COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 23 FEVRIER 2023
N° RG 22/03435 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZPL
[U] [M]
c/
S.A. CAISSE D’EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES CHARENTES
Nature de la décision : APPEL DUNE ORDONNANCE DE LA MISE EN ETAT
Grosse délivrée le : 23 fevrier 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 03 mai 2022 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 21/01527) suivant déclaration d’appel du 18 juillet 2022
APPELANT :
[U] [M]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Céline GARNIER-GUILLAUMEAU de la SELARL CABINET GARNIER-GUILLAUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ E :
S.A. CAISSE D’EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES CHARENTES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social1 [Adresse 4]
Représentée par Me Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux »
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte du 15 février 2021, M. [M] a fait assigner la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (ci-après la Caisse d’Epargne) afin de dire et juger non avenu le contrat souscrit auprès de cette banque intitulé Nuance 3D – Dimension Liberté avec condamnation à réintégrer la somme de 43.462,17 euros au contrat d’origine Ecureuil Prévoyance selon les mêmes dispositions souscrites en 1990, subsidiairement, avec restitution de la somme somme au taux d’intérêt légal à compter du 30 avril 2016.
Sur les conclusions d’incident de prescription de l’action déposées le 4 janvier 2022 par la Caisse d’Epargne, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a, par ordonnance contradictoire du 3 mai 2022, déclaré irrecevable comme prescrite la demande de M. [U] [M], dit que chaque partie conservera à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens et condamné M. [M] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a, au visa de l’article 2224 du code civil, estimé que dès le 27 janvier 2016, M. [M] ne pouvait ignorer qu’il n’était pas en possession des conditions générales de son contrat.
M. [M] a relevé appel de cette décision par déclaration du 18 juillet 2022 et, par conclusions déposées le 14 novembre 2022, il demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 3 mai 2022 en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande de M. [M], dès lors qu’aucune prescription ne saurait lui être opposée concernant son action.
Ce faisant,
– en application de l’article 568 du code de procédure civile, évoquer le fonds du dossier,
-prononcer la nullité du contrat prétendument souscrit le 27 janvier 2016 et en vertu duquel il a été procédé conversion au 27 avril 2016 en rente, et la restitution de la somme de 43 462.17 euros
– à défaut ordonner la clôture dudit contrat nommé revenus pluriel et la restitution sans aucune retenue à M. [M] de la somme de 43 462.17 euros,
Dans tous les cas,
– prononcer également la condamnation de la Caisse d’Epargne à verser 5000 euros à titre de dommages et intérêt et indemnisation du préjudice subi par M. [M],
– rejeter les demandes de la Caisse d’épargne,
– condamner la Caisse d’épargne à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 9 décembre 2022, la Caisse d’Epargne demande à la cour de :
– rejeter l’ensemble des demandes de M. [M],
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance rendue le 3 mai 2022 en ce que le juge de la mise en état a déclaré irrecevable la demande de M. [M],
– condamner M. [M] au paiement d’une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens.
Au visa de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a fait l’objet le 25 juillet 2022 d’une ordonnance de fixation à bref délai à l’audience du 5 janvier 2023 avec clôture de la procédure le 22 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort des pièces produites aux débats que le 30 juin 1990, M. [M] a, par l’intermédiaire de la Caisse d’Epargne, souscrit auprès de la compagnie d’assurance Ecureuil-Vie un contrat d’assurance-vie intitulé ‘PEP Ecureuil Prévoyance’ n°925 0251516.
Ce contrat d’assurance-vie a fait l’objet, par l’intermédiaire de la Caisse d’Epargne, d’une conversion en rente via l’adhésion de M. [M] au contrat ‘Revenus Pluriel’ le 27 janvier 2016, l’opération de conversion ayant été effectuée le 27 avril 2016.
Invoquant le manquement de la banque à son obligation d’information et à son devoir de loyauté, M. [M] l’a, par acte du 15 février 2021, assignée en nullité du contrat souscrit le 27 janvier 2016, la Caisse d’Epargne observant à raison que l’assignation opère une confusion entre le contrat ‘Revenus Pluriel’ et le contrat ‘Nuance 3 D-dimension liberté’ issu d’un transfert du contrat d’assurance-vie ‘Initiatives Transmission’ racheté en totalité par M. [M] le 1er juin 2019.
Plus précisément, M. [M] reproche à la banque d’avoir profité de son état de faiblesse et de ne l’avoir pas informé de la conversion de son contrat PEP Ecureuil Prévoyance en contrat de rente viagère ‘Revenus Pluriel’. Il affirme n’avoir découvert que son épargne n’était plus disponible qu’au jour de la réception des conditions générales du contrat ‘Revenus Pluriel’ le 24 août 2018 et lorsque la banque a, le 15 novembre 2018, refusé de donner suite à sa demande de renonciation à la conversion et de restitution des fonds.
