Nullité de contrat : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/04286

·

·

Nullité de contrat : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/04286

Chambre des Baux Ruraux

ARRÊT N° 12

N° RG 22/04286 – N° Portalis DBVL-V-B7G-S5OE

Mme [M] [X]

C/

M. [G] [N]

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Depasse

Me Dervillers

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 02 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Janvier 2023, devant Madame Virginie HAUET, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 02 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [M] [X]

née le 30 septembre 1959 à [Localité 7], de nationalité française, retraitée

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Jean-Pierre DEPASSE de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocat au barreau de RENNES

INTIME :

Monsieur [G] [N]

de nationalité française, exploitant agricole

[Adresse 2]

[Localité 8]

représenté par Me Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, avocat au barreau de RENNES

Par acte sous seing privé en date du 10 novembre 2015, Mme [T] [X] a donné à bail à M. [G] [N] deux parcelles de terres situées sur les communes suivantes :

– [Localité 8] cadastrée ZE n° [Cadastre 1] A et [Cadastre 1] B

– [Localité 6] cadastrée WE n° [Cadastre 4]

pour un total de 2 ha 42 a et 06 ca.

Depuis le décès de M. [B] [X] en 2010, ces parcelles de terres appartiennent à :

– Mme [T] [F] épouse [X] (usufruit)

– Mme [M] [X] (nue propriétaire)

– M. [V] [X] (nu propriétaire).

Par déclaration au greffe en date du 28 septembre 2021, Mme [M] [X] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de solliciter la nullité du contrat de bail, l’expulsion de M. [G] [N], le condamner au paiement du fermage, accueillir l’action de fixation du fermage et le condamner à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Suivant jugement contradictoire rendu par mise à disposition du greffe le 12 mai 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Redon a :

– déclaré irrecevables l’ensemble des demandes de Mme [M] [X] pour défaut d’intérêt à agir,

– débouté Mme [M] [X] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [M] [X] à verser à M. [G] [N] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [M] [X] au paiement des dépens,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Suivant déclaration en date du 3 juin 2022, Mme [M] [X] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 14 décembre 2022, Mme [M] [X] demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris,

– prononcer l’annulation du bail sous seing privé du 10 décembre 2015,

– ordonner l’expulsion de M. [G] [N] sous astreinte de 100 euros par jour pendant trois mois commençant à courir un mois après la signification de l’arrêt ou à la fin de l’année culturale en cours,

– condamner M. [G] [N] à payer à Mme [M] [X] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [G] [N] aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 7 octobre 2022, M. [G] [N] demande à la cour de :

A titre principal :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes présentées par Mme [M] [X],

A titre subsidiaire :

– débouter Mme [M] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En toute hypothèse :

– condamner Mme [M] [X] à verser à M. [G] [N] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner Mme [M] [X] au paiement des dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– Sur la recevabilité des demandes de Mme [X]

Mme [M] [X] sollicite la réformation du jugement qui l’a déboutée de ses demandes pour défaut d’intérêt à agir au motif qu’elle justifie devant la cour, par la production d’une attestation notariée, de sa qualité de nue-propriétaire des biens loués à M. [N] et du fait que sa mère, Mme [T] [X], signataire du bail, n’avait que la qualité d’usufruitière. Elle soutient que de part sa qualité de nue-propriétaire, elle a qualité pour agir en nullité du bail du 10 décembre 2015.

Elle ajoute que son action n’est pas prescrite parce qu’elle n’a eu connaissance de l’existence du bail que fin 2019 lorsqu’elle a repris la gestion des biens de sa mère et que M. [N] ne démontre pas qu’elle en aurait eu connaissance avant 2019.

M. [N] soutient que l’action de Mme [X] est prescrite en ce qu’elle a été engagée plus de 5 ans après la conclusion du bail litigieux. Il fait valoir que Mme [X] ne pouvait ignorer l’existence du bail litigieux. Il ajoute, en tant que de besoin, que Mme [X] ne démontre pas être effectivement recevable à agir en qualité de nue-propriétaire.

Aux termes des dispositions de l’article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

Aux termes des dispositions de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Mme [M] [X] produit devant la cour une attestation de maître [C] notaire à [Localité 5] au terme de laquelle elle apparaît comme propriétaire de la moitié de la nue-propriété avec son frère M. [V] [X] des deux parcelles données à bail à M. [N] en vertu d’un acte d’un acte de donation partage publié le 4 mai 2011. Ainsi, elle justifie de son statut de nu-propriétaire au moment de la conclusion du bail rural entre sa mère Mme [T] [X] et M. [N] le 10 décembre 2015 et, par voie de conséquence, de son intérêt à agir.

Il est constant que l’action en nullité doit être intentée dans un délai de cinq ans à compter du jour où le nu-propriétaire a eu connaissance du bail rural ou de son renouvellement consentis sans son concours.

En l’espèce, Mme [X] indique avoir eu connaissance dudit bail fin 2019 et produit un courrier manuscrit de sa mère en ce sens. Il doit être observé que le bail ne mentionne pas la qualité d’usufruitière de Mme [T] [X] mais uniquement sa qualité de bailleur. En l’absence d’autres éléments invoqués par M. [N], celui-ci échoue à démontrer que Mme [X] a eu connaissance du bail litigieux avant 2019. Par conséquent, l’action initiée par Mme [M] [X] par déclaration au greffe en date du 28 septembre 2021 dans un délai de moins de 5 ans à partir du moment où elle a eu connaissance du bail litigieux, n’est pas prescrit et son action est parfaitement recevable. Le jugement sera ainsi réformé en ce qu’il a déclaré la demande de Mme [X] irrecevable.

– Sur la demande en nullité du bail

Mme [M] [X] sollicite la nullité du bail au visa de l’article 595 du code civil en arguant que sa mère a conclu seule le bail litigieux alors qu’elle n’était qu’usufruitière. Elle fait valoir que le fait que sa mère a perçu les loyers ne caractérise pas la qualité de propriétaire apparent de l’usufruitier et que le preneur ne justifie pas l’existence d’un mandat spécial autorisant sa mère à consentir un tel bail. Elle ajoute que le centre de gestion Cerfrance n’a procédé à aucune vérification et a rédigé l’acte avec les seules informations fournies par M. [N].

M. [N] fait valoir que, si par application des dispositions de l’article 595du Code civil, l’usufruitier ne peut sans le concours exprès du nu-propriétaire donner à bail un fonds rural, il n’en demeure pas moins que le preneur peut se prévaloir de la qualité de propriétaire apparent du bailleur si les circonstances l’autorisaient à croire en sa qualité de propriétaire. A ce titre, il indique que les parties ont été assistées par le centre de gestion Cerfrance et que Mme [T] [X] n’a jamais évoqué le caractère indivis des biens tant lors de la promesse de bail que lors de la conclusion du bail et qu’il pensait légitimement qu’elle était la propriétaire des parcelles données à bail.

Aux termes des dispositions de l’article 595 alinéa 4 du code civil, l’usufruitier ne peut sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural.

Il est constant que si les dispositions de l’article précité sont de nature à entraîner la nullité du bail à l’égard du nu-propriétaire, le bail consenti par le seul usufruitier n’est pas nul s’il est établi que celui-ci s’est comporté en propriétaire apparent. La théorie de l’apparence de la qualité de propriétaire d’un usufruitier ne peut être retenue pour faire échec à la nullité d’un bail sollicitée par le nu-propriétaire que si les conditions de l’erreur commune qu’elle suppose sont réunies de telle manière que nul n’aurait pu échapper à la confusion et aurait légitimement pu croire à une qualité de pleine propriété donnant à bail. Il appartient, dès lors, à M. [N] de caractériser l’existence de circonstances démontrant sa bonne foi et la qualité de propriétaire apparent.

En l’espèce, le bail a été rédigé par le centre de gestion Cerfrance Brocéliande mais il résulte du SMS de la salariée du centre produit par l’appelante que celle-ci indique n’avoir jamais rencontré Mme [T] [X] et avoir rédigé les actes sur la base des informations que M. [N] avait en sa possession. Elle précise que M. [N] a fait signer lui-même les documents, ce que confirme Mme [T] [X] dans le courrier versé aux débats, et ce alors qu’elle était âgée de 84 ans. Le centre de gestion n’a procédé à aucune vérification alors que des recherches élémentaires comme la production d’un avis de taxe foncière aurait permis de savoir que la bailleresse n’avait pas la qualité de propriétaire.

Au vu de ces éléments, il n’y a pas d’erreur commune et le seul fait que l’usufruitière se soit comportée comme seule propriétaire durant des années ne suffit pas à la constituer comme propriétaire apparente. Par conséquent, le bail du 10 décembre 2015 sera déclaré nul et M. [N] devra libérer les terres au terme de l’année culturale en cours sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande d’astreinte sollicitée par l’appelante qui n’apparaît pas justifiée en l’espèce.

– Sur les autres demandes

Mme [X] indique renoncer en cause d’appel à sa demande de rappel de fermage et de révision du fermage. Il lui en sera donné acte.

Succombant, M. [N] sera condamné à verser à Mme [X] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et en cause d’appel et aux entiers dépens de première instance et en cause d’appel. Le jugement sera réformé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare l’action de Mme [M] [X] recevable ;

Prononce l’annulation du bail sous seing privé du 10 décembre 2015 entre Mme [T] [X] et M. [G] [N] ;

Ordonne l’expulsion de M. [G] [N] à la fin de l’année culturale en cours des parcelles de terres situées sur les communes suivantes :

– [Localité 8] cadastrée ZE n° [Cadastre 1] A et [Cadastre 1] B,

– [Localité 6] cadastrée WE n° [Cadastre 4],

Constate que Mme [M] [X] renonce à sa demande de rappel de fermage et de révision du fermage ;

Condamne M. [G] [N] à verser à Mme [M] [X] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et en cause d’appel ;

Condamne M. [G] [N] aux entiers dépens de première instance et en cause d’appel ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

Le greffier, La présidente,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x