Nullité de contrat : 5 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07145

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Nullité de contrat : 5 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07145

AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/07145 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MUQB

[W]

C/

SOCIETE BOCCARD

SOCIETE LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS ‘ LIP

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 17 Septembre 2019

RG : 17/01803

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 AVRIL 2023

APPELANT :

[B] [W]

Né le 03 septembre 1968 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Annabel PASCAL, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean FAYOLLE de la SELARL CABINET JEAN FAYOLLE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉES :

Société BOCCARD

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,

Société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS LIP venant aux droits de la société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS 13

intervenant volontairement

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Olivier FOURMANN de la SELARL FOURMANN & PEUCHOT, avocat au barreau de LYON substitué par Me Nathalie BOYER-SANGOUARD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseiller

Anne BRUNNER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Avril 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [W] a été engagé par la société Les Intérimaires Professionnels 13 (ci après dénommée LIP), entreprise de travail temporaire, à compter du 22 avril 2015 pour être mis à la disposition de la société Boccard du 22 avril au 24 avril 2015 en qualité de chaudronnier.

Les contrats de mission temporaire se sont ensuite succédés pour les motifs suivants :

‘Nouveau carnet de commandes nécessitant un renfort d’équipe; Renfort d’équipe lié à des travaux supplémentaires ne pouvant être traités par le personnel permanent de l’EU ; renfort d’équipe lié à de nouveaux travaux à réaliser dans les délais’ et au rythme suivant :

– Contrat de mission du 22/04/2015 au 24/04/2015

– Contrat de mission du 25/04/2015 au 30/04/2015

– Contrat de mission du 04/05/2015 au 06/05/2015

– Contrat de mission du 07/05/2015 au 13/05/2015

– Contrat de mission du 18/05/2015 au 22/05/2015

– Contrat de mission du 23/05/2015 au 29/05/2015

– Contrat de mission du 01/06/2015 au 05/06/2015

– Contrat de mission du 06/06/2015 au 12/06/2015

– Contrat de mission du 15/06/2015 au 26/06/2015

– Contrat de mission du 27/06/2015 au 10/07/2015

– Contrat de mission du 13/07/2015 au 17/07/2015

– Contrat de mission du 18/07/2015 au 24/07/2015

– Contrat de mission du 27/07/2015 au 31/07/2015

– Contrat de mission du 17/08/2015 au 21/08/2015

– Contrat de mission du 22/08/2015 au 28/08/2015

– Contrat de mission du 01/09/2015 au 11/09/2015

– Contrat de mission du 12/09/2015 au 25/09/2015

– Contrat de mission du 26/09/2015 au 30/10/2015

– Contrat de mission du 04/11/2015 au 04/11/2015

– Contrat de mission du 02/11/2015 au 30/11/2015

– Contrat de mission du 01/12/2015 au 18/12/2015

– Contrat de mission du 19/12/2015 au 15/01/2016

– Contrat de mission du 18/01/2016 au 29/01/2016

– Contrat de mission du 30/01/2016 au 29/02/2016

– Contrat de mission du 24/02/2016 au 24/02/2016

– Contrat de mission du 01/03/2016 au 31/03/2016

– Contrat de mission du 01/04/2016 au 29/04/2016

– Contrat de mission du 30/04/2016 au 06/05/2016

– Contrat de mission du 07/05/2016 au 13/05/2016

– Contrat de mission du 10/05/2016 au 10/05/2016

– Contrat de mission du 16/06/2016 au 20/05/2016

– Contrat de mission du 21/05/2016 au 27/05/2016

– Contrat de mission du 28/05/2016 au 03/06/2016

– Contrat de mission du 06/06/2016 au 10/06/2016.

Le dernier contrat de mission a été interrompu le 6 juin 2016, date à laquelle M. [W] était victime d’un accident du travail.

Par acte du 15 juin 2017, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon d’une demande de requalification de l’ensemble de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée, d’une demande de dommages-intérêts au titre d’une rupture sans cause réelle et sérieuse survenue le 10 juin 2016, action dirigée contre la société Boccard .

Parallèlement, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Martigues des mêmes chefs de demandes dirigées contre la société LIP 13.

Par jugement rendu le 12 mars 2018, le conseil de prud’hommes de Martigues a constaté la situation de litispendance entre les deux litiges pendants devant le conseil de prud’hommes de Martigues et le conseil de prud’hommes de Lyon opposant M. [W] à la société LIP et à la société Boccard et s’est dessaisi au profit du conseil de prud’hommes de Lyon.

Par jugement du 17 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon a :

– ordonné pour une bonne administration de la justice, la jonction des instances RG 17/01803 et RG 18/01158

– dit et jugé que l’action n’est pas prescrite

– mis hors de cause la société LIP13

– requalifié les 35 contrats de mission successivement conclus entre M. [W] et la société Boccard durant la période allant du 22 avril 2016 au 10 juin 2016, en un contrat de travail de droit commun à durée indéterminée

– condamné en conséquence la société Boccard à verser à M. [W] la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de requalification

– dit et jugé que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée intervenue le 10 juin 2016, date de l’arrivée de l’échéance prévue du contrat de mission de M. [W] est nulle et de nul effet, pour être intervenue durant la suspension de celui-ci au motif de son accident de travail survenu au sein de la société Boccard le 6 juin 2016

en conséquence :

– ordonné à la société Boccard de réintégrer M. [W] au poste de chaudronnier, poste qu’il occupait précédemment, à compter de la notification de la présente décision

– condamné la société Boccard à verser à M. [W] la somme de 15 097,50 euros à titre de rappel de salaire afférent à la réintégration, outre 1 509,75 euros à titre de congés payés afférents, et à parfaire les sommes à échoir jusqu’au jugement à venir

– condamné la société Boccard à verser à M. [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– ordonné la délivrance à M. [W], sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du mois suivant la mise à disposition du présent jugement, des bulletins de salaire pour la période du 22 avril 2015 au 10 juin 2016

– débouté M. [W] du surplus de ses demandes ainsi que la société Boccard et la société LIP13 de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné la société Boccard aux entiers dépens d’instance et aux éventuels frais d’exécution forcée.

La cour est saisie de l’appel interjeté le 16 octobre 2019 par M. [W]. L’appel porte sur la mise hors de cause de la société LIP 13, sur le rejet des demandes de condamnation à l’encontre de la société LIP 13, sur la limitation du quantum des condamnations prononcées à l’encontre de la société Boccard , sur le rejet des demandes de condamnation in solidum des sociétés Boccard et LIP 13.

Dans ses conclusions d’appel notifiées le 14 janvier 2020, M. [W] a demandé à la cour de lui donner acte de son désistement d’appel à l’égard de la société Boccard .

Suivant une ordonnance du 11 juin 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté l’incident soulevé par la société Boccard et a déclaré recevable l’appel subsidiaire en garantie formé par la société LIP 13 à l’égard de la société Boccard .

Suivant une ordonnance de mise en état du 13 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d’appel principal de M. [W] en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la société Boccard et a dit que M. [W] et la société Boccard supporteront la charge des dépens respectivement engagés.

Par conclusions notifiées le 12 janvier 2023, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [W] demande à la cour de :

– Lui donner acte de son désistement d’appel principal à l’encontre de la Société Boccard ; – Confirmer les dispositions du jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de

Lyon le 17 septembre 2019 relatives à la Société Boccard ;

– L’infirmer en ce qu’il :

– a fixé sa moyenne mensuelle à la somme de 2 467,16 euros

– a mis hors de cause de la Société Les Intérimaires Professionnels

– l’a débouté de toutes ses demandes à l’encontre de la Société Les Intérimaires Professionnels ;

Et, statuant à nouveau,

– Requalifier les contrats de mission successivement conclus en un contrat de travail à durée indéterminée, envers la société Les Intérimaires Professionnels ;

– Dire nulle la rupture du contrat à durée indéterminée intervenue le 6 juin 2016 ;

– Fixer la moyenne des salaires à la somme de 3 440,77 euros ;

– Condamner la société Les Intérimaires Professionnels à lui verser les sommes suivantes :

* indemnité compensatrice de préavis : 3 440,77 euros

* congés payés afférents : 344,07 euros

* indemnité légale de licenciement : 802,85 euros

* indemnité pour irrégularité de procédure : 3 440,77 euros

*dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail : 30 000 euros

* rappel de salaires pour non-respect du temps de travail contractuellement prévu : 5 089 euros

* congés payés afférents : 508,90 euros

* rappel de salaires pour violation du principe « à travail égal, salaire égal » : 3 138,70 euros

