COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 01 Mars 2023
N° RG 21/00963 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FSZD
VTD
Arrêt rendu le Premier Mars deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 4 mars 2021 par le Tribunal judiciaire d’AURILLAC (RG n° 19/00340)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
La Compagnie d’assurance ALLIANZ I.A.R.D.
SA immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 542 110 291 04757
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Sophie VIGNANCOUR de BARRUEL de la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
La société SERA
SAS à associé unique immatriculée au RCS de Lyon sous le n° 490 224 045 00024
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Sophie VIGNANCOUR de BARRUEL de la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTES
ET :
La CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES D’OC – GROUPAMA D’OC
Caisse de réassurances mutuelles agricoles immatriculée au RCS de sous le n° 391 851 557 03071
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentants : Me Elise BAYET de la SCP LALOY – BAYET, avocats au barreau de CUSSET/VICHY (postulant) et Me Jean-Marc CLAMENS de la SELAS CLAMENS CONSEIL, avocats au barreau de TOULOUSE (plaidant)
La société LES MOULINS D’ANTOINE
SA immatriculée au RCS d’Aurillac sous le n° 536 780 059 00013
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentants : Me Elise BAYET de la SCP LALOY – BAYET, avocats au barreau de CUSSET/VICHY (postulant) et Me Jean-Marc CLAMENS de la SELAS CLAMENS CONSEIL, avocats au barreau de TOULOUSE (plaidant)
La société JAMBON ALIMENTATION ANIMALE
SAS immatriculée au RCS d’Aurillac sous le n° 561 650 102 00032
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentants : Me Elise BAYET de la SCP LALOY – BAYET, avocats au barreau de CUSSET/VICHY (postulant) et Me Jean-Marc CLAMENS de la SELAS CLAMENS CONSEIL, avocats au barreau de TOULOUSE (plaidant)
INTIMÉES
DEBATS : A l’audience publique du 04 Janvier 2023 Madame THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 01 Mars 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 01 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS Jambon Alimentation Animale sont respectivement productrice de farine alimentaire et fabricante d’aliments pour le bétail, dans une exploitation située [Adresse 1]. Le bien est assuré depuis le 1er août 2009 auprès de la compagnie Groupama d’Oc.
Les machines de fabrication et de production sont régies par une automatisation mise en place par la SAS SERA, assurée auprès de la compagnie Allianz.
La SAS SERA est intervenue du 30 avril au 11 mai 2015 pour effectuer des travaux de modification de l’automate de gestion de l’installation de production de farines boulangères.
Le 18 juin 2015, vers 5 heures du matin, le meunier arrivant sur son lieu de travail a constaté qu’un incendie s’était déclaré à l’étage des machines de broyage. Le président des sociétés Les Moulins d’Antoine et Jambon Alimentation Animale a fait fonctionner l’arrêt d’urgence, coupant l’alimentation générale du moulin. Les activités de production ont été complètement interrompues entre le 18 juin et le 7 juillet 2015.
La compagnie Groupama d’Oc a diligenté une expertise amiable confiée au Cabinet Bergues Expertises, qui selon un rapport de reconnaissance du 15 juillet 2015, a conclu à l’origine accidentelle de l’incendie. L’échauffement s’est produit au niveau des rouleaux de broyage et des claqueurs, qui a provoqué une mise à feu sur les poussières. Selon l’expert, l’incendie résulterait d’un défaut de programmation de l’automatisme mis en place par la SAS SERA, qui n’a pas mis en sécurité le moulin en fin de mouture, et a favorisé le fonctionnement continu des broyeurs/claqueurs, générant le départ de feu.
Après plusieurs réunions d’expertise et l’établissement d’un rapport sur les dommages en date du 20 octobre 2015 et d’un procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l’évaluation des dommages, aucune solution amiable n’a pu aboutir.
Par actes d’huissier du 30 novembre 2015, la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc ont sollicité la désignation d’un expert au contradictoire de la SAS SERA et de son assureur la compagnie Allianz Iard. Il a été fait droit à la demande par ordonnance du 19 janvier 2016.
Parallèlement, l’expertise amiable a repris, au point que l’expertise judiciaire n’a pas été poursuivie par les requérantes, celles-ci favorisant un règlement amiable du litige. Aucun accord n’a toutefois été trouvé.
Par actes d’huissier du 7 juin 2019, la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc ont fait assigner la SAS SERA et la compagnie Allianz Iard devant le tribunal de grande instance d’Aurillac, au visa des articles 1231-1 du code civil et L.121-12 du code des assurances, aux fins de :
– dire et juger que la SAS SERA a engagé sa responsabilité dans la survenance de l’incendie ;
– dire et juger que la clause limitative de responsabilité insérée dans les conditions générales de vente de la SAS SERA est inopposable, et nulle et non avenue ;
– en conséquence, condamner in solidum la SAS SERA et la compagnie Allianz Iard au paiement des indemnités suivantes :
– à la compagnie Groupama d’Oc :
711 454 euros au titre des désordres matériels ;
537 000 euros au titre des préjudices immatériels ;
– aux sociétés Les Moulins d’Antoine et Jambon Alimentation Animale :
28 413 euros au titre des préjudices matériels ;
106 335 euros au titre des préjudices immatériels ;
-les condamner solidairement au paiement d’une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
Par jugement du 4 mars 2021, le tribunal judiciaire d’Aurillac a :
– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SAS SERA et la compagnie Allianz tirée de l’absence de qualité et d’intérêt à agir de la SAS Jambon Alimentation Animale ;
– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SAS SERA et la compagnie Allianz tirée de l’absence de droit de subrogation de la compagnie Groupama d’Oc pour la SAS Jambon Alimentation Animale ;
– dit que la SAS SERA a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;
– dit que la SAS Les Moulins d’Antoine n’a pas commis de faute de nature à atténuer la responsabilité de la SAS SERA ;
– dit la clause limitative de responsabilité contenue dans le contrat conclu entre la SAS SERA et la SAS Les Moulins d’Antoine inopposable à cette dernière ;
– en conséquence, déclaré la SAS SERA et la compagnie Allianz solidairement et intégralement responsables des dommages subis par la SAS Les Moulins d’Antoine ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la compagnie Groupama d’Oc la somme de 554 572 euros au titre du préjudice matériel subi par la SAS Les Moulins d’Antoine ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la compagnie Groupama d’Oc la somme de 134 232 euros au titre du préjudice immatériel (perte d’exploitation) subi par la SAS Les Moulins d’Antoine ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS Jambon Alimentation Animale la somme de 5 805 euros au titre de la franchise contractuelle et la somme de 22 608 euros au titre de la vétusté récupérable ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ‘avec distraction au profit de Me Yermia’ ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz aux dépens de l’instance qui seraient recouvrés par Me Yermia conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision ;
– rejeté le surplus des demandes.
S’agissant de l’éventuelle part de responsabilité imputable à la SAS Les Moulins d’Antoine, le tribunal a considéré que rien ne permettait d’établir avec certitude qu’une éventuelle intervention de ses techniciens avant 5 heures du matin, aurait eu une incidence sur les dégâts commis par l’incendie ; qu’en outre, la sécurité des installations et de la production était inhérente au contrat, la SAS SERA précisant être spécialiste ‘des solutions complètes intégrant l’électricité, l’automatisme et l’informatique’ des process industriels agroalimentaires.
S’agissant de la clause limitative de responsabilité, le tribunal a constaté que les conditions générales de vente comprenaient une telle clause, insérée en page 84 du contrat ; qu’aucune mention spécifique de cette clause n’avait été portée à la connaissance de la SAS Les Moulins d’Antoine par son cocontractant et qu’il n’était pas fait mention qu’elle aurait signé cette clause en toute connaissance de cause ; que les deux sociétés exerçaient dans des domaines différents et qu’il ne pouvait être retenu la circonstance selon laquelle elles étaient en relations d’affaires continues et connues d’elles ; que dans ces conditions, cette clause devait être réputée non écrite.
Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 26 avril 2021, la compagnie d’assurances Allianz Iard et la SAS SERA ont interjeté appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 8 novembre 2022, les appelantes demandent à la cour, au visa de l’article 1134 alinéa 1 dans sa version antérieure à la réforme du droit des contrats et des articles 1231-1 et suivants du code civil, de :
– dire mal jugé bien appelé ;
– les recevoir en leur appel et, y faisant droit, réformer le jugement ;
à titre principal :
– dire et juger qu’en application des clauses valides et opposables du contrat liant la SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS SERA et hors aggravation, elles ne peuvent être condamnées qu’à hauteur de la somme totale de 106 990 euros correspondant au montant cumulé des commandes ;
– déduire du montant des condamnations qui seront prononcées à l’encontre de la compagnie Allianz Iard la franchise de 10 000 euros devant rester à la charge de la SAS SERA ;
– débouter les sociétés Groupama d’Oc et Les Moulins d’Antoine de toutes demandes plus amples ou contraires ;
à titre subsidiaire :
– dire et juger que la SAS Les Moulins d’Antoine a elle-même engagé sa responsabilité au titre d’un défaut de surveillance du moulin lors de son fonctionnement en mode automatique et que sa faute a concouru à l’aggravation de ses préjudices et de ceux objet de la réclamation de son assureur subrogé ;
– arrêter le montant des dommages matériels indemnisables au sens large (mesures conservatoires, dommages au bâtiment, frais annexes, équipements/matériels) à la somme de 554 572 euros, vétusté déduite, de laquelle il y aura lieu de déduire la somme de 277 000 euros correspondant à l’aggravation imputable à la SAS Les Moulins d’Antoine, ne constituant pas une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat par la SAS SERA ;
– déduire en tout cas du montant des condamnations qui seraient prononcées à l’encontre de la compagnie Allianz Iard au titre des dommages matériels, la somme de 37 440 euros correspondant à la reprise de prestation de la SAS SERA exclue en tant que telle de sa garantie et tenir compte de la franchise de 10 000 euros devant rester à la charge de la SAS SERA ;
– arrêter le montant des dommages immatériels indemnisables, à partir de l’analyse du cabinet Equad, à la somme de 134 232 euros ;
– déduire en tout cas du montant des condamnations qui seraient prononcées au titre des dommages immatériels à l’encontre de la compagnie Allianz Iard la somme de 6 350 euros correspondant à la reprise de prestation de la SAS SERA exclue en tant que telle de sa garantie ;
– dire et juger que les intimées ne peuvent réclamer le remboursement de la valeur à neuf, des honoraires d’expert et des pertes indirectes, en vertu de la convention de renonciation à recours signée entre les sociétés membres de la FFA ;
– dire et juger que la somme de 201 035 euros correspondant à la vétusté arbitrée par les experts dans le procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l’évaluation des dommages ne peut être mise à la charge de la compagnie Allianz Iard ou de son assurée ;
– rejeter les demandes de la SAS les Moulins d’Antoine et la SAS Jambon Alimentation Animale, faute pour lesdites sociétés de justifier des préjudices qu’elles ont personnellement et respectivement subis ;
– dire et juger que les surcoûts d’assurance qui auraient été supportés par la SAS les Moulins d’Antoine sont sans aucun lien avec le sinistre ;
– réduire les prétentions de la SAS les Moulins d’Antoine en considération des montants considérés comme imputables à la SAS SERA alloués à la compagnie Groupama d’Oc ;
– débouter la compagnie Groupama d’Oc, la SAS Les Moulins d’Antoine ou la SAS Jambon Alimentation Animale de l’intégralité de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– réduire le montant de l’indemnité réclamée par la compagnie Groupama d’Oc, la SAS Les Moulins d’Antoine ou la SAS Jambon Alimentation Animale au titre des frais irrépétibles en cause d’appel ;
– statuer ce que de droit s’agissant des dépens.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées en date du 26 octobre 2021, la compagnie Groupama d’Oc, la SAS Jambon Alimentation Animale et la SAS Les Moulins d’Antoine demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1152 du code civil, L.121-12 du code des assurances, de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré inopposable la clause limitative de réparation insérée dans les conditions générales de vente de la SAS SERA ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz Iard à verser :
à la compagnie Groupama d’Oc :554 572 euros au titre des désordres matériels ;
à la SAS Les Moulins d’Antoine : 28 413 euros au titre des préjudices matériels ;
à l’ensemble des requérantes : 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
– reformer le jugement en ce qu’il a réduit la réclamation de Groupama au titre des préjudices immatériels à la somme de 134 232 euros ;
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté la SAS Les Moulins d’Antoine de ses demandes au titre du découvert de garantie pour les pertes d’exploitation, au titre de la franchise contractuelle et au titre de la majoration assurantielle ;
– statuant à nouveau :
– condamner in solidum la SAS SERA et la compagnie Allianz Iard au paiement des indemnités suivantes :
à la compagnie Groupama d’Oc : 537 000 euros au titre des préjudices immatériels ;
à la SAS Les Moulins d’Antoine : 106 335 euros au titre des préjudices immatériels ;
– les condamner solidairement au paiement d’une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens d’appel, ainsi que les sommes découlant de l’application de l’article A 444-32 du code de commerce dans l’hypothèse d’un recours à l’exécution forcée de la décision à intervenir, dont distraction au profit de Me Bayet, qui pourra les recouvrer sur son offre de droit, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.
