Nullité de contrat : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/05298

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Nullité de contrat : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/05298

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 9 – A

ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05298 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKOH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 2 mars 2021 – Juge des contentieux de la protection de [Localité 9] – RG n° 11-16-000465

APPELANTE

La société FINANCO, société anonyme à directoire et conseil de surveillance agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 338 138 795 00467

[Adresse 4]

[Adresse 12]

[Localité 3]

représentée par Me Olivier HASCOET de la SELARL HAUSSMANN KAINIC HASCOET HELAIN, avocat au barreau de l’ESSONNE

INTIMÉES

Madame [D] [F] sous statut de curatelle renforcée par jugement en date du 21 janvier 2016 rendu par le tribunal d’instance de Saint Maur des Fossés

née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 10] (50)

[Adresse 5]

[Adresse 8]

[Localité 7]

représentée et assistée de Me Yael HASSID, avocat au barreau de PARIS, toque : B0127

Madame [P] [V] en qualité de curatrice de Madame [D] [F], selon jugement du 21 janvier 2016 rendu par le tribunal d’instance de Saint Maur des Fossés

[Adresse 5]

[Adresse 8]

[Localité 7]

représentée et assistée de Me Yael HASSID, avocat au barreau de PARIS, toque : B0127

La société GROUPEMENT ASSUR’HABITAT, société par actions simplifiée agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice

N° SIRET : 795 014 117 00035

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée et assistée de Me Elodie CARPENTIER, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC485

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 4 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère, chargée du rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 10 avril 2015, dans le cadre d’un démarchage à domicile, la société Groupement Assur’Habitat a conclu avec « [D] et [S] » [F] un contrat relatif à la réfection de la toiture de leur habitation de [Localité 11] pour 11 440 euros TTC. Les travaux devaient intervenir avant le 10 septembre 2015.

Un second devis de 18 997 euros TTC a été validé le 16 avril 2015 pour des travaux de pose d’une ventilation devant intervenir le 16 septembre 2015.

Un troisième devis de 9 398,40 euros TTC a été validé le 16 avril 2015 pour des travaux de remplacement des rives et des gouttières devant intervenir le 16 septembre 2015.

Selon offre acceptée le 16 avril 2015, la société Financo a consenti à Mme [D] [F] un prêt accessoire d’un montant de 39 800 euros destiné à financer les travaux au taux’contractuel de 5,76 % l’an remboursable en 180 mensualités de 332,30 euros chacune.

Le 4 mai 2015, Mme [F] a attesté de la réalisation de la prestation et sollicité le versement des fonds au profit de l’entreprise Groupement Assur’Habitat. Les fonds ont été débloqués le 7 mai 2015.

Par un jugement du 8 septembre 2015 du tribunal d’instance de Saint-Maur-des-Fossés, Mme [F] a été placée sous sauvegarde de justice avant d’être placée sous curatelle renforcée le 21 janvier 2016 pour une durée de 60 mois et Mme [P] [V], sa fille, désignée en qualité de curatrice.

Les échéances du crédit étant demeurées impayées à compter du 20 octobre 2015, la société Financo lui a adressé une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 avril 2016. Cette mise en demeure est restée sans effet.

Par acte du 19 août 2016, la société Financo a sollicité du tribunal de proximité de Charenton-le-Pont la condamnation de Mme [F] au paiement du solde restant dû au titre du contrat de crédit.

Par acte du 22 décembre 2017, Mme [F], assistée de sa curatrice, a assigné en intervention forcée la société Groupement Assur’Habitat et a formé à titre reconventionnel une demande tendant principalement à l’annulation du contrat de crédit en raison de l’existence d’un vice du consentement au moment de la signature de son engagement.

Par jugement en date du 10 juillet 2018, un sursis à statuer a été ordonné dans l’attente de l’issue de la plainte pénale déposée le 8 février 2016 par Mme [F] pour abus de faiblesse faux, usage de faux et abus de confiance.

Une procédure d’information judiciaire a été ouverte pour des faits d’abus de faiblesse ou de l’ignorance d’une personne démarchée et le traitement de la plainte déposée à l’encontre de la société Groupement Assur’Habitat a entraîné le renvoi de celle-ci devant le tribunal correctionnel puis sa relaxe par décision du tribunal correctionnel de Créteil le 28 mai 2020.

L’affaire a été rétablie à l’audience du tribunal de proximité de Charenton-le-Pont.

Par un jugement contradictoire rendu le 2 mars 2021 auquel il convient de se reporter, le tribunal a :

– prononcé la nullité du contrat de crédit conclu le 16 avril 2015 entre la société Financo et Mme [F],

– débouté la société Financo de sa demande en paiement,

– dit que Mme [F], assistée de sa curatrice Mme [P] [V], ne sera pas tenue de restituer la somme empruntée à la société Financo en exécution du contrat de prêt du 16 avril 2015,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné la société Financo à payer à Mme [F] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le premier juge a considéré qu’il était établi que l’emprunteuse souffrait de troubles anciens, majeurs et chroniques constatés depuis 2010 révélant un trouble mental au moment de la signature du contrat en 2015 et une impossibilité pour l’intéressée de comprendre la portée de son engagement. Il a considéré que la preuve n’était pas rapportée de la bonne exécution du contrat principal alors que lors de la mise en vente du pavillon, les inspecteurs de salubrité au service communal d’hygiène et de santé de la ville de [Localité 11] avaient constaté le 3 juillet 2015 un état d’insalubrité ne permettant ainsi pas de démontrer l’utilité des travaux réalisés, ni que Mme [F] en ait effectivement tiré profit. Il a ainsi retenu une faute de la banque qui ne s’était pas assuré de la correcte exécution du contrat principal avec privation de sa créance de restitution.

Par une déclaration en date du 19 mars 2021, la société Financo a relevé appel de cette décision.

Aux termes de conclusions remises le 14 juin 2021, l’appelante demande à la cour :

– de réformer le jugement en toutes ses dispositions,

– de dire Mme [F] assistée de sa curatrice mal fondée en ses demandes et l’en débouter,

– de condamner Mme [F] à lui payer la somme de 44 512,91 euros au taux contractuel de 5,76 % l’an à compter du 22 avril 2016,

– d’ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

– subsidiairement, en cas de nullité des conventions, de condamner Mme [F] à lui rembourser le capital emprunté d’un montant de 39 800 euros au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir,

à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société Groupement Assur’Habitat à lui payer la somme de 39 800 euros au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir,

– de condamner la société Groupement Assur’Habitat à la relever et la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise au profit de Mme [F],

– de condamner tout succombant à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelante soutient que l’altération des facultés mentales de Mme [F] au moment de la conclusion du contrat n’est pas prouvée et souligne que les pièces produites sont toutes postérieures à la date de la souscription du crédit. Elle affirme que les travaux ont été correctement réalisés et que le rapport d’enquête du service d’hygiène de la mairie de [Localité 11] versé aux débats n’est corroboré par aucune autre pièce permettant d’établir une mauvaise exécution des travaux.

Elle rappelle que l’annulation ou la résolution du contrat de crédit oblige la débitrice à lui restituer le capital prêté et conteste toute obligation de vérifier l’exécution des travaux et toute faute dans la libération des fonds. Elle soutient avoir bien contrôlé les ressources de l’emprunteuse de sorte qu’aucun manquement à un devoir de mise en garde ne peut lui être reproché en l’absence de risque d’endettement excessif de la débitrice.

La société Financo soutient que l’emprunteuse a menti au moment de remplir la fiche dialogue et demande réparation du préjudice causé par sa mauvaise foi. Elle fait valoir que l’intimée ne rapporte pas la preuve d’un préjudice causé par un fait qui lui serait imputable. Subsidiairement elle demande à ce que la société prestataire la garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre au titre de l’enrichissement sans cause.

Par des conclusions remises le 10 septembre 2021, Mme [F] assistée de sa curatrice Mme [V] demande à la cour :

– de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel, sauf en ce qu’il a fixé à 1 000 euros la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de déclarer la société Groupement Assur’Habitat mal fondée en ses demandes,

– de condamner la société Financo à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la première instance, et 3 000 euros sur le même fondement en cause d’appel.

Visant les articles 414-1, 433, 434 et 435 du code civil ainsi que l’article L. 3211-6 du code de la santé publique, l’intimée soutient avoir été sous l’emprise d’un trouble mental manifeste au moment de la souscription du crédit litigieux et demande l’annulation du contrat à ce titre. Elle explique avoir été hospitalisée le 2 juin 2015, soit très peu de temps après signature des contrats, en raison de l’aggravation de son état de santé, pour une pathologie mentale déjà détectée le 11 juin 2010 et que lors de cette dernière hospitalisation, il a été confirmé un diagnostic d’encéphalopathie de Gayet avec troubles neurologiques entraînant une confusion et des pertes de mémoire. Elle ajoute que l’examen a également révélé un état d’incurie de son logement de sorte que sa fille va décider d’initier un dossier de placement sous un régime de protection et que c’est à cette occasion qu’elle a découvert la souscription de 9 crédits à la consommation entre 2011 et 2015 pour un montant de 115 396 euros dont l’annulation a été prononcé par les juridictions saisies.

Elle rappelle que conformément aux dispositions de l’article 1352-4 du code civil, elle ne saurait être tenue à aucune restitution des sommes empruntées dès lors qu’elle n’a tiré aucun profit de ce contrat. Elle reproche à la banque de n’avoir pas vérifié sa solvabilité avant de lui octroyer le prêt.

Par des conclusions remises le 11 septembre 2021, la société Groupement Assur’Habitat demande à la cour :

– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Financo de sa demande de condamnation au remboursement du capital emprunté à son encontre,

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité du contrat de crédit conclu entre la société Financo et Mme [F],

– de débouter la société Financo et Mme [F] de l’ensemble de leurs demandes à son encontre,

– de condamner Mme [F] à restituer les fonds empruntés à la société Financo,

– de condamner Mme [F] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Groupement Assur’Habitat rappelle avoir signé les contrats avec Mme [F] et M. [S] [W] qui s’est présenté comme l’époux de Mme [F]. Elle soutient que l’emprunteuse ne rapporte pas la preuve de l’altération de ses facultés mentales au moment de la souscription du contrat de sorte que la nullité ne saurait être prononcée sur le fondement de l’article 414-1 du code civil.

Elle indique que les travaux ont bien été réalisés comme en atteste l’accusé de réception de fin de travaux en date du 4 mai 2015, qu’elle n’a jamais reçu aucune réclamation avant son assignation en intervention forcée du 22 décembre 2017 soit plus de deux années après la réalisation des travaux. Elle souligne que le rapport d’enquête produit par Mme [F] n’est pas probant puisqu’il n’établit qu’un constat de l’intérieur des lieux alors que les travaux ont été réalisés sur le toit. Elle ajoute que si Mme [F] prétend avoir déjà fait intervenir différentes sociétés pour réaliser des travaux identiques, elle n’a jamais communiqué les bons de commande relatifs à ces travaux ni les crédits souscrits pour les financer. Elle estime que les travaux ont bien profité à Mme [F] puisqu’elle a revendu son pavillon en valorisant auprès de l’acquéreur les travaux réalisés et que le représentant légal de la société Groupement Assur’Habitat a été relaxé des fins de la poursuite initiée par Mme [F].

Elle rappelle que si la nullité du contrat de crédit était acquise, la banque Financo serait la seule responsable du préjudice subi par l’emprunteuse et qu’aucune condamnation ne saurait être mise à sa charge de ce chef. Elle souligne enfin qu’en cas d’annulation du contrat, l’emprunteuse serait tenue de lui restituer par équivalent le montant des travaux réalisés.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience du 4 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le contrat de crédit ayant été conclu le 16 avril 2015, il convient de faire application des dispositions du code de la consommation dans leur rédaction postérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 fixée au 1er juillet 2016. Les dispositions du code civil en leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur au 1er octobre 2016 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats doivent recevoir application.

La recevabilité de l’action en paiement n’étant pas discutée en appel, elle est acquise.

Sur la demande d’annulation du contrat de crédit pour altération des facultés mentales

Au visa des articles 414-1, 433, 434 et 435 du code civil ainsi que l’article L. 3211-6 du code de la santé publique, Mme [F] fait valoir qu’elle était depuis 2010 dans une situation de grave dégradation de sa condition physique et mentale aggravée par une dépendance à l’alcool et aux médicaments avec une aggravation de son état en 2015 et une hospitalisation le 2 juin 2015, soit moins de deux mois après la signature du contrat litigieux et alors que les examens effectués lors de cette hospitalisation ont confirmé le diagnostic d’encéphalopathie de Gayet Wernicke, pathologie neurologique lourde entraînant confusion, pertes de mémoire, problèmes de vue et déséquilibre de la marche. Elle soutient que les troubles mentaux dont elle est atteinte étaient manifestes dans la période immédiatement antérieure à la conclusion du prêt de sorte qu’elle n’était pas en mesure d’apprécier la portée de son engagement lors de la signature de l’acte et qu’elle a depuis été placée sous un régime de sauvegarde de justice le 8 septembre 2015 puis de curatelle.

Aux termes de l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

Il est admis que l’ouverture d’une sauvegarde de justice puis d’une curatelle ne suffit pas à établir l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. Toutefois selon les dispositions de l’article 464 du code civil, les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux années avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. Ces actes peuvent dans les mêmes conditions être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée.

Mme [F] ne conteste pas avoir validé les trois bons de commande des 10 et 16 avril 2015 avec la société Groupement Assur’Habitat ainsi que l’offre de crédit émise par la société Financo le 16 avril 2015. Elle ne conteste pas non plus avoir attesté sans aucune réserve le 4 mai 2015, de la réalisation des prestations prévues aux trois bons de commande et avoir sollicité le déblocage des fonds au profit de l’entreprise Groupement Assur’Habitat, effectif au 7 mai 2015.

Toutefois, comme l’a relevé le premier juge, il ressort du certificat médical du 12 juin 2015 du Docteur [C] [Y], psychiatre inscrit sur la liste dressée par le Procureur de la République et établi dans le cadre de l’examen de Mme [F] lié à la demande d’ouverture de la mesure de protection, que l’intéressée présente une intoxication alcoolo-tabagique ancienne qui a entraîné des troubles neurologiques (syndrome cérébelleux avec marche impossible) et des troubles des fonctions supérieures et plus particulièrement de la mémoire chez une personne vivant dans des conditions d’incurie, que sa situation la rend particulièrement vulnérable et qu’elle est dans une situation financière qu’elle ne peut plus gérer. L’examen des fonctions supérieures montre une altération des fonctions cognitives, avec une désorientation spatio-temporelle, un échec dans la plupart des épreuves de calcul et l’impossibilité de résoudre le moindre problème.

Les compte-rendus d’hospitalisation établis par le Docteur [Z] [I] le 9 juin 2015 puis le 29 juin 2015 par le Docteur [M] [A] confirment un diagnostic d’encéphalopathie de Gaye-Wernicke avec séquelles neuropsychologiques et présence d’une désorientation spatio-temporelle majeure sur intoxication éthylique chronique.

Le rapport établi le 3 juillet 2015 par les services de la mairie de [Localité 11] suite à leur déplacement au domicile de Mme [F], atteste de l’état d’incurie de son habitation, avec de graves manquements à l’hygiène avec des murs de la cuisine, des toilettes, de la pièce principale, de la chambre, de la salle de bains et du sous-sol sales et poussiéreux, la présence de moucherons et de déjections d’animaux, avec préconisation d’une désinfection et d’une désinsectisation totales du logement avant d’envisager une réintégration.

Si ces constatations sont postérieures à la conclusion du contrat litigieux le 16 avril 2015, leur antériorité est confirmée par le certificat médical établi le 7 octobre 2015 par le docteur [N] [K], qui fait état depuis le 11 juin 2010 de troubles psycho-comportementaux majeurs qui ont dès cette date gravement compromis la capacité de Mme [F] à gérer ses affaires, ces troubles étant parfaitement visibles par un « non médecin ». Il ajoute que la pathologie a évolué vers une atteinte cérébrale irrémédiable et un état de dépendance.

Comme l’a justement fait remarquer le premier juge, il est ainsi établi que Mme [F] souffrait de troubles anciens, majeurs, et chroniques, résultat de conduites addictives dont les premières manifestations sont intervenues au premier semestre de l’année 2010, révélant un trouble mental et une insanité d’esprit au sens des dispositions de l’article 414-1 du code civil.

Il est ainsi démontré que cet état existait dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux, sans que la société Financo n’établisse l’existence d’un intervalle lucide au moment de la signature de l’acte et alors que les troubles dont souffrent Mme [F] étaient manifestement visibles par tout un chacun et en particulier par un démarcheur se rendant à son domicile.

C’est donc à bon droit que le premier juge a déclaré nul le contrat de crédit et débouté la société Financo de sa demande en paiement.

Sur la faute dans le déblocage des fonds

Mme [F] soutient que la banque a commis une faute dans le déblocage des fonds en ne procédant à aucune vérification formelle des bons de commande qui ne sont pas joints au contrat de crédit et en ne vérifiant pas la bonne exécution des travaux. Elle estime que cette faute est de nature à la priver de son droit à restitution du capital prêté.

En application des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l’existence d’un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d’un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

Selon l’article L. 311-31 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation. En cas de contrat de vente ou de prestation de services à exécution successive, elles prennent effet à compter du début de la livraison ou de la fourniture et cessent en cas d’interruption de celle-ci.

