Nullité de contrat : 21 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/02188

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Nullité de contrat : 21 février 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/02188

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 21 FEVRIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/02188 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O6D5

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 23 MARS 2021

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2020J00059

APPELANTE :

S.A.R.L. NEO prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié es qualité audit siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Bernard VIDAL de la SCP TRIAS, VERINE, VIDAL, GARDIER LEONIL, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S. BRASSERIE MILLES prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Mathilde SEBASTIAN, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Patrick DAHAN, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 22 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 DECEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

*

* *

FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:

La SARL Néo, qui exploite un fonds de commerce de bar-restaurant sous l’enseigne « le Bistroquet » situé [Adresse 1] (Pyrénées orientales), a conclu, le 2 août 2010, avec la SAS Brasserie Milles une convention d’approvisionnement exclusif en produits commercialisés par celle-ci (bière en fûts, bouteilles, bidons ou bag in box, café, sucre, infusions), sur une durée de six années entières, pour une valeur des achats annuels hors-taxes et hors droits de 40 000 euros par an, soit, en tenant compte d’une inflation moyenne de 2 % l’an, un montant des achats sur la durée du contrat de 252 000 euros hors-taxes et hors droits, en contrepartie de l’octroi d’une subvention d’un montant de 20 000 euros et d’un prêt de 28 000 euros à 5,75% sur six ans consenti par le brasseur.

L’article 5 des conditions générales de la convention dispose : « Le non-respect total ou partiel, par le débitant, de l’une ou l’autre de ses obligations entraînera de plein droit, sans formalité, le remboursement immédiat de la totalité des effets non réglés et/ou non échus, ou encore le paiement immédiat du montant des fournitures pouvant rester dues ainsi que le montant non amorti de la subvention reçue calculée par rapport au montant des achats restant à réaliser pour aller au terme du contrat. Il sera également redevable à titre d’indemnité de rupture unilatérale de la présente convention d’une somme égale à 20 % du montant des achats restant à réaliser pour aller au terme du contrat (‘). Tout le matériel mis à disposition du débitant par la brasserie Milles en exécution des présentes ou en tout autre occasion devra dans cette hypothèse lui être restitué sans délai ou remboursé à sa valeur d’origine. Au terme du contrat et dans le cas où le montant des achats contractuels ne serait pas réalisé, le contrat se poursuivra pour la durée nécessaire à la réalisation du chiffre d’affaires restant à réaliser sans toutefois que cette durée puisse excéder 2 années. Le client aura la faculté de se libérer de cette obligation en versant à la brasserie un montant forfaitaire égal à 5 % du montant d’achats restant à réaliser ».

Par une seconde convention du 14 avril 2015, la société brasserie Milles a mis à la disposition de la société Néo divers matériels (une machine de tirage pression de bière, une machine à café, un ensemble de mobiliers, une enseigne et un lambrequin) d’une valeur totale de 23 772,11 euros ; il est stipulé au contrat que cette mise à disposition qui représente un avantage économique doit permettre, pendant toute sa durée, au client de développer son activité et par là-même la vente des produits qui lui seront livrés par la brasserie (bières fûts et bouteilles, limonades, sodas, colas jus de fruits, eaux de source et minérale, sirops, café, vins, spiritueux) et qu’en cas de non-respect d’une stipulation de la convention par le client, le présent engagement sera résilié de plein droit sans mise en demeure préalable, et la brasserie demandera, à sa convenance, la restitution des matériels mis à disposition ou bien le paiement à valeur d’origine.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 21 février 2019, la société brasserie Milles a mis la société Néo en demeure de lui régler les sommes de 4218,70 euros et 3621,01 euros au titre des factures impayées et du solde restant dû sur le prêt et de lui indiquer si elle souhaitait conserver le matériel mis à disposition ou en régler le montant.

