Nullité de contrat : 23 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/03453

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Nullité de contrat : 23 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/03453

BAUX RURAUX

COLLEGIALE

N° RG 22/03453 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OJLI

Jonction avec 22/3505

Jonction avec 22/3542

Décision du Tribunal paritaire des baux ruraux de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

du 28 mars 2022

RG : 51-18-1

consorts [O]

C/

[O]

[P]

[N]

E.A.R.L. EARL EBP

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

BAUX RURAUX

ARRET DU 23 Février 2023

APPELANTS :

M. [F] [N]

né le 14 décembre 1970 à [Localité 20]

[Adresse 15]

[Localité 19]

Mme [S] [N] épouse [U]

née le 27 novembre 1971 à [Localité 20]

[Adresse 9]

[Localité 17]

Mme [X] [N]

[Adresse 12]

[Localité 20]

M. [W] [N]

né le 12 Mai 1975 à [Localité 32]

[Adresse 10]

[Localité 18]

M. [E] [N]

né le 21 Mars 1980 à [Localité 32]

[Adresse 11]

[Localité 16]

M. [M] [N]

né le 19 Juin 1981 à [Localité 32]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Mme [K] [N]

née le 05 Mai 1985 à [Localité 24]

Domiciliée Chez Monsieur [F] [N]

[Adresse 15]

[Localité 19]

Mme [B] [N]

née le 17 Juillet 1986 à [Localité 27]

[Adresse 8]

[Localité 21]

Représentés par Me François ROBBE de la SCP DESILETS ROBBE ROQUEL AXIOJURIS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE, toque : 786

M. [I] [O]

né le 06 Juin 1979 à [Localité 30]

[Adresse 25]

[Localité 22]

Mme [R] [P] épouse [O]

née le 26 Décembre 1980 à [Localité 26]

[Adresse 25]

[Localité 22]

Représentés par Me Hugues DUCROT de la SCP DUCROT ASSOCIES – DPA, avocat au barreau de LYON, toque : 709

Mme [V] [N]

[Adresse 3]

[Localité 18]

Représentée par Me Anne-sophie LEFEVRE, avocat au barreau de LYON, toque : 1259

INTIMES :

E.A.R.L. EARL EBP

[Adresse 28]

[Localité 22]

Représentée par Me Benoît MEILHAC de la SELARL MEILHAC FARAUT-LAMOTTE, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

* * * * * *

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Janvier 2023

Date de mise à disposition : 23 Février 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Julien MIGNOT, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Clemence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Les consorts [N] étaient propriétaires du Château de [Localité 23], domaine situé sur la commune de [Localité 31], au lieu-dit [Localité 23], comprenant un bâtiment d’habitation, des dépendances et diverses parcelles, cadastrées en section A, n°[Cadastre 4] pour 4 ha 88 a 45 ca, n°[Cadastre 2] pour 82 a 75 ca, n°[Cadastre 6] pour 13 a 69 ca, n°[Cadastre 7] pour 2 ha 34 a 2ca, n°[Cadastre 13] pour 28 a 92 ca et n°[Cadastre 14] pour 69 a, soit une contenance totale de 8 ha 48 a 42 ca.

[V] [C] veuve [N] était usufruitière et ses huit enfants, [F], [S], [X], [W], [E], [M], [K] et [B] [N] en avaient la nue-propriété.

Par acte du 29 août 2017, reçu en l’étude de Maître [H] [Y], notaire à [Localité 29], les consorts [N] ont vendu la propriété susvisée aux époux [I] [O] et [R] [P]. L’acte de vente certifie que le bien vendu est libre de toute location ou occupation.

Par lettre du 23 novembre 2017, le conseil des époux [O] a écrit aux consorts [N] pour leur faire part de la découverte, postérieurement à la vente, d’un bail à ferme portant sur les 3/4 de la parcelle A[Cadastre 4], en nature de pré, signé par [V] [N] au profit de l’Earl EBP, représenté par [A] [J]. Ce bail, prenant effet le 1er mars 2016 et devant s’achever le 28 février 2025. Cette situation bloquait le projet des acquéreurs de création d’un hébergement touristique haut de gamme.

Par déclaration reçue au greffe le 31 janvier 2018, [F] [N], [S] [N] épouse [U], [X] [N], [W] [N], [E] [N], [M] [N], [K] [N] et [B] [N] (ci-après désignés les consorts [N]) ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône.

Exposant qu’ils ignoraient l’existence de ce bail que leur mère n’avait pas souvenir d’avoir signé, les consorts [N] ont demandé :

– l’annulation du bail rural du 1er mars 2016 pour avoit été conclu sans le concours des nus-propriétaires,

– la déclaration de jugement commun et opposable aux époux [O],

– la condamnation de l’Earl EBP à leur verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

[V] [N] a demandé au tribunal,

à titre principal,

– de constater la nullité du bail

– de constater et l’inexécution du bail, et, en conséquence, à [V] [N],

à titre subsidiaire,

– de prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs de l’Earl EBP, rétroactivement au 1er mars 2016,

en tout état de cause,

– la condamnation de l’Earl EBP de relever garantir [V] [N] de toutes condamnation qui pourraient être prononcées à son encontre,

– la condamnation de l’Earl EBP à lui payer la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les époux [O] ont demandé au tribunal de :

– prendre acte de la demande de nullité du bail rural formulée par les nus-propriétaires vendeurs et y faire droit,

– juger que l’Earl EBP est sans droit ni titre pour occuper la parcelle A[Cadastre 4],

– les autoriser à faire procéder à l’expulsion de l’Earl EBP ainsi qu’à tous occupants ou biens de son chef, avec si besoin le concours de la force publique,

– condamner solidairement les vendeurs et l’Earl EBP au paiement de la somme de 98.200 euros en réparation des préjudices subis,

– condamner solidairement les vendeurs et l’Earl EBP au paiement de la somme de 25.911 euros au titre des dépenses engagées pour la réalisation des études patrimoniales et de faisabilité portant sur leur projet,

– condamner solidairement les vendeurs et l’Earl EBP au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par jugement en date du 30 décembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône a ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent sur la qualité à agir des demandeurs pour solliciter la nullité du bail.

Par jugement en date du 23 avril 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône a ordonné une nouvelle réouverture des débats pour permettre aux parties de conclure sur la qualité à agir d'[V] [N] et sur la compétence de la juridcition pour statuer sur les demandes reconventionnelles des époux [O].

L’Earl EBP n’était pas représentée aux audiences du tribunal tenues successivement les 2 octobre 2020, 5 février 2021 et 4 février 2022.

Par jugement en date du 28 mars 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône :

– a constaté que [F] [N], [S] [N] épouse [U], [X] [N], [W] [N], [E] [N], [M] [N], [K] [N] et [B] [N] n’ont pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré leurs demandes irrecevables,

– a constaté que [V] [C] veuve [N] n’a pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré ses demandes irrecevables,

– a constaté que [I] [O] et [R] [P] épouse [O] n’ont pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré leurs demandes irrecevables,

– s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes reconventionnelle de [I] [O] et [R] [P] épouse [O],

– rejeté les demandes formulées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,

– et dit que la décision est assortie de l’exécution provisoire.

[V] [N] a relevé appel du jugement par lettre de son conseil reçue au greffe de la Cour le 10 mai 2022.

Les consorts [N] ont relevé appel du jugement par lettre de leur conseil reçue le 12 Mai 2022.

Les époux [O] ont relevé appel du jugement par lettre de leur conseil reçue au greffe de la Cour le 15 mai 2022.

Les trois procédures ont été jointes par décision du président de la chambre du 24 mai 2022.

Les parties ont été régulièrement convoquées à comparaître à l’audience de la Cour du 24 janvier 2023 à 13h30, au cours de laquelle elles ont été représentées par leurs conseils qui ont soutenu les demandes formées dans leurs conclusions comme suit :

[V] [N] demande à la Cour, sur le fondement des articles 595, 1113 et suivants et 1137 et suivants du code civil et L.411-1 du code rural, de réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône en date du 28 mars 2022 et, statuant à nouveau,

à titre principal,

– constater la nullité du bail,

– constater l’inexécution du bail, et défaut d’immatriculation et en conséquence, l’inopposabilité à [V] [N],

à titre subsidiaire,

– prononcer la résiliation du bail rural aux torts exclusifs de l’Earl EBP rétroactivement au 1er mars 2016,

– condamner l’Earl EBP à relever et garantir [V] [N] de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

– ainsi, si par extraordinaire la juridiction faisait droit aux demandes indemnitaires de l’Earl EBP, limiter l’indemnité de départ au strict préjudice et dans tous les cas, dire qu’il sera compensé avec l’arriéré de fermage, dû jusqu’à la libération effective des lieux prétendument occupés et avec les indemnités dues à Mme [N] ;

dans tous les cas,

– débouter l’Earl EBP de l’intégralité de ses demandes,

– condamner l’Earl EBP à payer à [V] [N] une indemnité de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’Earl EBP aux entiers dépens.

[F] [N], [S] [N] épouse [U], [X] [N], [W] [N], [E] [N], [M] [N], [K] [N] et [B] [N] demandent à la Cour de statuer comme suit, au vu des articles 595 et 2224 du code civil :

– déboutant de toutes conclusions et demandes adverses contraires,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône le 28 mars 2022.

conséquence,

– juger que les consorts [N] ont la qualité à agir en nullité du contrat de bail à ferme signé entre [V] [N] et l’Earl EBP,

– juger le contrat de bail à ferme, signé entre [V] [N] et l’Earl EBP, nul,

– annuler le contrat de bail à ferme, signé entre [V] [N] et l’Earl EBP,

– condamner l’Earl EBP et les époux [O] à verser aux requérants la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’Earl EBP aux dépens.

[I] [O] et [R] [P] épouse [O] demandent à la Cour, vu les articles 595 al.4 et 1103 et suivants du code civil, d’infirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône le 28 mars 2022 et, statuant à nouveau,

– juger le contrat de bail à ferme, signé entre [V] [N] et l’Earl EBP, nul,

– rejeter les demandes indemnitaires de l’Earl EBP dirigées contre les époux [O], comme étant mal dirigées et à tout le moins, injustifiées.

– condamner in solidum les vendeurs indivisaires [N], dont [V] [C] veuve [N], et l’Earl EBP à payer aux époux [O], la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’Earl EBP, visant les articles 32-1, 54, 57, 122 et 933 du code de procédure civile, 595, 1240, 1719, 1984 et 1998 du code civil, L.411-1, L.411-4 et L.411-32 du code rural et de la pêche maritime, L.321-1 du code de l’expropriation et 9 de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, formule les demandes suivantes :

confirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône en date du 28 mars 2022 sous le numéro RG 51-18-000001 en ce qu’il a :

– constaté que [F] [N], [S] [N] épouse [U], [X] [N], [W] [N], [E] [N], [M] [N], [K] [N] et [B] [N] n’ont pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré leurs demandes irrecevables ;

– constaté qu'[V] [C] veuve [N] n’a pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré ses demandes irrecevables ;

– constaté que [I] [O] et [R] [P] épouse [O] n’ont pas qualité à agir en nullité du bail et déclaré leurs demandes irrecevables ;

y ajoutant,

à titre liminaire,

– juger nulles les déclarations d’appel émanant de [V] [N] en date du 9 mai 2022, des consorts [N] en date du [Cadastre 4] mai 2022 et des époux [O] en date du 13 mai 2022, puisqu’elles ne respectent pas le formalisme imposé par l’article 933 du code de procédure civile,

à titre principal,

– déclarer irrecevables pour défaut de qualité à agir [V] [N], les consorts [N] et les époux [O] ;

à titre subsidiaire,

– rejeter la demande de nullité du contrat de bail en date du 1er mars 2016 pour dol en raison

d’une absence d’un fondement textuel applicable et d’une absence d’une quelconque man’uvre dolosive de la part de l’Earl EBP,

– juger que le bail a été exécuté loyalement par l’Earl EPB et, par voie de conséquence,

rejeter la demande d’inexistence ou de résiliation à ce titre,

– juger que le bail rural en date du 1er mars 2016 concernant la parcelle cadastrée A n°[Cadastre 4] sur la commune de [Localité 31] (Rhône) est parfaitement régulier, puisque aucun formalisme n’est exigé,

– juger que [V] [N] s’est comportée comme la propriétaire du fonds affermé et qu’elle a donné l’apparence, du fait de son comportement, d’avoir été mandatée par les nus-propriétaires et, par voie de conséquence, dire que le bail rural en date du 1er mars 2016 est parfaitement régulier,

à titre infiniment subsidiaire,

– condamner [V] [N] à verser à l’Earl EBP une indemnité d’éviction d’un montant de 90.119,03 euros,

en tout état de cause,

– dire que les appelants ont commis une faute en estant devant la présente juridiction et, en conséquence, condamner in solidum [V] [N], les consorts [N] et les époux [O] à payer à l’Earl EBP une somme de un euro symbolique à l’Earl EBP en réparation de son préjudice,

