamner la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE à lui payer les sommes de :
* 28 932, 11 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 1er décembre 2015 au 28 février 2019,
* 2 893, 21 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés correspondante,
– ordonner l’affectation au statut Cadre à effet rétroactif au 1er juin 2010 et ordonner à la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE de verser les cotisations cadre à l’AGIRC depuis le 1er septembre 2013,
– ordonner la remise des bulletins de salaire mentionnant le statut Cadre depuis le mois de juin 2010,
– fixer la rémunération brute moyenne mensuelle à hauteur du montant correspondant à la rémunération actuellement en vigueur au sein de la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE pour un rédacteur ayant une carte de presse depuis 20 ans et une ancienneté au sein de l’entreprise égale à 9 ans,
– condamner la SAS WOLTERS KLUWER France à lui payer la somme de 2 500,00 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la SAS WOLTERS KLUWER France à l’intérêt au taux légal et capitalisation des intérêts.
Par conclusions déposées le 25 février 2019 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE, concluant à la confirmation du jugement, sollicite de débouter M. [E] [T] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2019.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
DISCUSSION
Sur la nature de la relation contractuelle entre les parties
Aux termes des dispositions de l’article L 7111-3 du code du travail, ‘Est journaliste celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principale de ses ressources’. En application de l’article L 7111-4, ‘sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle’.
L’article L 7112-1 précise que ‘toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
En l’espèce, il est constant que M. [T] est titulaire de la carte de presse depuis le 26 août 1998. Il a été employé par la société WOLTERS KLUWER FRANCE, à compter du 1er juin 2010 en qualité ‘rédacteur/reporter pigiste’ avec le statut de ‘pigiste’. Il est également constant qu’il lui a été confié dans ce cadre des tâches de relecture, correction et mises en forme d’articles.
Selon courriel du 13 juillet 2010, sa ‘collaboration, en tant que correcteur de la revue de presse Liaisons sociales quotidien, de Gestion sociale et de Protection sociale Informations a été reconduite, dans les mêmes conditions et pour trois mois, à compter du lundi 30 août’. Par courriel du 10 novembre 2010, sa ‘mission de correction de deux jours par semaine (lundi et mardi)’ a été reconduite ‘au-delà du 30 novembre 2010″ étant précisé que ‘la durée de cette mission dépend de celle du mandat de [Y] [P], correcteur titulaire, en tant que secrétaire adjoint du comité d’entreprise et de délégué syndical’.
Il n’est pas contesté que cette collaboration s’est poursuivie selon les mêmes modalités jusqu’à ce que M. [T] soit informé de la décision de l’employeur d’arrêter certaines publication de la revue de presse et de ce que, dès lors, il n’aurait ‘plus à en assurer la correction’, étant précisé que l’employeur a indiqué, à l’occasion de la réunion du comité d’entreprise du 25 juin 2014, que l’objectif était ‘de compenser la perte de revenus subie’.
M. [T] reproche à la société de ne pas avoir maintenu, à compter de 2015, le niveau de revenu qu’il lui avait servi jusqu’alors en soutenant que la relation de travail s’analyse en un contrat de travail à durée indéterminée.
La société WOLTERS KLUWER FRANCE conteste la demande tendant à la requalification de la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée en faisant valoir que M. [T] a le statut de pigiste et qu’il s’agit d’une activité ‘sui generis’. Pour soutenir que cette activité aurait été occasionnelle, elle se prévaut des bulletins de salaire mentionnant des salaires ‘disparates’ et elle souligne, en en justifiant, que l’intéressé collabore à d’autres médias
Il est vrai qu’un journaliste pigiste, rémunéré, de ce fait, à la tâche, peut ne pas être lié par un contrat de travail à l’entreprise qui lui confie des tâches lorsque son activité s’exerce de façon indépendante, de façon occasionnelle et sans surveillance particulière de l’entreprise, l’organisation du temps de travail du journaliste lui permettant de collaborer avec d’autres sociétés. Dans une telle hypothèse, l’entreprise n’a aucune obligation de lui fournir du travail.
Il n’en va pas de même lorsque la collaboration du journaliste pigiste n’est pas occasionnelle mais régulière, le journaliste se voyant fournir par l’entreprise du travail pendant une longue période, régulièrement et sans interruption, selon un rythme stable et constant.
En l’espèce, les bulletins de salaire de M. [T] montrent que sa rémunération a, certes varié mensuellement en fonction du nombre de corrections confiées, mais s’est élevée, de manière stable, à 1 380,00 euros par mois en moyenne en 2012, à 1 592,00 euros en 2013, à 1 367,00 euros en 2014 avant de chuter à 729,00 euros en 2016 et à 580,00 euros en 2017.
