Nullité de contrat : 15 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02882

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Nullité de contrat : 15 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02882

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 15 FEVRIER 2023

N° RG 20/02882 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUOF

S.C.I. ADAN 3

c/

CREDIT COOPERATIF

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juillet 2020 (R.G. 2019F00012) par le Tribunal de Commerce de BERGERAC suivant déclaration d’appel du 30 juillet 2020

APPELANTE :

S.C.I. ADAN 3, prise en la personne de son représentant légal, domocilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]

représentée par Maître David LARRAT de la SELARL H.L. CONSEILS, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

CREDIT COOPERATIF, représenté par ses gérants, domiciliés en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]

représenté par Maître Aurélie GIRAUDIER de la SELARL JURIS AQUITAINE, avocat au barreau de BERGERAC et assisté par Maître Jean Jacques DUBOIS de l’Association CHAUVERON VALLERY- RADOT LECOMTE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 04 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 18 septembre 1990 à effet au 1er janvier 1991, Madame [N] [Z] veuve [H] et Messieurs [X] et [D] [H], aux droits desquels est venue la société civile immobilière [Z], ont donné à bail commercial à la banque Finindus, aux droits de laquelle vient la société coopérative anonyme Crédit Coopératif, plusieurs locaux commerciaux dépendant d’un immeuble situé [Adresse 3], ce pour une durée de 9 années.

Le bail a été renouvelé par avenants successifs puis s’est poursuivi par tacite prolongation à compter du 1er janvier 2008 . La société Crédit Coopératif a, le 19 septembre 2017, donné congé à sa bailleresse pour le 31 mars 2018.

Par acte du 24 octobre 2017, la société civile immobilière Adan 3 est devenue propriétaire de l’immeuble et, par avenant du 22 mars 2018, a autorisé la société Crédit Coopératif à occuper les lieux jusqu’au 30 juin 2019. Le même jour, un procès-verbal de pré-état des lieux de sortie a été réalisé et un protocole d’accord de restitution des locaux a été signé entre les parties, portant sur les modalités de restitution du dépôt de garantie et le versement d’une somme d’un montant de 80.000 euros par la société Crédit Coopératif, en contrepartie des travaux de remise en état des locaux ; cette somme a été portée à 95.000 euros par avenant du 10 avril 2018 et a été réglée par la société Crédit Coopératif à la société Adan 3.

Par courrier du 11 juin 2018, la société Crédit Coopératif a informé la société Adan 3 de son départ.

Par courrier du 4 juillet suivant, la société Adan 3 a adressé à la société Crédit Coopératif un avis d’échéance s’élevant à la somme de 17.951,36 euros pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2018.

Par courrier recommandé en date du 9 juillet 2018 et reçu le 13 juillet suivant, les clefs des locaux ont été restituées à la société Adan 3.

Le 21 janvier 2019, la société Adan 3 a saisi le tribunal de commerce de Bergerac aux fins, principalement, de nullité du protocole d’accord du 22 mars 2018 et paiement de diverses sommes.

Par jugement contradictoire prononcé le 3 juillet 2020, le tribunal de commerce a statué ainsi qu’il suit :

– déboute la société Adan 3 de sa demande en nullité du protocole d’accord

– déboute la société Adan 3 de sa demande en paiement par le Crédit Coopératif de la somme de 180.404,64 euros en réparation des dégradations affectant les locaux ;

– condamne la société Adan 3 au paiement de la somme de 4.573 euros au profit du Crédit Coopératif au titre de la restitution du dépôt de garantie ;

– condamne la société Adan 3 à payer au Crédit Coopératif la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– laisse les dépens à la charge de la société Adan 3.

La société Adan 3 a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 30 juillet 2020.

***

Par dernières conclusions communiquées le 8 septembre 2020 par voie électronique, la société Adan 3 demande à la cour, au visa des articles 2044, 1132, 1732 et 1231-1 du code civil, de :

– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bergerac du 3 juillet 2020 en ce qu’il :

– déboute la société Adan 3 de sa demande de nullité du protocole d’accord,

– déboute la société Adan 3 de sa demande de paiement par le Crédit Coopératif de la somme de 180.404,64 euros en réparation des dégradations affectant les locaux,

– condamne la société Adan 3 à régler au Crédit Coopératif la somme de 4.573 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie,

– condamne la société Adan 3 à régler au Crédit Coopératif la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamne la société Adan 3 à régler les dépens ;

En conséquence,

– prononcer la nullité du protocole d’accord en date du 22 mars 2018 puis de l’avenant en date du 10 avril 2018 conclu entre la société Adan 3 et le Crédit Coopératif ;

– remettre en conséquence les parties dans la situation antérieure à la signature de ce protocole ;

– juger que le Crédit Coopératif est responsable des dégradations du local loué ;

– condamner en conséquence le Crédit Coopératif à verser la société Adan 3 la somme de 180.404,64 euros en réparation de ces dégradations, somme de laquelle il convient de déduire les 95.000 euros déjà versés ;

– condamner le Crédit Coopératif au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

***

Par dernières écritures communiquées le 3 décembre 2020 par voie électronique, la société Crédit Coopératif demande à la cour, au visa des articles 1132, 1136, 1732, 1755 et 2044 du code civil,

1. A titre principal,

– juger que le protocole en date des 22 mars et 10 avril 2018 constitue en protocole transactionnel parfaitement régulier ;

– subsidiairement, si la cour estime que les protocoles ne constituent pas des transactions, qu’il s’agit d’un protocole au terme duquel la société Adan 3 a entendu renoncer à demander une somme supérieure à 95.000 euros,

– juger que la société Adan 3 était parfaitement consciente, lorsqu’elle a signé les protocoles des 22 mars et 10 avril 2018, de ce qu’elle faisait et n’a donc commis aucune erreur, ou du moins excusable ;

En conséquence,

– débouter la société Adan 3 de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bergerac le 3 juillet 2020 en toutes ses dispositions ;

2. A titre subsidiaire,

– si la cour estime devoir condamner société Crédit Coopératif à payer à la société Adan 3 une quelconque somme au titre des travaux de remise en état, juger que la somme à laquelle il pourrait être condamné devrait être prononcée hors taxes ;

– déduire de la somme à laquelle il pourrait être condamné la somme de 95.000 euros déjà versée à la société Adan 3 ;

3. confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bergerac du 3 juillet 2020 en ce qu’il a condamné la société Adan 3 à lui payer la somme de 4.573 euros à titre de remboursement du dépôt de garantie ;

– subsidiairement, si, par extraordinaire, la cour estimait devoir le condamner à payer la société Adan 3 une quelconque somme au titre des travaux de remise en état, déduire de la somme à laquelle il pourrait être condamné la somme de 4.573 euros, que la société Adan 3 détient déjà à titre de dépôt de garantie,

– dire et juger qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu’il a dû exposer dans le cadre de la présente instance,

– condamner en conséquence la société Adan 3 à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Adan 3 aux dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 décembre 2022.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L’article 2044 du code civil dispose :

« La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Ce contrat doit être rédigé par écrit.»

Selon l’article 1132 du même code :

« L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.»

Au visa de ces textes, la société Adan 3 fait grief au tribunal de commerce de Bergerac de l’avoir déboutée de sa demande en nullité du protocole d’accord du 22 mars 2018 et soutient d’une part que ce protocole ne comporte pas de concessions réciproques, d’autre part que son consentement aux termes de ce protocole a été vicié par l’erreur commise sur l’étendue des dégradations affectant les locaux donnés à bail.

Le protocole d’accord conclu le 22 mars 2018 est ainsi rédigé :

« Article 1 : objet du protocole

L’objet du présent protocole est de définir les modalités de restitution des locaux du bail commercial précité en préambule.

Article 2 : engagements des parties

Le bailleur déclare avoir une parfaite connaissance de l’état des locaux restitués et accepte la somme forfaitaire de 80.000 euros (quatre-vingt mille euros) en contre partie des travaux de remise en état des locaux et renonce à exiger toute autre garantie ou indemnisation à ce sujet.

De convention expresse entre les parties, il est prévu que l’ensemble du mobilier, des coffres, présents au moment du pré-état des lieux du 22 mars 2018 resteront dans les locaux.

Les parties conviennent également que le bailleur restituera au preneur le dépôt de garantie qui s’élève à la somme de 4.573 euros hors taxes (quatre mille cinq cent soixante treize euros hors taxes) dans les deux mois suivant la restitution des locaux, qui interviendra au plus tard le 30 juin 2018, conformément à l’avenant au bail du 22 mars 2018.

Le preneur s’engage à régler au bailleur toutes sommes dont il pourrait lui être redevable, notamment au titre des loyers et charges attachés aux locaux.

Le décompte de régularisation des charges sera adressé au preneur conformément aux dispositions du bail et à son avenant du 22 mars 2018, la régularisation s’effectuera dans le mois suivant la date de prise d’effet des présentes.

Article 4 (sic) : dispositions diverses

La société civile immobilière Adan 3 et la SA Crédit Coopératif reconnaissent avoir donné leur consentement librement de façon parfaitement éclairée et avoir disposé du temps nécessaire pour négocier et arrêter les termes du présent protocole.

Les parties renoncent à réclamer toute autre indemnité et plus généralement toute autre somme de quelque nature qu’elle soit, résultant des liens qui ont pu les unir au titre du bail commercial précité l’une envers l’autre.

Les parties conviennent en conséquence de renoncer à l’exercice de tous recours et/ou actions nées ou à naître en relation, à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, avec les éléments ci-dessus visés, aux conventions qui y sont relatées et à leur exécution et aux conditions de leur résiliation les unes envers les autres.»

Ce protocole a été modifié par un avenant conclu le 10 avril 2018 qui porte à 95.000 euros la somme à verser par la société Crédit Coopératif.

La cour observe qu’il est expressément mentionné au protocole d’accord litigieux que le bailleur déclare avoir une parfaite connaissance de l’état des locaux restitués et que, en acceptant la somme (dont il est précisé qu’elle est forfaitaire) de 80.000 euros, puis de 95.000 euros, il renonce à exiger toute autre garantie ou indemnisation en ce qui concerne le coût de la remise en état des lieux.

Il est ainsi acté des concessions réciproques, ce qui est confirmé par l’article 3 de l’accord, numéroté article 4 par erreur, qui stipule que les parties renoncent à toutes actions relatives au bail litigieux.

De plus, l’examen des pièces produites par l’appelante établit que, lorsque celle-ci a acquis l’immeuble au sein duquel était installée l’agence du Crédit Coopératif, elle était dûment avisée du congé signifié quelques jours auparavant à sa venderesse, la société [Z], puisque ce congé est mentionné en page six de l’acte authentique de vente et y est annexé. Il en résulte que, préalablement à la vente, la société Adan 3 a nécessairement visité le local commercial avec l’attention nécessaire à la préparation des opérations de restitution des lieux par la locataire.

Egalement, le procès-verbal de pré-état des lieux établi par maître [G], huissier de justice le 22 mars 2018, donc concomitamment à la conclusion du protocole d’accord, mentionne la présence du gérant de la société Adan 3 et détaille les différentes pièces visitées, y compris les caves, dont l’appelante soutient pourtant qu’elles n’étaient pas accessibles.

L’appelante ne peut sérieusement soutenir que la société Crédit Coopératif la pressait de signer l’ensemble contractuel en date du 22 mars 2018 (protocole et avenant au bail) alors que, par courrier du 13 mars 2018, elle indique à sa locataire : « comme je vous l’ai dit à plusieurs reprises, le local est repris à partir du 1er avril 2018.»

De même, la société Adan 3 ne peut soutenir que la société Crédit Coopératif était assistée de son avocat et que ce n’était pas son cas alors que, au pied du même courrier du 13 mars 2018, elle indique qu’elle transmet une copie de ce courrier à son conseil.

Enfin, pour étayer le moyen tiré de l’erreur ayant vicié son consentement, la société appelante produit quatre devis établis respectivement le 30 septembre 2018, les 5 et 12 octobre 2018 et le 7 décembre 2018 ; le 5ème devis de 19.632 euros, proposé le 12 mars 2018 au Crédit Coopératif pour la valorisation du coût de l’enlèvement des coffres-forts, était donc connu de la bailleresse et nécessairement pris en considération dans l’évaluation du coût des travaux liés à la reprise des locaux. Or la cour relève que deux devis visent expressément des travaux susceptibles d’être effectués dans le local situé [Adresse 3] et proposent une valorisation de ces travaux respectivement à hauteur de 18.598,34 euros et 11.498,33 euros, sommes dont le total est inférieur à la somme versée par le Crédit Coopératif en exécution du protocole d’accord discuté par l’appelante ; toutefois, un troisième devis se réfère à des travaux à effectuer au n°33 avenue de la République, ce qui est compatible avec l’affirmation de l’intimée -non démentie par l’appelante- selon laquelle la société Adan 3 est un professionnel de l’immobilier ; enfin, le quatrième devis ne précise pas le lieux des travaux à engager et mentionne une intervention également en R+1, alors que la locataire n’occupait qu’un rez-de-chaussée et des sous-sols ; ces deux derniers devis ne peuvent donc être pris en considération.

Ainsi, la société Adan 3 ne produit aucun élément susceptible d’étayer le moyen tiré de l’erreur qui aurait vicié son consentement en raison de sa méconnaissance de l’état exact des lieux donnés à bail. Dans la mesure où il a été retenu supra que les termes du protocole d’accord du 22 mars 2018 comportaient des concessions réciproques, il apparaît que cet accord doit être regardé comme une transaction au sens de l’article 2044 du code civil puisqu’il a pour objet de prévenir toute contestation à naître relativement aux conditions de restitution des locaux donnés à bail.

Dès lors, en application de l’article 2050 du code civil, l’accord litigieux fait obstacle à l’introduction d’une action en justice ayant le même objet, soit la demande tendant à la prise en charge par la locataire de travaux de réfection du local commercial.

La cour confirmera en conséquence le tribunal de commerce de Bergerac en ce qu’il a débouté la société Adan 3 de sa demande en nullité du protocole du 22 mars 2018 mais également en ce qu’il a condamné, par application de ce protocole, la bailleresse à restituer à la locataire commerciale le dépôt de garantie de 4.573 euros ainsi qu’à payer les dépens et à indemniser les frais irrépétibles de la société Crédit Coopératif.

Y ajoutant, la cour condamnera la société Adan 3 à payer les dépens de l’appel et à verser à la l’intimée une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,,

Confirme le jugement prononcé le 3 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Bergerac.

Y ajoutant,

Condamne la société Adan 3 à payer à la société crédit Coopératif la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Adan 3 à payer les dépens de l’appel;

Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 


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