COUR D’APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 02 MARS 2023
F N° RG 19/03954 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LEKE
EURL BIXENTE EURL
c/
Société MARCHA
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 04 juillet 2019 – 5ème chambre civile -(R.G. 16/09156) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 12 juillet 2019
APPELANTE :
EURL BIXENTE EURL
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Camille CASAGRANDE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Société MARCHA
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Guillaume HARPILLARD de la SELARL HARNO & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX susbtitué à l’audience par Me LE NAY Magalie, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Madame Paule POIREL, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Clara DEBOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée Nat & Bar (la S.A.R.L. Nat & Bar), dont le gérant est M. [K], a été placée en redressement judiciaire selon jugement du 11 mars 2015. Dans ce cadre, elle a cherché un repreneur pour le droit au bail et le matériel d’exploitation d’un bar restaurant qu’elle exploitait au numéro [Adresse 3].
L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bixente (l’EURL Bixente) s’est montrée intéressée pour acquérir le droit au bail.
L’ordonnance du 04 novembre 2015 rendue par le juge commissaire du tribunal de commerce a autorisé la cession de gré à gré du droit au bail et d’une partie du mobilier-matériel d’exploitation, pour la somme de 105 000 euros.
Il avait également été convenu du rachat par l’EURL Bixente d’autres matériels d’exploitation présents sur place mais appartenant à la Société Civile Immobilière Marcha (la SCI Marcha), dont le gérant est également M. [K], pour une somme de 22 000 euros.
Avant même la cession du droit au bail, l’EURL Bixente a donc, le 15 novembre 2015, par l’intermédiaire de son gérant, M. [E], remis à M. [K], gérant de la SCI Marcha, un chèque de 11 000 euros correspondant à un acompte pour le paiement du prix du matériel de cuisine et d’aménagement.
Au moment de régulariser la cession du droit au bail avec la S.A.R.L. Nat & Bar, l’EURL Bixente a appris qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire avait été délivré à la requête du propriétaire des murs, le 13 octobre 2015, la locataire commerciale ayant entre-temps le 23 septembre 2015 fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire.
L’EURL Bixente a dès lors refusé de régulariser la cession du bail, lequel a effectivement été résilié selon ordonnance de référé en date du 4 avril 2016, ordonnance frappée d’appel.
Par acte d’huissier du 9 septembre 2016, l’EURL Bixente a assigné la SCI Marcha devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en nullité du contrat de cession du matériel.
Le jugement contradictoire rendu le 04 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
– ordonné le report de l’ordonnance de clôture à la date des plaidoiries,
– débouté l’EURL Bixente de l’intégralité de ses demandes dirigées contre la SCI Marcha,
– condamné l’EURL Bixente à payer à la SCI Marcha la somme de 11 000 euros au titre du solde du prix du matériel,
– débouté la SCI Marcha du surplus de ses demandes,
– condamné l’EURL Bixente à payer à la SCI Marcha la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– condamné l’EURL Bixente aux dépens.
L’EURL Bixente a relevé appel de cette décision le 12 juillet 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2022, l’EURL Bixente demande à la cour, sur le fondement des articles 1129, 1131, 1134 et suivants du code civil, de
– la dire recevable et bien fondé en son appel et, y faisant droit :
– réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
A titre principal :
– juger que le contrat de vente de matériel de restauration conclu avec la SCI Marcha fait partie d’un ensemble contractuel,
– juger que le contrat de vente de matériel de restauration est caduc,
à titre subsidiaire :
– juger que le contrat de vente de matériel de restauration conclu avec la SCI Marcha fait partie d’un groupe de contrats,
– juger que ce contrat est dépourvu :
– de cause au sens de l’article 1131 du code civil,
– d’objet au sens de l’article 1129 du code civil,
– prononcer en conséquence la nullité du contrat conclu avec la SCI Marcha, pour défaut de cause et d’objet,
– condamner la SCI Marcha à lui restituer la somme de 11 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016 et jusqu’à parfait paiement,
en tout état de cause :
– débouter la SCI Marcha de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
– condamner la SCI Marcha à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SCI Marcha aux dépens,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2022, la SCI Marcha demande à la cour, sur le fondement des articles 1129, 1131, 1134 et suivants du code civil, de :
– confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté la société Bixente de l’ensemble de ses demandes,
par conséquent :
– dire et juger que le contrat de vente de matériel du 15 novembre 2015 est parfaitement valable,
– condamner la société Bixente à régler le solde des sommes, soit la somme de 11 000 euros,
y ajoutant, à titre d’appel incident :
– condamner l’appelante au règlement :
– de la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,
– de la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– des entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 janvier 2023.
MOTIVATION
Sur la caducité du contrat de vente du matériel de cuisine
Le 15 novembre 2015, l’EURL Bixente a versé à la SCI Marcha une somme de 11 000 euros à valoir sur un montant total de 22 000 euros comme l’atteste la facture versée aux débats.
Ainsi, un contrat portant sur de la vente du matériel de cuisine et d’exploitation d’un restaurant a bien été conclu à cette date de sorte que ce sont les textes du code civil antérieurs à ceux issus de l’ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016 qui ont vocation à s’appliquer (1re Civ., 19 septembre 2018, pourvoi n° 17-24.347).
Aux termes de l’article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016, l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.
L’article 1134 du même code, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Antérieurement au 1er octobre 2016, la caducité était traditionnellement définie comme la sanction appliquée à un contrat qui perd, en cours d’exécution, un de ses éléments essentiels, l’objet, la cause ou un élément nécessaire à sa perfection, du fait de la survenance d’un événement indépendant de la volonté des parties. Ainsi, un contrat peut être déclaré caduc non seulement en cas de contrats interdépendants dont l’un disparaît mais encore lorsque sa cause ou son objet disparaît postérieurement à sa conclusion.
Considérant que le rachat du matériel de cuisine appartenant à la SCI Marcha et la cession du droit au bail par la S.A.R.L. Nat & Bar constituait un ensemble contractuel interdépendant, l’EURL Bixente estime que l’impossibilité pour celle-ci de bénéficier du bail rend caduc l’acte d’achat de ce matériel.
En réponse, l’intimée sollicite la confirmation du jugement attaqué qui a rejeté la demande de caducité du contrat.
Certes, les deux contrats dont l’interdépendance est invoquée ont été conclu par l’EURL Bixente avec des parties différentes : la S.A.R.L. Nat &Bar pour ce qui concerne la cession du droit au bail commercial et la SCI Marcha pour ce qui concerne le matériel d’exploitation du restaurant.
Pour autant, les deux sociétés venderesses étaient représentées par le même gérant, en l’occurrence M. [K].
En outre, la concordance temporelle des deux opérations doit être soulignée.
En effet, l’ordonnance du juge commissaire autorisant la vente du fonds de commerce comprenant cession du bail a été rendue le 04 novembre 2015.
Lors de la vente du matériel de cuisine et d’exploitation survenue à peine dix jours plus tard, soit le 15 novembre 2015, M. [K], en sa qualité de gérant de la SCI Marcha, a remis à M. [E], gérant de la société acquéreur, une attestation indiquant ‘ M. [E] s’engage à effectuer le solde le jour de la réception des clés de son nouveau restaurant au CHM [Localité 4]’.
Il apparaît ainsi que la SCI Marcha, représentée par son gérant, était informée que l’EURL Bixente gérait déjà une activité de restauration dans un autre établissement et effectuait l’achat de ce matériel pour exploiter le fonds de commerce de [Localité 4] antérieurement occupé par la S.A.R.L. Nat & Bar.
Cette attestation permet d’établir la connaissance par la SCI Marcha du lien direct existant entre la cession du bail commercial à l’EURL Bixente et l’achat du matériel destiné à l’exploitation du restaurant.
Par conséquent, l’intention des parties au contrat du 15 novembre 2015 était de rendre les deux conventions indivisibles.
Or, la résiliation du bail commercial n’a été prononcée que le 04 avril 2016 par le juge des référés, soit plusieurs mois après la conclusion du contrat de vente du matériel de cuisine.
Cet événement, qui est totalement indépendant de la volonté des parties au contrat du 15 novembre 2015, l’empêche par conséquence d’acquérir le fonds de commerce ainsi que le bail commercial afin de reprendre l’activité de restauration dans les locaux précédemment exploités par la S.A.R.L. Nat & Bat.
Compte-tenu de l’anéantissement du contrat de cession du bail commercial, les obligations du second contrat sont par conséquent privées de cause, cette cause devant s’apprécier non au jour de sa formation (15 novembre 2015) mais au jour de sa disparition selon la jurisprudence de la cour de cassation.
L’achat du matériel de cuisine spécialement destiné pour l’exploitation de l’activité de restauration étant dès lors devenu sans cause, cet élément, ajouté à la connaissance par la SCI Marcha de l’interdépendance des deux contrats susvisés, motive l’infirmation du jugement attaqué ayant rejeté la demande de caducité de la vente du 15 novembre 2015.
Dès lors, la SCI Marcha sera condamnée à restituer à l’EURL Bixente la somme de 11 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016. La demande de l’intimée tendant à obtenir le paiement du solde ainsi des dommages et intérêts au titre d’une résistance abusive de la partie adverse sera en conséquence rejetée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du liège adoptée par la cour, il convient d’infirmer la décision de première instance et de ne mettre à la charge de l’une ou l’autre des parties le versement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En cause d’appel, la SCI Marcha sera condamnée au paiement à l’EURL Bixente d’une somme de 2 500 euros en application de ce texte. Les autres demandes de ce chef seront rejetées.
Les dépens de première instance et d’appel seront supportés par la SCI Marcha.
PAR CES MOTIFS
– Confirme le jugement rendu le 04 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux ayant rejeté la demande présentée par l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bixente sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– L’infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
– Prononce la caducité du contrat conclu le 15 novembre 2015 entre l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bixente et la société civile immobilier Marcha ;
– Condamne la société civile immobilier Marcha à restituer à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bixente la somme de 11 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016 ;
– Rejette les demandes présentées par la société civile immobilier Marcha ;
– Confirme le jugement déféré pour le surplus ;
Y ajoutant ;
– Condamne la société civile immobilier Marcha à verser à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Bixente une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
– Condamne la société civile immobilier Marcha au paiement des dépens d’appel.
La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Clara DEBOT, greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE