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Un éditeur de presse a partiellement obtenu gain de cause sur la qualification en droits d’auteur des rémunérations versées à ses journalistes. L’éditeur a été « sauvé » par un accord collectif signé à la dernière minute et applicable rétroactivement.
Alors que l’affaire avait été plaidée le 21 octobre 2021, la société a adressé à la cour une note en délibéré en demandant la réouverture des débats au motif qu’elle avait signé le 25 novembre 2021 avec les organisations syndicales un accord collectif en application de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle.
Pour soutenir que les dispositions de cet accord étaient applicables aux sommes reversées en 2010, 2011 et 2012 aux journalistes en rémunération de la cession de leurs productions en vue de leur ré-exploitation, la société s’est prévalu avec succès des dispositions transitoires de la loi n°2009-669 dite « Hadopi 1 » qui prévoient :
« Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des oeuvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties.
Dans les entreprises de presse où de tels accords n’ont pas été conclus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les accords mentionnés à l’article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle fixent notamment le montant des rémunérations dues aux journalistes professionnels en application des articles L. 132-38 à L. 132-40 du même code, pour la période comprise entre l’entrée en vigueur de la présente loi et l’entrée en vigueur de ces accords. »
Ces dispositions prévoient bien la rétroactivité des accords collectifs signés en application de la loi Hadopi 1 et la société est donc bien fondée à se prévaloir de l’accord signé le 25 novembre 2021 pour justifier d’avoir rémunéré les cessions de productions journalistiques en vue de réexploitation en droits d’auteurs, conformément aux dispositions de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle.
L’Urssaf a soutenu sans succès qu’en vertu de la théorie de l’estoppel, la société ne saurait se prévaloir à son détriment d’une position différente de celle qu’elle a prise antérieurement.
La société a toujours soutenu que le versement de sommes en rémunération des cessions de droit de réexploitation constituait des droits d’auteur et que cette position a été remise en cause dans le cadre du contrôle puis du redressement par l’organisme de sécurité sociale qui a réintégré les sommes en question dans l’assiette de cotisations et contributions sociales du régime général.
Par ailleurs, il ressort d’un courrier du 11 décembre 2013 adressé par l’Urssaf à la société lors de la phase contradictoire suivant immédiatement l’envoi de la lettre d’observations que l’organisme de sécurité sociale indique ce qui suit : « De plus, vous précisez que, au sein de [8] ([8]), l’accord d’entreprise prévu par les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle relatives au droit d’exploitation des oeuvres des journalistes, n’a pas encore été signé entre la direction de [8] et les organisations syndicales. »
Ce courrier démontre, le cas échéant, la possibilité d’un accord en application de l’article L.132-40 qui était envisagée par la société dès 2013, ce dont elle avait informé l’organisme de sécurité sociale.
Cet accord collectif, dont la conformité à la loi du 2009-669 du 12 juin 2009 n’est pas contestée, établit que la cession des contributions des journalistes hors du titre de presse initial ou de la famille de presse cohérente est rémunérée par l’entreprise de presse par le versement de droits d’auteur.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 31 Mars 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 18/09531 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6G5G
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juin 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17/02035
APPELANTE
SAS [7] anciennement [8]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS, toque : B1178
INTIMEES
[6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
non comparante, non représentée
URSSAF ILE DE FRANCE
Division des recours amiables et judiciaires
[Adresse 10]
[Localité 5]
représentée par Mme [S] [F] en vertu d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre
M. Gilles BUFFET, Conseiller
Mme Natacha PINOY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 24 février 2023 et prorogé au 31 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre et Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la société [8] devenue la société [7] d’un jugement rendu le 8 juin 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l’opposant à l’Urssaf de l’Ile de France et à [6].
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que suite à un contrôle d’assiette des cotisations et contributions sociales portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, l’Urssaf d’Ile de France (l’Urssaf) a notifié le 31 octobre 2013 à la société [8] devenue la société [7] (la société) par une lettre d’observations, 26 chefs de redressement au titre des cotisations et contributions sociales ; qu’après un échange de courriers avec la société, l’Urssaf a délivré le 23 décembre 2013 une mise en demeure invitant la société à régler les cotisations redressées (2 155191 euros), augmentées des majorations de retard provisoires (305 211 euros)’; qu’après avoir saisi en vain la commission de recours amiable de sa contestation de certains chefs de redressement, la société a le 16 avril 2014 saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, lequel par jugement du 8 juin 2018, a :
– Dit l’action de la société [8] recevable,
– La dit mal fondée ;
– Débouté la société [8] de l’ensemble de ses demandes ;
-Confirmé le chef de redressement n°15 : «journalistes salariés : droits d’auteur/droits de revente ” pour un montant de 68 6053 euros ;
– Confirmé le chef de redressement n°24 «rémunérations non déclarées : rémunérations non soumises à cotisations (transactions identifiées en comptabilité) ” pour un montant de 6367 euros ;
-Donné acte à l’association [6] ([6]) de sa volonté de rembourser les cotisations sociales indûment versées sur présentation de décompte établis par la société, faisant état du détail du trop versé par période et par nature de cotisations ;
– Condamné la société [8] à lui payer la somme de 71 2436 euros de cotisations et 26 8911 euros de majorations de retard au titre de la période des années 2010 à 2012 ;
– Rejeté toutes conclusions plus amples ou contraires ;
– Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement et ce pour toutes les dispositions du jugement.
