Nullité de contrat : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01842

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Nullité de contrat : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01842

2ème Chambre

ARRÊT N° 179

N° RG 20/01842 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QSBK

(1)

S.C.I. WAPI

C/

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE- ET-VILAINE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me Cyrille MONCOQ

-Me Bruno CRESSARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 Janvier 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Mars 2023, après prorogation, par mise à disposition au greffe

****

APPELANTE :

S.C.I. WAPI

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Cyrille MONCOQ de la SELARL ALPHA LEGIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE- ET-VILAINE

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Bruno CRESSARD de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

2

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant acte sous-seing-privé en date du 10 octobre 2002 réitéré suivant acte authentique en date des 8 et 19 novembre 2002, la société Farim a souscrit auprès de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille-et-Vilaine un prêt immobilier n° 070000917409 d’un montant de 200 000 euros au taux de 4,75 % l’an remboursable en 144 mensualités.

 

Suivant acte sous-seing-privé en date du 2 juin 2005 réitéré suivant acte authentique en date du 11 juin 2005, la société Farim a souscrit auprès de la banque un prêt immobilier n° 70002680899 d’un montant de 165 000 euros au taux de 3,8 % l’an remboursable en 144 mensualités.

 

Suivant acte sous-seing-privé en date du 30 septembre 2010, la société Wapi a bénéficié dans le cadre d’une fusion absorption de l’apport des actifs de la société Farim et a pris en charge le passif.

 

Suivant acte d’huissier en date du 13 octobre 2016, la banque a assigné la société Wapi en paiement devant le tribunal de grande instance de Rennes.

 

Suivant jugement en date du 18 février 2020, le tribunal de grande instance de Rennes devenu tribunal judiciaire de Rennes a :

 

Déclaré irrecevable comme prescrite la société Wapi en ses demandes relatives à la nullité des prêts.

Condamné la société Wapi à payer à la banque la somme de 51 522,27 euros au titre du prêt n° 070000917409 et la somme de 91 502,18 euros au titre du prêt n° 70002680899 outre les intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2016.

Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 13 octobre 2016.

Rejeté les demandes reconventionnelles de la société Wapi.

Condamné la société Wapi aux dépens.

Condamné la société Wapi à payer à la banque la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejeté toute autre demande.

Ordonné l’exécution provisoire de la décision.

 

Suivant déclaration en date du 16 mars 2020, la société Wapi a interjeté appel.

En ses dernières conclusions en date du 15 juin 2020, la société Wapi demande à la cour de :

 

Vu les articles 1842 alinéa 1 et 1326 du code civil,

Vu les articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation dans leur version en vigueur lors de la souscription des prêts,

Vu l’article 1147 ancien du code civil,

 

Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Principalement,

Constater que la société Farim ne disposait pas de la personnalité juridique et donc de la capacité le 10 octobre 2002.

Dire nul le contrat de prêt n° 070000917409.

Débouter la banque de ses demandes, fins et conclusions.

Dire nul le privilège de prêteur de deniers garantissant le prêt et en ordonner la mainlevée et la radiation.

À titre subsidiaire,

Ordonner les restitutions réciproques afin de remettre les parties en l’état antérieur.

Constater qu’à l’issue de ces restitutions elle est créancière de la somme de 9 640,89 euros.

Condamner la banque à lui payer cette somme.

Constater le défaut de signature des dirigeants, le défaut d’apposition du cachet et le défaut de mention du montant du prêt en chiffres et en lettres dans l’acte de prêt n° 70002680899.

En conséquence,

Dire nul le contrat de prêt n° 70002680899.

Débouter la banque de ses demandes, fins et conclusions.

Dire nul le privilège de prêteur de deniers et l’hypothèque conventionnelle le garantissant.

Ordonner la mainlevée et la radiation du privilège de prêteur de deniers et de l’hypothèque conventionnelle.

Ordonner les restitutions réciproques afin de remettre les parties en l’état antérieur.

Constater qu’à l’issue de ces restitutions la banque est créancière de la somme de 61 161,38 euros.

Enjoindre à la banque de produire un décompte actualisé des sommes dues.

Subsidiairement,

Dire que le taux effectif global mentionné dans le contrat de prêt n° 070000917409 est erroné.

En conséquence, substituer le taux d’intérêt légal au taux d’intérêt conventionnel.

Enjoindre la banque de fournir un tableau d’amortissement expurgé des intérêts conventionnels.

Ordonner la restitution des sommes lui revenant après imputation des sommes qu’elle pourrait rester à devoir.

À titre infiniment subsidiaire,

Constater que la banque ne précise pas le taux d’intérêt de retard contractuel appliqué sur son décompte au titre de chaque prêt.

Dire la banque mal fondée et la débouter à ce titre.

En tout état de cause,

Condamner la banque à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts couvrant l’intégralité de la perte de chance de ne pas contracter.

Condamner la banque à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Condamner la banque aux dépens.

 

En ses dernières conclusions en date du 10 septembre 2020, la banque demande à la cour de :

 

Vu les articles 1103 et 2224 du code civil,

Vu la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

 

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Débouter la société Wapi de ses demandes, fins et conclusions.

La condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

 

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions des parties.

 

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

 

La société Wapi fait valoir que la société Farim a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes le 15 octobre 2002, son activité devant débuter le 1er novembre 2002. Elle en déduit qu’elle ne disposait pas de la capacité juridique le 10 octobre 2002 et que le contrat de prêt n° 070000917409 est nul. Elle soutient qu’aucune reprise ni ratification n’était possible.

 

La banque fait valoir que l’acte authentique relatif au prêt n° 070000917409 a été signé les 8 et 19 novembre 2002, soit après l’immatriculation de la société Farim. Elle soutient que le délai de prescription de l’action en nullité du contrat de prêt a commencé à courir soit du jour où la société Wapi a pu constater la nullité éventuelle affectant l’acte authentique, soit à compter de la signature de celui-ci. Elle en déduit que la prescription était acquise à compter du 19 juin 2013.

 

Il ressort du contrat de prêt que celui-ci n’a pas été conclu au nom de la société Farim en formation mais par la société Farim elle-même alors qu’elle n’a acquis la personnalité juridique que par son immatriculation au registre du commerce et des sociétés le 15 octobre 2002. La société Farim était dépourvue de personnalité morale lui permettant de contracter en son nom le 10 octobre 2002 de sorte qu’en l’absence d’acte l’engageant originellement, aucune prescription ne peut être opposée à la société Wapi. Cependant, en réitérant leurs engagements dans un acte authentique en date des 8 et 19 novembre 2002, la société Farim et la banque ont couvert la nullité absolue affectant le contrat initial tenant aux dispositions de l’article 1842 du code civil.

 

La société Wapi fait valoir, s’agissant du prêt n° 70002680899, que l’acte de prêt a été signé par Monsieur [Z] [E] qui n’a pas indiqué intervenir en qualité de gérant et qui n’a pas justifié d’une procuration pour engager les autres associés. Elle ajoute que le cachet de la société n’a pas été apposé comme stipulé dans l’acte de prêt et que la mention « Lu et approuvé bon pour la somme de 165 000 euros en chiffres et en lettres en principal plus frais, intérêts et accessoires » n’a pas été apposée de manière manuscrite. Elle soutient que l’acte de prêt est nul.

 

La banque fait valoir la prescription et le commencement d’exécution. Si la prescription ne peut être opposée à la société Wapi s’agissant d’un moyen de défense au fond, il faut constater que la société Farim a réitéré ses engagements dans un acte authentique en date 11 juin 2005 et procédé régulièrement au remboursement selon les modalités prévues au contrat de prêt de sorte qu’il doit être considéré qu’elle a renoncé en toute connaissance de cause, étant alors assistée d’un professionnel du droit lors de la conclusion du contrat, à se prévaloir des nullités éventuelles affectant l’acte l’engageant originellement.

 

Subsidiairement, la société Wapi fait valoir que le taux effectif global mentionné dans le contrat de prêt n° 070000917409 est erroné. Elle relève que la banque a pris en compte dans le calcul du taux effectif global des frais d’hypothèque alors que le crédit n’était pas garanti par une telle sûreté. Elle demande la substitution du taux d’intérêt légal au taux d’intérêt conventionnel.

 

La banque demande la confirmation du jugement entrepris qui a déclaré l’action en nullité du taux effectif global prescrite et fait valoir par ailleurs qu’une hypothèque a bien été inscrite en garantie du remboursement du prêt. Elle produit le bordereau d’inscription d’hypothèque conventionnelle correspondant.

 

Si la prescription ne peut être opposée à la société Wapi s’agissant d’un moyen de défense au fond, il faut constater que la banque justifie avoir inscrit une hypothèque concernant le contrat de prêt n° 070000917409 de sorte que le moyen tiré du fait que la banque a pris en compte à tort des frais d’hypothèque dans le calcul du taux effectif global est inopérant.

 

Les demandes de la société Wapi relatives à la nullité des prêts ou de la stipulation d’intérêt doivent être rejetées.

 

La société Wapi conclut à la déchéance de la banque du droit aux intérêts de retard au taux conventionnel. Elle lui reproche de ne pas justifier du taux contractuel appliqué et sollicite la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt de retard.

 

Il sera rappelé que le premier juge a jugé que seul l’intérêt au taux légal devait être appliqué sur les sommes non contestées correspondant au montant du capital échu augmenté du montant du capital à échoir. La banque, outre le fait qu’elle produit aux débats les décomptes de ses créances, sollicite la confirmation du jugement entrepris de sorte que les contestations de la société Wapi concernant l’intérêt de retard sont sans objet. Et c’est à bon droit le premier juge a jugé que la capitalisation des intérêts serait fixée à la date de l’assignation en l’absence d’autre demande de la banque, les intérêts au taux légal courant de droit à compter de la mise en demeure de payer.

 

La société Wapi fait valoir enfin que la société Farim était un emprunteur non averti et que la banque a manqué à son devoir de vigilance, de conseil et de mise en garde en lui octroyant des prêts qui devaient créer un endettement supérieur à ce qu’elle pouvait supporter.

 

La banque fait valoir que les associés de la société Farim avaient une connaissance particulière du monde des affaires et de la gestion des biens immobiliers. Elle précise qu’elle avait vérifié la capacité financière de l’emprunteur et qu’il n’existait pas de risque d’endettement justifiant une mise en garde. Elle note que les prêts ont été régulièrement remboursés jusqu’en 2012.

 

Il doit être relevé que lors de la souscription des prêts, la société Farim était représentée par Monsieur [Z] [E] qui exerce la profession de directeur administratif et financier. Il avait la compétence nécessaire pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours consentis. Les autres associés, M. [D] [E] et Mme [F] [E] assuraient la gestion de sociétés spécialisées dans la gestion immobilière depuis plusieurs années. Le premier juge doit être approuvé en ce qu’il a jugé que la banque n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde et rejeté les demandes à ce titre.

 

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré prescrites les demandes en nullité des prêts ou de la stipulation d’intérêt de la société Wapi, les demandes étant rejetées au fond, et confirmé en ses autres dispositions.

 

La société Wapi sera condamnée à payer à la banque la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Elle sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS :

 

 

La cour,

 

Infirme le jugement rendu le 18 février 2020 par le tribunal judiciaire de Rennes en ce qu’il a déclaré prescrites les demandes en nullité des prêts ou de la stipulation d’intérêt de la société Wapi.

 

Statuant à nouveau,

 

Rejette les demandes de la société Wapi.

 

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions.

 

Y ajoutant,

 

Condamne la société Wapi à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille-et-Vilaine la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

La condamne aux dépens de la procédure d’appel.

 

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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