La société brasserie Milles, qui prétendait également que la société Néo avait cessé de s’approvisionner auprès d’elle, a obtenu, par une ordonnance du président du tribunal de commerce de Perpignan en date du 15 mai 2019, la désignation d’un huissier de justice chargé de dresser un inventaire des produits présents dans le fonds de commerce, de préciser la source d’approvisionnement de ces produits, de se faire remettre copie des factures d’achats et de vérifier la présence des matériels mis à disposition de la société Néo par le brasseur ; Me [V], huissier de justice, a établi, le 21 juin 2019, un procès-verbal de constat en exécution de cette ordonnance.

Par exploit du 25 février 2020, la société brasserie Milles a fait assigner la société Néo en paiement des sommes dues au titre des conventions liant les parties devant le tribunal de commerce de Perpignan lequel, par jugement du 23 mars 2021, a notamment :

– déclaré prescrite et irrecevable la demande en nullité des contrats soulevée par la société Néo,

– condamné la société Néo à payer à la société brasserie Milles les sommes de:

‘ 5647,75 euros au titre des factures impayées,

‘ 3720 euros au titre des échéances impayées du prêt,

‘ 21 209,40 euros au titre des pénalités contractuelles,

‘ 23 772,11 euros au titre du matériel,

‘ 1000 euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné la société néo aux dépens de l’instance.

La société Néo a régulièrement relevé appel, le 2 avril 2021, de ce jugement en vue de son infirmation.

Au visa des articles 1303 (ancien article 1134), 1104 (ancien article 1134 alinéa 3), 1110, 1112-1, 1128 (ancien article 1108), 1130 (ancien article 1109), 1131, 1133, 1171 et 1303 du code civil et des articles L. 330-1 et L. 330-2 du code de commerce, elle demande à la cour, dans ses conclusions déposées et notifiées le 29 juin 2021 via le RPVA, de :

A titre principal,

– prononcer que la convention conclue avec la société brasserie Milles le 2 août 2010 et la convention de mise à disposition du 14 avril 2015 comportent des stipulations générant un déséquilibre significatif entre les obligations souscrites par elle et la société brasserie Milles,

– prononcer que ce déséquilibre significatif induit un état de dépendance économique à son détriment,

– prononcer la nullité de la convention signée entre les parties le 2 août 2010 et celle signée le 4 avril 2015,

– prononcer que les demandes financières réclamées par la société brasserie Milles sont infondées,

– débouter la société brasserie Milles de ses fins et prétentions,

– prononcer que la clause « article 5 » des conditions générales stipulée dans la convention du 2 août 2010 et que les stipulations inscrites au contrat de mise à disposition du 14 avril 2015 pourtant qualifiée « d’avantage économique » dans le contrat, ainsi que celles relatives aux sanctions seront ensemble réputées non écrites (sic),

– débouter la société brasserie Milles de ses fins et prétentions,

A titre subsidiaire,

– faire injonction à la société brasserie Milles d’avoir à produire les décomptes des aides de marché non versées depuis 2010, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

– prononcer la compensation des sommes réclamées par la société brasserie Milles au titre des factures impayées, avec les sommes dues par elle au titre des aides de marché non versées, une fois que les décomptes des aides de marché non versées auront été produits par la société brasserie Milles,

– débouter, à défaut de production de ces documents, la société brasserie Milles de ses fins et prétentions,

– prononcer que l’article 5 des conditions générales de la convention du 2 août 2010 sera qualifiée de clause pénale,

– prononcer que l’article 5 des conditions générales de la convention du 2 août 2010 sera réputée non écrit,

– prononcer que la société brasserie Milles ne l’a pas mise en demeure avant de réclamer l’application de la clause pénale,

– débouter la société brasserie Milles de l’intégralité de ses fins et prétentions, notamment celles fondées sur les stipulations de l’article 5 des conditions générales de la convention du 2 août 2010,

– prononcer que la clause inscrite dans la convention du 2 août 2010 portant sur la possibilité offerte à la seule discrétion de la société brasserie Milles de réclamer le remboursement du prix du matériel à sa valeur à neuf constitue une clause pénale déguisée,

– prononcer que la clause portant sur la possibilité offerte à la seule discrétion de la société brasserie Milles de réclamer le remboursement du prix du matériel à sa valeur à neuf est réputée non écrite,

