Nullité de contrat : 31 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00278

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Nullité de contrat : 31 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00278

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 466/23

N° RG 21/00278 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TPHX

VCL/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille

en date du

27 Janvier 2021

(RG 19/00469 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [E] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Noémie BIRNBAUM, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. API RESTAURATION

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-françois CORMONT, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Pauline THERET, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 02 Février 2023

Tenue par Virginie CLAVERT

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Cindy LEPERRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 Janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :

La société AVENANCE a engagé Mme [E] [J] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 janvier 2001 en qualité de chef gérante.

Ce contrat de travail était soumis à la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités en date du 20 juin 1983.

Le contrat de travail de Mme [E] [J] a été repris par la société API RESTAURATION, ce conformément aux dispositions conventionnelles et à compter du 30 août 2010, en qualité de chef gérante niveau 4B, statut agent de maitrise.

La salariée a été placée en arrêt de travail et s’est vue reconnaître des maladies professionnelles par la CPAM :

– le 14 avril 2010, un syndrome du canal carpien gauche (tableau n°57)

– le 9 août 2012, un syndrome du canal carpien droit et une ténosynovite droite (tableau n°57).

Le 21 mai 2012, la médecine du travail a rendu un avis d’aptitude prévoyant des modifications et adaptations du poste de travail et notamment le fait de ne pas soulever de charges supérieures à 10 kg.

Madame [E] [J] a fait l’objet de rechutes et a été en arrêt maladie à plusieurs reprises à compter de 2012.

Le 4 février 2014, la salariée a fait l’objet d’un avis d’aptitude lequel mentionnait la nécessité d’aménagements liés au fait d’éviter le port de charges lourdes et d’éviterles tâches de travail avec gestes répétitifs pour diminuer les troubles musculo-squelettiques.

Le 22 mars 2018, la médecine du travail a rendu un avis d’aptitude avec « contre indication de port de charges totale doit travailler sur les entrées et les desserts et la gestion . Étude de poste à faire . À revoir dans 3 mois ».

Le 17 janvier 2019, Mme [E] [J] s’est vue reconnaître par la CPAM une nouvelle maladie professionnelle au titre de la rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

Sollicitant le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, se prévalant d’une situation de harcèlement moral et réclamant divers rappels de salaire et indemnités, Mme [E] [J] a saisi le 20 mai 2019 le conseil de prud’hommes de Lille qui, par jugement du 27 janvier 2021, a rendu la décision suivante :

-DIT que la Société API RESTAURATION n’a pas commis de manquements graves,

-DEBOUTE Madame [E] [J] de l’ensemble de ses demandes,

-CONDAMNE Madame [E] [J] à payer à la Société API RESTAURATION la somme suivante :

– 100 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile

-LIMITE l’exécution provisoire à ce que de droit,

-CONDAMNE Madame [E] [J] aux dépens de l’instance.

Mme [E] [J] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 4 mars 2021.

Le 14 février 2022, l’intéressée a été déclarée inapte à son poste de travail avec mention que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par lettre du 2 mars 2022, la salariée s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2022 au terme desquelles Mme [E] [J] demande à la cour de :

A titre principal,

– INFIRMER le jugement rendu par le Conseil des Prud’hommes de Lille le 27 janvier 2020

Statuant à nouveau :

– RECEVOIR Mme [J] en ses demandes et les déclarer bien fondées ;

– CONSTATER l’absence de prise en compte par la Société API RESTAURATION des préconisations de la médecine du travail ;

– CONSTATER la dégradation de son état de santé qui en découle ;

– CONSTATER le harcèlement moral dont elle a fait l’objet ;

– CONSTATER le manquement à l’obligation de sécurité de la Société API RESTAURATION ;

– DIRE ET JUGER que la demande de résiliation judiciaire ayant pour origine le harcèlement moral de l’employeur entraîne la nullité du contrat ;

– FIXER la moyenne des salaires à la somme de 3121,52 euros ;

En conséquence, CONDAMNER la Société API RESTAURATION à verser à Madame [J] les sommes suivantes :

– Dommages et intérêts pour nullité du contrat de travail : 75.660,48 euros

– Dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : 6234,04 euros ;

– Capitalisation des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil pour les sommes ayant la nature de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les sommes de nature indemnitaire

– Remise des documents de fin contrat conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la première mise en demeure suivant la notification de la décision à intervenir

– Article 700 du Code de procédure civile et dépens de l’instance : 5.000,00 euros

Au soutien de ses prétentions, Mme [E] [J] expose que :

– Elle a subi des agissements de harcèlement moral caractérisés par le fait de ne pas tenir compte des maladies professionnelles reconnues par la CPAM ce jusqu’à la reconnaissance de son statut de travailleur handicapé, de ne prendre aucune mesure d’aménagement de son poste de travail alors qu’elle ne devait plus porter de charges supérieures à 10 kg et que ses fonctions de production de repas et de service supposaient le port régulier de charges lourdes et ne s’analysaient pas en un poste purement administratif.

-La société API RESTAURATION n’a, en outre, jamais respecté les préconisations de la médecine du travail contribuant, ainsi, à plusieurs rechutes des maladies professionnelles et à la dégradation de son état de santé conduisant à son inaptitude.

– La résiliation judiciaire du contrat de travail doit, par suite, être prononcée, compte tenu des manquements graves de l’employeur caractérisant un harcèlement moral.

– La société API RESTAURATION a également manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure d’adaptation de son poste de travail.

– Ayant été licenciée postérieurement à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, le licenciement est nul et ouvre droit à des dommages et intérêts tant en ce qui concerne le licenciement nul que le manquement à l’obligation de sécurité.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 mai 2022, dans lesquelles la SA API RESTAURATION, intimée, demande à la cour de :

-Dire l’appel de Mme [J] recevable mais non fondé.

-Confirmer le jugement en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

-Condamner reconventionnellement Mme [J] au paiement d’une somme de 1 200€ sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

A l’appui de ses prétentions, la société API RESTAURATION soutient que :

– La maladie professionnelle reconnue en avril 2010 a été contractée par Mme [J] auprès de son précédent employeur, aucun lien de droit n’existant entre les deux employeurs successifs, cette maladie professionnelle lui est inopposable, ce d’autant qu’elle n’en avait nullement connaissance. Elle n’avait pas non plus connaissance de l’avis du médecin du travail.

– Surtout, les faits reprochés sont très anciens, remontent à 2010 et ne peuvent justifier d’une résiliation judiciaire sollicitée en 2019.

– Par ailleurs, toutes les prescriptions médicales ont été suivies, Mme [J] ayant toujours été déclarée apte par le médecin du travail qui n’a jamais alerté l’employeur sur l’état de santé de la salariée ni sur l’absence d’aménagement de son poste de travail. Elle n’a pas non plus fait l’objet d’un suivi renforcé

. En outre, les fonctions occupées par Mme [J] étaient essentiellement administratives et organisationnelles et ne nécessitaient pas le port de charges lourdes, participant ponctuellement à la production culinaire sur des périodes très courtes.

– Les témoignages produits par Mme [J] émanent de personnes ne faisant pas partie de son équipe habituelle ou encore d’une ancienne salariée licenciée pour cause réelle et sérieuse, également en contentieux prud’homal avec l’employeur.

– Les faits de harcèlement moral ne sont pas établis et Mme [J] ne justifie d’aucun préjudice.

– Concernant l’obligation de sécurité, aucune faute ne se trouve démontrée, l’employeur n’ayant jamais été alerté par le médecin du travail ou la salariée concernant un non-respect d’un aménagement de poste. Les restrictions ont, en outre, été respectées.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 19 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [E] [J] verse aux débats de nombreuses pièces et en particulier des éléments médicaux desquels il résulte que :

– Elle s’est vue reconnaître le caractère professionnel d’un syndrome du canal carpien gauche le 14 avril 2010 puis une ténosynovite droite le 9 août 2012.

– L’avis d’aptitude du 21 mai 2012 prévoyait des restrictions et notamment celle de ne pas soulever de charges supérieures à 10 kg.

– Une rechute de la ténosynovite (tendinite de Quervain) est intervenue le 28 septembre 2013 et a été reconnue comme telle.

– Elle s’est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé à compter du 1er janvier 2014.

– L’ avis d’aptitude du 4 février 2014 mentionnait la nécessité d’aménagements liés au fait d’éviter le port de charges lourdes et d’éviter les tâches de travail avec gestes répétitifs pour diminuer les troubles musculo-squelettiques.

– Elle a fait l’objet d’une seconde rechute de la ténosynovite le 22 juillet 2015 puis d’une troisième rechute le 28 décembre 2018.

– Dans le cadre du bilan fonctionnel réalisé le 6 avril 2018 concernant ses capacités restantes et mobilisables, il était mentionné l’absence de port de charges supérieures à 5 kg et pas plus de 5 minutes, outre le recours « le moins possible »au travail en flexion du tronc, au travail à contorsions et attitudes variées ainsi qu’au travail accroupi.

– L’ avis du 22 mars 2018 présentait une « contre indication de port de charges totale doit travailler sur les entrées et les desserts et la gestion . Étude de poste à faire . À revoir dans 3 mois ».

– Elle s’est vue reconnaître une nouvelle maladie professionnelle le 17 janvier 2019 dans le cadre d’une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

– Elle a fait l’objet d’un avis d’inaptitude le 14 février 2022 selon lequel « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Mme [E] [J] communique, par ailleurs, une fiche de poste de chef gérante selon laquelle le salarié employé à cette fonction participe à la production culinaire avec l’aide de son équipe, outre un exemple de fiche de poste d’une salariée employée chez API RESTAURATION au poste de chef gérante faisant état de l’organisation du travail de production et de la participation effective au travail en cuisine.

Plusieurs attestations d’anciens collègues de travail ou de clients des restaurants ou cantines au sein desquels elle travaillait, témoignent de ce que la salariée préparait les repas pour le service du midi, s’occupait de la cafétéria (Mme [W] [F], Mme [G] [A]) et réalisait parfois des banquets lors d’évènements festifs. Certains témoignent, par ailleurs, de l’absence totale de travail administratif, l’intéressée étant exclusivement en charge de la production et du service (Mme [N] [X]) et étant « cuisinière avant d’être gérante » ([P] [M]).

Au-delà de ces témoignages de personnes n’ayant pas travaillé en permanence avec Mme [E] [J], il résulte de l’attestation de son chef de secteur, M. [V] [U], que les missions de l’intéressée consistaient à encadrer une équipe de 6 personnes, être « cuisinante » le matin de 7h à 11h30 avec la production du jour pour 500 convives, puis effectuer le service du midi de 12h à 14h30, mais également « gérer la matière première sortie par Mme [J] tous les matins auprès de son équipe et elle même pour les déjeuners (‘) effectuer des remplacements de personnel pendant les vacances scolaires en Ile de France avec la préparation des petits déjeuners, déjeuners et diners».

Ces éléments sont confortés par l’attestation de Mme [H] [L], laquelle a travaillé pendant plusieurs années avec Mme [E] [J], peu important que celle-ci ait été en conflit avec son employeur suite à la rupture de son contrat de travail, son témoignage corroborant l’ensemble des autres attestations produites.

En outre, au-delà des avis d’aptitude avec aménagements adressés à l’employeur et notamment à la société API RESTAURATION à compter de mai 2012, Mme [E] [J] produit un courrier électronique adressé le 12 avril 2018 par un membre du CHSCT (Mme [Z]) lequel relate avoir informé verbalement la direction de la dégradation de l’état de santé de Mme [J] et avoir sollicité une mutation de celle-ci. Elle précise, par ailleurs, que « L’état de santé de Mme [J] est connu de la direction depuis 2012. De fait, Mme [J] aurait dû bénéficier d’un aménagement de poste, voire d’une mutation sur un poste plus adapté ».

Enfin, il est communiqué des échanges de SMS entre Mme [J] et l’un de ses supérieurs hiérarchiques notamment en décembre 2018 et janvier 2019 au terme desquels la salariée indique que son état de santé se détériore de jour en jour, se plaint de ce que son employeur ne tient pas compte de son handicap, de l’absence de réponse apportée depuis très longtemps, et enfin, du fait qu’elle ne doit « plus rien porter du tout. Mme [T] est au courant depuis presque un an par la médecine du travail qui l’avait appelée à ce sujet ».

Il résulte, par suite, de ces éléments pris dans leur ensemble, que Mme [E] [J] rapporte la preuve de faits matériellement établis qui permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

De son côté, la société API RESTAURATION à qui il incombe de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, se prévaut, tout d’abord, de ce que le poste de travail de Mme [J] était essentiellement administratif et organisationnel et ne nécessitait pas le port de charges lourdes, sauf à participer ponctuellement à la production culinaire sur des périodes très courtes.

Néanmoins, le caractère principalement administratif des fonctions exercées par la salariée se trouve remis en cause, non seulement par les attestations produites, mais également par l’article 9 de la convention collective applicable produit par l’employeur lui même qui définit les missions du chef gérant comme liées à la maitrise de la gestion et l’organisation du service et donne comme exemple de missions l’organisation et la coordination du travail de production et de distribution et la participation à la production culinaire.

Il ne peut, en outre, être soutenu que le fait pour la salariée de préparer avec l’aide de son équipe des repas pour un nombre très important de personnes pouvant aller jusqu’à 500 personnes, n’impliquait le port d’aucune charge lourde ni la réalisation d’aucun geste répétitif, ceux ci étant inhérents à la fonction de chef cuisinier gérant. Cet élément se trouve, par ailleurs, conforté par la liste des membres de son équipe habituelle à l’OGEC [5] qui était composée d’un unique commis de cuisine, de deux employés de restauration pour le service en salle et de deux plongeurs.

La société API RESTAURATION ne démontre, dès lors, pas que les fonctions de Mme [E] [J] étaient essentiellement administrative et n’impliquait ni port de charges lourdes ni gestes répétitifs.

L’employeur se prévaut également de ce que la maladie professionnelle reconnue en avril 2010 a été contractée par Mme [J] auprès de son précédent employeur, aucun lien de droit n’existant entre les deux employeurs successifs, cette maladie professionnelle lui étant inopposable, ce d’autant qu’elle n’en avait nullement connaissance.

Néanmoins, à cet égard, si les dispositions spécifiques relatives à la législation professionnelle ne sont pas applicables aux rapports entre un employeur et son salarié victime d’une maladie professionnelle contractée au service d’un autre employeur, conformément aux dispositions de l’article L1226-6 du code du travail, le nouvel employeur est, néanmoins, tenu de mettre en oeuvre les aménagements de poste préconisés par la médecine du travail.

Par ailleurs, le salarié peut prétendre au bénéfice de la protection légale lorsqu’il existe un lien de causalité entre la rechute de la maladie professionnelle initiale contractée auprès du précédent employeur et les conditions de travail du salarié au service du nouvel employeur.

La société API RESTAURATION ne peut, dès lors, soutenir avoir ignoré les préconisations du médecin du travail, ce d’autant que plusieurs aménagements ont été retenus comme nécessaires par la médecine du travail tout au long de la relation contractuelle, y compris pour deux nouvelles maladies professionnelles contractées après la reprise par API RESTAURATION du contrat de travail de Mme [E] [J].

Or, la société intimée qui prétend pourtant avoir respecté toutes les prescriptions médicales, ne démontre pas avoir pris de quelconques mesures d’aménagement du poste de travail de la salariée, ce afin de respecter les préconisations de la médecine du travail et alors même qu’elle était destinataire des avis d’aptitude avec aménagements, du bilan fonctionnel sur les capacités restantes et des avis de reconnaissance du caractère professionnel des maladies et rechutes subies par Mme [J] mais également d’une alerte d’un membre du CHSCT et de la salariée elle-même.

La société API RESTAURATION ne justifie, dès lors, pas que l’absence de quelconques mesures d’aménagement du poste de travail de la salariée qui s’est vue reconnaître trois maladies professionnelles et plusieurs rechutes tout au long de la relation contractuelle conduisant à un avis d’inaptitude et caractérisant un manquement à l’obligation de sécurité n’était pas constitutive de harcèlement et se justifiait par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, au regard des éléments produits pris dans leur ensemble, l’employeur ne prouve pas que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs de harcèlement. Il ne démontre pas non plus que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral subi par Mme [E] [J] est donc établi.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur l’obligation de sécurité :

Aux termes de l’article L1152-4 du code du travail, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Il résulte, en outre, de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Respecte, ainsi, l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l’espèce, il résulte des développements sus-évoqués et des pièces produites que la société API RESTAURATION n’a pris aucune mesure d’aménagement afin de respecter les préconisations du médecin du travail concernant le poste occupé par Mme [E] [J], ce pendant une durée de 12 ans, malgré la reconnaissance de plusieurs maladies professionnelles et rechutes, et surtout 3 avis d’aptitude avec aménagements nécessaires rendus par la médecine du travail les 21 mai 2012, 4 février 2014 et 22 mars 2018, le défaut d’aménagements ayant conduit à un dernier avis d’inaptitude faisant obstacle à tout reclassement le 14 février 2022.

La société API RESTAURATION ne justifie, en outre, d’aucune suite donnée aux alertes de la salariée et d’un membre du CHSCT.

Par ailleurs et bien qu’étant informée de la saisine par Mme [E] [J] de la juridiction prud’homale le 20 mai 2019 aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail pour manquement à l’obligation de sécurité et harcèlement moral, la société API RESTAURATION n’a toujours pas respecté son obligation de sécurité vis à vis de l’appelante, maintenant sa position d’inertie, nonobstant la dégradation grave de l’état de santé de sa salariée.

La société API RESTAURATION a, par suite, gravement manqué à son obligation de sécurité, ce qui a causé à Mme [J] un préjudice très important caractérisé par la reconnaissance de son handicap et la difficulté dans laquelle elle se trouve pour retrouver un emploi.

L’employeur est, par conséquent, condamné à payer à Mme [E] [J] 6000 euros au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

Le jugement est infirmé.

Sur la résiliation judiciaire :

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

En l’espèce, il résulte des développements repris ci-dessus que la société API RESTAURATION a commis des agissements de harcèlement moral à l’encontre de Mme [E] [J] en ne respectant pas les préconisations d’aménagement du médecin du travail pendant de nombreuses années, en manquant à son obligation de sécurité vis à vis de l’intéressée, ce qui a conduit à une dégradation très importante de l’état de santé de cette dernière, à la reconnaissance de plusieurs maladies professionnelles et rechutes puis à son inaptitude.

Ces faits ne sont pas anciens et ont perduré depuis la reprise du contrat de travail de Mme [J] à compter du 30 août 2010 jusqu’à la fin de la relation contractuelle, les différents avis d’aptitude avec réserve ne donnant jamais lieu à une quelconque mesure d’aménagement, malgré la succession de maladies professionnelles et de rechutes, la dernière reconnaissance de maladie professionnelle datant du 17 janvier 2019 et ayant conduit la salariée, faute d’aménagements malgré ses relances, à saisir la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, l’employeur a gravement manqué à ses obligations à l’égard de Mme [E] [J] ce qui a empêché la poursuite de son contrat de travail et justifie le prononcé de la résiliation judiciaire dudit contrat aux torts de l’employeur.

La date d’effet de cette résiliation judiciaire doit, en outre, être fixée au jour du licenciement prononcé le 2 mars 2022.

La résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [E] [J] produit les effets d’un licenciement nul (et non d’un contrat nul), compte tenu des faits de harcèlement moral retenus.

La décision entreprise est infirmée.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul :

Concernant les dommages et intérêts pour licenciement nul, en application de l’article L1235-3-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce, si un licenciement intervient pour une des causes de nullité prévues au deuxième alinéa et notamment en cas de harcèlement moral subi par le salarié et si celui-ci ne sollicite pas la poursuite de l’exécution du contrat de travail ou si sa réintégration dans l’entreprise est impossible, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Ainsi, compte tenu de l’effectif de l’entreprise, de l’ancienneté de Mme [J] (à compter du 8 janvier 2001), de son âge (pour être née le 20 juillet 1963) ainsi que du montant de son salaire brut mensuel (2931,14 euros), des périodes de chômage subséquentes justifiées ainsi que de l’absence de reprise d’une activité professionnelle, de la perception de l’AAH et de sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul est fixé à 50 000 euros.

Le jugement entrepris est infirmé.

Sur l’application de l’article L1235-4 du code du travail :

La résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [J] produisant les effets d’un licenciement nul, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail.

En conséquence, la cour ordonne le remboursement par la société API RESTAURATION aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [E] [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur la remise des documents de fin de contrat :

Il convient d’ordonner à la société API RESTAURATION de délivrer à Mme [E] [J] les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

Sur les intérêts et la capitalisation:

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître à l’audience de conciliation.

Les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les autres demandes:

Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles exposés en première instance sont infirmées.

Succombant à l’instance, la société API RESTAURATION est condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [E] [J] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lille le 27 janvier 2021 dans l’ensemble de ses dispositions ;

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

DIT que Mme [E] [J] a subi des faits de harcèlement moral ;

DIT que la société API RESTAURATION a manqué à son obligation de sécurité ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre Mme [E] [J] et la société API RESTAURATION aux torts exclusifs de l’employeur, ce à compter du 2 mars 2022 ;

DIT que cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul ;

CONDAMNE la société API RESTAURATION à payer à Mme [E] [J] :

– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

– 6000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître à l’audience de conciliation;

DIT que les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

ORDONNE à la société API RESTAURATION de remettre à Mme [E] [J] les documents de fin de contrat devant être établis conformément au dispositif du présent arrêt ;

REJETTE la demande d’astreinte ;

ORDONNE le remboursement par la société API RESTAURATION aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [E] [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

CONDAMNE la société API RESTAURATION aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [E] [J] 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL

 


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