MOTIFS
Les appelantes n’ont pas repris devant la cour les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d’intérêt à agir de la SAS Jambon Alimentation Animale et de la société Groupama d’Oc soulevées en première instance.
La SAS SERA et son assureur ne contestent pas que le sinistre incendie ait pour origine une erreur de programmation de l’automate de commande de l’installation de fabrication de la farine, imputable à la SAS SERA. Elles reconnaissent en effet que dans le cadre des opérations d’expertise amiable, l’analyse a révélé que le programme de l’automate avait été modifié en janvier 2015 par la SAS SERA afin de supprimer l’apparition de certaines alarmes dans des cas particuliers de fonctionnement du moulin ; qu’il s’est avéré que cette modification du programme informatique avait généré un dysfonctionnement des modes d’arrêt du moulin qui n’avait pas été détecté lors de sa remise en service ensuite de ces derniers travaux ; que le dysfonctionnement a entraîné l’échauffement des rouleaux d’un broyeur et l’incendie.
Toutefois, à titre principal, la SAS SERA et la compagnie d’assurances Groupama d’Oc demandent de réformer le jugement et, notamment de :
– dire qu’en application des clauses valides et opposables du contrat liant la SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS SERA et hors aggravation, elles ne peuvent être condamnées qu’à hauteur de la somme totale de 106 990 euros correspondant au montant cumulé des commandes ;
– débouter les sociétés Groupama d’Oc et Les Moulins d’Antoine de toutes demandes plus amples ou contraires.
– Sur la clause limitative d’indemnisation
Selon l’article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Les conditions générales de vente (CGV) de la SAS SERA annexées au contra initial du 3 février 2014 prévoient à l’article 7 :
‘SERA ne pourra en aucune circonstance être tenue d’indemniser les dommages immatériels.
Pour tous les autres dommages confondus, SERA ne pourra être tenue à des dommages-intérêts d’un montant supérieur à 50 % du montant hors taxe de la commande de base dans le cadre de laquelle ont été réalisés les prestations et/ou fournitures ayant donné lieu à réclamation ou causé un sinistre […].
Le client se porte fort de la renonciation à recours de ses assureurs contre SERA ou les assureurs de cette dernière, conformément aux limitations ci-dessous mentionnées.’
Les CGV contenues dans le premier avenant signé le 1er octobre 2014 prévoient dans le chapitre des clauses administratives, à l’article 4.2 intitulé ‘Responsabilité’ :
‘La responsabilité de SERA ne pourra pas être recherchée pour tout dommage immatériel (tel que notamment perte de revenus, de profits, d’exploitation, d’usage, de clientèle, d’image…) et pour toit dommage indirect, résultant de l’exécution de la commande.
La responsabilité de SERA au titre de la commande pour dommage direct ne pourra pas excéder en tout état de cause le montant de la commande.’
L’article 4.3 énonce :
‘SERA a souscrit une police d’assurance couvrant sa responsabilité civile dans le cadre de l’exécution des prestations auprès d’une compagnie d’assurance française notoirement solvable.
L’acceptation de nos conditions générales de vente entraîne renonciation à recours express du client de SERA et de ses assureurs au-delà des garanties au titre de sa responsabilité civile.’
L’avenant n°2 du 20 novembre 2014 reprend les mêmes dispositions au titre des CGV.
Le dernier devis du 29 janvier 2015 comporte également une clause identique à celles énoncées ci-dessus.
Aussi, au regard de ces clauses, la SAS SERA soutient que l’indemnisation à laquelle elle pourrait être tenue avec son assureur Allianz Iard, doit être limitée au montant cumulé des quatre commandes, soit à la somme de 106 990 euros (86 200 + 650 + 3 140 + 17 000).
Sur l’opposabilité de la clause limitative d’indemnisation
La SAS Les Moulins d’Antoine et la compagnie Groupama d’Oc font valoir que la clause limitative de responsabilité leur est inopposable car :
– elles n’avaient pas de relations d’affaires suivies avec la SAS SERA, les clauses étant de surcroît écrites en petits caractères sur une seule page (page 84) sur un total de 86 pages ;
– la signature de la SAS Les Moulins d’Antoine est seulement apposée sur le bon de commande sur lequel figure un renvoi aux CGV, ce qui est insuffisant ;
– la SAS Les Moulins d’Antoine est spécialiste de la fabrication de farine alimentaire et animale alors que la SAS SERA dispose d’une compétence concernant les automatismes et les équipements électriques, une telle clause est inopposable dans un contrat conclu entre professionnels de spécialités différentes.
La validité des clauses limitatives de responsabilité est admise et ces clauses ont pour objet de fixer un plafond à l’indemnité due.
Si une telle clause a pu être exclue entre un professionnel et un acheteur profane (Cass. Civ. 1ère, 5 mai 1982, n°81-10.315, P), tel n’est pas le cas lorsque la clause est inclue dans un contrat conclu entre deux professionnels.
Comme pour les clauses de non responsabilité, une clause limitative est valable si elle est connue et acceptée par la partie à laquelle on l’oppose. Les conditions générales peuvent figurer sur les documents précontractuels (documents publicitaires, devis…), ainsi que sur les documents annexes (écriteaux, affiches) ou encore sur les documents post-contractuels (lettres de confirmation, factures, tickets…). L’acceptation peut être postérieure à la convention à la condition qu’elle intervienne avant l’exécution de celle-ci.
Il incombe à celui qui se prévaut des conditions générales, de prouver que l’autre partie a pu en avoir connaissance et les a acceptées. Cette connaissance est une question de fait souverainement appréciée par les juges du fond.
Si un acquéreur a apposé sa signature sur un bon de commande sous une mention imprimée précisant qu’il reconnaissait avoir pris connaissance des CGV et accepter ces dernières, une jurisprudence a pu en déduire valablement qu’il avait adhéré aux CGV. (Cass. Civ. 1ère, 3 décembre 1991, n° 89-20.856, P).
La SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS SERA sont deux sociétés commerciales, la preuve de l’acceptation des conditions générales de vente (CGV) peut ainsi être rapportée par tout moyen.
Il n’est pas contesté que ces CGV ont été intégrées à chacun des devis et contrats qui ont tous été acceptés sans réserve, et ce, à quatre reprises.
Les appelantes justifient que les offres assorties de leurs CGV ont été portées à la connaissance de la SAS Les Moulins d’Antoine préalablement à la signature de chacun des contrats par courriers électroniques.
S’agissant du premier contrat, les CGV sont en page 84 (sur une seule page), alors même que la signature de la SAS Les Moulins d’Antoine figure en page 83 et est apposée immédiatement après la mention suivante: ‘Votre commande sera soumise aux Conditions Générales de Vente de SERA jointes en Annexe’. Il y a ainsi un renvoi explicite aux CGV et les pages du contrat sont numérotées : elles faisaient partie intégrante du contrat.
L’avenant signé le 1er octobre 2014 comporte quatre pages : les CGV sont en page 3 et la signature en page 2 avec la même mention que celle énoncée ci-dessus.
L’avenant n°2 signé le 20 novembre 2014 compte quatre pages, les CGV sont en page 4 et la signature en page 3 avec ladite mention.
Le dernier devis portant sur la somme de 17 700 euros comporte 9 pages : les CGV sont en page 9 et la mention ‘votre commande sera soumise aux Conditions Générales de Vente de SERA jointes en Annexe’ est une fois encore reprise en page 8 du document avant l’emplacement dans lequel le client doit apposer sa signature.
La référence expresse dans les quatre documents contractuels aux CGV qui y étaient annexées, suffit à établir que la SAS Les Moulins d’Antoine a accepté ces conditions et la clause de limitation de l’indemnisation au montant de la commande.
