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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRET DU 10 MARS 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/11594 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF77X
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Juin 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° J202200030
APPELANTS
M. [N] [W]
[Adresse 7]
[Localité 13]
M. [B] [C]
[Adresse 6]
[Localité 15]
M. [L] [D]
[Adresse 2]
[Localité 14]
S.A.S. IQO agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représentés par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assistés par Me Arnaud ROUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : R118
INTIMES
M. [M] [H]
[Adresse 8]
[Localité 10]
SARL F.A.M.M prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 5]
[Localité 12]
Représentés par Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945
Assistés par Me Romain LANTOURNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P010
S.A.S. ONEPOINT prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 4]
[Localité 12]
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistée par Me Théophile TOUNY substituant Me Alexandre MERVEILLE, avocats au barreau de PARIS, toque : P454
S.A.S. [O] [K], prise en la personne de Maître [O] [K], Huissier de Justice, audiencier près le Tribunal de Commerce de Paris en sa qualité d’huissier de justice instrumentaire
[Adresse 1]
[Localité 9]
Défaillante – Déclaration d’appel signifiée à personne habilitée le 12 octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 février 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président chargé du rapport et Rachel LE COTTY, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
ARRÊT :
– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.
La société Onepoint, fondée en 2002 par M. [A], exerce une activité internationale de conseil, spécialisée dans la transformation numérique des entreprises. Elle emploie 2.300 salariés.
M. [H] est un investisseur et un entrepreneur français ayant développé une expertise dans l’accompagnement des entreprises et ses dirigeants et intervient à ce titre dans des secteurs variés. Il a, notamment, fondé la société Weave, exerçant une activité de conseil en stratégie, au sein de laquelle il a oeuvré de 2001 à 2018 et a constitué, en 2006, la société FAMM, société holding.
Le 22 novembre 2018, la société Onepoint a acquis l’intégralité du capital de la société Weave qui comptait alors 400 collaborateurs, avant de l’absorber par voie de fusion. Certains associés de la société Weave dont MM. [C], [D] et [W] ont accepté de procéder à un réinvestissement au sein de la société Onepoint. La société FAMM a été maintenue dans ses fonctions de président de la société Weave.
Le même jour, un pacte d’associés a été conclu entre M. [A] et les investisseurs dont MM. [C], [D] et [W], en présence, notamment, de la société FAMM, aux termes duquel il a été souscrit par ces derniers un engagement de non-concurrence et de non-sollicitation.
Peu après cette acquisition, des difficultés sont apparues entre la société Onepoint et M. [H] et un protocole transactionnel a été conclu le 18 décembre 2018 permettant la sortie de ce dernier et de la société FAMM du groupe Onepoint. Il a ainsi été pris acte de la démission de la société FAMM de ses mandats sociaux, de l’acquisition par M. [A] de l’intégralité des actions détenues par cette société, de la résiliation du pacte et prévu un engagement de la société FAMM de non-débauchage, de non-sollicitation et de non-concurrence, également applicable à ses mandataires sociaux. Cet engagement d’une durée de 24 mois à compter du remboursement des obligations convertibles souscrites par la société FAMM, a pris fin le 22 octobre 2021.
Des désaccords étant également apparus entre les associés issus de la société Weave et ceux issus de la société Onepoint, plus particulièrement avec son président, M. [A], MM. [C], [D] et [W] ont quitté la société Onepoint au cours de l’année 2020 et rejoint la société IQO, société de conseil en stratégie créée en 2007 par M. [F], comprenant 62 collaborateurs.
Soutenant avoir constaté à compter du premier trimestre 2020, ‘une vague’ de départ de ses collaborateurs appartenant tous au périmètre Weave, à destination de la société concurrente IQO, connue de M. [H] puisque celui-ci avait été le co-fondateur de la société Weave avec M. [F] ; que parmi ces départs, figurait celui de trois associés (MM. [C], [D] et [W]) rejoint par des collaborateurs de leurs équipes ; que la société FAMM, MM. [H], [C], [D] et [W] paraissaient contrevenir, au bénéfice de la société IQO, à leurs engagements de non-débauchage et que leur responsabilité était ainsi susceptible d’être engagée tant sur un fondement contractuel que délictuel, la société Onepoint a présenté une requête datée du 1er octobre 2021, au président du tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir une mesure de constat et de saisie sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 5 octobre 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a commis la société [O] [K], huissier de justice, afin de procéder à une mesure d’instruction aux sièges des sociétés IQO et FAMM et aux domiciles de MM. [H], [C], [D] et [W] afin de rechercher des éléments de preuve pour établir les faits de concurrence déloyale allégués.
La mesure d’instruction a été exécutée le 19 octobre 2021.
Par acte du 17 novembre 2021, M. [H] et la société FAMM ont fait assigner devant le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, la société Onepoint afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance susvisée.
Par acte du 18 novembre 2021, la société IQO et MM. [C], [D] et [W] ont fait assigner devant ce même juge et aux mêmes fins, la société Onepoint.
Par ordonnance du 16 juin 2022, rendue en présence de Maître [K], le premier juge a :
joint les deux procédures ;
confirmé l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021 ;
demandé à Maître [K], de procéder à un nouveau tri des pièces séquestrées en utilisant les mots clés suivants : ‘IQO, FAMM, Weave, Onepoint, [M] [H], [L] [D], [N] [W] et [B] [C]’ ;
renvoyé l’affaire à l’audience du 7 septembre 2022 pour examiner la levée du séquestre ;
débouté MM. [H], [W], [C] et [D] et les sociétés IQO et FAMM de toutes leurs autres demandes ;
condamné MM. [H], [W], [C] et [D] et les sociétés IQO et FAMM, chacun, à verser à la société Onepoint la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
réservé les dépens.
Par déclaration du 20 juin 2022, la société FAMM et M. [H] ont relevé appel de cette décision en ce qu’elle a confirmé l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021, demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces avec les mots clés définis dans l’ordonnance, renvoyé l’affaire sur la levée du séquestre, rejeté leurs demandes et les a condamnés au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles (procédure enregistrée sous le n° RG 22/11594).
Par déclaration du 24 juin 2022, la société IQO et MM. [W], [C] et [D] ont relevé appel de cette décision en ce qu’elle a confirmé l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021, demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces avec les mots clés définis dans l’ordonnance, renvoyé l’affaire sur la levée du séquestre, rejeté leurs demandes et les a condamnés au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles et aux dépens (procédure enregistrée sous le n° RG 22/11951).
Ces deux procédures ont été jointes le 27 octobre 2022.
Parallèlement à l’appel interjeté, par ordonnance du 29 septembre 2022, le président du tribunal de commerce de Paris, a, explicitant l’ordonnance entreprise et considérant que celle-ci ‘constituait un tout des pièces saisies et séquestrées’, a, notamment, dit que le nouveau tri des pièces demandé à Maître [K] devait s’appliquer aux pièces saisies chez les personnes physiques visées dans la mesure ordonnée par l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021 et organisé la procédure de tri. Cette ordonnance n’a pas fait l’objet d’un recours.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 20 janvier 2023, la société FAMM et M. [H] demandent à la cour de :
infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
confirmé l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021,
demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces séquestrées en utilisant les mots clés suivants : « IQO, FAMM, Weave, Onepoint, [M] [H], [L] [D], [N] [W] et [B] [C] »,
renvoyé l’affaire à l’audience du 7 septembre 2022 pour examiner la levée du séquestre,
les a déboutés de toutes leurs autres demandes,
les a condamnés à verser à la société Onepoint la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens,
dit que la décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile ;
et, statuant à nouveau,
débouter la société Onepoint de l’ensemble de ses prétentions ;
rétracter dans sa totalité l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021 ;
faire interdiction à l’huissier de justice de se dessaisir au profit de la société Onepoint des documents appréhendés et d’en divulguer leur contenu ;
ordonner à l’huissier de justice de leur restituer, sans délai, les originaux et copies des éléments appréhendés en exécution de l’ordonnance ainsi rétractée ;
condamner la société Onepoint à leur verser la somme de 7.500 euros chacun, soit la somme totale de 15.000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Onepoint aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 8 décembre 2022, la société IQO et MM. [W], [C] et [D] demandent à la cour de :
infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
confirmé l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021,
demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces séquestrées en utilisant les mots clés suivants : « IQO, FAMM, Weave, Onepoint, [M] [H], [L] [D], [N] [W] et [B] [C] »,
renvoyé l’affaire à l’audience du 7 septembre 2022 pour examiner la levée du séquestre,
les a déboutés de toutes leurs autres demandes,
les a condamnés, chacun, à verser à la société Onepoint la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens,
dit que la décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile ;
et, statuant à nouveau,
rétracter, dans sa totalité, l’ordonnance du 5 octobre 2021 ;
ordonner à l’huissier de justice de restituer, chacun pour ce qui le concerne, sans délai, les originaux et copies des éléments appréhendés en exécution de l’ordonnance rétractée ;
débouter la société Onepoint de l’ensemble de ses prétentions ;
condamner la société Onepoint à leur verser la somme de 4.000 euros chacun, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Onepoint aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 novembre 2022, la société Onepoint demande à la cour de :
confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
joint les procédures portant les n° RG 2021053595 et 2021057070,
confirmé l’ordonnance du 5 octobre 2021,
renvoyé l’affaire à l’audience du 7 septembre 2022 pour examiner la levée du séquestre,
débouté MM. [H], [W], [C] et [D] et les sociétés IQO et FAMM de toutes leurs autres demandes,
condamné MM. [H], [W], [C] et [D] et les sociétés IQO et FAMM, chacun, à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens,
dit que la décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 code de procédure civile ;
infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces séquestrées en utilisant les mots clés suivants : « IQO, FAMM, Weave, Onepoint, [M] [H], [L] [D], [N] [W] et [B] [C] » ;
et statuant à nouveau et au besoin y ajoutant :
débouter la société IQO, Messieurs [D], [C] et [W] ainsi que la société FAMM et M. [H] de l’ensemble de leurs demandes ;
condamner solidairement la société IQO, MM. [D], [C] et [W], la société FAMM ainsi que M. [H] au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société [O] [K] a été intimée par la société IQO et MM. [D], [C] et [W]. Celle-ci, à qui la déclaration d’appel du 24 juin 2022 a été signifiée par acte d’huissier de justice le 15 septembre 2022, n’a pas constitué avocat.
La clôture de la procédure a été prononcée le 25 janvier 2023.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 5 octobre 2021
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L’existence du motif légitime doit être appréciée au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de celle-ci et de ceux produits ultérieurement devant le juge de la rétractation devant lequel la contradiction est rétablie, qui doit rechercher si ces éléments rendent plausibles les faits allégués.
L’application des dispositions susvisées suppose donc que soit constatée l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés sans qu’il revienne au juge statuant en référé de se prononcer sur le fond.
Au cas présent, la société Onepoint soutient que la mesure d’instruction sollicitée est justifiée par l’existence d’un litige dont le principe est, selon elle, acquis. Elle considère en effet, qu’il y a eu, en violation de l’engagement de non-sollicitation souscrit par MM. [D], [C] et [W] et de l’engagement de non-concurrence souscrit par la société FAMM, auquel est également tenu M. [H], une action concertée des appelants pour provoquer des départs de ses collaborateurs au seul bénéfice de la société IQO, ce qui constitue des actes de concurrence déloyale par voie de désorganisation. Elle indique être dans l’incertitude quant à l’étendue de la collusion existant entre les appelants et aux échanges et décisions prises en vue du débauchage de ses salariés issus du périmètre Weave.
Pour justifier ces allégations, la société Onepoint fait état du départ de onze collaborateurs, soit trois investisseurs associés, MM. [D], [C] et [W], cinq managers seniors et trois consultants confirmés, entre avril 2020 et avril 2021, lesquels ont rejoint la société IQO, soit en qualité d’associés (MM. [D], [C] et [W]) soit en qualité de salariés.
Elle fait observer que ces départs, pour une même destination, avec la circonstance que les équipes de Weave sont désormais reconstituées au sein de la société IQO, font fortement présumer une concertation de MM. [D], [C], [W] et [H] en vue du débauchage de ses salariés, affirmant, s’agissant de ce dernier, qu’il a été porté à sa connaissance qu’il aurait cherché à débaucher son personnel et que ses manoeuvres déloyales ont été confirmées par des éléments apparus depuis l’introduction de l’instance.
Il résulte des pièces produites consistant notamment dans les conventions de rupture, les actes de résiliation et les protocoles transactionnels, que les départs de MM. [D], [C] et [W] ont été réalisés amiablement et ont donné lieu à la levée de toute obligation de non-concurrence à l’égard de la société Onepoint. MM. [D], [C] et [W] ont respectivement quitté cette société les 2 avril 2020 et 6 novembre 2020 et rejoint la société IQO en décembre 2020 pour M. [W], janvier 2021 pour M. [D] et avril 2021 pour M. [C].
En raison de la levée de la clause de non-concurrence, il est d’évidence que le départ de ces trois investisseurs associés, parfaitement libres d’intégrer la société IQO et d’y exercer une activité concurrente à celle de la société Onepoint, ne peut faire l’objet d’un litige.
Il reste donc en cause le départ de huit collaborateurs pour lequel il est suspecté un manquement de MM. [D], [C] et [W] à leur obligation de non-sollicitation maintenue après la cessation de leur fonction au sein de la société Onepoint.
Par ailleurs, lors de la sortie de la société FAMM du capital de la société Onepoint et de la cessation de son mandat social, un protocole transactionnel a été signé entre ces sociétés aux termes duquel il a été mis à la charge de la société FAMM mais aussi de ses mandataires sociaux et actionnaires dont M. [H], une obligation de non-débauchage, non-sollicitation et non concurrence, qui a expiré le 22 octobre 2021.
Pour justifier le manquement de M. [H] à cette obligation, la société Onepoint se fonde sur une attestation de M. [E] en date du 5 juillet 2021, confirmée par une nouvelle attestation du 10 décembre 2021, qui fait état de nombreux déjeuners organisés par M. [H] dont un auquel il a participé le 4 février 2019, au cours duquel ce dernier lui aurait exposé son projet entrepreneurial dans le domaine du conseil et lui aurait demander de démissionner pour participer à ce projet.
M. [H] conteste le contenu de la discussion qu’il a eue avec ce témoin, ancien associé de la société Weave, devenu associé et salarié au sein de la société Onepoint, précisant que l’objet de ce déjeuner était d’obtenir, pour ce dernier, l’aménagement des conditions de remboursement d’un prêt de 80.000 euros qu’il lui avait consenti. Il produit, pour en justifier un échange WhatsApp du 5 février 2019, dans lequel M. [E] lui a adressé des éléments chiffrés en lien avec ce prêt.
Si ces éléments ne peuvent exclure toute discussion sur les projets de M. [H], il apparaît cependant au regard du lien de proximité évident existant entre le témoin et la société Onepoint et de la plainte pour faux déposée par M. [H] le 3 février 2022 entre les mains du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris, que cette attestation est dépourvue de force probante suffisante.
Il résulte par ailleurs des constatations effectuées par l’huissier de justice lors de l’exécution de la mesure d’instruction dans les locaux de la société IQO, que M. [S], alors présent dans les lieux, a pris connaissance de la mission, puis a téléphoné à ‘son patron’ qu’il a déclaré être M. [H].
En outre, la société Onepoint produit un email de M. [G] dont il n’est pas contesté qu’il est associé de cette société, adressé à M. [I], dont il n’est pas davantage contesté qu’il serait secrétaire général de l’intimée, daté du 9 mars 2022, dans lequel il est notamment écrit ‘Pour l’anecdote, j’ai rencontré [M] [H] (ex. Président de Weave) qui était sur le stand de la ferme digitale. Il m’a fait part du développement de son activité de conseil, l’entreprise IQO, dont il m’a annoncé qu’elle comptait désormais 75 personnes’.
Il résulte de ces éléments révélés postérieurement au dépôt de la requête, que la société Onepoint justifie d’un possible lien entre la société IQO et M. [H], voire avec la société FAMM.
En effet, les contestations émises par M. [H] sur le contenu du procès-verbal de constat et les propos tenus par M. [S] à qui il a fait délivrer une sommation interpellative le 22 février 2022 pour lui permettre de préciser ses déclarations faites devant l’huissier de justice, ne sont pas de nature à démontrer le caractère erroné du procès-verbal.
Ce procès-verbal met en outre en évidence que les sociétés IQO et FAMM ont le même directeur des systèmes d’information, lequel disposait en effet des accès à l’adresse mail de M. [H] sur le domaine famm-group.com et à son one drive, la cour relevant cependant que les opérations de constat ont révélé que M. [H] n’avait pas de boîte email sur le nom du domaine iqo.eu, et donc pas de données sur le serveur de la société IQO.
Au surplus, la teneur du mail de M. [G], qui, n’étant pas une attestation, n’a pas à répondre aux conditions de forme de l’article 202 du code de procédure civile, laisse entendre que M. [H] se présente comme étant en lien avec la société IQO, étant en tout état de cause relevé ainsi que le fait justement observer la société Onepoint qu’il existe une proximité entre M. [H] et M. [F] fondateur de la société IQO, puisque ces derniers avaient créé la société Weave.
Cependant, l’existence de ce possible lien n’implique pas le débauchage allégué des huit collaborateurs de la société Onepoint par MM. [D], [C] et [W] avec l’aide de M. [H], au profit de la société IQO, seul acte de concurrence déloyal invoqué par la société Onepoint dans sa requête et ses conclusions.
Il apparaît en effet du tableau produit par MM. [D], [C] et [W] en pièce 11, que lors de leur arrivée au sein de la société IQO, cinq des huit anciens collaborateurs de la société Onepoint avaient déjà été embauchés par la société IQO, ces cinq embauches s’étant échelonnées entre les mois de juin et octobre 2020.
Par ailleurs, il résulte de l’extrait du rapport de Syntec conseil qu’en dépit de la crise sanitaire en 2020, le taux d’attrition dans les cabinets de conseil est resté élevé puisqu’il a été, au cours de cette année, de l’ordre de 27,5 % pour les consultants, de 22 % pour les consultants senior et de 13,5 % pour les managers senior.
L’article du site de conseil en stratégie ‘Consultor’, intitulé ‘Partners : que de turnover’, indique que sur les dix principaux cabinets de conseil en stratégie, 130 mouvements ont eu lieu entre janvier 2019 et janvier 2021, que ‘ces chiffres témoignent de la croissance du marché du conseil en stratégie malgré la crise et le rythme auquel les associés passent la main’ et encore que ces ‘130 mouvements (…) permettent de fixer le turnover moyen du marché des associés du conseil (…) Il est bien connu que ces entreprises connaissent des taux de rotation élevés de leurs équipes. Pour plusieurs raisons : parce que les rythmes de travail y sont soutenus, la sélection et la compétition intenses, que les consultants y viennent pour quelques années seulement avant de passer à autre chose dans leur carrière’.
En outre, il est de notoriété publique que l’intégration de la société Weave par la société Onepoint s’est effectuée difficilement.
Ainsi, deux articles de ‘La lettre A’ des 16 mars 2020 et 28 septembre 2020, respectivement intitulés ‘Onepoint : la greffe peine à prendre chez les anciens de Weave’ et ‘Onepoint : [R] [A] confronté aux départs d’ex-Weave’, révélaient alors que ‘les deux anciens partners banque et assurance de Weave ont quitté le groupe fondé et dirigé par [R] [A], un an à peine après que celui-ci a racheté leur cabinet de conseil (…) Selon nos informations, cela pourrait être le début d’une plus grande vague de défections chez les anciens associés de Weave, en particulier parmi ceux issus des ex-branches ‘métier’ qui s’acclimatent mal à la nouvelle culture d’entreprise’ et que ‘près d’un tiers de la quarantaine de partners du cabinet de conseil en technologie fondé par [M] [H] a quitté l’entreprise, en ordre dispersé. Jugée ‘classique’ dans ce type d’opération par certains observateurs, cette vague de départs traduit pour d’autres la difficulté de fusionner deux modèles opposés’.
Les avis des consultants Onepoint publiés sur Glassdoor confirment les divergences de modèles entre les sociétés Onepoint et Weave et dénoncent notamment, ‘une mauvaise écoute du consultant’, un ‘mauvais suivi managerial ou de gestion de carrière’, ‘une opacité sur les opportunités et les prises de décision’, des ‘projets non intéressants et un management non inspirant’.
Il résulte encore de la liste établie par MM. [D], [C], [W], non contestée par la société Onepoint, (pièce n°14) que 175 personnes du périmètre Weave ont quitté la société Onepoint, sur lesquelles onze ont rejoint la société IQO dont les huit collaborateurs pour lesquels un débauchage serait suspecté.
Or, les huit départs litigieux concernent une société ayant un effectif global après le rachat de Weave de près de 3.000 collaborateurs (2.500 salariés de Onepoint + 414 salariés de Weave).
Au regard de ces éléments, l’embauche pas la société IQO des huit anciens collaborateurs de la société Onepoint n’apparaît pas significative d’un débauchage illicite susceptible d’être reproché à MM. [D], [C], [W] et [H] ni d’une désorganisation de la société Onepoint résultant d’une action concertée de ces derniers.
S’il est constant qu’à ce stade de la procédure, la société Onepoint n’a pas à justifier la faute qu’elle reproche à MM. [D], [C], [W] et [H] et aux sociétés FAMM et IQO ni l’étendue de son préjudice, questions relevant de l’appréciation du seul juge du fond, elle doit cependant produire des éléments concrets établissant, par un faisceau d’indices suffisants, l’existence d’un motif légitime, soit d’un possible procès en concurrence déloyale à l’encontre des appelants. Or, ses explications et les pièces produites ne permettent pas de caractériser l’existence de faits rendant crédibles ses allégations à l’égard de ces derniers alors que les départs reprochés, survenus plus d’un an après le rachat de la société Weave, apparaissent davantage comme la conséquence des difficultés d’intégration de cette dernière.
Enfin, et à titre surabondant, il sera relevé que la mesure d’instruction ordonnée n’apparaît pas légalement admissible en ce qu’elle ne concilie pas le droit à la preuve auquel prétend la société Onepoint et le droit au secret des affaires auquel prétendent les appelants.
En effet, cette mesure en ce qu’elle permet la combinaison de mots clés tels que ’embauche’, ‘contrat de travail’, ‘CDI’, ‘clause de non-concurrence’ à utiliser avec une liste de noms (des appelants et des anciens collaborateurs de la société Onepoint) isolément ou par combinaison apparaît particulièrement générale et de nature à divulguer des informations sans lien avec les faits en cause et, de surcroît, susceptibles d’être protégées au titre du secret des affaires.
En outre, s’il a été prévu que certaines recherches devant s’effectuer dans le système informatique des sociétés IQO et FAMM et sur les postes informatiques professionnels et personnels, les boîtes mail et les téléphones et tablettes professionnels et personnels des personnes physiques visées dans la mission à compter du 19 janvier 2019, il apparaît que les recherches relatives aux correspondances échangées entre MM. [D], [C], [W] et/ou avec M. [H] et/ou toute autre personne à partir de leur adresse mail professionnelle et personnelle, ne sont limitées ni dans le temps ni dans leur objet par la combinaison de mots clés.
Au surplus, la cour relève que la modification de la mission par l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a demandé à Maître [K] de procéder à un nouveau tri des pièces à partir des mots clés ‘IQO’, ‘FAMM’, ‘Weave’, ‘Onepoint’, ‘[M] [H]’, ‘[L] [D]’, ‘[N] [W]’ et ‘[B] [C]’ n’est pas davantage de nature à préserver les intérêts des appelants. Aucune combinaison de ces mots n’ayant été prévue ni aucune limite temporelle n’ayant été précisée, le tri est en effet susceptible de permettre l’accès à des pièces confidentielles de nature financière, commerciale ou sociale, sans lien avec le prétendu débauchage, étant encore relevé que le premier juge a dû préciser, dans une ordonnance ultérieure, que ces mots ne s’appliquaient qu’au tri des pièces saisies chez les personnes physiques, laissant ainsi subsister les mots clés de l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021 pour les pièces saisies dans les locaux des sociétés appelantes.
La mesure d’instruction dont l’exécution a permis la saisie d’un nombre très élevé de fichiers (environ 76.000 selon les écritures non contestées sur ce point de la société IQO et de MM. [D], [C], [W]) apparaît donc particulièrement disproportionnée.
Dans ces conditions, il convient au regard des motifs qui précèdent d’ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête du 5 octobre 2021 et d’infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise.
En conséquence de la rétractation ordonnée, les documents saisis lors de la réalisation de la mesure d’instruction seront de plein droit restitués aux appelants ainsi qu’il sera précisé au dispositif.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en ses prétentions, la société Onepoint supportera les dépens de première instance et d’appel, sans pouvoir prétendre à l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sera par suite tenue de verser à la société FAMM et M. [H] la somme globale de 4.000 euros et à la société IQO, MM. [D], [C] et [W] la somme globale de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer dans cette procédure pour assurer leur défense.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
Ordonne la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 5 octobre 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris ;
Ordonne en conséquence la restitution, chacun pour ce qui le concerne, à la société IQO, M. [D], M. [C], M. [W], M. [H] et la société FAMM des documents saisis, originaux et copies, placés sous séquestre par la société [O] [K], huissier de justice, en exécution de l’ordonnance rétractée ;
Fait interdiction à la société [O] [K] de divulguer à la société Onepoint le contenu des documents saisis et placés sous son séquestre ;
Déboute la société Onepoint de l’intégralité de ses demandes ;
Condamne la société Onepoint aux dépens de première instance et d’appel et à payer d’une part, à la société FAMM et M. [H] la somme globale de 4.000 euros et, d’autre part à la société IQO, M. [D], M. [C] et M. [W] la somme globale de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,