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Indépendamment du droit à l’image des personnes détenues, filmer une personne incarcérée nécessite l’autorisation de l’administration pénitentiaire.
Aux termes de l’article 41 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, alors en vigueur : ” Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification.
En la cause, M. D…, détenu à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, a demandé réparation à l’Etat pour le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’inaction de l’administration pénitentiaire à empêcher la diffusion de deux émissions de télévision, Faites entrer l’accusé sur France 2 et Crimes sur NRJ12, diffusées respectivement les 12 mars 2017 et 3 mars 2014, et consacrées aux faits pour lesquels il avait été condamné.
En premier lieu, aux termes de l’article 41 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, alors en vigueur : ” Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification.
L’administration pénitentiaire peut s’opposer à la diffusion ou à l’utilisation de l’image ou de la voix d’une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée. Pour les prévenus, la diffusion et l’utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l’autorité judiciaire.
Les dispositions précitées du second alinéa de l’article 41, qui s’appliquent sans préjudice de la protection de droit commun du droit à l’image dont toute personne bénéficie, ne concernent que les images et sons d’une personne condamnée ou prévenue, pris dans le cadre ou le contexte de sa situation de détention.
Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que M. D… aurait saisi l’administration pénitentiaire d’une demande tendant à ce qu’elle s’oppose à la diffusion des deux émissions évoquant les faits pour lesquels M. D… a été condamné, le 23 mai 2008, à une peine de vingt ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté courant jusqu’au 31 décembre 2018. Il n’est pas davantage établi que ces émissions comporteraient des images ou des sons qui auraient été enregistrés lors de sa détention. Par suite, M. D… n’est donc pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées pour soutenir que l’administration pénitentiaire, en ne s’opposant pas à la diffusion des deux émissions de télévision, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
* * *
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2ème chambre, 23 mars 2023, 21BX00250 Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B… D… a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l’Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de la diffusion d’émissions de télévision relatant les faits à l’origine de son incarcération.
Par un jugement n° 1900155 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2021, M. D…, représenté par Me David, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 juin 2020 ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de
l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
– le jugement est irrégulier en ce que le sens des conclusions du rapporteur public ne lui a pas été communiqué de façon suffisamment précise pour permettre une défense orale utile ou la production d’une note en délibéré ; l’absence de communication de l’intégralité des conclusions, alors que cela avait été demandé, porte atteinte à l’article R. 711-3 du code
de justice administrative ;
– le jugement est entaché d’une seconde irrégularité en ce que la minute ne comporte pas les signatures requises par l’article R. 741-7 du code de justice administrative ;
– l’article 41 de la loi du 24 novembre 2009 ne protège pas seulement les personnes condamnées ou prévenues à l’égard des images prises en détention, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, mais à l’égard de toutes les images de nature à permettre leur identification ; c’est ce que confirment les travaux parlementaires, l’avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté, la doctrine, les recommandations du Conseil de l’Europe et du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
– il a alerté la direction des établissements où il a été incarcéré de la diffusion des émissions incriminées ; en l’occurrence, le garde des sceaux aurait dû s’opposer à cette diffusion eu égard au risque pour l’ordre public et au risque d’atteinte à sa réinsertion ;
– il a un droit à l’oubli qui, même non consacré par la législation, a été reconnu par la jurisprudence et la doctrine ;
– au lieu de s’opposer à la diffusion, l’administration pénitentiaire l’a placé à l’isolement.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 septembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
– l’article 41 de la loi pénitentiaire ne concerne que les images et sons présentant la personne en milieu carcéral et n’ouvre qu’une faculté à l’administration pénitentiaire de s’opposer à une diffusion ; contrairement à ce que soutient le requérant, le législateur n’a pas entendu étendre la protection existante, mais seulement consacrer au niveau législatif ce qui résultait auparavant de normes infra-réglementaires ; l’administration pénitentiaire ne peut assurer la protection de l’image d’une personne dont elle a la garde qu’à l’encontre des atteintes portées en établissement pénitentiaire au droit à l’image ; l’émission incriminée ne présente aucune image montrant l’intéressé en détention ; l’article 41 n’était donc pas applicable ;
– aucune faute ne peut être reprochée à l’administration pénitentiaire, d’autant que le requérant n’établit pas avoir sollicité de l’administration qu’elle use de sa faculté de s’opposer à la diffusion de ces émissions ; il n’établit pas davantage avoir saisi le juge judiciaire d’une telle demande ;
– la personne détenue conserve son droit d’agir en justice pour la défense de ses intérêts pour les faits extérieurs à la détention et l’administration n’a pas à se substituer à elle ;
– M. D…, qui n’a pas engagé de poursuites à l’encontre des sociétés de production et de diffusion, n’établit pas le caractère certain de son préjudice ;
– il n’établit pas l’existence d’un risque d’atteinte à l’ordre public, et l’administration pénitentiaire n’a fait qu’accéder à sa demande d’être placé à l’isolement ;
– il ne démontre pas davantage d’atteinte à sa réinsertion sociale alors que, d’une part, le placement à l’isolement n’emporte pas un isolement total et qu’il a été décidé à sa demande et en dehors de tout incident qui aurait eu un lien avec la diffusion des émissions en cause, et, d’autre part, M. D… faisait l’objet d’une période de sûreté jusqu’au 31 décembre 2018 et il n’a pas sollicité d’aménagement de peine, ni mis en œuvre de projet de sortie, avant le 30 octobre 2019 ;
– le préjudice résultant d’une violation du droit à l’oubli demeure hypothétique tant que l’intéressé demeure en détention.
M. D… a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par décision
du 26 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. C… A…,
– les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.
:
1. M. D…, détenu à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré entre le 6 juillet 2016 et le 27 mars 2019, a demandé réparation à l’Etat pour le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’inaction de l’administration pénitentiaire à empêcher la diffusion de deux émissions de télévision, Faites entrer l’accusé sur France 2 et Crimes sur NRJ12, diffusées respectivement les 12 mars 2017 et 3 mars 2014, et consacrées aux faits pour lesquels il avait été condamné. La garde des sceaux, ministre de la justice ayant gardé le silence sur cette demande datée du 9 mars 2018, M. D… a saisi le tribunal administratif de Poitiers afin d’obtenir la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité
de 30 000 euros. Par un jugement du 18 juin 2020 dont l’intéressé relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l’article R. 711-3 du code de justice administrative : ” Si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens des conclusions sur l’affaire qui les concerne (…) “.
3. La communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Par ailleurs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir. La communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision.
5. Il ressort des pièces du dossier que le rapporteur public devant le tribunal administratif de Poitiers a indiqué, à l’occasion de la mise en ligne sur l’application Sagace, le 2 juin 2020 à 10h30, du sens de ses conclusions sur la demande de M. D…, en vue de l’audience du 4 juin 2020 : ” rejet au fond “. Contrairement à ce que soutient le requérant, le rapporteur public n’était pas tenu à peine d’irrégularité du jugement attaqué, ainsi qu’il a été dit au point 4, de communiquer aux parties sa position sur chacun des moyens invoqués. Il n’était pas davantage tenu de communiquer l’intégralité de ses conclusions, quand bien même une partie l’aurait sollicité. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 711-3 du code de justice administrative ne peut qu’être écarté.
6. En second lieu, aux termes de l’article R. 741-7 du code de justice administrative : ” Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d’audience “. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d’audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. En premier lieu, aux termes de l’article 41 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, alors en vigueur : ” Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification. / L’administration pénitentiaire peut s’opposer à la diffusion ou à l’utilisation de l’image ou de la voix d’une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée. Pour les prévenus, la diffusion et l’utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l’autorité judiciaire. “.
8. Les dispositions précitées du second alinéa de l’article 41, qui s’appliquent sans préjudice de la protection de droit commun du droit à l’image dont toute personne bénéficie, ne concernent que les images et sons d’une personne condamnée ou prévenue, pris dans le cadre ou le contexte de sa situation de détention.
9. Il ne résulte pas de l’instruction que M. D… aurait saisi l’administration pénitentiaire d’une demande tendant à ce qu’elle s’oppose à la diffusion des deux émissions évoquant les faits pour lesquels M. D… a été condamné, le 23 mai 2008, à une peine
de vingt ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté courant
jusqu’au 31 décembre 2018. Il n’est pas davantage établi que ces émissions comporteraient des images ou des sons qui auraient été enregistrés lors de sa détention. Par suite,
M. D… n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées pour soutenir que l’administration pénitentiaire, en ne s’opposant pas à la diffusion des deux émissions de télévision, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
10. En second lieu, seule la personne concernée ou représentée est en principe titulaire du droit d’agir en justice pour assurer le respect de sa vie privée, dont le droit à l’image et le droit à l’oubli sont des composantes. M. D… ne peut ainsi utilement soutenir que l’administration pénitentiaire aurait, en n’engageant pas les procédures judiciaires de nature à permettre que soit protégé son droit à l’oubli, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
11. En dernier lieu, il n’est pas davantage établi qu’en accédant à la demande
de M. D… d’être placé à l’isolement, la direction du centre pénitentiaire
de Saint-Martin-de-Ré aurait commis une faute.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D… demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 1er : La requête de M. D… est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… D… et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l’audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2023.
Le rapporteur,
Olivier A…
La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 21BX00250