Si les CGV sont rédigées en caractères plus petits que les autres clauses du contrat, elles sont néanmoins parfaitement lisibles.
Par ailleurs, le fait que les deux parties interviennent dans des domaines de spécialités différentes n’a en l’espèce aucune incidence, ce sont toutes les deux des professionnelles, étant rappelé que les intimées fondent leurs réclamations sur l’article 1147 ancien du code civil, à savoir l’inexécution contractuelle.
Les clauses de limitation de l’indemnisation sont donc parfaitement opposables à la SAS Les Moulins d’Antoine et son assureur, la société Groupama d’Oc qui ne dispose pas de plus de droits que son assurée sur le fondement de la subrogation légale.
Sur la validité de la clause limitative d’indemnisation
La SAS Les Moulins d’Antoine et la compagnie Groupama d’Oc soutiennent que la clause limitative de responsabilité doit être déclarée nulle et non avenue dès lors qu’elle est abusive : la clause a, selon elles, pour effet de limiter tellement l’obligation du débiteur qu’elle en diminue le caractère contraignant de la sanction, au point de la rendre dérisoire et de laisser au débiteur de l’obligation la liberté abusive de l’exécuter avec désinvolture. Elles exposent que l’obligation essentielle de la SAS SERA est de délivrer une prestation répondant aux besoins exprimés par la SAS Les Moulins d’Antoine, à savoir une programmation permettant la mise en sécurité des machines, afin d’éviter tout échauffement et départ de feu ; que la SAS SERA a été particulièrement défaillante dans cette obligation essentielle puisque son erreur de programmation a permis la naissance de l’incendie.
Les clauses limitatives de responsabilité sont en principe valables. La Cour de cassation a défini les conditions de leur validité tenant au caractère essentiel de l’obligation. Le régime de ces clauses résulte de deux arrêts :
– arrêt dit Chronopost (Com. 22 octobre 1996, n°93-18.632) : elle a écarté la clause limitative de responsabilité invoquée par la société qui avait livré un pli avec retard, au motif qu’en tant que ‘spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis’ (…) ‘dans un délai déterminé et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite’.
– arrêt dit Faurecia II (Com., 29 juin 2010, n° 09-11.841) : il a été jugé que ‘seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur’.
La validité d’une clause limitative de responsabilité est appréciée au regard du seul critère de la contradiction entre la clause et l’obligation essentielle souscrite par le débiteur. Il convient donc de déterminer si la clause prive le contrat de tout intérêt pour le créancier, et tel n’est le cas que si la clause vide de toute substance l’obligation essentielle.
Or, ainsi que le fait valoir la SAS SERA, un manquement à une obligation contractuelle relative à la sécurité ne saurait suffire à caractériser la violation d’une obligation essentielle du contrat car cela reviendrait à exclure dans tous les contrats, la validité des clauses limitatives.
En outre, le contrat comportait de nombreuses prestations, le projet concernait ‘la livraison en ordre de marche industrielle de prestations de raccordements électriques, des programmes d’automatismes et d’informatiques de supervision pour l’automatisation des modifications du circuit farine et l’intégration de l’expédition’. Le marché a été exécuté, l’installation a été livrée et a fonctionné pendant plusieurs mois.
De surcroît, il sera constaté que la SAS SERA a accepté d’augmenter son plafond d’indemnisation à partir du premier avenant, dans la limite des prix cumulés de chacune des commandes (et non plus 50 %).
Dans ces circonstances, les clauses limitatives prévues au contrat et dans les avenants sont valables et opposables à la SAS Les Moulins d’Antoine et son assureur, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.
Sur la demande en révision fondée sur l’article 1152 ancien du code civil
Les intimées soutiennent in fine que la SAS SERA a prévu à l’avance, les limites de son inexécution contractuelle et que constitue une clause pénale la clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée. Aussi, elles demandent de considérer dérisoire le montant de la peine stipulée en se fondant sur l’article 1152 ancien du code civil.
Les stipulations prévoyant les conséquences de l’inexécution des obligations contractuelles revêtent deux formes principales, auxquelles sont attachées deux qualifications alternatives : clause limitative de responsabilité ou clause pénale.