* congés payés afférents : 313,87 euros

* dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire : 10 000 euros

* dommages et intérêts pour travail dissimulé : 19 595,94 euros

– Condamner la Société Les Intérimaires Professionnels à lui délivrer, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 15 ème jour suivant la signification de l’arrêt à intervenir :

– une attestation destinée à Pôle Emploi, mentionnant pour motif de rupture du contrat de travail « un licenciement nul au 06 juin 2016 » et une ancienneté décomptée au 22 avril 2015

– le certificat de travail

– le solde de tout compte

– les bulletins de salaires rectifiés pour la période de 22 avril 2015 au 06 juin 2016

– Condamner la société Les Intérimaires Professionnels à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Assortir les condamnations des intérêts au taux légal, avec capitalisation, à compter de la

convocation initiale de la société Les Intérimaires Professionnels , soit le 13 juin 2017 ;

– Condamner la société Les Intérimaires Professionnels aux entiers dépens de l’instance, y compris les éventuels frais d’exécution à intervenir.

Par conclusions notifiées le 5 novembre 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société Les Intérimaires Professionnels demande à la cour de :

A titre principal :

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud’hommes de Lyon,

et par voie de conséquence,

– Mettre hors de cause la société Les Intérimaires Professionnels -LIP venant aux droits de LIP 13,

– Débouter M.[W] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre elle

– Condamner M. [W] au paiement de la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [W] aux entiers dépens

A titre subsidiaire,

1°- Sur la requalification des contrats de mission :

– Dire que M. [W] compte une ancienneté de 11 mois,

A titre principal, et dans le cas ou M. [W] devait maintenir sa demande de réintégration auprès de la société Boccard :

– Le débouter de toute demande relative aux conséquences financières de la rupture auprès de la société Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13,

A titre infiniment subsidiaire :

– Limiter le montant de l’indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 2 643,35 euros, outre 264,33 euros au titre des congés payés y afférents,

– Prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels -LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard , et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

– Débouter M. [W] de sa demande d’indemnité légale de licenciement, et à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnité légale de licenciement à hauteur de 570,96 euros,

– Prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels -LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard , et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

– Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à hauteur de 5 286,70 euros,

– Prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels -LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard , et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

– Limiter le montant de l’indemnité pour irrégularité de procédure à hauteur de 2 643,35 euros, prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels – LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard , et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

2°) Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail :

A titre principal :

– Débouter M. [W] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

– Condamner la société Boccard à la garantir du paiement intégral des condamnations qui pourraient être prononcées pour non-respect du temps de travail contractuellement convenu, pour non-respect du principe ‘à travail égal, salaire égal’, pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire et pour travail dissimulé.

Par conclusions régulièrement notifiées le 7 juillet 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société Boccard demande à la cour de :

A titre liminaire

– Dire et juger qu’elle accepte le désistement de M. [W]

À titre principal

– Dire et juger que les demandes de M. [W] sont infondées

Par conséquent,

– Débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes

– Confirmer le jugement rendu le 17 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Lyon

À titre subsidiaire :

– Dire et juger que l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 17 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Lyon fait obstacle à ce que la société Boccard soit appelée en garantie des condamnations éventuellement prononcées au profit de l’appelant

Par conséquent,

– Rejeter la demande de la société LIP tendant au prononcé de condamnations solidaires entre les deux sociétés intimées ;

– Rejeter la demande formulée par la société LIP tendant à sa condamnation à garantir la société LIP du paiement intégral des condamnations qui pourraient être prononcées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

MOTIFS

– Sur la demande de requalification des contrats de mission :

M. [W] sollicite la requalification de ses contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée en raison de l’inobservation par la société de travail temporaire du délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 du code du travail.

Il expose que sa demande de requalification à l’égard de l’entreprise de travail temporaire n’est pas fondée sur l’article L. 1251-40 du code du travail qui prévoit la sanction des manquements des entreprises utilisatrices, mais sur la jurisprudence qui est venue combler une lacune du législateur afin de sanctionner les manquements des entreprises de travail temporaire à l’occasion de la conclusion des contrats de mission.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription partielle, M. [W] fait valoir d’une part, que par l’effet de la requalification en un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié est réputé avoir occupé l’emploi à durée indéterminée depuis le premier jour de sa première embauche, ce dont il résulte que le délai de prescription, aussi loin que puisse remonter le premier contrat de mission, ne court qu’à compter du terme du dernier contrat.

