COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 30 JANVIER 2023
N° RG 21/02991 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MD7K
Madame [M] [W] épouse [H]
S.A.R.L. CB INVESTISSEMENT
Maître [T] [X]
c/
CRCAM CHARENTE PÉRIGORD E-PERIGORD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 mai 2021 (R.G. 2020.657) par le Tribunal de Commerce de PERIGUEUX suivant déclaration d’appel du 26 mai 2021
APPELANTES :
Madame [M] [W] épouse [H], née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 5], de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
S.A.R.L. CB INVESTISSEMENT, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
Maître [T] [X] pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL CB INVESTISSEMENT, [Adresse 1]
représentés par Maître Alexandre ALJOUBAHI, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CHARENTE PERIGORD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 4]
représentée par Maître Frédéric MOUSTROU de la SELARL JURIS AQUITAINE, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 28 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie PIGNON, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Le 28 mars 2017, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord (ci-après, la CRCAM Charente-Périgord) a consenti deux prêts, l’un s’élevant à un montant de 150 000 euros, et l’autre à un montant de 204 315 euros, à la société CB Investissement.
Mme [M] [H], gérante de la société CB Investissement, s’est portée caution solidaire des engagements de la société dans la limite de 230. 304,75 euros des prêts accordés par la CRCAM Charente-Périgord.
Par lettre du 02 juillet 2019, la CRCAM Charente-Périgord a mis en demeure la société CB Investissement de lui payer la somme de 52 785,34 euros, après lui avoir informé que sa demande de report des annuités des deux prêts avait été refusée.
Par exploit d’huissier du 29 février 2020, après vaine mise en demeure du 26 novembre 2019, la CRCAM Charente-Périgord a assigné la société CB Investissement et Mme [H] devant le tribunal de commerce de Périgueux aux fins d’obtenir la condamnation de la société CB Investissement aux sommes de 141 010,42 euros, 192 072,05 euros et 1 323,90 euros et celle de Mme [H] à la somme de 230 304,75 au titre de sa qualité de caution de la société CB Investissement.
Par jugement contradictoire du 10 mai 2021, le tribunal de commerce de Périgueux a :
– condamné la société CB Investissement à payer au Crédit Agricole les sommes de :
– 141 010, 42 euros au titre du prêt numéro 10000236666 telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux de 3,75 % l’an,
– 192 072,05 euros au titre du prêt numéro 10000236667 telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux légal,
– 1 323, 90 euros au titre du solde débiteur du compte numéro 80006103034 telle qu’arrêtée au 20 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux légal,
– condamné Mme [H] à payer au Crédit Agricole la somme de 230 304, 75 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2019, jusqu’à complet paiement, au titre de son engagement de caution des prêts numéro 10000236666 et numéro 10000236666,
– dit que les intérêts ayant couru sur une année entière, seront capitalisés et eux-mêmes productifs d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 nouvellement codifié 1343-2 du code civil,
– condamné solidairement la société CB Investissement et Mme [H] à verser au Crédit Agricole la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans caution,
– condamné solidairement la société CB Investissement et Mme [H] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 26 mai 2021, la société CB Investissement et Mme [H] ont interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la CRCAM Charente-Perigord.
La société CB Investissement a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire par décision du tribunal de commerce de Périgueux du 29 juillet 2021. La société [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la société CB Investissement, est intervenue volontairement à l’instance le 07 octobre 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 04 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société CB Investissement, Mme [H] et la société [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CB Investissement, demandent à la cour de :
– vu l’article ancien 1147 du code civil,
– vu l’article 1231-5 alinéa 2 du code civil,
– vu l’article 1343-2 du code civil,
– vu l’article L. 332-1 du code de la consommation,
– juger l’intervention volontaire de Maître [T] [X] de la société [X], mandataire judiciaire, recevable et bien fondée,
– réformer le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal de commerce de Périgueux en ce que cette décision :
– condamne la société CB Investissement à payer au Crédit Agricole les sommes de :
– 141 010, 42 euros au titre du prêt numéro 10000236666 telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux de 3, 75 % l’an,
– 192 072, 05 euros au titre du prêt numéro 10000236667 telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux légal,
– 1 323, 90 euros au titre du solde débiteur du compte numéro 80006103034 telle qu’arrêtée au 20 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux légal,
– condamne Mme [H] à payer au Crédit Agricole la somme de 230 304, 75 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2019, jusqu’à complet paiement, au titre de son engagement de caution des prêts numéro 10000236666 et numéro 10000236666 (erreur matérielle du numéro de prêt),
– dit que les intérêts ayant couru sur une année entière, seront capitalisés et eux-mêmes productifs d’intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 nouvellement codifié 1343-2 du code civil,
– condamne solidairement la société CB Investissement et Mme [H] à verser au Crédit Agricole la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonne l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution,
– condamne solidairement la société CB Investissement et Mme [H] aux entiers dépens de la présente instance,
– taxe les frais au titre du présent jugement à la somme de 94, 34 euros TTC.