– débouter de ses fins et prétentions la société brasserie Milles, notamment s’agissant de sa demande de remboursement du prix du matériel à sa valeur à neuf,

– prononcer que la demande de restitution de la valeur d’origine du matériel réclamé par la société brasserie Milles constitue un enrichissement injustifié,

– débouter de ses fins et prétentions la société brasserie Milles, notamment s’agissant de sa demande de remboursement du prix du matériel à sa valeur à neuf,

En toute hypothèse,

– condamner la société brasserie Milles à lui porter payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle prétend que la prescription de l’action en nullité court à compter du 14 avril 2015, date de la signature de la convention de mise à disposition complétant la convention d’approvisionnement, et qu’à la date du 24 septembre 2020 à laquelle elle a présenté sa demande d’annulation devant le tribunal, la prescription n’était pas encourue, le premier juge ayant omis de tenir compte des ordonnances n° 2020-304 et 2020-306 du 25 mars 2020 prorogeant le délai de prescription.

La société Néo soutient, par ailleurs, que les obligations qu’elle a souscrites par rapport à celles de la société brasserie Milles, en raison de l’absence d’informations claires notamment quant au montant global des achats, de la durée excessive des engagements pris, de l’absence d’objectifs atteignables et des sanctions prévues à son encontre en cas de manquements contractuels, créent un déséquilibre significatif induisant un état de dépendance économique ou procèdent de man’uvres dolosives, qui justifient l’annulation des deux conventions successives, lesquelles forment une relation contractuelle unique correspondant à un contrat d’adhésion, et, à tout le moins, que la clause stipulée à l’article 5 de la convention d’approvisionnement du 2 août 2010, de même que les stipulations de la convention de mise à disposition du 14 avril 2015 qualifiée « d’avantage économique » et celles relatives aux sanctions, soient réputées non écrites.

Enfin, elle affirme que les aides de marché ou « remises arrière » dues depuis 2010 et dont il appartient à la société brasserie Milles de fournir le décompte doivent être déduites du montant des factures, que les mensualités de prêt de novembre 2015 à juin 2016 ont été réglées par virements bancaires, que la demande en paiement d’une pénalité au titre du chiffre d’affaires restant à réaliser repose sur la clause, illicite, de l’article 5 de la convention d’approvisionnement et n’a fait l’objet d’aucune mise en demeure préalable et que l’indemnité de remboursement à valeur d’origine du matériel, qui doit être requalifiée en clause pénale, est excessive et doit être rejetée, sauf à considérer que le remboursement d’un matériel, amorti, à sa valeur à neuf procure au brasseur un enrichissement injustifié.

La société brasserie Milles, dont les conclusions ont été déposées par le RPVA le 29 septembre 2021, sollicite de voir :

– juger, vu les dispositions de l’article 1304 du code civil ancien, prescrite et infondée la demande de l’appelante visant à voir prononcer la nullité du contrat d’approvisionnement exécuté, signé en date du 12 août 2010, de la convention de mise à disposition de matériel exécuté, signée en date du 14 avril 2015, ou visant à voir déclarer nulle ou de nul effet l’une des clauses de ces conventions,

– pour le surplus, débouter la société Néo de ses entières prétentions comme étant infondées,

– confirmer en son entier le jugement déféré au visa des dispositions de l’article 1103 du code civil,

– y ajoutant, condamner la société Néo à lui porter et payer la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 22 novembre 2022.

MOTIFS de la DECISION :

1-la nullité des conventions conclus successivement les 2 août 2010 et 14 avril 2015 :

L’action en nullité d’un contrat, en application de l’article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 216-131 du 10 février 2016, court à compter de la conclusion du contrat lui-même, hors le cas où l’action en nullité est fondée sur un vice du consentement ; cependant, l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un contrat non encore exécuté et cette règle ne s’applique qu’à compter de l’expiration du délai de prescription de l’action.