Il fait valoir d’autre part que la requalification, même si elle concerne plusieurs blocs de contrats espacés de plusieurs années, doit s’analyser en un seul et unique contrat de travail à durée indéterminée.

M. [W] conclut qu’il disposait par conséquent d’un délai de deux ans à compter du terme du dernier contrat de mission , soit à compter du 6 juin 2016, pour engager son action et qu’il a bien saisi le conseil de prud’hommes dans ce délai, le 13 juin 2017.

La société LIP s’oppose à cette demande et conclut à la confirmation de sa mise hors de cause par le conseil de prud’hommes en soutenant à titre principal, que le non respect du délai de carence n’a pas pour effet d’entraîner la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée.

La société LIP fait valoir que :

– dans sa liste de contrats, M. [W] ne vise pas seulement les contrats de mission initiaux mais également l’ensemble des avenants de renouvellement alors qu’il ne saurait faire valoir un quelconque délai de carence entre un contrat initial et son avenant de renouvellement ;

– les contrats de mission ne se sont pas succédés de manière ininterrompue, certains contrats étant espacés par des périodes significatives, notamment entre le 31 juillet 2015 et le 17 août 2015 ;

– en matière de contrats de mission, à l’inverse de la réglementation relative aux contrats de travail à durée déterminée, aucune sanction de requalification n’a été prévue par les textes en matière de non respect du délai de carence ;

– quand bien même un motif de requalification pourrait être opposé à l’entreprise utilisatrice, aucun manquement aux obligations mises à sa charge par les dispositions de l’article L. 1251-16 du code du travail ne saurait être retenue contre elle en sa qualité d’entreprise de travail temporaire ;

– les motifs de requalification opposables à l’entreprise de travail temporaire et à l’entreprise utilisatrice sont strictement indépendants.

A titre subsidiaire, la société LIP :

– soulève la prescription de l’action au visa de l’article L. 1471-1 du code du travail aux termes duquel toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans et demande en conséquence de limiter les effets d’une éventuelle requalification aux seuls contrats de mission dont le terme est postérieur au 15 juin 2015 ;

– soutient que M. [W] n’est pas fondé à réclamer cumulativement, la condamnation de la société LIP à lui payer des indemnités de rupture du contrat de travail et des dommages-intérêts au titre de la nullité du contrat de travail et sa réintégration.

La société Boccard conclut que :

– les demandes formulées par l’appelant au titre de la rupture du contrat de travail ne peuvent donner lieu à sa condamnation, puisqu’il a d’ores et déjà été jugé qu’aucune rupture du contrat de travail n’était intervenue entre M. [W] et la société Boccard ;

– les demandes formulées par l’appelant au titre de la rupture du contrat de travail ne pourront donner lieu à condamnation qu’en cas de manquement distinct et autonome de la société LIP, auquel cas l’appel en garantie de la société Boccard ne se justifie pas ;

– dés lors qu’elle a acquiescé aux différentes condamnations prononcées à son encontre, l’autorité de la chose jugée fait en tout état de cause obstacle à son appel en garantie par la société LIP, M. [W] ayant été rempli de ses droits en vertu de la décision rendue le 17 septembre 2019 par le Conseil de prud’hommes de Lyon.

****

Le désistement de M. [W] étant limité à l’appel formé contre la société Boccard, ce désistement est sans effet sur l’appel dirigé contre la société LIP qui est dés lors recevable à former, à titre subsidiaire, un appel en garantie contre la société Boccard, laquelle n’est pas fondée à invoquer l’autorité de chose jugée attachée au jugement déféré dans ses relations avec la société LIP.

1°) La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription.

Selon les dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs court à compter du premier jour d’exécution du second de ces contrats.

M. [W] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 15 juin 2017 est par conséquent recevable à solliciter la requalification des contrats de mission ne respectant pas le délai de carence à compter du 15 juin 2015.

Le premier contrat de mission irrégulier de la liste visée dans l’exposé des motifs, à compter du 15 juin 2015, est le contrat du 27/06/2015 au 10/07/2015 qui succède à celui du 15/06/2015 au 26/06/2015. En effet ce dernier contrat étant d’une durée de 12 jours, le délai de carence aurait dû être égal à la moitié de la durée du contrat de mission venu à expiration, soit 6 jours, en application des dispositions de l’article L. 1251-36 du code du travail.

2°) Les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7 , L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 relatives aux conditions de recours au contrat de mission et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire.

Par ailleurs, il résulte de l’article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et de l’article L. 1251-37 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure, avec un même salarié, sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs, qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité.

En l’espèce, il résulte des débats que la société LIP a conclu plusieurs contrats de mission au motif d’un accroissement temporaire d’activité, sans respect du délai de carence. Or, le non-respect du délai de carence caractérise un manquement par l’entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l’établissement des contrats de mission.

La société LIP soutient que M. [W] n’est pas fondé à invoquer le non-respect d’un quelconque délai de carence entre un contrat initial et son avenant de renouvellement. Mais il résulte de l’article L. 1251-35 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015, en vigueur jusqu’au 24 septembre 2017, que :

‘Le contrat de mission est renouvelable deux fois pour une durée déterminée qui ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale prévue à l’article L. 1251-12.

Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.’

Or, la société LIP ne justifie d’aucun avenant qui aurait été soumis au salarié avant le terme initialement prévu, dans les conditions de l’article L. 1251-35 du code du travail sus-visé, de sorte que le grief qui est opposé à M. [W], de ne pas distinguer, dans sa demande de requalification, les contrats de mission et leurs avenants de renouvellement est sans objet.

Et le fait que tous les contrats de mission postérieurs au 27 juin 2015 (en cause) ne se soient pas succédés de manière ininterrompue n’interdit pas leur requalification en un seul contrat à durée indéterminée qui prend effet à compter du premier contrat irrégulier.

Il en résulte que M. [W] est fondé à solliciter la requalification de la relation contractuelle existant entre lui et l’entreprise de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 27 juin 2015.

La requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée est définitive à l’égard de la société Boccard, de sorte que chacune des deux sociétés supporte les conséquences de la requalification, à l’exception de l’indemnité de requalification dont l’entreprise utilisatrice est seule débitrice.

Le jugement déféré est infirmé en ce sens.

– Sur la nullité de la rupture de la relation contractuelle :

M. [W] soutient que la conséquence de la requalification est que la société intérimaire ne pouvait se prévaloir du terme du dernier contrat de mission pour mettre fin à la relation contractuelle, de sorte que la rupture du contrat de travail doit s’analyser comme un licenciement nul car survenu durant une période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail, conformément aux dispositions de l’article L. 1226-13 du code du travail.

M. [W] soutient qu’en cas de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée tant envers l’entreprise utilisatrice qu’envers l’entreprise de travail temporaire, le salarié a ainsi le choix envers chacune d’elles de solliciter, soit l’indemnisation de la rupture nulle, soit sa réintégration, et qu’aucune disposition n’impose au salarié d’opter de façon identique envers l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire.

M. [W] fait valoir que :

– ayant opté et obtenu la réintégration envers l’entreprise utilisatrice, il va de soi que les effets de la réintégration ne peuvent être partagés in solidum avec l’entreprise de travail temporaire ;

– la société LIP doit répondre des fautes qu’elle a commises et ne peut s’affranchir des conséquences de ses propres manquements ;

– la demande de réintégration porte sur l’avenir, alors que celle concernant l’indemnisation porte sur la période antérieure à la rupture ;

– ces demandes ont bel et bien des fondements juridiques différents et tendent à obtenir la condamnation de chacune de ces deux entités distinctes en raison des manquements qui leur sont propres ;

– l’action dirigée contre l’entreprise de travail temporaire tend à obtenir le prononcé de la rupture de la relation contractuelle aux torts de cette dernière alors que l’action dirigée à l’encontre de l’entreprise utilisatrice tend à obtenir la poursuite de la relation contractuelle.

M. [W] sollicite en conséquence la condamnation de la société LIP à lui payer :

– une indemnité d’éviction pour la période antérieure à la cessation de la relation

contractuelle ;

– une indemnité compensatrice de préavis ;

– une indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement ;

– une indemnité pour licenciement nul.

La société LIP oppose à M. [W] l’impossibilité de solliciter cumulativement des sommes consécutives à la nullité de la rupture du contrat de travail et sa réintégration.

A titre subsidiaire et dans le seul cas où M. [W] renoncerait à solliciter sa réintégration, la société LIP demande à la cour de prononcer sa condamnation solidaire avec la société Boccard aux conséquences financières qui pourraient être prononcées au titre de la nullité du licenciement.

****

Le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande de M. [W] en ordonnant à la société Boccard de le réintégrer au poste de chaudronnier qu’il occupait précédemment et la société Boccard, qui a accepté le désistement d’instance à son égard, demande la confirmation du jugement.

Il en résulte que M. [W], qui a effectivement repris ses fonctions au sein de la société Boccard, ne peut plus se prévaloir des conséquences d’un licenciement nul dés lors que la réintégration a précisément mis fin au préjudice résultant du licenciement nul. Les effets de la réintégration s’imposent tant à l’égard de la société utilisatrice, en l’espèce la société Boccard, qu’à l’égard de la société de travail temporaire, car si les manquements reprochés à chacune des sociétés au soutien de la demande de requalification sont distincts, le préjudice résultant du licenciement nul, lequel résulte de la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée, et de la fin du dernier contrat de mission à la suite d’un accident du travail, est unique et ne saurait par conséquent donner lieu à une double sanction.

La jurisprudence invoquée par M. [W] selon laquelle ‘le salarié peut solliciter la requalification de ses contrats de mission aussi bien à l’encontre de la société utilisatrice qu’à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire et obtenir à l’encontre de chacune d’elles les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse’ (cass.soc. 10 avril 2019 n°18-16665 et n°18-16668), signifie non pas que le salarié peut obtenir deux fois la réparation de son préjudice, soit en l’espèce, d’une part la réintégration et d’autre part, l’octroi des indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement nul, mais uniquement qu’il est fondé à poursuivre une condamnation in solidum de la société utilisatrice et de la société de travail temporaire.

M. [W] sera par conséquent débouté de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de sa demande d’indemnité légale de licenciement, de sa demande d’indemnité pour irrégularité de la procédure et de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail dirigées contre la société LIP.

– Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail :

M. [W] demande la condamnation de la société LIP à lui payer :

a- un rappel de salaires pour non respect du temps de travail contractuellement convenu :

M. [W] demande la somme de 5 089 euros outre les congés payés afférents, correspondant à la différence entre la rémunération qu’il aurait dû percevoir sur la base d’un travail à temps plein sans interruption et la rémunération effectivement perçue, en soutenant que :

– à l’exception de la période du 1er au 16 août 2015, il est resté en permanence à disposition, en l’état de contrats qui se sont succédés sans interruption ;

– alors que les contrats de mission sont conclus pour un temps plein, la société LIP l’employait, à sa convenance, à temps partiel ;

– l’employeur ne peut compenser en invoquant les heures supplémentaires.

La société LIP oppose à cette demande que :

– la demande portant aussi sur des périodes d’intermissions, il appartient au salarié de démontrer qu’il s’est effectivement tenu à disposition pendant ces périodes, ce que M. [W] ne fait pas ;

– en tout état de cause, elle ne saurait être tenue pour responsable de cette situation, dés lors que c’est la société utilisatrice qui décide de l’activité confiée au travailleur temporaire et qui doit seule prendre en charge les conséquences de la variabilité des horaires imposée au salarié ;

– dans l’hypothèse où la cour retiendrait une condamnation au titre des rappels de salaire sollicités, la société Boccard doit être condamnée à la garantir intégralement des condamnations salariales mises à sa charge.

b- un rappel de salaires pour non respect du principe ‘à travail égal, salaire égal’:

M. [W] soutient qu’il a subi une différence de traitement injustifiée quant à son taux horaire (11,50 euros jusqu’en août 2015, puis 13 euros jusqu’à la fin de la relation contractuelle) par comparaison avec la situation d’un autre intérimaire, M. [I], lequel était rémunéré 14 euros de l’heure pour le même emploi et le même coefficient au cours de la même période.

Il demande à ce titre, au visa des dispositions des articles L. 3221-2 et L. 2271-1 du code du travail, la somme de 3 138, 70 euros, outre les congés payés afférents.

La société LIP expose que :

– M. [W] ( chaudronnier) et M. [I] (soudeur) n’occupaient pas le même poste ;

– M. [I] comptait une expérience beaucoup plus importante que M. [W] sur le poste puisqu’il assurait des missions auprès de la société Boccard depuis 2011 alors que M. [W] n’a débuté ses missions que 4 ans plus tard en 2015 ;

– en toute hypothèse, en sa qualité d’entreprise de travail temporaire, elle est liée par les fonctions et le salaire défini par l’entreprise utilisatrice et n’intervient pas dans la fixation du salaire accordé au salarié intérimaire.

c- des dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire :

M. [W] invoque le non respect des dispositions de l’article 4.1.6 de la convention collective et notamment :

– le non respect de la durée maximale de travail quotidienne de 10 heures, à plusieurs reprises ( 29 mai 2015, 2 mars 2016, 15 mars 2016)

– ainsi que le non respect de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures (70 heures de travail au cours de la semaine 48 de l’année 2015; 79 heures de travail au cours de la semaine 11 de l’année 2016 ou encore 66 heures de travail au cours de la semaine 12 de l’année 2016)

– le non respect du repos obligatoire de 11 heures entre deux journées de travail.

