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Les références trop appuyées aux vins d’AOP pour commercialiser des produits distincts des vins et spiritueux peuvent peuvent être sanctionnées au titre du parasitisme.
Une société de cadeaux-souvenirs a été condamnée pour avoir multiplié les références aux vins du bordelais pour promouvoir ses produits sur ses sites et ses réseaux sociaux et a ainsi exploité indûment la réputation des appellations d’origine correspondantes pour le bénéfice de son commerce.
En l’espèce, la marque « Grappe de thé » est présentée par la société Cityart Edition sur les réseaux sociaux comme une marque de thé « sur le modèle des cépages bordelais » ou encore comme la « première marque de thé dédiée aux vignobles de la région ». De plus, de nombreuses références aux vins sont faites.
L’usage des dénominations « Nuit tranquille à Saint-Emilion », « Cur de Sauternes » devenu « Cur perdu à Sauternes »,« Amoureux de Margaux » a également été sanctionné.
La société Cityart Edition, spécialisée dans la conception, la fabrication, la commercialisation et la distribution de produits souvenirs a fait un usage commercial et des évocations illicites des appellations d’origine « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes », protégées depuis 1954 s’agissant de l’appellation « Margaux » et depuis 1936 s’agissant des autres.
Pour rappel, en application de l’article 103, paragraphe 2, a) et b), du règlement (UE) no 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles :
« 2. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :
i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou
ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, “goût”, “manière” ou d’une expression similaire ; (…) ».
La Cour de justice de l’Union européenne a considéré que les situations pouvant être couvertes par l’article 16, sous a), du règlement no110/2008 du 15 janvier 2008 portant sur les boissons spiritueuses et rédigé dans les mêmes termes que l’article précité « doivent répondre à l’exigence d’un usage, par le signe litigieux, de l’indication géographique enregistrée à l’identique ou, à tout le moins, de façon fortement similaire, d’un point de vue phonétique et/ou visuel », cette disposition devant être différenciée de celle couverte par le point b), « lequel vise “toute usurpation, imitation ou évocation”, c’est-à-dire des situations dans lesquelles le signe litigieux n’emploie pas l’indication géographique en tant que telle, mais la suggère d’une manière telle que le consommateur est amené à établir un lien suffisant de proximité entre ce signe et l’indication géographique enregistrée » (CJUE, 7 juin 2018, Scotch Whisky Association c/ Michael Klotz, C-44/17, points 31 et 32).
Dans le cadre d’une utilisation directe ou indirecte de la dénomination protégée, si les produits ne sont pas comparables, outre la preuve de la notoriété de la dénomination protégée, il convient de démontrer l’exploitation de la réputation de cette dénomination.
La Cour de justice a par ailleurs dit pour droit que « l’évocation » visée à l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 « n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires » (CJUE, 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne c/ GB, C-783/19). Elle ajoute que « le critère déterminant est de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP », précisant que « ce lien doit être suffisamment direct et univoque » (points 58 et 59).
En revanche, il n’est pas nécessaire que l’évocation entraîne un risque de confusion (CJUE, 21 janvier 2016, Viiniverla Oy, C-75/15).
République française
Au nom du peuple français
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
2ème section
No RG 21/07290
No Portalis 352J-W-B7F-CUQHX
No MINUTE :
Assignation du :
25 Mai 2021
JUGEMENT
rendu le 13 Janvier 2023
DEMANDERESSES
Etablissement public L'[10]
[Adresse 2]
[Adresse 11]
[Localité 6]
CONSEIL INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Michel-paul ESCANDE de la SELARL M-P ESCANDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R266
DÉFENDERESSE
S.A.S. CITYART EDITION
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Nathalie SALTEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant,vestiaire #R175
et par Maître Vincent MAURIAC, de la SELARL MAURIAC AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Irène BENAC, Vice-présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 03 Novembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 Janvier 2023.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
1. L'[10] (ci-après « l'[9] ») est un établissement public administratif qui a notamment pour mission de reconnaître, contrôler, promouvoir et défendre les appellations d’origine, et le Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 7] (ci-après « le CIVB ») représente les professionnels de la viticulture, du négoce et du courtage des vins de Bordeaux. Ils reprochent à la société Cityart Edition, spécialisée dans la conception, la fabrication, la commercialisation et la distribution de produits souvenirs liés à la ville de [Localité 7], d’avoir fait un usage commercial et des évocations illicites des appellations d’origine « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes », protégées depuis 1954 s’agissant de l’appellation « Margaux » et depuis 1936 s’agissant des autres.
2. L’INAO et le CIVB ont appris que la société Cityart Edition commercialisait, depuis fin 2017, une gamme de thé sous le signe « Grappe de thé », dont les dénominations reprenaient, selon eux, les appellations d’origine et dont la présentation faisait référence aux vins du bordelais, et l’ont donc mis en demeure, les 3 avril et 27 juin 2019, de cesser cet usage.
3. La société Cityart Edition, bien que considérant que la seule référence à des villes de la région bordelaise ne portait pas atteinte aux appellations d’origine, a modifié la présentation de certains de ses produits, a supprimé des mentions et a changé la dénomination de certains de ses thés.
4. Estimant que la société Cityart Edition n’avait pas cessé toute référence aux appellations d’origine sur l’étiquetage et la présentation des thés de la gamme « Grappe de thé », l’INAO et le CIVB l’ont fait assigner devant ce tribunal le 25 mai 2021, pour usage commercial et évocation illicites des appellations d’origine protégées.
5. L’instruction a été close le 19 mai 2022 et l’affaire plaidée le 3 novembre 2022.
6. Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 17 mars 2022, l'[10] et le Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 7] demandent, invoquant un usage commercial illicite et à tout le moins une évocation illicite d’appellations d’origines protégées :
de condamner la société Cityart Edition à leur payer à chacun la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice,
des mesures d’interdiction, de rappel des circuits commerciaux et de destruction sous astreinte,
des mesures de publication sous astreinte,
de condamner la société Cityart Edition à leur payer à chacun la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens comprenant les frais de constat d’huissier.
7. L’INAO et le CIVB font tout d’abord valoir que la société Cityart Edition fait un usage commercial illicite des appellations d’origine « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » en ce qu’elle reprend ces appellations pour désigner six de ses neufs thés, ce qui conduit nécessairement le consommateur à faire un lien avec les vins qui bénéficient de ces appellations. Ils soutiennent, en réponse à la défenderesse, que la référence faite aux villes ne prive pas les usages des appellations d’origine de caractère fautif, la dénomination « Margaux » ne désignant d’ailleurs plus une entité administrative mais seulement les vins qui bénéficient de l’appellation d’origine depuis le changement de nom de la commune en Margaux-Cantenac. Ils ajoutent que les expressions « nuit tranquille », « noël », « printemps », « amoureux » et « étoile » sont banales pour désigner des thés, de sorte que les appellations d’origine constituent les seuls éléments distinctifs de ces dénominations. Ils considèrent en conséquence que l’usage commercial est caractérisé, et que celui-ci exploite la réputation découlant de la qualité des vins que les appellations d’origine en cause désignent.
8. Ils soutiennent par ailleurs que la société Cityart Edition évoque de manière illicite les appellations d’origine en cause par l’usage cumulatif :
– du signe semi-figuratif « Grappe de thé », la grappe faisant référence au vin, et l’élément figuratif représentant un vendangeur ;
– du vocabulaire qu’elle utilise se référant aux appellations d’origine bordelaises au sein de ses catalogues, sur ses sites internet et sur ses réseaux sociaux ;
– de la communication faite autour des points de vente qui sont majoritairement constitués de châteaux.
9. Selon les demandeurs, ces évocations conduisent le consommateur à établir un lien entre les thés litigieux et les appellations d’origine.
10. L’INAO et le CIVB exposent que cette exploitation de la réputation des appellations d’origine pour un autre produit et la multiplication des évocations emportent un risque de banalisation et de dilution des appellations, ainsi qu’un risque de perte du pouvoir attractif et d’identification leur causant un préjudice. Outre des mesures d’interdiction sous astreinte et de publication, ils font valoir que ces actes leur causent un préjudice moral et sollicitent, chacun, la somme de 15 000 euros.
11. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 février 2022, la société Cityart Edition résiste aux demandes et sollicite elle-même la condamnation « solidairement » de l’INAO et du CIVB à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
12. La société Cityart Edition réfute tout usage commercial illicite, faisant valoir que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de ce que l’utilisation litigieuse est susceptible de détourner et exploiter la notoriété des appellations d’origine en profitant indûment de leur réputation, preuve qui leur incombe dès lors que les produits en cause ne sont pas comparables. Elle considère au contraire que ses thés font uniquement référence aux villes et non aux appellations d’origine, les prépositions « de » et « à » permettant de faire le lien avec ces villes.
13. S’agissant de l’évocation, elle répond qu’il n’est pas démontré que le consommateur établirait un lien avec les appellations d’origine. Elle soutient que le terme « thé » au sein de sa marque semi-figurative est écrit dans une taille plus grande que les termes « grappe de » et que l’élément figuratif représente un arbre à thé et un ouvrier agricole récoltant du thé. Elle ajoute que la composition de ses étiquettes exclut tout lien avec le vin, et que l’absence de lien avec les appellations d’origine est d’autant plus patente que les thés font partie d’une gamme plus large utilisant des dénominations sans aucune référence géographique. Elle expose enfin que les produits se distinguent dans leur composition, leur mode de consommation et leurs réseaux et méthodes de distribution pour exclure tout risque d’association.
MOTIVATION
I. Demandes en usage illicite d’appellations d’origine protégées
1. Atteinte aux appellations d’origine protégées « [Localité 7] », « Sauternes », « Margaux » et « Saint-Emilion »
14. En application de l’article 103, paragraphe 2, a) et b), du règlement (UE) no 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles :
« 2. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :
i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou
ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, “goût”, “manière” ou d’une expression similaire ; (…) ».
15. La Cour de justice de l’Union européenne a considéré que les situations pouvant être couvertes par l’article 16, sous a), du règlement no110/2008 du 15 janvier 2008 portant sur les boissons spiritueuses et rédigé dans les mêmes termes que l’article précité « doivent répondre à l’exigence d’un usage, par le signe litigieux, de l’indication géographique enregistrée à l’identique ou, à tout le moins, de façon fortement similaire, d’un point de vue phonétique et/ou visuel », cette disposition devant être différenciée de celle couverte par le point b), « lequel vise “toute usurpation, imitation ou évocation”, c’est-à-dire des situations dans lesquelles le signe litigieux n’emploie pas l’indication géographique en tant que telle, mais la suggère d’une manière telle que le consommateur est amené à établir un lien suffisant de proximité entre ce signe et l’indication géographique enregistrée » (CJUE, 7 juin 2018, Scotch Whisky Association c/ Michael Klotz, C-44/17, points 31 et 32).
16. Dans le cadre d’une utilisation directe ou indirecte de la dénomination protégée, si les produits ne sont pas comparables, outre la preuve de la notoriété de la dénomination protégée, il convient de démontrer l’exploitation de la réputation de cette dénomination.
17. La Cour de justice a par ailleurs dit pour droit que « l’évocation » visée à l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 « n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires » (CJUE, 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne c/ GB, C-783/19). Elle ajoute que « le critère déterminant est de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP », précisant que « ce lien doit être suffisamment direct et univoque » (points 58 et 59).
En revanche, il n’est pas nécessaire que l’évocation entraîne un risque de confusion (CJUE, 21 janvier 2016, Viiniverla Oy, C-75/15).
18. En l’occurrence, les appellations « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » bénéficient de la protection européenne des appellations d’origine protégées depuis 1973 (pièce demandeurs no 4-2). Il est par ailleurs démontré et non contesté que ces appellations d’origine bénéficient d’une forte notoriété, les appellations « Margaux » et « Sauternes » faisant partie de la classification officielle des vins de [Localité 7] (pièce demandeurs no 5-1), le vignoble de Saint-Emilion ayant été inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 1999 (pièce demandeurs no 5-3) et [Localité 7] constituant le vignoble le plus étendu (pièce demandeurs no 5-8).
19. La société Cityart Edition commercialise depuis fin 2017 une gamme de thés sous la marque « Grappe de thé », au sein de laquelle figurent les thés « Nuit tranquille à Saint-Emilion », « Cur de Sauternes » devenu « Cur perdu à Sauternes », « Les étoiles de [Localité 7] blanc » devenu « Les étoiles blanches de [Localité 7] », « Printemps à [Localité 7] », « Noël à [Localité 7] » et « Amoureux de Margaux ».
20. Or, il ressort des pièces versées aux débats que la marque « Grappe de thé » est présentée par la société Cityart Edition sur les réseaux sociaux comme une marque de thé « sur le modèle des cépages bordelais » (pièce demandeurs no 11-2) ou encore comme la « première marque de thé dédiée aux vignobles de la région » (pièces demandeurs no 11-1). De plus, de nombreuses références aux vins sont faites sur les comptes Facebook « Grappe de thé », « Cityart Edition » et « [Localité 7] Shop » (un des points de vente des produits de la défenderesse) pour présenter les thés litigieux. Ainsi par exemple, les thés « Amoureux de Margaux » et « Cur perdu à Sauternes » sont décrits comme embaumant « les arômes de ces grands vins de [Localité 7] » (pièce demandeurs no 11-2, page 8).
Dans d’autres cas, les publications présentant les thés litigieux sont accompagnés des hashtags (ou mots-dièse) suivants : vin de Saint-Emilion, médoc, vin de [Localité 7], ou encore vignobles bordelais (pièce demandeurs no 11-2, par exemple pages 14, 17 et 20). Or, les hashtags permettent de référencer une publication au sein d’un réseau social, de sorte que les publications portant sur les thés « Grappe de thé » pourront apparaître aux côtés d’autres publications référencées sous les hashtags susmentionnés et portant sur des vins. Des photographies de raisin sont par ailleurs également visibles sur les comptes Facebook précités, entre des publications présentant les thés litigieux, faisant là encore référence au vin. En outre, des coffrets souvenirs sont offerts à la vente sur le site www.cityart-edition.com, comportant à la fois des bouteilles de vin et des thés de la marque « Grappe de thé », ce qui renforce l’association entre les deux (pièce demandeurs no 11-2, page 52).
21. Si la marque « Grappe de thé » est composée de plusieurs éléments verbaux et figuratifs, le terme « grappe » fait immédiatement penser au raisin, notamment lorsqu’il est associé à des noms connus pour le vin. De plus, si l’arbre représenté est un arbre à thé comme le soutient la défenderesse, cette représentation à côté du terme « Grappe » conduit le consommateur à penser d’abord à une vigne. A cela s’ajoute que les thés litigieux reprenant les termes « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » font partie d’une gamme plus large au sein de laquelle sont également vendus les thés « Le mélange des vignerons » et « Après les vendanges » (pièce demandeurs no 11-2, pages 79 et suivantes).
22. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que si les termes « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » sont des noms de ville, et que le site internet www.grappedethe.com ne fait dorénavant référence qu’aux seules villes pour présenter les thés en cause, non seulement les villes de Margaux-Cantenac, Saint-Emilion et Sauternes sont essentiellement associées, dans l’esprit du public, aux vignobles du bordelais (pièces demandeurs no 13-2 à 13-4), mais en plus la société Cityart Edition a multiplié les références aux vins du bordelais pour promouvoir ses produits sur ses sites et ses réseaux sociaux et a ainsi exploité la réputation des appellations d’origine correspondantes pour le bénéfice de son commerce.
23. L’utilisation commerciale illicite des appellations d’origine protégées est donc constituée.
2. Mesures réparatrices
24. Selon l’article L. 722-6 du code de la
propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération, distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements <
intellectuels
, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
25. L’INAO et le CIVB invoquent un préjudice matériel fondé sur leurs efforts consacrés à la défense des appellations d’origine (sans, au demeurant, individualiser les appellations en cause) et à la communication qu’elles déploient pour sensibiliser le public sur cette question, sans les justifier ni quantifier ledit préjudice.
26. En revanche, l’utilisation illicite des appellations d’origine, lesquelles ont pour objet de protéger tant les producteurs eux-mêmes que les zones géographiques qui en bénéficient, porte atteinte non seulement à cette fonction, mais également à la réputation des appellations « [Localité 7] », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » et cause à l’INAO et au CIVB, dont la mission est de défendre et de promouvoir lesdites appellations en France et à l’étranger, un préjudice moral qui sera évalué à 10 000 euros.
27. Il sera par ailleurs fait droit aux mesures d’interdiction concernant les appellations « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » qui, comme jugé précédemment, si elles font référence à des villes, sont essentiellement associées dans l’esprit du public aux vignobles bordelais. Ainsi, malgré la modification des noms de certains des thés, leur association avec la marque « Grappe de thé » continue à évoquer de manière illicite, dans l’esprit du public, les appellations d’origine. En revanche, la ville de [Localité 7] est une grande ville qui renvoie, pour le grand public, à de nombreux éléments autres que le vin de sorte que la modification des noms des thés litigieux ainsi que de leur description suffit à exclure toute évocation de l’appellation d’origine « [Localité 7] ».
28. Il sera par ailleurs fait droit aux mesures de rappel et de destruction des produits litigieux, à savoir les produits revêtus des termes « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes », ainsi que les produis revêtus de l’ancienne dénomination « Les étoiles de [Localité 7] blanc ». En revanche, il ne sera pas fait droit à la mesure de publication, le préjudice de l’INAO et du CIVB étant suffisamment réparé par l’octroi de dommages et intérêts.
II. Dispositions finales
29. La société Cityart Edition, qui succombe, supportera les dépens et ses propres frais.
30. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
31. La société Cityart Edition sera condamné à payer à l’INAO et au CIVB, ensemble, la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles.
32. En vertu de l’article 514 du code de procédure civile, le présent jugement est de droit assorti de l’exécution provisoire sans qu’il soit besoin que le tribunal la prononce, et rien ne justifie de l’écarter au cas présent.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal :
Condamne la société Cityart Edition à payer à l'[10] et au Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 7], ensemble, la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice résultant de l’utilisation illicite des appellations d’origine protégées « Bordeaux », « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes »,
Fait interdiction à la société Cityart Edition de faire usage des signes « Margaux », « Saint-Emilion » et « Sauternes » à quel que titre que ce soit, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée, passé un délai de trente jours à compter de la signification du présent jugement, l’astreinte courant sur six mois,
Fait interdiction à la société Cityart Edition de faire usage du signe « [Localité 7] » en association avec du vin et le vignoble bordelais, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée, passé un délai de trente jours à compter de la signification du présent jugement, l’astreinte courant sur six mois,
Ordonne le rappel et la destruction, aux frais de la société Cityart Edition, des thés de la marque « Grappe de thé », intitulés « Cur de Sauternes », « Cur perdu à Sauternes », « Les étoiles de [Localité 7] blanc », « Amoureux de Margaux » et « Nuit tranquille à Saint-Emilion », sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai de trente jours à compter de la signification du présent jugement, l’astreinte courant sur six mois,
Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,
Rejette la demande de publication de l'[10] et du Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 7],
Condamne la société Cityart Edition à payer à l'[10] et au Conseil interprofessionnel du vin de [Localité 7], ensemble, la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Cityart Edition aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL M-P Escande, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 13 Janvier 2023
Le Greffier Le Président
Quentin CURABET Irène BENAC