Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 20 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/04702 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OXNL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 JUILLET 2020 Tribunal Judiciaire de RODEZ
N° RG 18/00690
APPELANTS :
Monsieur [P] [B] [C] [G]
né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représenté par Me Célia VILANOVA substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Aurore THUERY substituant Me Stéphane MAZARS, avocats au barreau de l’AVEYRON, avocat plaidant
Madame [L] [I] [D] épouse [G]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représentée par Me Célia VILANOVA substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Aurore THUERY substituant Me Stéphane MAZARS, avocats au barreau de l’AVEYRON, avocat plaidant
INTIMEES :
CRCAM Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord Midi Pyrénées pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social RCS ALBI 444 953 830
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Emily APOLLIS substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, ayant plaidé pour Me Laurent PARDAILLE, avocat au barreau de l’AVEYRON
S.A. Crédit Immobilier de France Developpement – Société venant aux droits du Crédit Immobilier de France Sud-Ouest à la suite d’une fusion absorption par voie simplifiée à effet du 1er mai 2016 conformément aux décisions des conseils d’administration des 9 et 11 mars 2016, qui vient elle-même aux droits de la Société Financiere de l’Immobilier Sud-Atlantique à la suite d’une fusion absorption aux termes des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire en date du 10 juillet 2009 à [Localité 10],
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Yann GARRIGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Me Maxime BESSIERE de la SELARL COUTURIER PHILIPPE – BESSIERE MAXIME, avocat au barreau de l’AVEYRON, avocat postulant, ayant plaidé pour Me Paul BARROUX, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 mars 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant acte sous seing privé en date du 11 août 2010, M.[P] [G] et Mme [L] [D] épouse [G] (les emprunteurs), ont souscrit auprès de la S.A Crédit Immobilier de France Développement (le CIFD) trois prêts afin de financer un achat immobilier :
– Un prêt n°5001002393 d’un montant de 98 000 euros ;
– Un prêt à taux zéro n°5001002394 d’un montant de 40 000 euros;
– Un prêt n°5001002395 d’un montant de 1 500 euros.
Au cours de l’année 2015, les emprunteurs se sont rapprochés de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord Midi-Pyrénées (le Crédit Agricole) afin de renégocier les prêts d’un montant de 98 000 euros et de 1 500 euros.
Suivant acte sous seing privé en date du 31 juillet 2015, les emprunteurs ont souscrit un prêt n°00000315659 d’un montant en principal de 96 187 euros après du Crédit Agricole aux fins de rachat de créance.
Le 25 septembre 2015, le Crédit Agricole a procédé au virement de la somme de 93 987 euros au bénéfice du CIFD que ce dernier a rejeté.
Par courrier recommandé en date du 30 octobre 2015, le Crédit Agricole a envoyé aux emprunteurs l’attestation de rejet du virement de 93 987 euros par le CIFD.
Par courrier en date du 08 décembre 2015, le CIFD a justifié le rejet du virement par l’article XII des conditions générales des prêts immobilier selon lequel ‘Tout remboursement anticipé de l’emprunteur viendra diminuer le capital restant dû des prêts en cours au moment de la prise d’effet du remboursement anticipé, et ce, proportionnellement à la part de capital de chacun des prêts, rapporté au montant total du capital de l’ensemble des prêts constatés par le prêteur’.
Par lettre recommandé du 05 août 2016, les emprunteurs ont mis en demeure le Crédit Agricole de régler cette situation.
Par acte d’huissier de justice délivré à personne le 20 juin 2018, les emprunteurs ont assigné le Crédit Agricole devant le tribunal de grande instance de Rodez aux fins de voir prononcer la nullité du contrat de prêt.
Par acte d’huissier de justice délivré à personne le 22 mars 2019, le Crédit Agricole a assigné en intervention forcée le CIFD sur le fondement des articles 1902 et suivants du Code civil, aux fins de voir dire qu’il ne peut s’opposer au remboursement anticipé des prêts.
Par ordonnance du 09 mai 2019, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des procédures.