En l’espèce, la société Néo, qui soutient que les deux conventions conclus successivement les 2 août 2010 et 14 avril 2015 forment une relation contractuelle unique, prétend que le point de départ de l’action en nullité correspond à la date de signature de la seconde convention et qu’à la date du 24 septembre 2020 à laquelle elle a formalisé sa demande, par voie de conclusions devant le tribunal de commerce, son action n’était pas prescrite, le premier juge ayant omis de tenir compte des ordonnances n° 2020-304 et 2020-306 du 25 mars 2020 relatives à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

En premier lieu, il ne peut être considéré que les deux conventions, indissociables l’une de l’autre, forment une relation contractuelle unique dans la mesure où celle conclue le 2 août 2010 a pour objet l’approvisionnement exclusif de la société Néo en produits commercialisés par la société Brasserie Milles pendant une durée déterminée de six ans pendant laquelle le débitant doit réaliser un montant d’achats précisément fixé, en contrepartie de l’octroi d’une subvention et d’un prêt consentis par le brasseur, et que la seconde, sans modifier les stipulations de la convention d’approvisionnement exclusif, vise seulement à mettre à la disposition de la société Néo divers matériels nécessaires au développement de son activité, représentant pour lui un avantage économique, ladite convention étant conclue sans détermination de durée avec pour seule obligation, à la charge de l’exploitant, de n’utiliser le matériel de tirage pression et/ou de machine à café que pour débiter les produits livrés en exclusivité par la brasserie.

Il n’est pas discuté que la convention d’approvisionnement exclusif a été exécutée, du moins partiellement, jusqu’en juillet 2018 selon les relevés de vente produits aux débats, ce dont il résulte que l’action en nullité de la première convention du 12 août 2010, formée par voie de conclusions déposées le 24 septembre 2020 devant le tribunal de commerce, après l’expiration du délai de prescription, apparaît irrecevable.

S’agissant de la seconde convention, la société Néo ne peut prétendre qu’à la date du 24 septembre 2020, le délai de prescription de l’action en nullité n’était pas expiré ; en effet, il résulte de l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période), modifiée par l’ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020, que les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus et de l’article 2 de la même ordonnance, que tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; il s’ensuit que l’action en nullité de la convention conclue le 14 avril 2015 aurait dû être exercée, au plus tard, le 24 août 2020.

Ne l’ayant été que le 24 septembre 2020, soit un mois plus tard, elle est donc prescrite et, dès lors que la convention de mise à disposition des matériels a été normalement exécutée, ce qui n’est pas contesté, la société Néo ne peut valablement se prévaloir d’une exception de nullité.

C’est donc à juste titre que le premier juge a déclaré prescrite et irrecevable la demande en nullité des conventions formée par la société Néo.

2-l’existence d’un déséquilibre économique et de man’uvres dolosives conduisant à réputer non écrites certaines clauses des contrats :

Pour prétendre que l’article 5 des conditions générales de la convention d’approvisionnement, prévoyant diverses sanctions en cas de non-respect par le débitant de ses obligations, ainsi que les clauses de la convention de mise à disposition relatives à la stipulation d’un avantage économique et à la sanction prévue en cas d’inexécution, doivent être réputées non écrites comme générant un déséquilibre contractuel infondé, la société Néo se prévaut notamment des dispositions combinées des articles 1110 et 1171 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, inapplicables en la cause puisque les conventions litigieuses, présentées comme formant un contrat d’adhésion, ont été conclues antérieurement au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de ce texte.