La société LIP fait valoir qu’elle n’établissait la paie de M. [W] que sur la base de documents de pré-facturation qui contenaient, sans autre précision, l’indication, par la société Boccard, du nombre d’heures de travail réalisé par jour, de sorte qu’elle ne pouvait que prendre acte de la durée et du rythme de travail pratiqué au sein de la société Boccard sans être en mesure de vérifier le respect des temps de repos quotidiens ou hebdomadaires.

d- des dommages-intérêts pour travail dissimulé :

M. [W] soutient qu’en l’absence de mention des heures de travail réellement accomplies sur les bulletins de salaires, de façon à dissimuler les fréquents dépassements du temps légal de travail, le travail dissimulé est caractérisé.

Le salarié expose que, lors de l’exécution de la relation de travail, chaque fois que les dispositions relatives à la durée quotidienne ou hebdomadaire du temps de travail étaient violées, il se voyait attribuer une « prime exceptionnelle » dont le montant variait chaque mois.

Il conclut que la régularité des primes exceptionnelles dissimule des heures supplémentaires qui auraient trahi, si elles avaient été mentionnées sur les bulletins de salaire, des dépassements des temps légaux de travail et l’atteinte relative aux dispositions concernant les repos compensateurs.

La société LIP fait valoir en réponse que :

– M. [W] a, de façon systématique, été rémunéré des heures supplémentaires déclarées par l’entreprise utilisatrice auprès de la société LIP 13 ;

– chacun des bulletins de paie produits aux débats mentionne en effet très précisément le nombre d’heures supplémentaires rémunérées selon le degré de sa majoration, de sorte qu’elle n’a eu aucune volonté de dissimuler les heures supplémentaires effectuées par M. [W] ;

– elle établissait la paie de M. [W] sur la base des relevés d’heures et de préfacturation qui lui étaient transmis par la société Boccard, sans autre précision, et il lui suffisait de déduire le coefficient de refacturation contractuel pour en déduire le montant de la prime applicable.

Pour chacune des demandes au titre de l’exécution du contrat, la société LIP demande, à titre subsidiaire, à être intégralement garantie par la société Boccard.

****

L’article L. 4121-1 du code du travail énonce :

‘ L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’

En ce qui concerne les conditions de travail, l’article L. 1251-21 du code du travail énonce :

‘ Pendant la durée de la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail, telles qu’elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail.

Pour l’application de ces dispositions, les conditions d’exécution du travail comprennent limitativement ce qui a trait :

1° A la durée du travail

2° Au travail de nuit

3° Au repos hebdomadaire et aux jours fériés

4° A la santé et la sécurité au travail

5° Au travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs.’

Il résulte des dispositions combinées de ces deux textes que l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice sont tenues, à l’égard des salariés mis à disposition, d’une obligation de sécurité de résultat dont elles doivent assurer l’effectivité, chacune au regard des obligations que les textes mettent à leur charge en matière de prévention des risques.

Et l’article L. 1251-21 du code du travail met expressément à la charge de la seule entreprise utilisatrice les obligations relatives à la durée du travail et au repos hebdomadaire, de sorte que M. [W] n’est pas fondé en sa demande de dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire, ni en sa demande au titre du travail dissimulé en ce que ces demandes sont dirigées contre la société LIP.

En revanche, la demande de rappel de salaires pour non respect du temps de travail contractuellement convenu est la conséquence de la requalification laquelle est opposable tant à la société de travail temporaire qu’à la société utilisatrice.

Enfin, le non respect du principe ‘ à travail égal, salaire égal’ est également opposable à l’entreprise de travail temporaire qui demeure l’employeur du salarié, établit les bulletins de salaire et doit veiller au respect du principe ‘ à travail égal salaire égal’.

– sur la demande au titre de l’égalité de traitement :

La société LIP invoque l’expérience professionnelle et l’ancienneté de M. [I] par rapport à M. [W], sans justifier en quoi le poste de soudeur occupé par M. [I] au même niveau de qualification que le poste de chaudronnier occupé par M. [W], soit niveau 4, échelon 3, coefficient 285, légitime l’application de taux horaire distincts, étant précisé que l’ancienneté de M. [I], soit 4 ans et 11 mois n’est pas significative par rapport à celle de M. [W] pour justifier, au sein de la même classification, un taux horaire plus élevé (14 euros au lieu de 13 euros).

Le non respect du principe d’égalité de traitement de salariés placés dans une situation

identique est donc avéré tant à l’égard de la société utilisatrice que de la société de travail temporaire.

La société LIP est par conséquent condamnée à payer à M. [W] la somme de 2 166,47 euros ( 3 138, 70 – ( 115 + 401 + 456, 23) à titre de rappel de salaire au titre du non respect du principe d’égalité de traitement au vu du tableau produit par le salarié.

Le désistement d’appel de M. [W] à l’encontre de la société Boccard est sans incidence sur les demandes formées par la société LIP contre la société utilisatrice, de sorte que la société Boccard est condamnée à relever et garantir la société LIP de cette condamnation à hauteur de 50% des sommes mises à la charge de la société LIP, chacune des sociétés devant être déclarée responsable à concurrence de moitié des conséquences de la requalification.

– sur la demande de rappel de salaires pour non respect du temps de travail contractuellement prévu :

Il incombe au salarié ayant obtenu la requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée et qui prétend au paiement d’un rappel de salaire au titre des périodes ayant séparé les contrats requalifiés dites ‘périodes interstitielles’ ou ‘intercalaires’, d’établir que durant ces périodes il s’est tenu à la disposition de l’employeur.

En outre, en l’espèce, les contrats requalifiés prévoyaient invariablement une durée hebdomadaire de 37,5 heures ainsi que les horaires suivants: 8H00-12H00 et 13H00-16H00, ce qui correspond à un temps plein, alors que M. [W] n’a parfois été rémunéré que pour un temps partiel.

Il résulte des horaires mentionnés sur les contrats requalifiés, de la fréquence des contrats de mission successifs, du fait que de très courtes périodes interstitielles, soit de 1 à 4 jours au maximum, séparaient les dits contrats, que M. [W] s’est effectivement tenu à la disposition des sociétés LIP et Boccard, pour exécuter les missions qui lui étaient confiées.

M. [W] est par conséquent fondé à demander un rappel de salaire sur la base d’une relation de travail à temps plein à compter du 15 juin 2015. La société LIP est condamnée à payer à M. [W] la somme de 4 522 euros (5 089 – (441+126)) à titre de rappel de salaire pour non respect du temps de travail contractuellement convenu, au vu du tableau présenté par le salarié.

La société Boccard est condamnée à relever et garantir la société LIP de cette condamnation à hauteur de 50% des sommes mises à la charge de la société LIP, pour le même motif que ci-dessus.

– Sur les demandes accessoires :

La cour ordonne à la société LIP de remettre à M. [W] les bulletins de salaire rectifiés, à l’exclusion des documents de fin de contrat qui sont sans objet compte tenu de la réintégration obtenue par le salarié, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte.

La cour fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront supportés par la société LIP, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a mis hors de cause la société LIP 13 aux droits de laquelle vient la société LIP

STATUANT à nouveau sur ce chef et y ajoutant,

DIT que la demande de requalification à l’égard de la société LIP est prescrite pour la période antérieure au 15 juin 2015

ORDONNE la requalification à l’égard de la société LIP des contrats de mission successifs en contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 27 juin 2015

DÉBOUTE M. [W] de ses demandes d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre de la rupture abusive du contrat de travail dirigées contre la société LIP

DEBOUTE M. [W] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire

DÉBOUTE M. [W] de sa demande au titre du travail dissimulé

CONDAMNE la société LIP à payer à M. [W] les sommes suivantes :

– 4 522 euros à titre de rappel de salaire

– 2 166,47 euros à titre de rappel de salaire pour violation du principe d’égalité de traitement

CONDAMNE la société Boccard à relever et garantir la société LIP à hauteur de 50% des condamnations mises à la charge de la société LIP

ORDONNE à la société LIP de remettre à M. [W] des bulletins de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil

CONDAMNE la société LIP à payer à M. [W] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel

CONDAMNE la société LIP aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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