La clause limitative dite de responsabilité, qui tend plutôt à limiter la réparation qu’à limiter la responsabilité, vise à assigner un plafond d’indemnisation. Ainsi, si le dommage est supérieur au maximum convenu, le créancier ne pourra pas prétendre à une indemnité supérieure. En revanche, si le préjudice est inférieur au plafond, il pourra obtenir réparation de son entier dommage. Les dommages-intérêts sont ainsi contenus dans une double limite.
La clause pénale est une stipulation par laquelle les parties contractantes évaluent par avance et de façon forfaitaire le montant des dommages-intérêts qui seront dûs par le débiteur, à titre de peine, en cas d’inexécution, totale ou partielle, de son obligation. La clause pénale réalise ainsi une évaluation conventionnelle et forfaitaire de l’indemnité future : le contrat fixe un montant de dommages-intérêts que le débiteur devra payer au créancier quelle que soit finalement l’importance de son préjudice.
En l’espèce, les clauses litigieuses ne prévoient pas une indemnité forfaitaire, mais fixent un plafond d’indemnisation « SERA ne pourra être tenue à des dommages et intérêts d’un montant supérieur à …’. Dès lors qu’il s’agit d’une clause limitative de responsabilité, et non d’une clause pénale, le pouvoir de modération ne peut jouer.
La SAS SERA et la compagnie d’assurances Allianz Iard sont bien fondées à voir l’indemnisation des intimées fixée à la somme de 106 990 euros, somme de laquelle il y aura lieu de déduire la franchise de l’assurée à l’encontre de la SA Allianz Iard d’un montant de 10 000 euros, devant rester à la charge de la SAS SERA (contrat d’assurance versé en pièce n°C3a des appelantes).
Il n’y a pas lieu d’examiner l’éventuelle part de responsabilité de la SAS Les Moulins d’Antoine qui n’aurait pas d’incidence sur le quantum des condamnations.
La SAS SERA et la compagnie d’assurances Allianz Iard seront condamnées in solidum à payer au titre des ‘dommages directs’ à la société Groupama d’Oc subrogée dans les droits de la SAS Les Moulins d’Antoine, la somme de 106 990 euros.
Toutes les autres demandes formées par les intimées doivent être rejetées, et le jugement réformé en ce sens.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Le principe de la responsabilité contractuelle de la SAS SERA étant reconnu, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a mis les dépens à la charge de la SAS SERA et de son assureur, et condamné celles-ci à une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
S’agissant des dépens d’appel, les appelantes ayant obtenu gain de cause, ils seront mis à la charge des intimées. Ces dernières seront déboutées de leur demande au titre des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, rendu contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu’il a :
– dit que la SAS SERA a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz aux dépens de l’instance qui seraient recouvrés par Me Yermia conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement en ce qu’il a :
– dit la clause limitative de responsabilité contenue dans le contrat conclu entre la SAS SERA et la SAS Les Moulins d’Antoine inopposable à cette dernière ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la compagnie Groupama d’Oc la somme de 554 572 euros au titre du préjudice matériel subi par la SAS Les Moulins d’Antoine ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la compagnie Groupama d’Oc la somme de 134 232 euros au titre du préjudice immatériel (perte d’exploitation) subi par la SAS Les Moulins d’Antoine ;
– condamné solidairement la SAS SERA et la compagnie Allianz à payer à la SAS Les Moulins d’Antoine et la SAS Jambon Alimentation Animale la somme de 5 805 euros au titre de la franchise contractuelle et la somme de 22 608 euros au titre de la vétusté récupérable ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare valable et opposable la clause limitative de responsabilité contenue dans les contrats conclus entre la SAS SERA et la SAS Les Moulins d’Antoine ;
Condamne in solidum la SAS SERA et la compagnie d’assurances Allianz Iard à payer au titre des ‘dommages directs’, à la société Groupama d’Oc subrogée dans les droits de la SAS Les Moulins d’Antoine, la somme de 106 990 euros correspondant au montant cumulé des commandes ;
Déduit du montant des condamnations prononcées à l’encontre de la compagnie d’assurances Allianz Iard la franchise de 10 000 euros devant rester à la charge de la SAS SERA ;
Déboute la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc du surplus de leurs demandes ;
Condamne in solidum la SAS Les Moulins d’Antoine, la SAS Jambon Alimentation Animale et la compagnie Groupama d’Oc aux dépens d’appel.
Le greffier, La présidente,