– condamner in solidum [V] [N], les consorts [N] et les époux [O] à payer à l’Earl EBP une somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum [V] [N], les consorts [N] et les époux [O] aux entiers frais et dépens de l’instance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les exceptions de nullité des déclarations d’appel

L’Earl EBP soutient que les déclarations d’appel des parties adverses sont nulles, comme ne respectant pas les mentions exigées par les dispositions combinées des articles 933 et 54 du code de procédure civile. Elle fait valoir les points suivants :

– La déclaration d’appel d'[V] [N], intervenue le 9 mai 2022, ne précise pas le nom de naissance, la profession, la nationalité, la date et le lieu de naissance de l’appelante, et n’est pas signée.

– La déclaration d’appel des consorts [N], intervenue le 11 mai 2022, ne précise pas les professions, les nationalités, les dates et lieux de naissance des appelants.

– La déclaration d’appel des époux [O], intervenue le 13 mai 2022, ne précise pas les professions, les nationalités, les dates et lieux de naissance des appelants.

L’Earl EBP affirme que ces chefs de nullité lui font grief, conformément à l’article 114 du code de procédure civile, du fait de l’impossibilité pour elle de faire exécuter la décision à intervenir. Selon elle, les appelants dissimulent leurs états civils afin de l’empêcher de faire exécuter la décision à intervenir. Sans les renseignements élémentaires d’état civil, le commissaire de justice qui sera mandaté ne pourra pas interroger FICOBA pour la réalisation d’une saisie-vente, ou bien encore les URSSAF pour une saisie sur salaire.

Le délai d’appel étant expiré, les nullités ne sont pas régularisables par les appelants.

[V] [N] répond que l’intimée ne justifie pas d’un grief dès lors que les identités et adresses des appelants sont mentionnées.

Les consorts [N] soutiennent que ces mentions sont exigées en vue d’assurer l’identification de la partie appelante et non pas l’exécution de la décision dont appel, et qu’il n’existe aucun doute sur l’identité des appelants. Ils ajoutent qu’il n’y a aucune dissimulation de la part des consorts [N] dont leur état civil complet apparaît dans l’entête des présentes conclusions.

Sur ce, il est rappelé que les irrégularités qui affectent la déclaration d’appel, en particulier quant à l’omission des mentions prévues par les textes précités obéissent au régime des nullités de forme qui implique de justifier d’un grief, conformément à l’article 114 al.2 du code de procédure civile.

Si la nullité n’est pas couverte par la régularisation ultérieure de la déclaration d’appel, laquelle n’est plus possible après l’expiration du délai d’appel, il n’en demeure pas moins que la partie qui s’en prévaut doit justifier de la persistance d’un grief pour voir prononcer la nullité de cet acte. Tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que les mentions contenues dans les dernières conclusions des différents appelants spéficient bien leurs états-civils et professions et qu’en conséquence, il ne peut plus être envisagé une difficulté d’exécution du présent arrêt de ce seul chef.

Au surplus, les identités des appelants sont toutes connues de l’intimée par la communication de l’acte de vente notarié du 29 août 2017.

Par ailleurs, l’intimée ne fait valoir aucun grief tenant au défaut de signature de la déclaration d’appel d'[V] [L].

Les exceptions de nullité des déclarations d’appel sont rejetées.

Sur la qualité à agir des consorts [N]

Les consorts [N] fondent leur action sur les dispositions de l’article 595 al.4 du code civil qui prévoient, notamment, que l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural.

Le tribunal a dit qu’il résulte de ce texte que la nullité du bail rural consenti par l’usufruitier sans l’accord du nu-propriétaire ne peut être invoquée que par celui-ci. L’action, qui lui est personnelle, ne peut être transmise à l’acquéreur de l’immeuble.

Il en a déduit qu’après la vente du domaine, les consorts [N] n’ont plus qualité à agir à raison de la perte de leur qualité de nus-propriétaires, non plus que les époux [O] auxquels l’action personnelle des nus-propriétaires n’a pas été transmise.

Les appelants soutiennent que le tribunal a considéré à tort que l’action des nus-propriétaires se serait éteinte du fait de la vente, ce qui reviendrait à nier leurs droits à permettre la régularisation du bail qu’ils prétendent avoir été obtenu frauduleusement.

Ils font valoir que la jurisprudence considère que la régularisation par la vente n’est pas possible, tout comme la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété entre les mains du nu-propriétaire n’éteint pas le droit personnel du nu-propriétaire à se prévaloir de la nullité.

Ils ajoutent que le jugement ne reconnaît la qualité à agir à aucune partie, ce qui remet en cause la nature même de l’action en nullité du bail. Le jugement induit que, si le transfert de propriété ne permet plus d’exercer l’action des nus-propriétaires, il ne s’agirait donc plus d’une action personnelle, mais d’une action réelle, transmise à l’acquéreur par l’effet de la vente du bien, ce qui n’est pas le cas.

L’Earl EBP, approuvant la décision du premier juge, répond que la qualité à agir s’apprécie au jour de l’introduction de l’instance et que les consorts [N], n’ayant plus la qualité de nus-propriétaires, n’ont plus qualité à agir à ce titre. Elle ajoute que, si leur responsabilité doit être recherchée par les acquéreurs, les consorts [N] peuvent exercer leur recours contre l’usufruitière qui a agi en fraude de leurs droits.

Sur ce, l’article 31 du code de procédure civile prévoit que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

Par ailleurs, il résulte de l’article 1181 du code civil que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger.

Il est acquis par la jurisprudence que les dispositions de l’article 595 al.4 du code civil sont sanctionnées par la nullité relative du bail conclu par l’usufuitier sans l’accord du nu-propriétaire. L’action en nullité est personnelle au nu-propriétaire et ne peut être exercée par l’acquéreur du bien. Il s’en déduit que ce droit est attaché à la qualité de nu-propriétaire au jour de l’acte litigieux.

Les consorts [N] justifient d’un intérêt à agir, au sens de l’article 31 du code de procédure civile, en ce qu’étant tenus d’une garantie d’éviction à l’égard des acquéreurs, ils font l’objet d’une action indemnitaire des époux [O] et ont un intérêt personnel à voir annuler le bail litigieux afin de limiter le préjudice allégué par les acquéreurs, et, par suite, l’obligation indemnitaire susceptible d’être mise à leur charge en qualité de vendeurs.

Pour autant, ils ont perdu la qualité de nus-propriétaires qui les qualifiait, selon la restriction contenue dans le même texte, pour agir en nullité de l’acte passé en fraude de cette qualité.

Il a certes été jugé que le nu-propriétaire devenu titulaire de la pleine propriété d’un bien après le décès de l’usufruitière conservait l’exercice de ce droit personnel d’agir en nullité d’un bail consenti par la seule usufruitière, mais l’intéressé, en acquérant la pleine propriété du bien avait nécessairement conservé son démembrement que constitue la nue-propriété et les droits qui s’y attachaient. Le droit d’exercer une action personnelle ne subsiste pas lorsque la qualité qui fonde ce droit a disparu au jour de l’engagement de l’action.

Sur le défaut de qualité à agir de [V] [N]

Comme ses enfants, Mme [N] justifie d’un intérêt à agir à raison de la garantie d’éviction à laquelle elle est tenue à l’égard des époux [O] en qualité de vendeur de l’immeuble. Cependant elle a perdu la qualité de bailleur par l’effet de la vente du bien et, par suite, n’a pas qualité à agir en nullité ou en résolution du bail, quelque soit le fondement de son action, en l’occurence le vice de son consentement et le défaut d’exécution du bail.

Sur le défaut de qualité à agir des époux [O]

Comme il a été dit, l’action en nullité du bail passé sans l’accord des nus-propriétaires ne se transmet pas aux acquéreurs du bien loué. En conséquence, les époux [O], qui n’allèguent d’aucun autre moyen de nullité du bail, ne sont pas recevables en leur demande d’annulation du bail passé par [V] [N] avec l’Earl EBP.

Sur les autres demandes

La décision d’incompétence du tribunal paritaire des baux ruraux relative aux demandes reconventionnelles des époux [O] n’est pas déférée à la Cour.

En équité, il convient que chaque partie conserve la charge des dépens et frais irrépétibles qu’elle a exposés.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Rejette les exceptions de nullité des déclarations d’appel ;

Statuant dans les limites des appels,

Confirme le jugement prononcé le 28 mars 2022 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Villefranche sur Saône en toutes ses dispositions ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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