Les dispositions de l’article L. 311-51 du même code en leur version applicable au litige prévoient que le prêteur est responsable de plein droit à l’égard de l’emprunteur de la bonne exécution des obligations relatives à la formation du contrat de crédit, que ces obligations soient à exécuter par le prêteur qui a conclu ce contrat ou par des intermédiaires de crédit intervenant dans le processus de formation du contrat de crédit, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci.

Il incombe donc au prêteur de vérifier que l’attestation de fin de travaux suffit à déterminer que la prestation promise a été entièrement achevée.

En revanche, il n’appartient pas au prêteur de s’assurer par lui-même de l’exécution des prestations et l’intimée fait valoir à juste titre que l’obligation de plein droit à l’égard de l’emprunteur mise à sa charge par l’article L. 311-51 du code de la consommation ne concerne que le contrat de crédit et ne saurait la rendre garante de l’exécution du contrat principal.

En l’espèce, la société Financo indique avoir procédé au déblocage des fonds le 7 mai 2015 sur la base d’un document signé par Mme [F] le 4 mai 2015 et intitulé « demande de financement » aux termes duquel celle-ci acte l’exécution d’une prestation au 4 mai 2015 et sollicite le déblocage des fonds (pièce 4 de la société Financo).

Si ce document pré-imprimé est tamponné par la société Groupement Assur’Habitat le 4 mai 2015 et vise bien le numéro du contrat de crédit 94 08 981 auquel il se rattache, il ne fait référence à aucun bon de commande, ni à aucune prestation, alors que la société prestataire s’est engagée par trois bons de commande successifs à réaliser trois séries de travaux liés à la réfection de la toiture, à la pose d’une ventilation et au remplacement des rives et des gouttières de sorte que ce document est insuffisant à permettre à l’établissement de crédit de se convaincre de l’exécution des trois contrats principaux d’autant que son attention aurait dû être attirée par la célérité de réalisation des trois tranches de travaux en moins de trois semaines.

Il n’est pas établi que les trois documents intitulés « accusé de réception de fin de travaux » signés par Mme [F] le 4 mai 2015 et attestant que la société Groupement Assur’Habitat a contrôlé les travaux correspondant aux bons de commande n° CMT94009, CRT94019ASS et CRT94015ASS1, aient été communiqués à la société Financo qui ne les évoque pas dans ses écritures.

Aucun élément ne permet d’établir la réalisation complète et dans les règles de l’art des travaux à la charge de la société prestataire, les trois factures établies le 5 mai 2015 ne permettant pas d’en déterminer la bonne exécution. Le rapport dressé le 3 juillet 2015 par les services de la mairie n’apporte pas d’élément en ce sens, se contentant de décrire l’état sanitaire de l’intérieur des pièces de l’habitation. La cession du pavillon postérieurement à la validation des bons de commande et à la réalisation des travaux n’apporte pas non plus d’élément en ce sens.

La faute commise par la banque dans le déblocage des fonds est à l’origine d’un préjudice pour Mme [F], dont il n’est pas établi qu’elle ait bénéficié des prestations promises aux bons de commande. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a privé la société Financo de sa demande de restitution du capital emprunté.

La société Financo sollicite de voir condamner la société Groupement Assur’Habitat à lui payer la somme de 39 800 euros au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir et de la relever et la garantir de toute condamnation qui pourrait être mise au profit de Mme [F].

Il résulte de ce qui précède que si la société Financo a manqué de vigilance dans son contrôle de l’exécution des prestations à la charge de la société Groupement Assur’Habitat, c’est bien l’intervention du démarcheur de la société Groupement Assur’Habitat qui a été déterminante du consentement de Mme [F], personne manifestement et visiblement hors d’état de manifester un consentement éclairé quant aux travaux et au financement qui lui étaient proposés et alors que l’utilité des travaux effectués à son domicile reste à démontrer. Il s’ensuit que la société Groupement Assur’Habitat devra garantir la société Financo à hauteur de 50 % et doit donc être condamnée à lui verser la somme de 19 900 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir.

Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être confirmées. La société Financo qui succombe en appel doit être condamnée aux dépens et à verser à Mme [F] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le surplus des demandes est rejeté.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Dit que la société Groupement Assur’Habitat est tenue de garantir la société Financo ;

Condamne la société Groupement Assur’Habitat à payer à la société Financo la somme de 19 900 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société Financo aux dépens d’appel ;

Condamne la société Financo à verser à Mme [D] [F] assistée de sa curatrice Mme [P] [V] la somme de 1 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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