COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 22 MARS 2023
N° 2023/ 121
N° RG 21/06626
N° Portalis DBVB-V-B7F-BHMMF
[K] [E]
C/
S.A. CARREFOUR BANQUE
S.A. CARMA VIE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Audrey PALERM
Me Daniel LAMBERT
Me Thierry GARBAIL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge des contentieux de la protection de TOULON en date du 09 Avril 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 1119000121.
APPELANTE
Madame [K] [E]
née le 10 Avril 1946 à [Localité 4] (55), demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Audrey PALERM, avocat au barreau de TOULON
INTIMEES
SA CARREFOUR BANQUE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Me Daniel LAMBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
SA CARMA VIE
prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Me Thierry GARBAIL, membre de l’ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 07 Février 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Selon offre préalable acceptée le 30 mai 2017, la SA CARREFOUR BANQUE a consenti à
[B] [E] et [K] [E] un prêt personnel d’un montant de 16 000 euros au taux débiteur fixe de 6,07 %, remboursable en 60 échéances de 309,85 euros. Le même jour, les intéressés ont souscrit un contrat d’assurance facultative auprès des SA CARMA et SA CARMA VIE par l’intermédiaire de la SA BANQUE CARREFOUR, moyennant un coût mensuel de 18,72 euros.
Le 3 juillet 2017, [B] [E] est décédé.
La SA CARMA a refusé la mise en oeuvre de la garantie décès sollicitée par [K] [E].
Par courrier recommandé du 3 décembre 2018, l’établissement de crédit a mis en demeure [K] [E] de régler dans le délai de huit jours la somme de 3 899,56 euros, correspondant aux échéances impayées, sous peine de déchéance du terme.
Par courrier recommandé du 17 décembre 2018, l’établissement de crédit a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure [K] [E] de lui régler la somme de 17 866,28 euros.
Par acte d’huissier en date du 28 décembre 2018, signifié à personne, la SA CARREFOUR BANQUE a assigné [K] [E] devant le tribunal d’instance de Toulon afin de :
– la voir condamner à lui payer la somme de 17 866,28 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,07% l’an à compter du 17 décembre 2018, date de la mise en demeure,
– la voir condamner à lui payer la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la voir condamner aux entiers dépens de l’instance,
– voir ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel ou opposition.
Par actes d’huissier en date des 3 mai et 14 mai 2019, signifiés à personne, [K] [E] a assigné la SA CARMA et la SA CARMA VIE devant le tribunal d’instance de Toulon afin de :
– voir déclarer le jugement à intervenir dans l’instance l’opposant à la SA CARREFOUR BANQUE, commun et opposable,
– les voir condamner à la relever et à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre par le tribunal d’instance de Toulon sur le fondement de l’assignation délivrée le 28 décembre 2018 par la SA CARREFOUR BANQUE,
– joindre le présent appel en déclaration de jugement commun et en garantie à l’affaire principale l’opposant à la SA CARREFOUR BANQUE,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Les instances ont été jointes.
Par jugement rendu le 9 avril 2021, considérant que le contrat a été souscrit par [K] [E] qui a bénéficié des fonds, que la banque a respecté son obligation de mise en garde mais pas celle de vérification de la solvabilité, que les clauses du contrat d’assurance ne sont pas abusives et que faute d’avoir révélé à l’assureur le cancer de [B] [E] existant lors de la conclusion du contrat ce dernier n’a pas été négocié de bonne foi, le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de TOULON a :
-constaté que la jonction des instances a déjà été ordonnée,
-déclaré irrecevables la note en délibéré et les pièces y étant jointes déposées au greffe de la juridiction le 8 avril 2021 par le conseil de [K] [E],
-déclaré recevable l’action en paiement de la SA CARREFOUR BANQUE,
-dit que [K] [E] a souscrit le contrat de prêt personnel du 30 mai 2017 et a bénéficié de la remise des fonds objets du contrat le 3 juin 2017,
-dit que la SA CARREFOUR BANQUE a méconnu son obligation de vérifier la solvabilité de [B] [E] et [K] [E],
-dit, en conséquence, que la SA CARREFOUR BANQUE sera déchue en totalité de son droit aux intérêts,
-condamné [K] [E] à payer à la SA CARREFOUR BANQUE la somme de 15 671,43€ au titre du contrat de prêt personnel en date du 30 mai 2017,
-dit que cette somme produira intérêts au taux légal non majoré à compter du 17 décembre 2018,
-condamné [K] [E] à payer à la SA CARREFOUR BANQUE et à la SA CARMA VIE la somme de 500€ chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné [K] [E] aux dépens,
-ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
-rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration au greffe en date du 3 mai 2021, [K] [E] a interjeté appel de cette décision.