M. [T] verse aux débats des ‘captures d’écran’ pour décrire sa journée de travail à distance, expliquant qu’il se connecte au réseau de la société au moyen d’identifiants pour prendre la main sur son ordinateur à [Localité 1]. Le ‘bureau’ de cet ordinateur atteste qu’il s’agit d’un poste à son nom. En s’appuyant sur ces ‘captures d’écran’, M. [T] souligne qu’il trouve sur le réseau interne de l’entreprise, les pages à corriger, qui sont prêtes à être relues et corrigées lorsque son nom a été indiqué avec un code couleur bleu, qu’il relit alors et corrige les pages qui lui ont été assignées et qu’il les ‘dépose’ ensuite sur le serveur interne, la page concernée, prête alors pour le maquettiste, apparaissant avec un code couleur jaune montrant que la correction a été effectuée.
Ces éléments d’appréciation ne font pas l’objet de contestations.
M. [T] justifie par ailleurs qu’il dispose de son propre bureau dans les bureaux parisiens de l’entreprise et il souligne que la société WOLTERS KLUWER FRANCE s’est assurée son concours pour remplacer M. [P], salarié de la société, titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, absent depuis de nombreuses années. Il justifie que, dans l’OURS de novembre 2017, son nom figure au même titre que celui de M. [P].
Les éléments versés aux débats montrent que le travail exécuté par M. [T] ne résulte pas de piges qu’il propose lui-même mais qu’il s’agit de tâches fournies par l’employeur qui en contrôle l’exécution, qu’il est, à raison de deux jours par semaine, à la disposition permanente de l’employeur dont il est subordonné aux instructions qu’il ne bénéficie d’aucune véritable indépendance dans l’exécution des tâches qui lui sont ainsi confiées.
Même si cette activité est exercée à temps partiel et s’il exerce par ailleurs une activité indépendante, comme en justifie la société, il apparaît que M. [T] exerce au profit de la société WOLTERS KLUWER FRANCE une activité de journaliste au sens des articles L 7111-3 et L 7111-4 précités, qu’il travaille régulièrement pour le compte de cette entreprise depuis plusieurs années à hauteur de 2 jours par semaine (les lundis et mardis) en contrepartie d’une rémunération stable.
Dans ces conditions, M. [T], en l’absence de tout élément de preuve contraire, bénéficie de la présomption de salariat prévue par l’article L 7112-1 précité que rien ne permet de remettre en cause de sorte que, en l’absence de contrat écrit conforme aux dispositions des articles L 1242-1 et suivants du code du travail relatifs au contrat de travail à durée déterminée, il est bien fondé à demander que la relation contractuelle soit requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il l’a débouté de ses demandes.
Dans la mesure où il a été convenu entre les parties d’une relation de travail stable sur la base de 2 journées de travail par semaine, ce qui représente, selon les explications de M. [T], non contesté sur ce point, 56 heures de travail par mois, ce dernier est bien fondé à revendiquer un rappel de salaire sur cette base correspondant à la différence entre la rémunération moyenne perçue jusqu’en décembre 2015 (1 420,00 euros) et la rémunération effectivement perçue du 1er décembre 2015 au 28 février 2019, le calcul proposé ne faisant pas l’objet de contestation.
La société WOLTERS KLUWER FRANCE devra en conséquence payer à M. [T] la somme de 28 932,11 euros à ce titre outre l’indemnité compensatrice de congés payés correspondante.
Sur la demande de fixation de la rémunération
M. [T] demande de fixer sa rémunération brute moyenne mensuelle à hauteur du montant correspondant à la rémunération actuellement en vigueur au sein de la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE pour un rédacteur ayant une carte de presse depuis 20 ans et une ancienneté au sein de l’entreprise égale à 9 ans.
Toutefois, le salarié est seulement en droit de prétendre au salaire convenu pour le nombre d’heures prévu, soit 1 420,00 euros brut pour 56 heures par mois, sous réserve du salaire minimum conventionnel fixé par la convention collective.
Sur la demande au titre de l’affectation au statut Cadre
M. [T] soutient qu’il serait d’usage que les journalistes professionnels relèvent du statut Cadre mais il n’apporte aucun élément pour en justifier alors que la convention collective nationale des journalistes professionnels ne fait pas de distinction selon qu’un journaliste est cadre ou non.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de documents
L’employeur doit remettre au salarié un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société doit payer à M. [T] la somme de 2 500,00 euros au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [E] [T] de sa demande au titre de l’affectation au statut Cadre,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau,
– Dit que la relation contractuelle entre M. [E] [T] et la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE s’analyse en un contrat de travail à durée indéterminée avec effet à compter du 1er juin 2010,
– Condamne la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE à payer à M. [E] [T] les sommes de :
* 28 932, 11 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période courant du 1er décembre 2015 au 28 février 2019,
* 2 893, 21 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés correspondante,
– Dit que la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE doit remettre M. [E] [T] un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt,
– Dit que M. [E] [T] est en droit de prétendre à un salaire mensuel brut de 1 420,00 euros pour 56 heures de travail par mois, sous réserve du minimum conventionnel applicable,
– Condamne la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE à payer à M. [E] [T] la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit que la SAS WOLTERS KLUWER FRANCE doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS