MINUTE N° 23/156
Copie exécutoire à :
– Me Doriane WEISS
– Me Christine BOUDET
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 20 Mars 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/01028 – N° Portalis DBVW-V-B7G-HZIW
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 31 janvier 2022 par le juge des contentieux de la protection de Saverne
APPELANTE :
Madame [W] [X]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Doriane WEISS, avocat au barreau de COLMAR
INTIMÉE :
S.A. COFIDIS
Prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Christine BOUDET, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme MARTINO, Présidente de chambre
Mme FABREGUETTES, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme HOUSER
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du
code de procédure civile.
– signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Selon offre acceptée le 7 janvier 2020, la Sa Cofidis a consenti à M. [F] [L] et Mme [W] [L] née [X] (ci-après Mme [X]) un prêt personnel d’un montant de 35 000 €, remboursable en 84 échéances mensuelles, la première de 495,82 € puis 82 échéances de 503,78 € et une dernière échéance de 503,51 €, avec un taux d’intérêt de 5,55 %.
Les échéances de remboursement du prêt n’ayant pas été régulièrement honorées, la Sa Cofidis a notifié aux emprunteurs une mise en demeure par courrier recommandé du 5 janvier 2021 puis s’est prévalue de la déchéance du terme par courrier recommandé du 18 janvier 2021.
Par acte du 18 mars 2021, la Sa Cofidis a fait assigner M. [F] [L] et Mme [W] [X] devant le juge du contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saverne afin d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 35 330,18 € avec les intérêts au taux contractuel à compter du 18 janvier 2021, outre une indemnité contractuelle de 2 689,83 € et la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Devant le premier juge, Mme [X] a soutenu avoir souscrit seule le contrat de prêt, sans l’intervention de son mari, alors qu’elle se trouvait dans un état dépressif altérant ses facultés mentales et sur instructions d’un tiers ayant abusé de son état de vulnérabilité.
Par jugement contradictoire du 31 janvier 2022, le juge des contentieux de la protection a :
– dit que M. [L] [F] n’est pas tenu au remboursement du prêt en date du 7 janvier 2020,
– débouté Mme [W] [L] née [X] de sa demande de sursis à statuer,
– condamné Mme [W] [L] née [X] à payer à la Sa Cofidis la somme de 35 102,02 € avec les intérêts au taux annuel de 5,55% sur la somme de 33 622,84 € à compter du 18 janvier 2021,
– constaté l’exécution provisoire de plein droit de la décision,
– condamné Mme [W] [L] née [X] aux dépens,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au dispositif du jugement.
Pour mettre hors de cause M. [L], le tribunal a retenu qu’il contestait avoir signé le contrat de prêt, que Mme [X] reconnaissait l’avoir souscrit seule et que les trois signatures imputables au défendeur en sa qualité de co-emprunteur étaient toutes différentes.
Mme [X] a interjeté appel à l’encontre de cette décision par déclaration du 14 mars 2022.
Par conclusions notifiées le 13 juin 2022, elle demande à la cour de :
– déclarer l’appel interjeté par Mme [W] [X] régulier, recevable et bien fondé.
Y faisant droit,
– débouter l’intimée de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions, y compris d’un éventuel appel incident.
– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Saverne, juge des contentieux de la protection du 31 janvier 2022 sous le numéro RG 21/00078, Minute 22/33,
et, statuant à nouveau,
– constater qu’au jour de la signature de l’offre de prêt les facultés mentales de Mme [W] [X] était altérées,
– prononcer la nullité du contrat de prêt signé par Mme [W] [X] avec la Sa Cofidis d’un montant de 35.000 € signé le 7 janvier 2020 n°28998000928159,
– débouter la Sa Cofidis de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
pour le surplus,
– condamner la Sa Cofidis aux entiers frais et dépens de la procédure de 1ère instance et d’appel.
Mme [X] fait valoir qu’elle a été victime d’une escroquerie « aux sentiments » sur les réseaux sociaux par un dénommé « [G] [T] » dans un contexte familial et professionnel
difficile la plaçant dans une situation de vulnérabilité extrême.
Elle explique que cet individu a abusé de sa faiblesse et de ses sentiments en l’incitant à lui verser des sommes d’argent afin de débloquer une succession dont il se prétendait bénéficiaire en Suisse.
Elle explique qu’à cette époque, elle était fragilisée sur le plan psychologique par une procédure de divorce et le harcèlement subi de la part de son mari ainsi que par le décès d’un enfant survenu dans le cadre de son activité professionnelle d’assistante maternelle.
Elle soutient qu’elle a signé le contrat sur l’insistance de « [G] [T] » et qu’au moment de la conclusion du contrat de prêt, elle se trouvait dans un état dépressif altérant ses capacités mentales, ce qui justifie de prononcer la nullité du contrat.
L’appelante précise qu’elle a déposé plainte pour escroquerie et abus de faiblesse le 2 octobre 2021 à la gendarmerie de [Localité 7].
Par conclusions notifiées le 30 août 2022, la Sa Cofidis demande à la cour de :
– déclarer l’appel mal fondé,
En conséquence,
– confirmer la décision en toutes ses dispositions,
– débouter Mme [X] de l’ensemble de ses fins, moyens et conclusions,
à titre subsidiaire, si la Cour devait estimer devoir prononcer la nullité du contrat de prêt,
– condamner Mme [X] à rembourser le capital prêté, déduction faite des montants remboursés, soit la somme de 32 542,62 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision,
En tout état de cause,
– condamner Mme [X] au paiement d’une somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers frais et dépens.
La société Cofidis fait valoir que Mme [X] ne rapporte pas la preuve qu’elle était dans un état d’insanité d’esprit le 7 janvier 2020, lors de la signature du contrat.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 11 octobre 2022.
L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 23 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le périmètre de la saisine de la cour :
En vertu de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
En l’espèce, les dispositions du jugement déféré ayant jugé que M. [F] [L] n’est pas tenu au remboursement du prêt du 7 janvier 2020 et ayant débouté Mme [X] de sa demande de sursis à statuer ne sont pas remises en cause par les parties.
N’étant pas saisie d’une demande d’infirmation de ces chefs, la cour n’a donc pas à statuer sur ces dispositions.
Sur la validité du contrat de prêt :
Aux termes de l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de la signature de l’acte.
Il résulte de ces dispositions que le trouble mental dont la preuve doit être rapportée, doit exister au moment précis où l’acte attaqué a été fait.
Au soutien de sa demande d’annulation du contrat de prêt souscrit le 7 janvier 2020, l’appelante produit un certificat médical du 12 septembre 2020 rédigé par le docteur [M] [K] dans les termes suivants :
« Je soussigné [K] [M], Docteur en Médecine, certifie avoir examiné ce jour Mme [L] [W] née le [Date naissance 1]/1962 et qui déclare être victime d’un harcèlement moral de la part de son conjoint.
L’intéressée déclare subir depuis plus de deux ans, des agressions verbales et agissements agressifs.
A l’examen, je ne constate pas de coups et blessures ce jour. Absence d’ITT ce jour.
Certificat écrit sur la demande de la personne intéressée et remis en mains propres pour valoir ce que de droit. »
Ce certificat médical, qui ne fait que rapporter les dires de la patiente sans constater d’altération du discernement, ne permet pas d’établir que Mme [X] souffrait d’un trouble mental à la date du 7 janvier 2020, date de la signature du contrat de prêt.
L’appelante produit également une plainte pénale pour escroquerie qu’elle a déposée le 2 octobre 2021 à la gendarmerie de [Localité 7].
Mme [X] déclare dans sa plainte qu’elle a effectué plusieurs versements d’un montant total de 230 000 €, dont 155 000 € résultant de crédits à la consommation, au bénéfice d’un individu dénommé « [G] [T] » avec qui elle a entretenu une relation amoureuse sur les réseaux sociaux et qui lui a réclamé de l’argent pour débloquer un héritage en Suisse d’un montant de 1 530 000 €. Elle précise que pour donner du crédit à ses man’uvres frauduleuses, « [G] [T] » lui a notamment fait parvenir une reconnaissance de dette pour un montant total de 250 000 € ainsi qu’un faux courrier des finances publiques.
Cependant, Mme [X] précise également dans cette plainte que sa rencontre avec « [G] [T] » sur facebook date de mai 2020 et l’ensemble des pièces qui viennent étayer sa plainte sont effectivement postérieures à cette date (reconnaissance de dettes du 15 juin 2021 et faux courrier des finances publiques du 7 septembre 2021).
Par conséquent, le contrat de prêt conclu le 7 janvier 2020 avec la société Cofidis est sans lien avec les faits frauduleux dont Mme [X] déclare avoir été victime.
L’appelante verse également aux débats la plainte déposée le 12 septembre 2020 contre son mari pour des faits de harcèlement dans laquelle elle évoque notamment le décès survenu le [Date décès 2] 2019, d’un nourrisson dont elle avait la garde dans le cadre de son activité d’assistante maternelle.
Si Mme [X] a pu légitimement se trouver affectée par ses difficultés conjugales et par le décès d’un enfant dont elle avait la garde, elle ne démontre pas que ces événements lui ont retiré son discernement sur le sens et sur la portée du crédit qu’elle a souscrit le 7 janvier 2020.
En conséquence, Mme [X] sera déboutée de sa demande d’annulation du contrat de crédit pour insanité d’esprit.
Sur la demande en paiement du solde du prêt :
La demande étant justifiée par les pièces produites et l’appelante ne critiquant pas les sommes allouées en première instance, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné
Madame [X] à payer à la Sa Cofidis la somme de 35 102,02 € avec les intérêts au taux annuel de 5,55% sur la somme de 33 622,84 € à compter du 18 janvier 2021.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Succombant, Mme [X] sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel.
L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, de sorte que la société Cofidis sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Déboute la Sa Cofidis de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [W] [L] née [X] aux dépens de l’instance d’appel.
La Greffière La Présidente