Elle invoque également les dispositions de l’article 1112-1 du code civil découlant également de l’ordonnance du 10 février 2016, en soutenant que la société Brasserie Milles a été défaillante dans l’exécution de son obligation de lui fournir les informations, dont elle connaissait le caractère déterminant ; outre que ce texte ne peut utilement servir de fondement juridique à une demande visant à faire déclarer non écrites les clauses de sanctions pour inexécution contractuelle, le grief invoqué n’est manifestement pas sérieux ; il est en effet reproché au brasseur de n’avoir pas informé son cocontractant relativement au montant global des achats pendant la durée du contrat, alors que le montant à réaliser, soit 252 000 euros hors-taxes et hors droits sur une période de six années, est clairement précisé et que la société Néo ne pouvait ignorer le chiffre d’affaires susceptible d’être réalisé avec le brasseur dans le cadre de l’exploitation d’un fonds de commerce de bar-restaurant ayant débuté en 2004, soit six ans avant la conclusion de la convention d’approvisionnement ; la société Néo ne saurait, non plus, se prévaloir de l’absence de production des conditions tarifaires des boissons qu’en sa qualité de professionnel du secteur d’activité, elle connaissait nécessairement lors de la conclusion du contrat, sachant qu’il ne peut être reproché à la société Brasserie Milles une absence d’information relativement à l’évolution prévisible du prix des boissons durant la relation contractuelle.

Il convient surabondamment de relever, s’agissant du grief tiré de l’absence d’objectifs atteignables, que si la convention d’approvisionnement du 2 août 2010 met à la charge de la société Néo l’obligation de s’approvisionner en produits commercialisés par la société Brasserie Milles, sur une durée de six années entières, pour une valeur des achats annuels hors-taxes et hors droits de 40 000 euros par an, soit, en tenant compte d’une inflation moyenne de 2% l’an, un montant des achats sur la durée du contrat de 252 000 euros hors-taxes et hors droits, il ne peut pour autant être soutenu qu’un tel objectif, en termes de chiffre d’affaires, n’était pas réalisable.

La convention prévoit, en effet, à l’article 5 des conditions générales, que le contrat pourra se poursuivre pour une durée ne pouvant excéder deux années lorsque, au terme du contrat, le montant des achats contractuels n’a pas été réalisé ; en outre, la société Néo, qui indique elle-même qu’une précédente convention d’approvisionnement, d’une durée de cinq années, avait été conclue à effet du 1er janvier 2005 avec la société Brasserie Milles prévoyant un montant d’achats annuels de 40 000 euros hors-taxes, qu’elle n’avait pu atteindre, ne peut prétendre que, dans le cadre de la négociation sur le renouvellement de la convention d’approvisionnement, elle n’a pas été en mesure, en tant que commerçant avisé, d’obtenir un engagement adapté aux chiffres d’affaires pouvant être dégagés par l’exploitation de son fonds de commerce sur les six années à venir ; surtout, elle se borne à faire état d’un montant d’achats auprès de la société Brasserie Milles de seulement 11 168 euros en 2010, mais se garde bien de communiquer ses bilans et comptes de résultat des exercices 2010 à 2018 correspondant à la période d’exécution de la convention d’approvisionnement.

De même, il n’est pas établi en quoi les dispositions de l’article 5 des conditions générales de la convention d’approvisionnement autorisant le brasseur, en cas de non-respect total ou partiel par le débitant de l’une de ses obligations, à réclamer le remboursement immédiat des sommes restant dues au titre du prêt et à exiger le versement d’une indemnité de rupture égale à 20% du montant des achats restant à réaliser, traduiraient l’existence d’une situation de dépendance économique, excédant les limites d’une sanction, librement convenue, en cas de manquements contractuels imputables au débitant.

La mise à disposition par le brasseur de matériels au débitant de boissons a pour contrepartie l’obligation d’approvisionnement que celui-ci a contracté et cette mise à disposition sans limitation de durée, qui procure ainsi au client n’ayant pas à effectuer de mise de fonds pour s’équiper un avantage économique,  ne revêt aucun caractère abusif ; de plus, la faculté offerte au brasseur, en cas de résiliation de la convention, de demander la restitution des matériels ou leur paiement à valeur d’origine n’a rien d’exorbitant, dès lors que la valeur d’origine des matériels, susceptible d’être réclamée au débitant, représente l’amortissement dont a été privé le brasseur durant le temps de la mise à disposition.

Aux termes de l’article L. 330-1 du code de commerce : « Est limité à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d’exclusivité par laquelle l’acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s’engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d’objets semblables ou complémentaires en provenance d’un autre fournisseur » ; l’article L. 330-2 du même code dispose que lorsque le contrat comportant la clause d’exclusivité mentionnée à l’article L. 330-1 est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d’autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d’exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celles figurant au premier contrat.