Elle sollicite :
CONFIRMER le jugement du JCP de TOULON du 9 avril 2021 en ce qu’il prononce la déchéance du droit aux intérêts de la SA CARREFOUR BANQUE
INFIRMER le jugement en toutes ses autres dispositions, et statuant de nouveau :
DEBOUTER la SA CARREFOUR de son appel incident
DEBOUTER la SA CARMA VIE de son appel incident
A TITRE PRINCIPAL,
DIRE ET JUGER que Mme [K] [E] n’a aucun lien de droit avec la SA CARREFOUR BANQUE à défaut d’un contrat de prêt valable et prouvé
CONSTATER que la signature figurant sur le contrat produit par la SA CARREFOUR BANQUE, n’est pas celle de Mme [E]
EXCLURE toute solidarité légale et conventionnelle à l’encontre de Mme [E]
CONSTATER que les termes de l’assignation signifiée les 3 et 14 mai 2019 à CARMA et CARMA VIE, ont été infirmés par conclusions postérieures sur le fond notamment du 8 février 2021
DEBOUTER la SA CARREFOUR BANQUE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
LA CONDAMNER à payer à [K] [E] une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du CPC et à assumer les entiers dépens d’instance et d’appel
A TITRE SUBSIDIAIRE:
CONSTATER que la SA CARREFOUR BANQUE ne rapporte pas la preuve de la remise effective de fonds de 16.000 €
DEBOUTER la SA CARREFOUR BANQUE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
LA CONDAMNER à payer à [K] [E] une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du CPC et à assumer les entiers dépens d’instance et d’appel
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE
Vu l’article 414-1 du code civil
ANNULER le contrat souscrit par M. [E] seul le 30 mai 2017 alors qu’il n’était pas en possession de ses pleines capacités mentales
DEBOUTER la SA CARREFOUR BANQUE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
DEBOUTER la SA CARREFOUR BANQUE de sa demande de paiement de la somme de 17.866,28 € à défaut d’avoir démontré la remise des fond objet du prêt litigieux LA CONDAMNER à payer à [K] [E] une somme de 2.500 € au titre de
l’article 700 du CPC et à assumer les entiers dépens d’instance et d’appel
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE
Vus les articles L311-6, 11311-3 et 11312-10 du Code de la consommation
DECLARER inopposable à Mme [K] [E] la clause relative à la durée de la période de référence
DECLARER inopposable à Mme [K] [E] la clause relative à la limitation de la garantie à 50 % du crédit
CONDAMNER la Société CARMA VIE à relever et garantir Mme [K] [E] de toute condamnation prononcée à son encontre en exécution du contrat de prêt invoqué
LA CONDAMNER à payer à [K] [E] une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du CPC et à assumer les entiers dépens d’instance et d’appel
A TITRE EMINEMMENT SUBSIDIAIRE
Vu l’article 1217 du code civil
Vus les articles 1347 et 1347-1 du code civil
CONSTATER la méconnaissance par les Sociétés CARMA VIE et CARREFOUR BANQUE de leur devoir de conseil
CONDAMNER solidairement les Sociétés CARMA VIE et CARREFOUR BANQUE à payer à Mme [K] [E] une somme de 17.866,28 € avec intérêts au taux contractuel de 6,07% l’an à compter du 17 décembre 2018. outre 200€ au titre de l’article 700 du CPC outre dépens à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi
ORDONNER la compensation de cette somme avec toute condamnation prononcée à l’encontre de Mme [E]
CONDAMNER solidairement les Sociétés CARMA VIE et CARREFOUR BANQUE à payer à Mme [K] [E] une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du CPC
CONDAMNER solidairement les Sociétés CARMA VIE et CARREFOUR BANQUE aux dépens de l’instance
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE
Vu l’article 1343-5 du Code civil
ACCORDER à Mme [E] des délais de paiement durant 24 mois
LA DISPENSER de toute condamnation au titre de l’article 700 du CPC et dépens
A l’appui de son recours, elle fait valoir :
-que son époux ancien directeur d’agence bancaire qui a toujours parfaitement géré les comptes des époux a lors de sa fin de vie due à un cancer multiplié les crédits à la consommation sans la consulter et de manière inconsidérée par rapport aux réels besoins du ménage,
-qu’elle n’est pas signataire du contrat et sollicite la vérification d’écriture au sens de l’article 287 du code de procédure civile,
-que la solidarité légale entre époux ne peut jouer le remboursement de ce crédit excédant les besoins du ménage,
-que le document interne de la banque ne permet pas d’établir la remise des fonds,
-que si dans l’assignation en cause d le’assurance, elle reconnaît avoir contracté le prêt litigieux cela ne peut être considéré comme un aveu,
-qu’elle établit que quelques mois avant la souscription du crédit son époux était très affaibli par la maladie sous hautes doses d’opiacés et qu’il l’était d’autant plus 4 semaines avant son décès lors de la souscription de ce crédit, qu’il n’était donc pas en capacité de souscrire, ce qui justifie la nullité du contrat,
-que subsidiairement le jugement doit être confirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts, pour non vérification de la solvabilité des emprunteurs,
-que la banque aurait dû leur conseiller une assurance mieux adaptée à leur situation,
-que les clauses de l’assurance de délai de carence et de limitation de la prise en charge à 50% du crédit seront déclarées inopposables pour manque de clarté et caractère abusif,
-que subsidiairement l’assurance a méconnu son devoir de conseil, en acceptant de signer une assurance en inadéquation avec l’état de santé de son époux et ses propres capacités financières,
-qu’en effet une durée de carence de 6 mois s’agissant d’un prêt de 5 ans crée un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur particulièrement quand ses jours sont comptés comme cela était visible,
-que la clause limitant à 50% du prêt la couverture est non claire écrite en police inférieur à 8
La SA CARREFOUR BANQUE conclut :
Faisant droit à l’appel incident formé par la STE CARREFOUR BANQUE,
DIRE ET JUGER n’y avoir lieu à déchéance du droit aux intérêts.
EN CONSEQUENCE,
CONDAMNER Mme [K] [E] à payer à la SA CARREFOUR BANQUE la somme de 17.866,28 €.
CONFIRMER le jugement en toutes ses autres dispositions.
Y AJOUTANT,
CONDAMNER Mme [K] [E] à payer à la STE CARREFOUR BANQUE une indemnité en cause d’appel de 1.000 € au titre de l’article 700 du CPC.
DEBOUTER Mme [K] [E] de toutes ses demandes fins et conclusions.
LA CONDAMNER aux dépens.