– statuant à nouveau,
– à titre principal,
– débouter la CRCAM Charente-Perigord de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– s’agissant de la société CB Investissement,
– juger que la CRCAM Charente-Perigord a manqué à son obligation de devoir de mise en garde et de ne pas octroyer des crédits disproportionnés à son égard,
– juger que la CRCAM Charente-Perigord a commis une faute engageant sa responsabilité à son égard,
– juger que ses préjudices correspondent aux sommes réclamées au titre des prêts et du solde débiteur d’un compte, à savoir :
au titre du prêt numéro 10000236666 : 141. 010, 42 euros, telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet payement au taux de 3, 75 % l’an ;
au titre du prêt numéro 10000236667 : 192. 072, 05 euros, telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet payement au taux de 3, 75 % l’an ;
au titre du solde débiteur du compte numéro 80006103034 : 1. 323, 90 euros, telle qu’arrêtée au 20 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet payement au taux légal ;
– la décharger, par compensation, de toutes les sommes réclamées par la CRCAM Charente-Perigord,
– s’agissant de Mme [H], caution,
– juger que la CRCAM Charente-Perigord a commis une faute engageant sa responsabilité en manquant à son obligation de mise en garde à son égard, caution,
– juger que la CRCAM Charente-Perigord a commis une faute en lui souscrivant un engagement disproportionné par rapport à son patrimoine et à ses revenus,
– juger que la CRCAM Charente-Perigord engage ainsi sa responsabilité à son égard,
– juger que son préjudice doit être estimé à la somme de 230.304, 75 euros,
– la décharger par conséquent, de son obligation de cautionnement,
– à titre subsidiaire,
– débouter la CRCAM Charente-Perigord de sa demande des pénalités, indemnités de recouvrement, intérêts de retard et capitalisation des intérêts,
– et à défaut,
– modérer les pénalités, indemnités, des intérêts de retard, la capitalisation des intérêts et les indemnités de retard et les indemnités forfaitaires à la somme de 500 euros,
– dans tous les cas,
– condamner en cause d’appel la CRCAM Charente-Perigord à payer à la société CB Investissement, représentée par Maître [T] [X] ès qualités, et à Mme [H] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la CRCAM Charente-Perigord aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 08 octobre 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la CRCAM Charente-Périgord demande à la cour de :
– vu les articles 1103 et suivants du code civil, l’article 1231-6 du code civil, l’article 1343-2 du code civil, les articles 1905 et suivants du code civil, 2288 et suivants du code civil,
– vu les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce,
– la recevoir en son appel incident, et l’y déclarant bien fondée,
– juger l’appel de la société CB Investissement, Mme [H] et la société [X] mal fondé,
– débouter la société CB Investissement, Mme [H] et la société [X] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a assorti la condamnation prononcée à l’encontre de la société CB Investissement du chef du prêt numéro 10000236667 des intérêts au taux légal au lieu des intérêts au taux conventionnel de 3, 75 % l’an,
– statuant à nouveau, compte tenu de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société CB Investissement, constater et fixer ses créances au passif de la société CB Investissement à hauteur des sommes suivantes :
au titre du prêt numéro 10000236666, d’un montant de 150 000 euros : 148 086, 20 euros, outre les intérêts à courir à compter du 29 juillet 2021, annuellement capitalisés, au taux d’intérêts de 3, 75 % l’an, jusqu’à complet paiement, à titre privilégié,
au titre du prêt numéro 10000236667, d’un montant de 204 315 euros : 201 709, 47 euros, outre les intérêts à courir à compter du 29 juillet 2021, annuellement capitalisés, au taux d’intérêts de 3, 75 % l’an, jusqu’à complet paiement, à titre privilégié,
au titre du solde débiteur du compte n° 80006103034 : 3 439, 26 euros, outre les intérêts à courir à compter du 29 juillet 2021, annuellement capitalisés, au taux d’intérêts légal, jusqu’à complet paiement, à titre chirographaire,
au titre des frais irrépétibles, en première instance et en appel : 8 000 euros, à titre chirographaire,
au titre des frais répétibles : 5 072, 33 euros, à titre échu, outre les dépens à échoir,
– condamner Mme [H] à lui porter et payer, sans terme ni délai, la somme de 230 304, 75 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2019, jusqu’à complet paiement, au titre de son engagement de caution des prêts numéro 10000236666 et numéro 10000236667,
– juger que les intérêts ayant couru sur une année entière seront capitalisés et eux-mêmes productifs d’intérêts,
– condamner Mme [H] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance, outre la somme allouée de ce chef par les premiers juges,
– condamner in solidum la société [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CB Investissement, et Mme [H] aux entiers dépens, sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile, et dire que ces frais seront passés en frais privilégiés de procédure collective.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 novembre 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 28 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS
Le banquier dispensateur de crédit est débiteur, à l’égard de l’emprunteur non averti, d’une obligation de mise en garde sur le risque d’endettement excessif, lequel s’apprécie au jour de la conclusion du contrat de crédit à partir des capacités financières de l’emprunteur et des caractéristiques de l’opération, le caractère averti de l’emprunteur personne morale, s’appréciant en la personne de son représentant légal.
Le devoir de mise en garde n’est dû par le banquier que s’il apparaît que le crédit sollicité est excessif et fait courir un risque d’endettement à l’emprunteur non averti.
Il revient à l’emprunteur qui s’en prévaut de justifier que le crédit consenti était excessif.
Par ailleurs, le devoir de mise en garde n’est pas dû dès lors que le prêt est adapté aux capacités financières déclarées de l’ emprunteur .
En l’espèce, la profession de secrétaire exercée par Mme [H] ne suffit pas à conférer à société dont elle était la gérante la qualité d’emprunteur averti.
Son curriculum vitae mentionne en effet qu’elle exerçait les fonctions de secrétaire au sein de la société GTS dont la société CB Investissements a racheté l’intégralité des parts sociales.
Le fait qu’elle ait indiqué qu’elle avait la ‘responsabilité de la tenue de l’entreprise lors de l’absence des patrons’ n’est pas de nature à démontrer qu’elle était habituée à la pratique des affaires.
Elle avait exercé successsivement les fonctions de secrétaire et agent agent administratif dans différentes entreprises, ne disposait que d’un CAP d’Aide compatble, d’un brevet professionnel de bureautique obtenus tous les deux en 1977, et avait bénéficié en 2005 d’une formation ‘gestion de paie’.
Son bulletin de salaire d’avril 2017 montre qu’elle avait la qualification d’employée et bénéficiait d’un salaire de base de 1.938,34 euros mensuels.
La plupart des tâches mentionnées dans son CV sont celles d’une secrétaire et non d’un chef d’entreprise (frappe de courriers, accueil téléphonique), et celles qui ressortent d’un travail de direction peuvent également être effectuées par un salarié moins qualifié, de sorte que l’affirmation selon laquelle Mme [H] disposait des compétences nécessaires pour apprécier les risques encourus est infondée.
La constitution d’une ‘holding’, sous forme de SARL au capital de 10.000 euros ne démontre pas plus les compétences supposées de la gérante.
Il ne résulte d’aucune pièce versée aux débats que la banque se soit renseignée d’une manière ou d’une autre sur la situation financière de la société GTS dont la société CB Investissements gérée par Mme [H] a racheté les parts sociales, ni sur la faisabilité du projet, ni sur le risque d’endettement et a néanmoins consenti deux prêts d’un montant total de plus de 350.000 euros pour financer l’opération.
Par ailleurs, par contrat de prêt en date du 28 mars 2017, la SARL CB Investissements a emprunté la somme de 50 000 euros, dont l’objet du prêt était un besoin de trésorerie, ce qui démontre la fragilité du projet financé par la CRCAM.
La banque ne justifie pas cependant avoir mis en garde Mme [H] en sa qualité de gérante de la société CB Investissements des risques encourus,au regard de l’attribution de ces crédits excessifs, ce qui justifie qu’en infirmation de la décision entreprise, il soit jugé que la banque a engagé sa responsabilité envers la société CB Investissements, le manquement de la banque à son devoir de mise en garde ayant fait perdre une chance à la société CB Investissements de ne pas souscrire ces crédits.
Le préjudice consécutif au manquement d’un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur est constitué par la perte de la chance de ne pas avoir contracté si ce dernier avait été correctement informé des risques encourus.
La perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
En l’espèce, au regard de la négligence de la banque qui ne s’est livrée à aucune analyse de la viabilité du projet, des risques encourus, des incidents de paiement intervenus très peu de temps après l’attribution des prêts, de la procédure collective ayant abouti à la liquidation judiciaire de la société, cette chance de ne pas contracter peut être estimée à 70% du montant des sommes empruntées.
La somme de 248.000 euros sera allouée à Me [X] ès qualités, et viendra en déduction du montant eéclamé par la banque.
La créance de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord est ventilée de la façon suivante :
– au titre du prêt Numéro 10000236666 : 141. 010.42 euros, telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux de 3,75 % l’an, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 129 048,77 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 1.476,60 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 529 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 782,25 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 9.173,80 euros,
– au titre du prêt Numéro 10000236667 : 192.072,05 euros, telle qu’arrêtée au 24 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux de 3,75 % l’an, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 175.777,32 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 2.011,28 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 722,20 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 1.065,50 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 12.495,75 euros,
– au titre du solde débiteur du compte n° 80006103034, payeur des prêts : 1323.90 euros, telle qu’arrêtée au 20 janvier 2020, outre les intérêts courus et à courir à compter de cette date jusqu’à complet paiement au taux légal.
Aux termes de l’article 1231-5 du Code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre, mais néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
En l’espèce, la clause litigieuse est ainsi libellée :«Si pour parvenir au recouvrement de sa créance, le prêteur a recours à un mandataire de justice ou exerce des poursuites ou produit à un ordre, l’emprunteur s’oblige à lui payer, outre les dépens mis à sa charge, une indemnité forfaitaire de 7 % calculée sur le montant des sommes exigibles avec un montant minimum de 2 000 euros’.
Contrairement à ce que soutient le Crédit Agricole, cette indemnité conventionnelle qui est stipulée à la fois comme un moyen de contraindre l’emprunteur à l’exécution spontanée, moins coûteuse pour lui et comme l’évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le prêteur du fait de l’obligation d’engager une procédure, s’analyse comme une clause pénale .
Au regard des échéances réglées, du montant des emprunts, des circonstances particulières de la défaillance, et de l’intérêt que l’exécution partielle du contrat a procuré à la banque, il y a lieu de réduire à 3.000 euros pour le premier prêt et 5.000 euros pour le second les clauses pénales contractuellement prévues.
C’est à tort que les appelants soutiennent que le contrat ne prévoit pas la capitalisation des intérêts, alors que celle-ci est expressément prévue au paragraphe ‘Remboursement du prêt- paiement des intérêts- indemnités’.
En revanche, le jugement de liquidation judiciaire arrêtant le cours des intérêts, la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil sera en ordonnée pour la période courant du 24 janvier 2020 pour les deux prêts au 29 juillet 2021, date du jugement de liquidation judiciaire.
Les sommes dues étant par ailleurs justifiées par les contrats et les décomptes produits aux débats, il sera fait droit à la demande de fixation des créances dans les termes suivants :
– au titre du prêt Numéro 10000236666 : 134.836,62 euros, outre les intérêts au taux de 3,75 % l’an à compter du 24 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 129 048,77 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 1.476,60 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 529 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 782,25 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 3.000 euros,
– au titre du prêt Numéro 10000236667 : 184.576,30 euros, outre les intérêts au taux de 3,75 % l’an à compter du 24 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 175.777,32 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 2.011,28 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 722,20 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 1.065,50 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 5.000 euros,
– au titre du solde débiteur du compte n° 80006103034 : 1323.90 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021.
En vertu de l’article L.641-3 qui renvoie à l’article L 622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes.
En l’espèce, les créances réciproques des parties n’ayant pas le même fondement, celle de paiement des soldes dus sur les emprunts ayant un fondement contractuel et celle de dommages et intérêts réparant le préjudice résultant du manquement à l’obligation de mise en garde étant de nature délictuelle et dépourvue de fondement contractuel, ne sont pas connexes au sens de l’article L 622-7.
La compensation ne sera pas ordonnée.
S’agissant de l’acte de cautionnement consenti par Mme [H], le banquier dispensateur de crédit est tenu à l’égard d’une caution non avertie d’un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l’endettement résultant de l’octroi des prêts garantis.
Pour engager la responsabilité de l’établissement bancaire, la caution doit rapporter la preuve d’une part, que le crédit sollicité présente un risque d’endettement excessif par rapport à ses capacités financières, et d’autre part qu’il peut être qualifié de caution profane.
Il est acquis que Mme [H] est une caution profane.
Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article L. 343-4 du Code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat,
l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives.
Un cautionnement est disproportionné si la caution ne peut manifestement pas y faire face avec ses biens et revenus.
En l’espèce, le seul document produit est la fiche de renseignement remplie par Mme [H] lors de son engagement en qualité de caution pour les emprunts litigieux.
De cette pièce, extrêmement succinte, il ressort que Mme [H], se déclarant gérante de société, a déclaré le 21 mars 2017 bénéficier de revenus mensuels (lire annuels) de 52.196 euros pour des charges de crédits mensuelles (lire annuelles) de 6.250 euros, tout déclarant disposer d’un patrimoine immobilier de 150.000 euros grevé d’un crédit d’un capital restant dû de 44.940 euros et bénéficier d’une épargne de 28.000 euros.
La banque était en conséquence parfaitement informée lors de l’attribution des concours litigieux que Mme [H], ex secrétaire compatble de la société GTS achetait par le biais de la société CB Investissements les parts sociales de son ancien employeur, pour une somme importante, sans disposer ni des revenus ni du patrimoine pour en assurer un fonctionnement pérenne, ni pouvoir répondre en sa qualité de caution, de ses engagements sur ses biens personnels.
La simple lecture de la fiche de renseignement démontre la disproportion entre les revenus et patrimoine de Mme [H] (revenus mensuels de 4.349 euros pour le couple, patrimoine immobilier d’une valeur nette de 105.060 euros, et épargne limitée à 28.000 euros) avec ses engagements de caution, à hauteur de 230.304,75 euros.
Mme [H] fait valoir à juste titre la disproportion de son engagement de caution au regard de son patrimoine et de ses revenus au moment où elle s’est engagée à garantir les concours dont bénéficiait la société CB Investissements qu’elle dirigeait.
Elle démontre également que, non seulement ses engagements de caution n’étaient pas adaptés à ses capacités financières, mais qu’en outre il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
Invoquant à juste titre la disproportion et la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de mise en garde, Mme [H] est fondée à soutenir que la banque a commis une faute qui justifie l’allocation de dommages et intérêts, qui réduisent, par compensation, la somme due par elle en qualité de caution.
Au regard des motifs qui précèdent, les dommages et intérêts dus à Mme [H] seront justement arbitrés au montant des sommes qui lui sont réclamées, de sorte qu’en infirmation de la décision entreprise, la banque sera déboutée de l’ensemble de ses prétentions à son encontre.
Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés et non compris dans les dépens, et il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Constate l’intervention volontaire de Me [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CB Investissement ;
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les dépens ;
Statuant à nouveau,
Fixe les créances de la CRCAM Charente-Périgord au passif de la société CB Investissement à hauteur des sommes suivantes :
– au titre du prêt Numéro 10000236666 : 134.836,62 euros, outre les intérêts au taux de 3,75 % l’an à compter du 24 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021, à titre privilégié, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 129 048,77 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 1.476,60 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 529 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 782,25 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 3.000 euros,
– au titre du prêt Numéro 10000236667 : 184.576,30 euros, outre les intérêts au taux de 3,75 % l’an à compter du 24 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021, à titre privilégié, se décomposant comme suit :
* capital dû au 10.04.2019 : 175.777,32 euros,
* intérêts au taux de 0.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 2.011,28 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 10.04.2019 au 26.11.2019 : 722,20 euros,
* intérêts au taux de 3.75 % l’an du 26.11.2019 au 24.01.2020 : 1.065,50 euros,
* indemnité forfaitaire de recouvrement : 5.000 euros,
– au titre du solde débiteur du compte n° 80006103034 : 1323.90 euros, , à titre chirographaire, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2020 jusqu’au 29 juillet 2021 ;
Dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord a manqué à son obligation de mise en garde vis-à-vis de la société CB Investissement ;
En conséquence, la condamne à payer à la société CB Investissement, représentée par Maître [T] [X] ès qualités de liquidateur, la somme de 248.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Dit n’y avoir lieu à compensation entre les sommes dues par chacune des parties ;
Dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord a manqué à son obligation de mise en garde vis-à-vis de Mme [H], et constate la disproportion de l’engagement de caution de Mme [H] au regard de ses revenus et patrimoine ;
En conséquence, déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord de toutes ses demandes à l’encontre de Mme [M] [H] ;
Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Charente-Périgord aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.