Contrats de chef monteur : l’abus de CDD d’usage sanctionné
Contrats de chef monteur : l’abus de CDD d’usage sanctionné
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Selon l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La preuve des raisons objectives de recourir aux CDD d’usage

Si l’article L.1242-2 du code du travail permet de recourir à des contrats à durée déterminée dits d’usage dans certains secteurs d’activité définis par décret, pour des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois et notamment dans les secteurs du spectacle, de l’audiovisuel ou de la production cinématographique, le recours à l’utilisation de ces contrats doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

Affaire People Productions

En l’occurrence, la société People, qui a employé un chef monteur, exerce son activité dans le secteur de l’audiovisuel, lequel est mentionné par l’article D. 1242-1 du code du travail comme secteur dans lequel des contrats à durée déterminée d’usage peuvent être conclus.

Pour autant, s’agissant des raisons objectives, le liquidateur de la société People et l’AGS ne produisent aucun élément susceptible de démontrer le caractère temporaire des fonctions occupées par le salarié et il apparaît au contraire que celui-ci a travaillé pour la société People régulièrement pendant plus de 17 ans à raison de 80 journées par an en moyenne et toujours en qualité de chef monteur. Ainsi, l’emploi occupé par le salarié relevait manifestement de l’activité permanente et durable de l’entreprise.

Requalification en CDI

Il découle de ces observations que la relation contractuelle doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée.


20 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/00484

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00484 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC657

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/04313

APPELANT

Monsieur [X] [G]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Frédéric CHHUM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929

INTIMEE

S.E.L.A.R.L. BALLY MJ en qualité de mandataire liquidateur de la société PEOPLE

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Maria-christina GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

Association AGS CGEA IDF EST

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Vanina FELICI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1985

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société People est une société de production audiovisuelle employant moins de onze salariés.

M. [X] [G] a travaillé en qualité de chef monteur pour la société People dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs, le premier ayant été conclu à compter du 4 mai 2002 et le dernier s’étant achevé le 13 juin 2019.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective de la production audiovisuelle.

La société People a été placée en redressement judiciaire par jugement du 30 août 2018 du tribunal de commerce de Bobigny puis en liquidation judiciaire par jugement du 20 juin 2019 du même tribunal, la société Bailly MJ ayant été ainsi nommée liquidateur de cette entreprise.

Sollicitant notamment la requalification de ses différents contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps plein, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 28 octobre 2019 aux fins d’obtenir la fixation au passif de la société People de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 26 novembre 2020, le conseil de prud’hommes a débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Le 21 décembre 2020, M. [G] a interjeté appel de ce jugement.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 18 mars 2022, M. [G] demande à la cour de :

Déclarer son appel recevable et bien fondé,

Infirmer le jugement dans son intégralité,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Requalifier les contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein avec reprise d’ancienneté au 4 mai 2002,

Requalifier la rupture de la relation de travail intervenue à la date de son dernier contrat le 13 juin 2019 en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixer son salaire de référence à 3.333,33 euros bruts mensuels,

Fixer au passif de la procédure les créances suivantes :

– 10.000 euros nets à titre d’indemnité de requalification,

– 48.258,50 euros bruts de rappels de salaire au titre des périodes intercalaires entre deux contrats de travail pour la période du 13 juin 2016 au 13 juin 2019,

– 4.825,85 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 6.666,66 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 666,66 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 30.826,64 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 46.666,62 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4.000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les dépens éventuels,

A titre subsidiaire,

Requalifier ses contrats de travail à durée déterminée sucessifs en contrat de travail à durée indéterminée à 40% avec reprise d’ancienneté au 4 mai 2002,

Juger que la rupture de la relation de travail intervenue à la date du dernier contrat de travail du 13 juin 2019 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixer son salaire de référence à 1.752,33 euros bruts mensuels,

Fixer au passif de la procédure les créances suivantes :

– 10.000 euros nets à titre d’indemnité de requalification,

– 1.100 euros bruts à titre de rappels de salaires au titre des périodes intercalaires entre deux contrats de travail entre le 13 juin 2016 et le 13 juin 2019,

– 110 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 3.504,66 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 350,46 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 16.205,55 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 24.532,62 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4.000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les dépens éventuels,

Déclarer le jugement à intervenir opposable à l’AGS,

Ordonner pour les intérêts légaux qu’à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère salarial, à compter de la notification de l’arrêt à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire, avec capitalisation des intérêts,

Ordonner la remise par la société Bailly MJ en qualité de liquidateur de la société People les bulletins de paye rectifiés pour la période de juin 2016 à juin 2019 ainsi que ses documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail et solde de tout compte) conformes à l’arrêt à intervenir,

Assortir cette injonction d’une astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l’arrêt à intervenir.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 16 juin 2021, le liquidateur de la société People demande à la cour de :

Dire et juger irrecevables comme prescrites les demandes relatives à l’exécution des contrats de travail à durée déterminée pour la période antérieure au 28 octobre 2017,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de requalification de la relation de travail en contrat à temps plein,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la relation de travail ne caractérisait pas un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Débouter M. [G] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions et le condamner aux entiers dépens.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 14 juin 2021, l’Unedic Délégation AGS CGEA Île de France Est (ci-après désignée l’AGS) demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

Déclarer prescrites et donc irrecevables les demandes de M. [G] relatives aux contrats à durée déterminée antérieurs au 7 novembre 2017 (indemnité au titre de la requalification en contrat à durée indéterminée, indemnité de préavis et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rappel de salaires),

Par conséquent,

Rejeter les demandes à titre de rappel de salaire pour la période antérieure au 7 novembre 2017,

Débouter M. [G] de la demande de requalification du contrat de travail à temps complet et de la demande de rappel de salaire au titre d’un temps complet,

A titre infiniment subsidiaire,

Dire et juger irrecevables comme prescrites les demandes à titre de rappel de salaire pour la période antérieure au 28 octobre 2017,

Par conséquent,

Rejeter les demandes à titre de rappel de salaire pour la période antérieure au 28 octobre 2016,

Limiter le rappel de salaire total à 8115,40 euros bruts et 811,54 euros à titre des congés

payés afférents,

Limiter l’indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée à 2.244,00 euros,

Limiter l’indemnité compensatrice de préavis à 4.488,56 euros et les congés payés afférents à 448,85 euros,

Limiter le calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement de M. [G],

Limiter à de plus justes proportions l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, En tout état de cause,

Dire et juger que toute fixation au titre des salaires pour la période comprise entre le 30 août

2018 et le 20 juin 2019 n’est pas garantie par elle au-delà d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, en application de l’article L. 3253-8 du code du travail,

Dire et juger qu’elle ne devra procéder à l’avance des éventuelles créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15 à L 3253-21 du nouveau code du travail, et notamment dans la limite du plafond 6,

Constater, vu les dispositions de l’article L.622-28 du code de commerce, que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l’ouverture de la procédure collective,

Constater, vu les termes de l’article L.3253-6 du Code du travail, que le paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’entre pas dans le champ d’application de sa garantie,

Lui donner acte de ce qu’elle n’est pas concernée par la remise de documents,

Statuer ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à sa charge.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 23 novembre 2022.

MOTIFS :

Sur la requalification des contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps plein :

* Sur la période concernée par la demande en requalification :

M. [G] soutient qu’il a été engagé en qualité de chef monteur dans le cadre de plus de 190 contrats à durée déterminée successifs sur la période du 4 mai 2002 au 13 juin 2019.

En défense, si l’employeur ne conteste pas l’existence d’une relation de travail sur une longue période, il ne précise nullement dans ses écritures quel était le point de départ de ses relations contractuelles avec le salarié.

En l’espèce, M. [G] produit :

– des contrats de travail à durée déterminée conclus avec la société People pour la période du 4 janvier 2016 au 13 juin 2019 et pour le 4 mai 2002

– des bulletins de paye émis par la société People au titre de la période du 4 mai 2002 au 18 décembre 2018.

Il se déduit de ces éléments non contestés par les intimés que M. [G] a été employé par la société People au cours de la période du 4 mai 2002 au 13 juin 2019.

* Sur la prescription :

La société People soutient qu’en application des dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail, la demande de requalification en contrat à durée indéterminée portant sur les contrats antérieurs au 7 novembre 2017 est prescrite puisque M. [G] n’a saisi le conseil de prud’hommes de cette demande que le 28 octobre 2019.

Le salarié considère au contraire que sa demande n’est pas prescrite.

Selon l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable à la cause, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. En application de l’article L. 1245-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance susvisée, par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier.

Il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.

En l’espèce, il ressort des écritures de M. [G] que sa demande de requalification est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée et porte sur une succession de contrats à durée déterminée. Par suite, le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 1471-1 du code du travail est le terme du dernier contrat, soit le 13 juin 2019.

Par suite, l’action en requalification de M. [G] exercée le 28 octobre 2019 devant le conseil de prud’hommes n’est pas prescrite.

* Sur le bien-fondé :

M. [G] fait valoir qu’il a été en charge pendant plus de 17 ans du montage d’émissions produites par la société People destinées à être diffusées sur 35 chaînes de télévision africaines nationales et que son emploi de chef monteur était lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

En défense, le liquidateur de la société People et l’AGS soutiennent que les dispositions légales et conventionnelles applicables à la profession de chef monteur permettent la conclusion de contrats de travail à durée déterminée d’usage, outre le fait que pendant la période concernée M. [G] a travaillé pour d’autres employeurs.

Selon l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Si l’article L.1242-2 du code du travail permet de recourir à des contrats à durée déterminée dits d’usage dans certains secteurs d’activité définis par décret, pour des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois et notamment dans les secteurs du spectacle, de l’audiovisuel ou de la production cinématographique, le recours à l’utilisation de ces contrats doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

En l’occurrence, la société People, qui a employé M. [G], exerce son activité dans le secteur de l’audiovisuel, lequel est mentionné par l’article D. 1242-1 du code du travail comme secteur dans lequel des contrats à durée déterminée d’usage peuvent être conclus. Pour autant, s’agissant des raisons objectives, le liquidateur de la société People et l’AGS ne produisent aucun élément susceptible de démontrer le caractère temporaire des fonctions occupées par le salarié et il apparaît au contraire que celui-ci a travaillé pour la société People régulièrement pendant plus de 17 ans à raison de 80 journées par an en moyenne et toujours en qualité de chef monteur. Ainsi, l’emploi occupé par le salarié relevait manifestement de l’activité permanente et durable de l’entreprise.

Il découle de ces observations que la relation contractuelle doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 mai 2002.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

L’ancienneté de M. [G] dans l’entreprise doit être déterminée à compter du 4 mai 2002 et jusqu’à la date de rupture de la relation contractuelle, soit le 13 juin 2019, cette date correspondant au terme du dernier contrat à durée déterminée versé au débats. Ainsi, à cette dernière date, il bénéficiait d’une ancienneté de 17 ans, 1 mois et 9 jours.

* Sur la requalification en contrat à temps plein :

En premier lieu, il est constant que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

En second lieu, l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

En l’espèce, il ne ressort ni des contrats de travail à durée déterminée produits ni des bulletins de paye versés aux débats que M. [G] a été engagé pendant les périodes couvertes par un contrat seulement à temps partiel.

Dès lors, il n’y a pas lieu de procéder à la requalification de la relation contractuelle en temps plein puisque les contrats produits sont présumés déjà être à temps plein.

Sur le rappel de salaire au titre des périodes interstitielles pour la période du 13 juin 2016 au 13 juin 2019 :

A titre principal, M. [G] sollicite l’inscription au passif de la liquidation judiciaire de la société People de la somme de 48.258 euros bruts à titre de rappels de salaire au titre des périodes intercalaires entre deux contrats à durée déterminée pour la période du 13 juin 2016 au 13 juin 2019, outre 4.825,85 euros de congés payés afférents. Il sollicite également à titre subsidiaire, dans l’hypthèse où il ne serait pas fait droit à sa demande de requalification à temps plein, l’inscription au passif de la liquidation de la société People des sommes de 1.100 euros à titre de rappel de salaire, outre 110 euros de congés payés afférents.

En défense, le liquidateur de la société People et l’AGS soutiennent que ces demandes sont prescrites pour la période antérieure au 28 octobre 2017 et infondées.

* Sur la prescription partielle de la demande :

Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail tel que modifié par la loi du 14 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Compte tenu de la date de saisine du conseil de prud’hommes, à savoir le 28 octobre 2019, seule la demande de rappel de salaire au titre de la période du 13 juin 2016 au 27 octobre 2016 est prescrite.

* Sur le bien-fondé :

En cas de requalification de contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à un rappel de salaire pendant les périodes interstitielles s’il prouve qu’il a dû se tenir à la disposition de l’employeur et qu’il s’est effectivement tenu à sa disposition.

Or, en l’espèce, il ne ressort d’aucun élément produit que le salarié s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles au cours de la période non prescrite du 28 octobre 2016 au 13 juin 2019.

Dès lors, les demandes salariales de M. [G] seront rejetées et le jugement sera confirmé en conséquence.

Sur l’indemnité de requalification :

Le salarié demande la somme de 10.000 euros nets à titre d’indemnité de requalification.

Le liquidateur de la société People et l’AGS demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté le salarié de cette demande indemnitaire.

Selon l’article L. 1452-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. Lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

En premier lieu, il ressort de la moyenne des salaires des douze derniers mois mentionnés dans les bulletins de paye produits que le salaire mensuel moyen brut de M. [G] doit être fixé à la somme de 1.811 euros.

En second lieu, il ressort des développements précédents que la relation contractuelle a été requalifiée par la cour en contrat de travail à durée indéterminée. Par suite, l’employeur est redevable à l’égard du salarié d’une indemnité de requalification.

Compte tenu de ces éléments, il sera accordé à M. [G] la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de requalification. Cette somme sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société People.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

Sur les indemnités de rupture :

Au préalable, la requalification en contrat à durée indéterminée a pour effet de soumettre la rupture du contrat aux règles gouvernant le licenciement et l’arrivée du terme du contrat à durée déterminée ne peut suffire à justifier la rupture du contrat de travail.

En l’espèce, les parties s’accordent sur le fait que les relations contractuelles ont cessé au terme du dernier contrat de travail à durée déterminée produit, soit le 13 juin 2019.

Or, comme il a été dit précédemment, la seule arrivée du terme du dernier contrat à durée déterminée est insuffisante à caractériser une cause réelle et sérieuse de rupture, laquelle s’analyse donc en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, M. [G] est bien fondé à réclamer le paiement des indemnités de rupture et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

Compte tenu de l’ancienneté de M. [G], il peut utilement solliciter une indemnité compensatrice de préavis de deux mois, conformément aux dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail et aux stipulations de l’article V.1.2.1. de la convention collective applicable, conformes sur ce point.

Il lui sera ainsi alloué la somme de 3.622 euros bruts à ce titre, outre 362,20 euros de congés payés afférents. Cette somme sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société People. Le jugement sera infirmé en conséquence.

* Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement :

Selon l’article V.1.2.2. de la convention collective applicable, l’indemnité de licenciement, sauf pour faute grave ou lourde, est due au salarié après une année d’ancienneté dans l’entreprise, par année ou fraction d’année d’ancienneté.

Elle est calculée par tranche d’ancienneté dans l’entreprise comme suit :

a) Licenciement pour motif personnel :

– moins de 10 ans d’ancienneté : 2/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté,

– à partir de 10 ans d’ancienneté : 2/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté, plus 2/15e de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté au-delà de 10 ans.

b) Licenciement pour motif économique :

– moins de 10 ans d’ancienneté : 5/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté ;

– à partir de 10 ans d’ancienneté : 5/10 de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté, plus 1/10e de mois de salaire par année ou fraction d’année d’ancienneté au-delà de 10 ans.

Selon l’article R. 1234-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige et issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans,

2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.

En premier lieu, il ressort des écritures de M. [G] qu’il fonde sa demande d’indemnité de licenciement sur les stipulations du b) de l’article V.1.2.2. de la convention collective de la production audiovisuelle alors que celles-ci n’ont vocation à s’appliquer qu’à l’indemnité de licenciement consécutive à un licenciement pour motif économique, ce qui n’est point le cas en l’espèce. Si l’indemnité conventionnelle de licenciement ne peut être fixée qu’en vertu du a) de l’article V.1.2.2. précité, la cour constate que les dispositions légales en ce domaine sont plus favorables et doivent donc servir de base juridique à l’indemnité de licenciement sollicitée.

En second lieu, compte tenu de l’ancienneté du salarié prenant en compte le préavis de deux mois et du montant de son salaire mensuel brut fixé dans les développements précédents, il sera alloué à M. [G] une indemnité de licenciement d’un montant de 8.904,17 euros nets, conformément à la formule ci-après :

((1.811×1/4)x10)+((1.811×1/3)x7)+((1.811×1/3)x3/12)

Cette somme sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société People. Le jugement sera infirmé en conséquence.

* Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

En troisième lieu, l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 dispose que lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l’article.

En l’occurrence pour une ancienneté de 17 ans, l’indemnité minimale s’élève à 3 mois de salaire brut et l’indemnité maximale est de 14 mois.

Eu égard à l’âge du salarié au moment de la rupture du contrat de travail (56 ans), à son salaire, à son ancienneté et au fait qu’il est toujours au chômage, il convient de lui allouer la somme de 10.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette somme sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société People. Le jugement sera infirmé en conséquence.

Sur les demandes accessoires :

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande du salarié tendant à la remise de documents de fin de contrat conformes au présent arrêt est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.

L’AGS ne conteste pas la mise en oeuvre de sa garantie dans les termes et conditions de l’article L 3253-17 et L 3253-19 du code du travail.

Sur les intérêts légaux, en application de l’article L. 621-48 du code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective interrompt le cours des intérêts.

Enfin, il n’est pas inéquitable de rejeter les demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

DIT que l’action en requalification n’est pas prescrite,

DIT que les demandes salariales au titre des périodes interstitielles portant sur la période du 13 juin 2016 au 27 octobre 2016 sont prescrites,

CONFIRME le jugement en ce qu’il a débouté M. [X] [G] de sa demande tendant à la fixation de son salaire de référence à la somme de 3.333,33 euros bruts, ainsi que de ses demandes pécunaires au titre des rappels de salaire pour les périodes intercalaires entre deux contrats de travail entre le 13 juin 2016 et le 13 juin 2019,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée à temps plein conclus entre M. [X] [G] et la société People en contrat à durée indéterminée.

DIT que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée survenue le 13 juin 2019 est dépourvue de cause réelle et sérieuse,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société People les créances de M. [X] [G] aux sommes suivantes :

– 10.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 8.904,17 euros nets à titre d’indemnité de licenciement,

– 3.622 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 362,20 euros bruts de congés payés afférents,

– 3.000 euros nets à titre d’indemnité de requalification,

RAPPELLE que l’ouverture de la procédure collective a interrompu le cours des intérêts,

DIT que la présente décision est opposable à l’Unedic Délégation AGS CGEA Île de France Est dans les limites de la garantie qui ne porte pas sur les frais irrépétibles.

ORDONNE la remise par le liquidateur de la société People au profit de M. [X] [G] de bulletins de salaire, d’une attestation destinée à Pôle emploi, d’un certificat de travail et d’un solde de tout compte conformes à l’arrêt,

DIT n’y avoir lieu à astreinte,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d’appel,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,

MET les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société en liquidation judiciaire.

La greffière, La présidente.

 


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