Sur la prescription
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
M. [M] fait grief à l’ordonnance déférée d’avoir déclaré son action prescrite et soutient en substance :
– que la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances est inapplicable en l’espèce,
– que la prescription de droit commun n’est pas acquise dès lors que le point de départ de celle-ci court à compter de la réalisation du préjudice subi, soit le 15 novembre 2018, date à laquelle la Caisse d’Epargne a refusé de lui délivrer l’accès à son capital et, à défaut, le 27 avril 2016, date de la conversion effective du contrat en rente.
La Caisse d’Epargne oppose que la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances est applicable dès lors que l’action découle du manquement à un devoir d’information concernant la conversion en revenus d’un contrat d’assurance-vie et qu’il s’agit donc bien d’une action dérivant d’un contrat d’assurance. Elle affirme qu’en toutes hypothèses, l’action est également prescrite sur le fondement de l’article 2224 du code civil dès lors que M. [M] connaissait, dès la souscription du contrat le 27 janvier 2016, le sort de son épargne.
Sur ce,
L’action tendant à faire constater un manquement à l’obligation précontractuelle d’information et de conseil du banquier ne dérive pas du contrat d’assurance au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances et n’est donc pas soumise à la prescription biennale.
C’est donc à raison que le premier juge a retenu qu’il convenait d’appliquer la prescription quinquennale de droit commun.
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il est de jurisprudence constante que la prescription de l’action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci n’en avait pas eu précédemment connaissance.
En l’espèce, M. [M] fait valoir que ce n’est qu’au moment de la réception des conditions générales de son contrat ‘Revenus Pluriel’ le 24 août 2018 – conditions générales qu’il allègue n’avoir jamais reçu préalablement – et du refus de la banque par courrier du 15 novembre 2018 de lui restituer son épargne, qu’il a découvert que son capital avait été converti en rente viagère.
La Caisse d’Epargne relève toutefois à juste titre que le 12 janvier 2016, la banque a communiqué à M. [M] une simulation non contractuelle intitulée ‘Conversion du contrat PEP Ecureuil-Prévoyance 925 025 125 sur le contrat Revenus Pluriel’. Sur ce document produit en première instance par M. [M] lui-même, il est mentionné les éléments suivants :
* l’objet du contrat futur : ‘Conversion du contrat PEP Ecureuil-Prévoyance 925 025 125 sur le contrat Revenus Pluriel’
* la dernière valorisation de son épargne : 43.462,17 euros
* l’hypothèse de conversion : ‘Capital estimé net de PS converti en rente : 43.515,36 euros’
* La rente : viagère simple
* Le montant de la rente et sa périodicité : 432,13 euros par trimestre.
Il est en outre acquis que le 27 janvier 2016, M. [M], majeur capable, a signé le contrat de conversion de son capital d’assurance-vie en revenus. Ce contrat intitulé ‘Revenus Pluriel – demande de conversion en revenus – contrat de rente’ prévoyait une conversion totale en rente et stipulait expressément’je reconnais avoir reçu et pris connaissance du contrat n°2 comportant les dispositions essentielles du contrat.’
Si M. [M] soutient n’avoir jamais disposé au moment de sa conclusion d’un exemplaire dudit contrat et des conditions générales attenantes, il a, par courrier du 10 janvier 2018, soit 2 ans après la souscription du contrat de rente, sollicité la communication d’un exemplaire du ‘contrat viager’, précisant l’avoir égaré, ce qui contredit la thèse selon laquelle il n’aurait jamais été en possession du contrat et avoir ignoré la conversion en revenus de son contrat d’assurance-vie.
Enfin, comme l’observe justement l’intimée, M. [M] a lui-même produit en première instance un courrier daté du 30 avril 2016 par lequel la banque lui rappelle les principales caractéristiques du contrat de conversion.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [M] avait connaissance, dès la souscription du contrat ‘Revenus Pluriel’ le 27 janvier 2016, de ce que son épargne n’était plus disponible du fait de sa conversion en revenus selon une rente viagère.
Le point de départ de la prescription quinquennale doit donc être fixé au 27 janvier 2016.
L’assignation ayant été délivrée le 15 février 2021, l’action de M. [M] est prescrite.
C’est par conséquent à bon droit que le premier juge a déclaré irrecevable l’action formée par M. [M] à l’encontre de la Caisse d’Epargne. L’ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. M. [M] supportera les dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, M. [M] sera condamné à payer la somme de 1.000 euros à la Caisse d’Epargne.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l’ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Condamne M. [M] à payer à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [M] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,