Elle soutient:
-que les moyens invoqués sur l’existence et la validité du contrat doivent être anéantis par la reconnaissance expresse et judiciaire de la souscription du prêt qui résulte des termes de l’assignation de Mme [E] délivrée le 3 mai 2019 à la SA CARMA VIE,
-que le dossier médical produit ne fait état d’aucune affection mentale de l’époux de l’appelante lors de la souscription du prêt,
-qu’elle a parfaitement respecté son devoir de conseil envers les époux [E] quant à la souscription du contrat d’assurance, d’autant que M.[E] était de part sa profession un consommateur averti,
-qu’il n’est pas démontré que la clause stipulant la période de référence crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l’assuré, la garantie décès étant limitée et non exclue durant 6 mois soit 1/10ème de la durée de l’emprunt,
-que les droits à indemnisation étaient parfaitement et lisiblement indiqués,
-que le jugement l’a déchu du droit aux intérêts faute d’avoir demandé des pièces justificatives de la fiche dialogue, qu’en cause d’appel elle les fournit de sorte qu’elle ne doit pas être déchue de son droit aux intérêts.
La SA CARMA VIE conclut :
Confirmer le jugement du Juge des Contentieux de la Protection du Tribunal Judiciaire de TOULON du 09/04/21 en ce qu’il a :
– Condamné Madame [K] [E] à payer à la SA CARMA VIE la somme de 500 € au titre de l’article 700 du CPC
– Rejeté le surplus des demandes
Infirmer le jugement du Juge des Contentieux de la Protection du Tribunal Judiciaire de TOULON du 09/04/21 en ce qu’il a :
– DIT que la SA CARREFOUR BANQUE a méconnue son obligation de vérifier la solvabilité de [B] [E] et [K] [E]
– DIT, en conséquence, que la SA CARREFOUR BANQUE sera déchue en totalité de son droit aux intérêts
– CONDAMNE [K] [E] à payer à la SA CARREFOUR BANQUE la somme de 15 671,43 € au titre du contrat de prêt personnel en date du 30/05/17
Débouter Mme [E] de ses demandes.
Condamner Mme [E] à payer à la SA CARMA VIE la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC outre les entiers dépens de l’instance dont ceux d’appel distraits au profit de Me GARBAIL, Avocat, sur son affirmation de droit.
Elle fait valoir:
-qu’un délai de carence de 6 mois n’a pas pour effet, eu égard à la durée de 5 ans du prêt à la consommation, de créer un déséquilibre significatif au bénéfice de l’assureur,
-que cette clause est lisible et compréhensible,
-que [B] [E] est décédé 1 mois et 3 jours après la signature du contrat de sorte que quoi qu’il en soit la clause de limitation à 50% de l’indemnisation n’est pas applicable,
-qu’elle a respecté son obligation de conseil.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l’action en paiement
Conformément aux dispositions de l’article R312-35 du code de la consommation, le contrat litigieux étant un prêt personnel, le point de départ du délai biennal de forclusion est le jour du premier incident de paiement non régularisé, qui est, au regard de l’historique de compte produit l’échéance du 3 août 2017, de sorte que l’assignation en paiement ayant été délivrée le 28 décembre 2018, c’est à juste titre que le premier juge a retenu que l’action en paiement de la banque était recevable.
Sur la demande en paiement
Sur l’existence et la validité du contrat de prêt
Il résulte du contrat produit par la banque qu’il a été signé électroniquement par les époux [E] le 30 mai 2017. Cette dernière verse en outre le fichier de preuve attestant du consentement des signataires ayant apposé leur signature électronique sur les documents qui leur ont été soumis, la convention de preuve également signé et le certificat d’accréditation de la société OPEN TRUST.
Au regard des signatures apparaissant sur ces documents et des documents signés par elle et versés aux débats, et après comparaison, il apparaît que Mme [E] est bien signataire de ce contrat. Ceci est d’autant plus vrai que dans l’assignation délivrée les 3 et 14 mai 2019 aux SA CARMA et CARMA VIE, aux fins d’appel en cause, alors même qu’elle était assistée d’un avocat, Mme [E] a reconnu avoir contracté le prêt litigieux, souscrit une assurance emprunteur et tenté de la faire fonctionner suite au décès de son époux.
En outre, il résulte de l’historique de compte de la banque, qui, même s’il émane de cette dernière est notamment de nature à établir la date du premier incident de paiement non régularisé pour apprécier de sa forclusion, que les fonds ont été versés aux époux [E] le 3 juin 2017 et que la première échéance a été payée par ces derniers, sans que Mme [E] ne justifie d’une quelconque contestation de leur part, quant au paiement d’une échéance pour un capital non versé.
Par ailleurs, il résulte de l’article 414-1 du code civil que pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
En l’espèce, s’il est indéniable que M.[E], comme cela résulte des certificats médicaux versés aux débats, présentait, et ce, antérieurement à la signature du prêt, un état d’amaigrissement et d’affaiblissement physique, en revanche aucune affectation mentale n’est stipulée, malgré ses traitements lourds, de sorte qu’il ne saurait être fait droit à la demande en nullité du contrat de prêt à ce titre.
Sur la déchéance du droit aux intérêts
L’obligation de mise en garde consiste selon l’article L312-14 du code de la consommation pour l’établissement de crédit à fournir au candidat emprunteur des explications lui permettant d’apprécier de l’adéquation du contrat proposé avec ses besoins et sa situation financière. Elle résulte notamment de la remise à l’emprunteur de la fiche d’informations précontractuelles visée à l’article L312-12 du même code.
L’obligation pour la banque de vérifier la solvabilité du candidat emprunteur est fondée sur le régime protecteur du code de la consommation. Son respect par l’établissement de crédit résulte de la consultation du FICP, de l’établissement d’une fiche dialogue précisant les ressources et charges du candidat emprunteur et de documents établissant la situation financière de celui-ci.
Sa violation est sanctionnée par la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts en application des articles L312-14, L312-16 et L341-2 du code de la consommation.
Depuis la loi du 1er juillet 2010, les manquements aux obligations de mise en garde et de vérification de la solvabilité du candidat emprunteur, dont les contenus sont semblables, sont sanctionnés par la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts.
En l’espèce, la banque produit la fiche d’informations précontractuelles signée par les époux [E] le 30 mai 2017 et établit, ainsi, le respect de son obligation de mise en garde.
Par ailleurs, la banque, si elle verse aux débats la consultation du FICP pour Mme [E] le 31 mai 2017, soit dans le délai de 7 jours contractuellement et légalement imparti pour agréer l’emprunteur et avant la remise des fonds, ainsi que la fiche dialogue remplies par les emprunteurs, se contente de produire l’avis d’impôt 2016 des époux [E] sur l’année 2015, justificatif trop ancien au regard de la date d’octroi du prêt.
Ainsi, ne répondant pas à son obligation de vérification de la solvabilité des emprunteurs, c’est à juste titre que le premier juge a déchu en totalité la banque de son droit aux intérêts et sera confirmé sur le montant de la condamnation de Mme [E].
Sur la garantie de l’assurance
Sur l’opposabilité et le caractère abusif de la clause de durée de période de référence et de limitation de prise en charge
Il résulte de l’article L113-1 du code des assurance que les clauses d’exclusion sont nécessairement formelles et limitées. Elles ne doivent nécessité aucune interprétation et ne doivent pas vider la garantie de sa substance.
L’article L112-4 du même code exige qu’elles soient mentionnées en caractères apparents dans la police.
Dans les relations entre professionnel et consommateur sont abusives les clauses ayant clairement pour objet ou effet de créer au détriment du second un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Dans un contrat d’assurance, la période de référence répond à la volonté de l’assureur de se prémunir contre des déclarations d’adhérents fausses ou incomplètes, en reportant dans le temps la prise d’effet des garanties. Ce mécanisme destiné à préserver le caractère aléatoire du contrat d’assurance ne crée pas nécessairement de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l’assuré, si la garantie décès est limitée et non exclue, durant un temps, qui n’est pas excessif, au regard de la durée du contrat de prêt garanti.
En l’espèce, il résulte du contrat d’assurance une clause selon laquelle les droits acquis en fonction de la durée de la période de référence sont les suivants: 50% du capital restant dû assuré de 6 mois à moins de 12 mois. La clause précise que si la durée de la période de référence est inférieure à 6 mois aucune prestation n’est due, sauf si le sinistre résulte d’un accident pour les garanties décès, PIA et ITT.
Cette clause est mentionnée en caractères apparents et égaux à la police 8, elle est claire et sujette à aucune nécessité d’interprétation. Elle limite la garantie sans l’exclure totalement pendant un dixième de la durée du prêt (6 mois sur 5 ans) et ne crée, ainsi, aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l’assuré.
En conséquence, le premier juge est confirmé en ce qu’il a dit que cette clause n’est pas abusive et qu’elle est opposable à Mme [E].
Sur la méconnaissance par la banque et l’assureur de leur devoir de conseil
Le contrat d’assurance n’ayant pas été proposé par la SA CARMA VIE mais par la SA CARREFOUR BANQUE en sa qualité de mandataire et intermédiaire en assurance, l’obligation d’information et de conseil repose sur cette dernière en sa qualité de professionnel.
Retenant que la SA CARREFOUR BANQUE justifie :
-d’un document signé des époux [E] le 30 mai 2017 intitulé ‘Préconisations en réponse à vos besoins en assurance emprunteur’ dans lequel ces derniers ont exprimé le choix d’être garantis tous deux au titre du décès et de la perte totale et irréversible d’autonomie pour une quotité de 50% chacun et aux termes duquel ils reconnaissent avoir pris connaissance du conseil relatif au contrat d’assurance emprunteur et avoir eu communication de toutes les informations concernant les garanties et quotité leur permettant de prendre leur décision indiquée dans la rubrique ‘votre choix’en toute connaissance de cause,
-qu’aux termes du contrat de crédit produit et signé par les époux [E] ils ‘déclarent avoir reçu les informations précontractuelles ainsi que les explications nécessaires à la bonne compréhension du contenu de l’assurance emprunteur proposée par Carrefour Banque et reconnaissent être en possession de la notice d’information relative à l’assurance A 101/100 annexée à la présente offre et en avoir pris connaissance préalablement à la souscription’,
-de la notice d’information concernant l’assurance,
C’est à bon droit que le premier juge a retenu que la banque avait respecté son obligation d’information et de conseil et rejeté la demande indemnitaire de Mme [E], d’autant que cette dernière n’établit pas que la situation médicale de son époux, atteint d’un cancer au moment de la conclusion des contrats, ait été portée à la connaissance de l’assurance ou de la banque, quant bien même ces dernières se seraient montrées négligentes, sans préjudice pour l’assuré, en ne sollicitant pas un formulaire de déclaration de risque conformément aux dispositions de l’article L113-2 2° du code des assurances.
Sur la demande de délais de paiement
Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
En l’espèce, Mme [E] perçoit 2281,70€ de retraite et règle 1327€ de charges mensuelles incompressibles, ce qui lui laisse un reste à vivre de 954€ par mois.
Elle n’a pas de perspectives d’évolution favorable de sa situation dans les années à venir et ne saurait assumer sur 24 mois une mensualité de plus de 650€.
Aussi, il ne sera pas fait droit à sa demande de délais de paiement.
Sur les autres demandes
Mme [E] est condamnée à payer à chacune des intimées la somme de 750€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre aux dépens d’appel, avec distraction au profit de Me GARBAIL pour sa part.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 avril 2021 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Toulon,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE Mme [E] à régler à la SA CARREFOUR BANQUE et à la SA CARMA VIE la somme de 750€ chacune sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure Civile,
CONDAMNE Mme [E] aux entiers dépens de l’appel recouvrés au profit de Me GARBAIL avocat, pour sa part.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT