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Protection du Savoir-faire : 6 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00401

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Protection du Savoir-faire : 6 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00401

6 avril 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00401

OM/CH

[R] [M]

C/

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE CHALON-SUR-SAONE

S.C.P. BECHERET – [D] – SENECHAL – GORRIAS – GASNIER en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS NORDEON et

de la SAS NORDEON HOLDING

S.A.R.L. VAROVA MANAGEMENT BV

S.A.S. PHILIPS FRANCE DEVENUE SIGNIFY FRANCE

S.A.R.L. PHILIPS LIGHTING BV

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 06 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00401 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FWQ6

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section Encadrement, décision attaquée en date du 19 Avril 2021, enregistrée sous le n° F17/00271

APPELANT :

[R] [M]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Brigitte DEMONT-HOPGOOD de la SELARL HOPGOOD ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

INTIMÉES :

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE CHALON-SUR-SAONE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, et Me Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

S.C.P. BECHERET – [D] – SENECHAL – GORRIAS – GASNIER en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS NORDEON et de la SAS NORDEON HOLDING

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Hubert MARTIN DE FREMONT, avocat au barreau de PARIS

S.A.R.L. VAROVA MANAGEMENT BV

[Adresse 7]

[Adresse 7] – PAYS-BAS

représentée par Me Mirjam BERG de la SELARL AMSTEL & SEINE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. PHILIPS FRANCE DEVENUE SIGNIFY FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Philippe THOMAS du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Thibault MEIERS, avocat au barreau de PARIS, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON

S.A.R.L. PHILIPS LIGHTING BV

[Adresse 6]

[Adresse 6] PAYS-BAS

représentée par Me Philippe THOMAS du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Thibault MEIERS, avocat au barreau de PARIS, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [M] (le salarié) a été engagé par la société Philips France devenue Signify France, puis son contrat de travail a été transféré, le 3 décembre 2012, à la société Nordeon, laquelle a été placée en liquidation judiciaire le 14 avril 2017.

Il a été licencié le 29 mai 2017 pour motif économique, après autorisation administrative, s’agissant d’un salarié protégé.

Il est constant que la société Philips France a créé deux filiales TGI tubes devenue la société Marvell glass, le 31 octobre 2012, et la société Nordeon, le 27 décembre 2012, cette société étant cédée à la société Nordeon holding.

Un contrat de fourniture était conclu entre les sociétés Philips France et Philips lighting et la société Nordeon, l’approvisionnement auprès de cette dernière société étant prévu sur quatre années, de façon dégressive, jusqu’au 4 décembre 2016.

De plus, la société Philips a garanti aux salariés des sociétés Nordeon et Marvell glass le bénéfice du PSE qu’elle a mis en place en son sein, pour les licenciements pour motif économique intervenus avant le 4 décembre 2016.

Les sociétés Marvell glass et Nordeon holding ont été placées en liquidation judiciaire le 14 avril 2017, pour un état de cessation de paiement respectivement les 21 et 14 février 2017.

La société Varova management BV a présidé la société Nordeon à compter du 3 décembre 2012.

Estimant que le transfert de son contrat de travail est nul, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 19 avril 2021, a rejeté toutes ses demandes.

Le salarié a interjeté appel le 21 mai 2021.

Il conteste la validité du transfert de son contrat de travail en raison d’une fraude, à titre subsidiaire, la réparation du préjudice causé par l’exécution déloyale et fautive du contrat de travail par la société Philips ce qui a entraîné la perte d’une chance de bénéficier du PSE établi par cette société et, à titre très subsidiaire, met en cause la responsabilité de la société Varova qui aurait maintenu artificiellement l’activité de la société Nordeon au-delà du 4 décembre 2016 et invoque, en conséquence, la perte d’une chance de bénéficier du PSE précité et demande le paiement par la société Signify France des sommes de :

– 12 705 euros d’indemnité de préavis,

– 1’270,50 euros de congés payés afférents,

– 11’793,26 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 600 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire, à la société Signify France :

– 11’793,26 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, pour perte de chance de bénéficier du PSE de la société Philips,

– 600 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

à titre très subsidiaire, à la société Varova :

– 11’793,26 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier du PSE de la société Philips,

– 600 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre liminaire, les sociétés Signify (la société) et Signify France demandent la confirmation du jugement en ce qu’il s’est reconnu incompétent pour connaître des demandes dirigées à leur encontre, et en conséquence demande le renvoi des parties devant le tribunal judiciaire de Nanterre, et à titre subsidiaire, la mise hors de cause de la société Signify.

Elles concluent à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il rejette les demandes du salarié lesquelles sont irrecevables.

A titre subsidiaire, il est demandé de juger que le transfert du contrat de travail est valable et de confirmer le jugement sur le rejet des prétentions du salarié.

Elles sollicitent le paiement de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Varova management BV (Varova) demande sa mise hors de cause comme n’ayant jamais été actionnaire direct ou indirect de la société Nordeon, à titre subsidiaire, conteste avoir commis une quelconque faute et réclame au salarié 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias représentée par M. [D] ès-qualités de liquidateur judiciaire des sociétés Nordeon et Nordeon Holding (le liquidateur) demande la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, et de déclarer irrecevables les demandes de M. [M] dirigées à l’encontre de la procédure collective. Il sollicite la condamnation au paiement de 100 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’AGS CGEA de [Localité 5] (l’AGS) demande l’infirmation du jugement et sa mise hors de cause en indiquant que le transfert du contrat de travail n’est pas valide, que le licenciement est nul et demande à la société Philips le remboursement d’un indu chiffré à 78 456 euros.

A titre subsidiaire, l’AGS soutient que le licenciement est fondé sur une cause économique et, en tout état de cause, elle rappelle les limites de sa garantie.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 30 juillet, 5, 21 22 et 27 octobre 2021.

MOTIFS :

Sur l’incompétence soulevée du conseil de prud’hommes à l’égard de l’action dirigée contre la société Signify et Signify France :

La société Signify indique qu’elle n’a jamais été l’employeur du salarié qui ne peut donc former, à son encontre, qu’une action tendant à rechercher sa responsabilité extra-contractuelle, de sorte que seul le tribunal judiciaire de Nanterre serait compétent pour en connaître.

Le salarié demande l’infirmation du jugement en ce qu’il s’est reconnu incompétent, s’agissant d’un litige relatif à la détermination de la qualité d’employeur alors que la validité des transferts de son contrat de travail est contestée et que la fraude est invoquée.

Il sera relevé que l’article L. 311-1 du code de l’organisation judiciaire reconnaît une compétence générale à la cour d’appel et que les dispositions particulières à certaines chambres ne portent que sur la matière pénale.

Si l’article R. 311-6 du même code prévoit une disposition particulière pour la chambre sociale, celle-ci n’est pas exclusive, la chambre sociale d’une cour d’appel n’étant pas une juridiction distincte.

Il en résulte que la chambre sociale est compétente pour apprécier une éventuelle action en responsabilité extracontractuelle.

La cour de céans est donc compétente pour connaître des demandes dirigées à l’encontre de la société Signify France.

Au surplus, cette discussion est sans intérêt concernant la société Signify, dès lors que le salarié ne forme aucune demande contre la société Signify mais uniquement contre la société Signify France, Varova ou en fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Nordeon. Le moyen relatif à l’incompétence à l’encontre de la société Signify est donc sans objet.

Sur la forclusion invoquée :

La société invoque une ‘forclusion’ en visant l’article L. 1471-1 du code du travail, en rappelant que le transfert du contrat de travail est intervenu le 3 décembre 2012 et que c’est à compter de cette date que le salarié a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit.

Elle ajoute que le raisonnement du salarié ‘confine à l’estoppel’ doit être sanctionné par la forclusion, dès lors qu’il admet ne pas avoir eu de raison objective pour contester le transfert du contrat de travail mais le critique aujourd’hui.

Le salarié invoque la fraude et fait courir le point de départ au dernier indice de cette fraude, soit le jugement de liquidation judiciaire le 14 avril 2017. Il ajoute que la fraude résultant d’éléments cachés, elle n’a été connue qu’à compter de sa révélation, soit la concomitance entre la fin du contrat d’approvisionnement le 4 décembre 2016 et le redressement judiciaire du 2 mars 2017 puis la liquidation judiciaire du 14 avril 2017.

Il sera relevé que l’article L. 1471-1 du code du travail ne vise pas un délai de forclusion mais de prescription.

Par ailleurs, en matière de licenciement pour motif économique, ce délai est prévu par l’article L. 1235-7 du même code.

Dès lors que le salarié a été licencié le 29 mai 2017 et qu’il a saisi le conseil de prud’hommes le 19 septembre 2017, il en résulte que le délai de prescription est interrompu à cette date, avant que l’action en contestation ne soit prescrite.

Le moyen portant sur la ‘forclusion’ sera donc écarté.

Sur les moyens ‘confinant’ à l’estoppel, il sera rappelé que l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui en procédure civile, implique par celui qui l’invoque de démontrer la contradiction alléguée.

Ici, le fait pour le salarié de ne pas avoir contesté le transfert de son contrat de travail, lors de ce transfert, ne contredit pas son attitude procédurale postérieure tendant à contester la validité de ce transfert après la procédure collective affectant la société à laquelle le contrat a été transféré, laquelle est intervenue peu de temps après la fin de l’engagement de la société pour inclure dans son PSE, les salariés dont le contrat de travail avait été transféré.

Cette fin de non-recevoir ne peut donc prospérer.

Les demandes du salarié sont donc recevables.

Sur les pièces en langue étrangère, il sera constaté qu’aucune demande ne figure aux dispositifs des conclusions des parties de sorte que la cour n’en est pas saisie par application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile.

Sur le transfert du contrat de travail :

1°) Sur la notion d’entité économique autonome :

L’article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, absorption, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.

Ces dispositions s’appliquent en cas de transfert d’une entité économique autonome, soit un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre, dès lors que cette entité conserve son identité et que l’activité est poursuivie ou reprise.

En l’espèce, le salarié soutient que l’entité économique autonome a disparu par la création artificielle de deux filiales, alors que l’activité initiale de fabrication de tubes en verre pour permettre la fabrication de lampes fluorescentes constituait une seule entité de cette sorte.

Il se reporte à la note de la société du 17 décembre 2012 prévoyant la création d’une filiale pour l’activité verrerie et une autre pour l’activité lampe et fonctions supports.

Il ajoute que la société Nordeon avait la responsabilité de la gestion des ressources humaines de la société Marvell glass, la logistique et les achats de cette société, la production, la comptabilité, la maintenance électrique des machines de production, la maintenance des bâtiments et les relations avec les administrations sur les domaines de la qualité, la sécurité et l’environnement.

Il relève que ces deux sociétés étaient présidées par la société Varova, que la société Marvell glass était le seul fournisseur de la société Nordeon en tubes de verre et que l’interdépendance entre ces sociétés se traduit par la couverture des dettes de la société Marvell glass par la société Nordeon pendant ses trois premiers exercices et l’entrée de la société Nordeon dans le capital de la société Marvell glass en 2015.

Il indique que la société Marvell glass était gérée par la société Nordeon, son équipe de direction étant intégralement composée des membres de la société Nordeon, à l’exception de M. [U], que les deux sociétés disposaient d’un plan de prévention des risques commun, que les fonctions de régleurs étaient permutables entre les deux sociétés, que celles-ci étaient soumises au même arrêté préfectoral des installations classées et que la dette de la société Marvell glass de plus de deux millions d’euros a été convertie à hauteur de 1,7 millions, en capital soit 40 % du capital de la société Marvell glass.

Il en conclut que la société Marvell glass n’avait aucune autonomie vis-à-vis de la société Nordeon et ne pouvait constituer une entité économique autonome.

La société répond que l’opération de filialisation/cession est licite, que la fraude est exclue et que le transfert d’entités économiques autonomes est valide, la division d’une entité économique autonome en plusieurs cessionnaires n’excluant pas nécessairement l’application des dispositions de l’article L. 1224-1 précité.

Elle ajoute que l’intégralité du site de [Localité 5] et ses activités ont été cédés au groupe Varova.

Il appartient à celui qui conteste la validité du transfert de son contrat de travail de le prouver.

Il incombe donc au salarié d’apporter des éléments probants remettant en cause ce transfert dès lors qu’il conteste le fait que la société Marvell glass soit une entité économique autonome au sens de la définition ci-avant rappelée.

De même, comme le souligne la société, la division en deux filiales d’une branche d’activité ne constitue pas, en soi, une cause d’exclusion des dispositions de l’article précité, dès lors que les deux filiales s’analysent en des entités économiques autonomes.

Egalement, la présence d’un plan de prévention des risques commun liée à une même implantation géographique ou la permutation possible d’une partie du personnel ou encore la transformation d’une dette en prise de capital entre les deux sociétés ne sont pas des éléments déterminants.

Il convient de rechercher, au-delà du cadre juridique de création et de cession des éléments de la branche d’activité, soit la production de lampes fluorescentes, si les sociétés Nordeon et Marvell glass sont des entités économiques autonomes.

Ces deux sociétés ont des activités complémentaires mais distinctes, la fabrication de tubes en verre pour la société Marvell glass et la production de lampes en grande série et de lampe spéciale à usage professionnel pour la société Nordeon.

Les éléments corporels (les bâtiments de fabrication, l’outillage, les fours etc…) et incorporels (le savoir-faire notamment) ont été transmis, peu important s’il s’agit ou non d’un transfert de propriété dès lors que l’usage en est effectif, ainsi que le personnel par le transfert des contrats de travail.

Il existe deux régimes d’autorisation d’exploitation (arrêté préfectoral du 6 août 2015) et deux activités économiques poursuivant une activité propre, soit la production de lampes d’un côté et, de l’autre, la production de verre, activité complémentaire mais distincte, l’une pouvant exister sans l’autre.

De plus, la société Marvell glass a conclu un autre contrat en 2014 avec une société Sylvania et la société Nordeon a modifié, en 2014, l’accord d’approvisionnement initial pour pouvoir intégrer aux lampes ses propres tubes de verre.

Enfin, l’existence d’une mise en commun de certains services comme la comptabilité ou la gestion des ressources humaines ne fait pas obstacle à l’existence d’une telle entité en présence de société ayant conservé leur propre identité et ayant poursuivi des activités économiques distinctes.

En conséquence, au regard d’entités économiques autonomes avérées, le transfert du contrat de travail n’encourt pas la nullité.

2°) Sur la fraude alléguée lors du transfert du contrat de travail :

Le salarié soutient que la société a commis une fraude en organisant la cession d’une activité déficitaire dans des conditions ne permettant pas d’assurer sa pérennité et dans le seul but de se séparer d’une activité non rentable, avec les salariés concernés, sans assumer les conséquences légales liées à cette décision.

Il indique que la société connaissait la réglementation européenne visant à faire disparaître l’utilisation du mercure dans les luminaires, notamment les règlements n° 244/2009 et 245/2009 du 18 mars 2009 et le règlement n° 1194/2012 du 12 décembre 2012 et que le secteur était en déclin comme le souligne l’expert dans son rapport diligenté, en 2017, à la demande du comité d’entreprise.

Il ajoute que le plan de cession était irréaliste, le pari de tirer profit d’une demande résiduelle n’ayant pas la moindre chance d’aboutir pour un repreneur sans une certaine expérience du marché, la société Varova n’étant pas un repreneur crédible mais un fonds d’investissement sans réelle expérience industrielle.

Il est souligné que l’intention d’abandon de la production de verre sodo-calcique au profit de verre borosilicate proposée par la société Varova nécessitait des investissements notamment pour modifier les fours et que cette mutation a été abandonnée mi-2013.

Par ailleurs, le salarié souligne que le recrutement d’une équipe commerciale a profité à d’autres sociétés rachetées par la société Nordeon dans le cadre de sa croissance externe, que les investissements en interne n’ont pas eu lieu lors des trois premiers exercices qui ont été déficitaires et que l’abandon de créance avec une contre-partie en capital entre les deux sociétés a été sans effet pour l’amélioration de la situation financière de la société Marvell glass, qu’aucun investissement dans la technologie LED n’a été réalisé à temps, la transition technologique n’étant pas effective en 2017 et les investissements transférés à d’autres sociétés du groupe Nordeon.

Il est également conclu que la production était tournée essentiellement vers la satisfaction de besoin d’approvisionnement de la société, la société Nordeon ne possédant aucune autonomie, que les accords commerciaux comportaient des clauses léonines et que la société a employé des artifices pour faire reculer la date de fermeture du site après le 4 décembre 2016, en utilisant un contrat d’approvisionnement sur quatre ans, la survie de la société Marvell glass dépendant de celle de la société Nordeon et étant programmée sur cette durée.

La société indique que l’opération de filialisation/cession est licite au regard du prix de cession, du ‘rationnel sous-tendant l’opération’, d’une activité qui n’était pas vouée à disparaître, de la licéité de la cessation d’activité en difficulté, des investissements réalisés, des garanties présentées par les repreneurs, des investissements réalisés par ceux-ci, de la poursuite de l’activité.

De l’absence de contrôle des repreneurs par ses soins, de l’absence de soutien frauduleux aux filiales de la société Varova et de la poursuite des relations d’affaires après la période de transition de quatre ans.

Il sera noté, d’abord, que le règlement n° 1194/2012 est postérieur au transfert du contrat de travail et que le salarié ne peut attester pour lui-même quant au refus de la société Varova de déposer le bilan en 2016 et l’attestation de M. [Y], également en litige avec la société, ne sera pas prise en considération.

Ensuite, la fraude nécessite de démontrer des actes accomplis dans le but de préjudicier à des droits que l’on doit respecter.

Il est établi, en l’espèce, que la société connaissait la réglementation européenne et son influence annoncée sur la diminution de la vente des types de lampes fabriquées par les deux sociétés.

La construction juridique de la cession de cette activité, comme le prix ou le choix économique y ayant présidé, ne sont pas en soi des éléments propres à caractériser la fraude, tout comme la cession d’une activité en difficulté.

De même, la poursuite de cette activité ne suffit pas à l’exclure.

Il sera relevé que le contrat d’approvisionnement dégressif est prévu sur quatre années jusqu’au 4 décembre 2016 et qu’il s’accompagne du bénéfice du PSE de la société pour les salariés dont le contrat de travail a été transféré, s’ils ne sont pas licenciés pour motif économique avant cette date.

La société avait donc tout intérêt à ce que l’activité de la société Nordeon et la société Marvell glass perdure, au moins jusqu’à cette date, d’où les investissements réalisés.

Si la société se reporte aux contrats d’acquisition d’actions du 3 décembre 2012 prévoyant un engagement financier pour la transformation de l’atelier de verre en four à brososilicatés, il n’est pas établi que ces investissements ont été effectivement et entièrement réalisés.

Par ailleurs, les garanties présentées par la société Varova (notoriété, expérience, capacités financières, ambitions de développement…) n’excluent pas la fraude dès lors que ce groupe n’avait pas d’expérience dans la fabrication des tubes ni des lampes, lors de la reprise.

Il est avéré aussi que ce secteur d’activité était déclinant, concernait une clientèle résiduelle et que la société fixait les prix de vente lesquels diminuaient d’année en année (cf. second amendment to the manufacturing agreement) au regard de l’encadrement des prix prévu.

Cependant, le salarié ne démontre pas que la société a procédé à un soutien abusif de l’activité des sociétés Nordeon et Marvell glass, y compris en 2016, ni que la société Varova a maintenu l’activité de ces deux sociétés afin d’éviter une procédure collective et des licenciements pour motif économique avant le 4 décembre 2016.

De même, lors du transfert du contrat de travail, l’avenir économique de ces deux sociétés était assuré, au moins de façon dégressive, pour 4 ans et le salarié bénéficiait de la garantie partielle du PSE de la société qui ne l’a pas licencié à ce moment, avant le transfert du contrat.

La société s’est engagée à assumer le coût de la dépollution du site, à investir dans la transformation des fours, sans qu’il soit établi qu’elle connaissait l’impossibilité technique de cette transformation au moment du transfert ou par la suite et peu important qu’elle en soit restée propriétaire.

La société n’est pas de plus responsable des concours financiers promis et effectifs des repreneurs.

De plus, un accord cadre d’achat a été prévu entre la société et la société Nordeon le 30 novembre 2016, avec effet après cette date et alors que la société ignorait la situation économique des sociétés Nordeon et de Marvell glass.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments, que la cession de l’activité exercée sur le site de [Localité 5] n’a pas conduit à un transfert frauduleux du contrat de travail, faute de preuve en ce sens.

Les demandes du salarié, tendant à voir juger que son licenciement est nul, ne peuvent donc prospérer.

3°) Le salarié demande à titre subsidiaire, la réparation du préjudice distinct né de la perte de chance de bénéficier des conditions plus favorable du PSE mis en place au sein de la société Philips, en l’absence de transfert du contrat de travail.

Cette demande est sans objet, dès lors que la validité du transfert du contrat de travail a été retenue.

4°) Le salarié réclame, à titre très subsidiaire, la réparation des préjudices causés par les décisions qualifiées de dommageables, de la société Varova dès lors qu’il soutient que cette société n’a pris aucune décision stratégique susceptible de pérenniser l’activité des sociétés Nordeon et de Marvell Glass.

Il se fonde sur le rapport d’expertise précité pour indiquer que la société Varova, plutôt que de soutenir le plan de reprise, a préféré décider que la société Nordeon, alors moribonde, devait venir au soutien de la société Marvell Glass, encore plus moribonde que la précédente, pour représenter 57 % des créances impayées de la société Nordeon.

Il ajoute, sur la base d’un mail de la société Nordeon du 23 mars 2017, que la société Varova a pris des décisions dommageables et discriminatoires, à l’égard des salariés protégés adhérents à la CGT, afin de priver les salariés de toute chance de conserver leur emploi.

La société Varova rappelle qu’elle n’est ni actionnaire de la société Nordeon ni de la société Marvell Glass.

Elle précise que la société de droit allemand TGI n’a pas pu convertir les fours détenus par la société Nordeon pour produire du verre borosilicaté de bonne qualité.

Elle ajoute qu’elle n’a pas retardé le dépôt de bilan et que la décision a été prise par les responsables des sociétés Nordeon et Marvell Glass.

Le salarié n’apporte aucune preuve, à part les attestations de MM. [U] et [Y], qui ont été écartées, quant à l’existence d’une faute de la part de la société Varova.

De même, le mail produit émane de la société Nordeon et se limite à rapporter des propos de la société Varova, ce qui est insuffisant, faute de témoignage direct, pour caractériser une décision dommageable ou discriminatoire de nature à engager la responsabilité de cette société.

La demande sera donc rejetée et la société Varova mise hors de cause.

5°) Le liquidateur soutient que les demandes du salarié dirigées contre la procédure collective de la société Nordeon sont irrecevables étant donné que son licenciement est intervenu après l’autorisation définitive de l’inspection du travail.

La cour de céans constate cependant que le salarié ne forme aucune demande au passif de la liquidation de la société Nordeon.

L’examen de l’irrecevabilité des demandes devient sans objet.

Sur les autres demandes :

1°) L’AGS invoque l’enrichissement injustifié de la société à son détriment en ce qu’elle a dû verser des sommes au salarié au titre de salaires, de congés payés, du délai de réflexion pour le CSP, le préavis du CSP, l’indemnité de licenciement et diverses autres sommes.

Il en résulte que sa demande de mise hors de cause est en contradiction avec cette demande, la mise hors de cause ne lui permettant plus de solliciter ce remboursement.

Par ailleurs, le transfert du contrat de travail ayant été validé et la nullité du licenciement pour motif économique écartée, les paiements auxquels l’AGS a procédés, sont causés.

La demande de paiement sera rejetée.

Enfin, l’AGS doit garantie, dans les limites des sommes déjà éventuellement qui viendront en déduction de celles accordées au salarié, le tout dans la limite du plafond légal tel que fixé aux articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

2°) De ce qui précède, la mise hors de cause de la société Signify sera accueillie.

3°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Le salarié supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

– Dit que le moyen d’incompétence soulevé par les sociétés Signify et Signify France est sans objet à l’encontre de la société Signify’;

– Confirme le jugement du 19 avril 2021 ;

Y ajoutant :

– Se déclare compétente des demandes dirigées à l’encontre de la société Signify France’;

– Met hors de cause la société Varova management BV et la société Signify ;

– Rejette les demandes de l’AGS CGEA de [Localité 5] ;

– Rejette les autres demandes’;

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

– Condamne M. [M] aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Kheira BOURAGBA Olivier MANSION

 


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