En l’occurrence, contrairement à ce que soutient la société Néo, les deux conventions successives, qui portent sur des objets différents et ont été conclues à des conditions notamment de durée différentes, doivent être regardées comme deux conventions distinctes ; la convention d’approvisionnement exclusif du 2 août 2010 a ainsi été conclue pour une durée inférieure à dix années et ne tombe donc pas sous le coup de l’article L. 330-1, sachant d’ailleurs que la sanction du dépassement du délai prévu par ce texte consiste seulement en sa réduction à la durée légalement imposée ; il importe peu que cette convention constitue le renouvellement d’une précédente convention à effet du 1er janvier 2005 venue à expiration, les parties ayant alors la possibilité de conclure une nouvelle convention d’une durée maximale de dix ans ; si la convention de mise à disposition du 14 avril 2015 stipule que le matériel de tirage pression et/ou de machine à café ne peut être utilisé qu’à débiter des produits (bières en fûts et café) qui seront livrés en exclusivité par la brasserie, ladite convention, conclue à durée indéterminée et pouvant donc être résiliée à tout moment par le débitant, ne contrevient nullement aux dispositions de l’article L. 330-1.

3-les sommes réclamées par la société Brasserie Milles au titre des manquements contractuels de la société Néo :

La société Néo ne conteste pas être redevable de la somme de 5647,75 euros au titre de diverses factures impayées, éditées entre le 20 août 2016 et le 13 octobre 2017, augmentée des intérêts et de la pénalité de 20 % prévue contractuellement ; elle prétend toutefois que doit être déduite de cette somme le montant des aides de marché ou remises arrière, qui auraient dû lui être versées par la société Brasserie Milles depuis 2010.

À cet égard, elle communique une lettre lui ayant été adressée par le brasseur relative au premier contrat d’approvisionnement à effet du 1er janvier 2005, prévoyant le versement périodique, sur les volumes réalisés, d’aide aux marchés dans des conditions précisément définies dans cette lettre (30 euros par hectolitre de bière en fûts aux marques provenant de la brasserie Heineken ; 10 % du montant des achats hors-taxes et hors droits dans la gamme brasserie hors bières ; 4% du montant des achats hors-taxes et hors droits dans la gamme vins ; 4 % du montant des achats hors-taxes et hors droits dans la gamme café ; 4 % du montant des achats hors-taxes et hors droits dans la gamme alcools et spiritueux).

Pour autant, cet engagement de la société Brasserie Milles était afférent à la première convention d’approvisionnement conclue en 2005, dont la mise en ‘uvre était subordonnée au respect par le débitant de ses obligations contractuelles, notamment en ce qui concerne la réalisation du montant d’achats minimum prévu contractuellement ; or, au cours de la période d’août 2010 à août 2018, la société Néo n’est jamais parvenue à atteindre le montant d’achats annuels, convenu, de 40 000 euros en sorte qu’à supposer même que le système d’aides au marché ait été reconduit par le brasseur au titre de la convention d’approvisionnement conclue en 2010, l’intéressée ne serait pas fondée à en obtenir le versement.

La société Brasserie Milles réclame ensuite le paiement de la somme de 3720 euros au titre des mensualités du prêt échus de novembre 2015 à juillet 2016, prétendument non réglées ; la société Néo affirme au contraire que l’ensemble des échéances du prêt a été payé.

Il est constant que les échéances du prêt consenti par la société Brasserie Milles, représentant un montant de 464,85 euros par mois, étaient réglées par prélèvement direct sur le compte de la société Néo ouvert au Crédit Agricole Sud Méditerranée, le 20, 21 ou 22 de chaque mois ; il est communiqué par la société Néo les extraits du journal de banque provenant de sa comptabilité couvrant la période du 1er novembre 2015 au 31 juillet 2016, une attestation de son expert-comptable (M. [D]) selon lequel les journaux de banque correspondent aux relevés bancaires de la société, enregistrés dans les comptes, ainsi qu’une attestation du Crédit Agricole établissant qu’aucune opposition n’a été enregistrée sur l’autorisation de prélèvement donnée à la société Brasserie Milles, de novembre 2015 à juillet 2016 ; ces éléments sont suffisants à rapporter la preuve du paiement, par prélèvement sur le compte bancaire de la société Néo, des échéances du prêt pour la période considérée.

L’article 5 des conditions générales de la convention d’approvisionnement dispose qu’en cas de non-respect total ou partiel par le débitant de ses obligations contractuelles, celui-ci sera redevable à titre d’indemnité de rupture unilatérale de la convention d’une somme égale à 20 % du montant des achats restant à réaliser pour aller au terme du contrat et qu’en aucun cas, le montant de la pénalité ne pourra être inférieur à 20 % du montant annuel d’achats estimé au chapitre B des conditions particulières ; au cas présent, il n’est pas discuté que sur la période d’août 2010 à août 2018, la société Néo n’a réalisé qu’un chiffre d’affaires de 145 953 euros avec la société Brasserie Milles au lieu du chiffre d’affaires de 252 000 euros, prévu contractuellement ; le montant du chiffre d’affaires restant à réaliser au terme du contrat est donc de 106 047 euros (252 000 euros -145 953 euros), soit une pénalité exigible, égale à 20 % de cette somme, de 21 209,40 euros.

La société Néo ne peut prétendre que cette clause, instituant une sanction pécuniaire en cas d’inexécution par le débitant de son engagement d’approvisionnement exclusif, doit être réputée non écrite au prétexte, erroné, qu’elle créerait un déséquilibre excessif entre les parties ou que son exécution nécessiterait une mise en demeure préalable ; à cet égard, l’article 5 des conditions générales susvisées énonce clairement que le non-respect total ou partiel par le débitant de l’une ou l’autre de ses obligations entraînera de plein droit et sans formalité l’application de l’indemnité de rupture unilatérale de la convention.

Par ailleurs, il n’est pas établi en quoi la clause pénale ainsi stipulée serait manifestement excessive au regard du préjudice subi par la société Brasserie Milles du fait de l’inexécution de la convention, au sens de l’article 1152 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

Il a été indiqué plus haut que la faculté offerte au brasseur, en cas de résiliation de la convention de mise à disposition des matériels, de demander leur restitution ou leur paiement à valeur d’origine n’a rien d’exorbitant, dès lors que la valeur d’origine des matériels, susceptible d’être réclamée au débitant, représente l’amortissement dont a été privé le brasseur durant le temps de la mise à disposition, les matériels concernés (une machine de tirage pression de bière, une machine à café, un ensemble de mobiliers, une enseigne et un lambrequin) n’ayant pas servi à l’exploitation de son propre fonds de commerce, mais à celle du débitant qui a ainsi bénéficié, sans mise de fonds, de matériels à l’état neuf, dont il a pu jouir le temps voulu, jusqu’à ce qu’il décide de ne plus s’approvisionner auprès du brasseur ; la société Néo est donc tenue à l’exécution de la convention de mise à disposition la liant à la société Brasserie Milles, sans pouvoir invoquer l’existence d’un enrichissement sans cause, dont celle-ci aurait profité. 

Il résulte de tout ce qui précède que le jugement entrepris doit être réformé, mais seulement en ce qu’il condamne la société Néo au paiement de la somme de 3720 euros au titre des échéances du prêt, mais confirmé dans le surplus de ses dispositions.

4-les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

Succombant sur l’essentiel de ses prétentions, la société Néo doit être condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Brasserie Milles la somme de 3000 euros en remboursement des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 23 mars 2021, mais seulement en ce qu’il condamne la société Néo à payer à la société Brasserie Milles la somme de 3720 euros au titre des échéances du prêt et statuant à nouveau de ce chef,

Déboute la société Brasserie Milles de sa demande en paiement de la somme de 3720 euros,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Néo aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Brasserie Milles la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d’appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

le greffier, le président,

 


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