Par un jugement en date du 24 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Rodez a :
Déclaré irrecevables les demandes formées par le Crédit Agricole à l’encontre de la société CIFD ;
Débouté M. et Mme [G], de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat de prêt n°00000315659 souscrit le 31 juillet 2015 auprès du Crédit Agricole ;
Débouté M. et Mme [G], de leurs demandes subsidiaires formées à l’encontre du Crédit Agricole;
Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamné M. et Mme [G] à verser au Crédit Agricole la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné M. et Mme [G] à verser à la société CIFD la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné M. et Mme [G], aux dépens ;
Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
M. et Mme [G] ont relevé appel de ce jugement, par une déclaration en date du 28 octobre 2020.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 juillet 2021, aux termes desquelles M. et Mme [G], demandent, au visa des articles 1108 et suivants anciens du Code civil, L312-21 ancien du Code de la consommation, de réformer le jugement et statuant à nouveau, de :
à titre principal,
Prononcer la nullité du contrat de prêt n° 00000315659 souscrit par M. et Mme [G] auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord Midi-Pyrénées;
Autoriser M. et Mme [G] à rembourser au Crédit Agricole le capital du prêt et ce sans pénalités ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des intérêts versés au titre du prêt ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des frais de notaire payés lors de la souscription du prêt à hauteur de 1 837 euros ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des frais de compte relatif au remboursement anticipé échoué à hauteur de 89 euros ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole Mutuel Nord Midi-Pyrénées des cotisations d’assurances portant sur le bien immobilier pour un montant de 30,44 euros par mois depuis juillet 2015 ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des frais de tenue de compte puisque le CIFD a contraint M. et Mme [G] à ouvrir un compte courant lors de la souscription du prêt : 26,20 euros pour l’année 2015, 78,80 euros pour l’année 2016, 78,80 euros pour l’année 2017 et 26,20 euros pour l’année 2018, somme à parfaire ;
à titre subsidiaire,
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des intérêts versés au titre du prêt n° 00000315659 ;
Ordonner le remboursement par le CIFD des intérêts versés au titre des prêts n° 000500100239/03 et n° 00500100239/5 depuis le 25 septembre 2015, date du virement ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des frais de notaire payés lors de la souscription du prêt à hauteur de 1 837 euros ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des frais de compte relatif au remboursement anticipé échoué à hauteur de 89 euros ;
Ordonner le remboursement par le Crédit Agricole des cotisations d’assurances portant sur le bien immobilier pour un montant de 30,44 euros par mois depuis juillet 2015 ;
Ordonner le remboursement des frais de tenue de compte puisque le CIFD a contraint M. et Mme [G] à ouvrir un compte courant lors de la souscription du prêt : 26,20 euros pour l’année 2015, 78,80 euros pour l’année 2016, 78,80 euros pour l’année 2017 et 26,20 euros pour l’année 2018, somme à parfaire ;
Condamner le Crédit Agricole à la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. et Mme [G] ;
en tout état de cause,
Condamner le Crédit Agricole Mutuel Nord Midi-Pyrénées à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 26 avril 2021, aux termes desquelles le Crédit Agricole demande de confirmer le jugement, et statuant à nouveau de :
Débouter en tout état de cause M. et Mme [G] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
très subsidiairement,
Réformer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes formées par elle à l’encontre du CIFD ;
y ajoutant,
Lui donner acte qu’elle a appelé en la cause le CIFD en application des dispositions des articles 331 et suivants du Code de procédure civile afin :
– qu’il soit constaté que le contrat de prêt n°00000315659 d’un montant en principal de 96 187,00 euros est valable ;
– qu’il soit dit et jugé que le CIFD ne peut s’opposer au règlement par elle à son profit du montant restant dû au titre du remboursement anticipé des prêts n°00500100239/3 et n°00500100239/5 ;
– d’être en conséquence autorisée à se libérer entre les mains du CIFD du montant restant dû au titre du remboursement anticipé des prêts n°00500100239/3 et n°00500100239/5.
Débouter le CIFD de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner solidairement M. et Mme [G] et le CIFD à lui payer la somme de 2 000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens.
Vu ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 26 avril 2021, aux termes desquelles la S.A CIFD demande, au visa des articles 1134 du Code civil, 32 du Code de procédure civile, L312-21 du Code de la consommation, 1342-4 nouveau du Code civil, 1243 ancien du Code civil, de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rodez du 24 juillet 2020, et de :
Débouter M. et Mme [G] de leurs demandes à son encontre ;
Condamner M. et Mme [G] ou toute partie succombant à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner M. et Mme [G] ou toute partie succombant aux entiers dépens de l’instance.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 08 février 2023.
MOYENS :
Sur la nullité du contrat de prêt
Au visa des dispositions de l’article 1108 ancien du code civil, les époux [G] soutiennent que leur consentement au crédit du Crédit Agricole n’aurait pas été donné s’ils avaient su que le projet de remboursement anticipé s’avérait impossible ; il s’agit tant d’une erreur obstacle que d’une absence de cause au contrat de prêt.
Le Crédit Agricole réplique que la clause opposée par le CIFD constitue une condition limitative du droit au remboursement par anticipation tel qu’institué par l’article L312-21 du Code de la consommation, dont les dispositions sont d’ordre public ; qu’une telle clause qui prévoit le remboursement proportionnel à la part de capital de chacun des prêts en considération du montant total du capital de l’ensemble des prêts est défavorable et désavantageuse pour l’emprunteur et doit donc être analysée comme une clause abusive.
Le CIFD soutient que le Crédit Agricole n’a ni qualité ni intérêt à agir pour contester une clause contractuelle ; sur les demandes subsidiaires des époux [G], il fait valoir que la clause litigieuse est licite, n’est pas abusive.
Selon l’article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. Dès lors que la clause litigieuse a été opposée non pas au Crédit Agricole mais aux époux [G] pour justifier le refus de consentir au rachat partiel des crédits, le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable le Crédit Agricole dans sa prétention de faire valoir l’illicéité de la clause.
S’agissant de la nullité du contrat de prêt souscrit auprès du Crédit Agricole, il est certain que la souscription de ce contrat n’avait d’autre objet et d’autre cause que de répondre à la proposition de cette banque de racheter les crédits autres qu’à taux zéro précédemment souscrits auprès du CIFD, dans l’optique d’économiser un certain montant d’intérêts et de diminuer la durée de remboursement des crédits.
Les époux [G] avaient reçu l’assurance de leur conseiller bancaire de l’agence Crédit Agricole de [Localité 11] [Localité 8] qu’ils pourraient conserver leur prêt à taux zéro ‘sans problème’ sur leur interrogation expresse du 03 juillet 2015 de savoir s’il faudrait ou non le rembourser. Ils se montraient soucieux du remboursement de ce prêt et la réponse rassurante qui leur a été apportée a vicié leur consentement à la souscription du prêt de rachat dès lors qu’il s’est avéré que l’engagement du conseiller bancaire s’était heurté à la position négative du CIFD. L’erreur ainsi provoquée constitue indéniablement une erreur obstacle d’une telle gravité qu’il n’y a pu avoir chez eux de consentement librement consenti.
Il importe peu, en l’état de la fin de non-recevoir confirmée ci-dessus et de l’absence de développement de ce moyen par les époux [G] dans leur principal tendant à la nullité du contrat souscrit auprès du Crédit Agricole que le refus du CIFD soit ou non légitime, contrairement à l’appréciation du premier juge qui a, à tort, estimé que la clause contractuelle sur laquelle s’appuyait le CIFD était critiquable.
Du fait de l’erreur provoquée par le Crédit Agricole, les époux [G] se retrouvent à devoir rembourser les trois prêts souscrits auprès du CIFD et le prêt inutile souscrit auprès du Crédit Agricole, démonstration supplémentaire tant de leur absence de consentement que de l’absence de cause à ce contrat de prêt.
Le jugement sera en conséquence infirmé et la nullité du contrat prononcée avec toutes les conséquences restitutives envisagées par les époux [G] que le Crédit Agricole ne conteste pas.
La situation provoquée par le Crédit Agricole est génératrice d’un préjudice moral conséquent pour les emprunteurs profanes qui en sont victimes de telle sorte qu’il leur sera alloué indivisément une somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, le Crédit Agricole supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe
Confirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes formées par le Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées à l’encontre de la société Crédit Immobilier de France Développement
Infirme le surplus des dispositions
Statuant à nouveau
Prononce la nullité du contrat de prêt n°00000315659 d’un montant de 96 187 € souscrit par Mme [L] [D] et M.[P] [G] auprès du Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées selon offre du 31 juillet 2015.
Autorise Mme [L] [D] et M. [P] [G] à rembourser au Crédit Agricole le capital de ce prêt sans pénalités.
Ordonne le remboursement ou prononce condamnation du Crédit Agricole des intérêts versés au titre du prêt, le remboursement des frais de notaire payés lors de la souscription à hauteur de 1 837 €, les frais de compte relatif au remboursement anticipé échoué à hauteur de 89 €, les cotisations d’assurance pour un montant mensuel de 30,44 € depuis juillet 2015, des frais de tenue de compte imposés par le CIFD à hauteur de 26,20 €, 78,80 €, 78,80€ et 26,20 € au titre des années 2015 à 2018, somme à parfaire.
Condamne le Crédit Agricole à payer à Mme [L] [D] et M. [P] [G] la somme de 8000 € en réparation de leur préjudice moral.
Condamne le Crédit Agricole aux dépens de première instance et d’appel.
Condamne le Crédit Agricole à payer à Mme [L] [D] et M. [P] [G] la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que celle de 2500 € à la société Crédit Immobilier de France Développement sur le même fondement.
Le Greffier Le Président