COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 21 FEVRIER 2023
N° RG 20/03051 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LU4B
Monsieur [Z] [G]
c/
Monsieur [C] [T]
BNP PARIBAS
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 juillet 2020 (R.G. 2019F00720) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 13 août 2020
APPELANT :
Monsieur [Z] [G], né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 7], de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représenté par Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [C] [T], né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5], de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Marc FRIBOURG de la SELARL FRIBOURG SELARL, avocat au barreau de BORDEAUX
BNP PARIBAS, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, Activité : , demeurant [Adresse 3]
représentée par Maître Arnaud FLEURY de la SELAS DEFIS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Présidente,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Le 25 juin 2009, la société BNP Paribas a consenti un crédit professionnel d’un montant de 400 000 euros à la société Sigma Bâtiment.
Par acte du même jour, M. [C] [T] et M. [Z] [G], tous deux associés au sein de la société Sigma Bâtiment, se sont chacun portés cautions solidaires des engagements de la société dans la limite de 96 000 euros pour le prêt accordé par la société BNP Paribas, pour une durée de 10 ans.
Par jugement du 22 septembre 2010, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Sigma Bâtiment. Un plan de redressement a été adopté par décision du 23 novembre 2011. Il a fait l’objet d’une modification le 02 mars 2016.
Le 23 novembre 2010, la société BNP Paribas a déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Sigma Bâtiment. Par ordonnance du 1er mars 2012, le juge-commissaire a admis la créance de la société BNP Paribas à titre chirographaire pour un montant de 421 122,16 euros, lui donnant acte de ce qu’elle acceptait de ne participer aux répartitions qu’à la somme de 389 144,18 euros.
Par exploit d’huissier du 20 juin 2019, la société BNP Paribas a assigné MM. [T] et [G] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d’obtenir leur condamnation à paiement de 96 000 euros chacun en leur qualité de caution de la société Sigma Bâtiment.
Par jugement contradictoire du 24 juillet 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
– dit recevable l’action de la société BNP Paribas à l’encontre de M. [T] et de M. [G],
– condamné solidairement M. [T] et M. [G] à payer à la société BNP Paribas la somme de 92 616,32 euros chacun avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2019 dans la limite de leur engagement de caution,
– ordonné la capitalisation des intérêts par année entière, à compter du 20 juin 2019,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel sans caution,
– débouté M. [T] et M. [G] de l’ensemble de leurs demandes,
– condamné solidairement M. [T] et M. [G] à payer à la société BNP Paribas la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [T] et M. [G] aux dépens.
Par déclaration du 13 août 2020, M. [G] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société BNP Paribas et M. [T].
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 06 octobre 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [G], demande à la cour de :
– vu les articles L. 622-28 et L. 110-4 du code de commerce,
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 24 juillet 2020,
– et statuant à nouveau,
– à titre principal,
– dire et juger que l’action engagée par la société BNP Paribas à son encontre est prescrite,
– à titre subsidiaire, si la cour considère que l’action de la société BNP Paribas n’est pas prescrite,
– constater que le contrat de cautionnement souscrit par lui avait un caractère disproportionné au regard de ses biens et revenus au moment de son engagement,
– débouter la société BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes,
– si par infiniment extraordinaire la cour fait droit aux demandes de la société BNP Paribas,
– vu l’article L. 313-22 du code monétaire et financier,
– vu l’article 1343-5 du code civil,
– constater que les sommes restant dues à la société BNP Paribas s’élèvent à la somme de 129 001,30 euros au principal,
– constatant l’absence d’information annuelle de la caution,
– prononcer la déchéance de tous intérêts accessoires et pénalités qui seraient dues,
– accorder un différé de paiement de 24 mois au débiteur,
– en tout état de cause,
– condamner la société BNP Paribas à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 29 octobre 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [T], demande à la cour de :
– statuant en application des articles L. 110-4 et L. 622-28 du code de commerce et 2288 et suivants du code civil,
– infirmer le jugement entrepris,
– prononcer la prescription de l’action engagée par la société BNP Paribas à son égard,
– prononcer l’irrecevabilité de l’action de la société BNP Paribas à son égard pour cause d’extinction de la créance principale objet du contrat de prêt du 25 juin 2009,
– subsidiairement,
– infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé une condamnation à des montants ne correspondant pas à la créance de la banque,
– prononcer la déchéance de tous intérêts, accessoires et pénalités qui seraient dus et lui accorder en tout état de cause un délai de 24 mois pour s’acquitter de sa dette,
– en tout état de cause,
– condamner la société BNP Paribas à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société BNP Paribas aux entiers dépens toutes taxes comprises.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA 22 décembre 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, la société BNP Paribas, demande à la cour de :
– vu les articles 1134 (ancienne numérotation) et 2288 et suivants du code civil,
– dire et juger recevable l’appel incident formé dans l’intérêt de la société BNP Paribas,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné solidairement M. [T] et M. [G] à payer à la société BNP Paribas la somme de 92 616,32 euros chacun avec intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2019 dans la limite de leur engagement de caution,
– statuant à nouveau,
– condamner M. [G] à lui payer la somme de 96 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2019,
– condamner M. [T] à lui payer la somme de 96 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2019,
– confirmer le jugement pour le surplus,
– débouter M. [G] et M. [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– condamner solidairement M. [G] et M. [T] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement M. [G] et M. [T] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 décembre 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 10 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
* sur la prescription :
1- M.[G] et M.[T] soutiennent que l’action de la banque à leur encontre est prescrite, la banque n’ayant pas engagé son action dans les cinq ans de l’adoption du plan.
2- La BNP Paribas affirme que son action n’est pas prescrite, le plan ayant été modifié en 2016, ce qui a, selon elle, interrompu la prescription.
3- La déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l’égard de la caution et cette interruption se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective.
En l’espèce, la banque n’était pas forclose à agir à l’encontre de la caution à la date de sa déclaration de créance. Celle-ci a interrompu la prescription jusqu’à l’issue du plan.
Ayant assigné la caution avant même l’issue du plan, la banque n’est pas forclose.
La décision de première instance sera confirmée.
*sur le caractère manifestement disproportionné du cautionnement de M. [G] :
4- M. [G] soutient que son cautionnement était manifestement disproportionné à ses revenus et à ses charges et que la juridiction de première instance a omis de statuer sur ce chef de demande. Il explique que le bien immobilier dont il a fait état dans sa fiche de renseignement appartient à une SCI familiale dont sa mère détient l’essentiel des droits.
5- La BNP Paribas soutient que le cautionnement n’est pas manifestement disproportionné eu égard aux ressources et au patrimoine de la caution.
6-Aux termes des dispositions de l’article L.341-4 ancien du code de la consommation, en vigueur à la date de l’engagement et devenu l’article L.343-4 à compter du 1er juillet 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
7- Ce texte est applicable à toute caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie avec les biens et revenus de la caution tels que déclarés par elle, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude.
8- En l’espèce, M. [G] a déclaré au titre de ses revenus annuels dans une fiche de renseignements datée du 21 août 2008 et réactualisée le 15 octobre 2008 :
– des revenus professionnels à hauteur de 52 800 euros,
– des dividendes à hauteur de 30 000 euros,
soit 82 800 euros par an.
Il n’est pas propriétaire de sa résidence principale et règle un loyer annuel de 11 424 euros.
Il se déclare en outre propriétaire, via une SCI, d’un immeuble d’une valeur de 150 000 euros sans préciser que la valeur qu’il indique ne correspond pas à la valeur de ses parts dans la SCI. Il n’en justifie d’ailleurs pas plus dans le cadre de cette procédure.
La fiche de renseignement fait en outre état de deux précédents cautionnements qu’aucune des parties n’évoque dans ses conclusions, l’un souscrit en octobre 2008 à échéance au 31 décembre 2008 d’un montant de 80 000 euros et un second souscrit en août 2008 d’un montant de 137 400 euros à échéance en août 2012.
Compte tenu de ces éléments, il sera jugé que le cautionnement de 96 000 euros n’était pas manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution à la date à laquelle il a été souscrit.
* sur les sommes restant dues :
9- M.[G] et M. [T] contestent le montant des sommes réclamées par la banque aux motifs d’une part, que de nouvelles sommes ont été réglées par la débitrice principale au titre du plan et, d’autre part, que la banque, qui a manqué à son obligation d’information, doit être déchue de son droit de percevoir des intérêts.
10- La société BNP Paribas soutient qu’elle a régulièrement informé la caution mais ne répond pas sur le moyen tiré des versements effectués par la débitrice. Dans le cadre d’un appel incident, elle demande cependant à la cour de réformer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné les cautions à lui verser chacune la somme de 92 616,32 euros, sollicitant que ce montant soit porté à 96 000 euros.
11- Postérieurement aux dernières écritures des parties datant de 2020, M [G] a produit en pièce 18 un jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 9 mars 2022 constatant la bonne exécution du plan de redressement.
La société BNP Paribas a pour sa part produit en pièce 18 un décompte arrêté au 2 septembre 2022 faisant apparaître un restant dû de 0,01 euros.
Il apparaît ainsi que l’intégralité de la créance a été réglée dans le cadre du plan.
Il sera ainsi jugé que la société BNP Paribas ne détient plus de créance sur les cautions.
La décision de première instance sera infirmée.
* sur les demandes accessoires :
12- M. [G] et M. [T] qui succombent partiellement dans leurs demandes seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
13- L’équité commande de ne pas faire application au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Infirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 24 juillet 2020 sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action,
et statuant à nouveau,
Déboute M. [Z] [G] de sa demande visant à lui voir déclarer inopposable le cautionnement souscrit le 25 juin 2009,
Constate que la créance a été intégralement réglée par la débitrice principale,
Déboute la société BNP Paribas de ses demandes en paiement formée à l’encontre de [Z] [G] et [C] [T],
Condamne in solidum [Z] [G] et [C] [T] aux dépens de première instance et d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes d’indemnité de procédure.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.