La société a interjeté appel le 13 juillet 2018 de ce jugement, le dossier de la cour ne comportant pas d’indication quant la notification de la décision par la juridiction de premier ressort.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience du 21 octobre 2021 par son conseil, la société a demandé à la cour de :
– Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juin 2018 par le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale de Bobigny ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– annuler le chef de redressement n°15 de l’état de redressement notifié le
31 octobre 2013 à société [7] ;
– annuler l’observation exprimée en termes identiques dans la lettre d’observations du 31 octobre 2013 que l’Urssaf, pour le compte de [6], a distinctement notifiée à la société [7] ;
– annuler le chef de redressement n°24
– annuler la mise en demeure notifiée le 23 décembre 2013 par l’Urssaf à la société [7];
– annuler la décision de la Commission de recours amiable de l’Urssaf d’Ile de France du 15 janvier 2018, en ce qu’elle a rejeté le recours de la société [7] ;
A titre subsidiaire
– constater que les chefs de redressement n°15 et 24 euros représentent un arriéré de cotisations de 692 420 euros, de sorte que l’Urssaf ne saurait invoquer un arriéré de cotisations de 712 436 euros ;
– constater que l’Urssaf ne justifie pas des modalités de calcul des majorations de retard et la débouter de toutes ses demandes de ce chef ;
En tout état de cause
– débouter l’Urssaf et [6] de l’ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions ;
– condamner l’Urssaf d’Ile de France à verser à la société [7] la somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’Urssaf d’Ile de France aux entiers dépens.
Dans des écritures reprises oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf d’Ile de France a demandé à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, débouter la société [7] de ses demandes, fins et conclusions et la condamner à payer à l’Urssaf la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Dans des écritures reprises oralement à l’audience par son représentant, [6] a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Par une note en délibéré du 30 novembre 2021, notifiée à l’Urssaf et à [6], la société a sollicité la réouverture des débats afin que les parties fassent valoir leurs observations sur les conséquences au regard du litige d’un accord signé le 25 novembre 2021 entre la société [7] et l’ensemble des organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise destiné à encadrer spécifiquement l’exploitation des oeuvres des journalistes professionnels conformément à l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle, cet accord précisant qu’il entrait en vigueur rétroactivement au 13 juin 2009, date de la publication au Journal Officiel de la loi Hadopi.
La cour a ordonné la réouverture des débats afin de permettre l’échange contradictoire des parties au vu de la production de cette pièce aux débats.
A l’audience du 12 janvier 2023, par des conclusions reprises oralement, la société [7] demande à la cour de :
– annuler le chef de redressement n°15 ;
– annuler l’observation exprimée en termes identiques dans la lettre d’observations du 31 octobre 2013 que l’Urssaf, pour le compte de [6], a distinctement notifiée à la société [7] ;
– annuler le chef de redressement n°24 ;
– annuler la mise en demeure notifiée le 23 décembre 2013 par l’Urssaf à la société [7],
– annuler la décision de la Commission de recours amiable de l’Urssaf du 15 janvier 2018, en ce qu’elle a rejeté le recours amiable de la société [7] ;
A titre subsidiaire
– constater que les chefs de redressement n°15 et 24 euros représentent un arriéré de cotisations de 692 420 euros, de sorte que l’URSSAF D’ILE DE FRANCE ne saurait invoquer un arriéré de cotisations de 712 436 euros ;
Dans des écritures reprises oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
– juger que la rétroactivité de l’accord d’entreprise sur l’exploitation des oeuvres des journalistes professionnels signé le 25 novembre 2021 est inopposable à l’Urssaf d’Ile de France,
– juger que l’accord d’entreprise sur l’exploitation des oeuvres des journalistes professionnels ne produira ses effets à l’égard de l’Urssaf Ile de France que pour les périodes postérieurs à sa publication,
En tout état de cause,
– débouter l’appelante de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société [7] au paiement de la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
[6], avisé par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 13 juin 2022, n’est ni comparante, ni représentée à l’audience du 12 janvier 2023
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire, il convient de souligner que la société conteste devant la cour uniquement deux chefs de redressement sur les vingt-six résultant de la lettre d’observations du 31 octobre 2023 : le chef n°15 « Journaliste salariés : droits d’auteurs/droits de revente » et le chef n°24 « rémunérations non déclarées : rémunérations non soumises à cotisations (transactions identifiées en comptabilité)
1. Sur le chef relatif à l’intégration dans l’assiette des cotisations et contributions sociales du régime général des sommes versées aux journalistes salariés à l’occasion de la nouvelle exploitation de leurs productions (chef de redressement n°15)
1.1 Sur la cession à des tiers des productions des journalistes salariés
Aux termes de la lettre d’observations, l’Urssaf a indiqué qu’il résultait des dispositions des articles L.7111-3, L.7111-4 et L.7112-1 du code du travail que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure moyennant le versement d’une rémunération le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail ; qu’en application de l’article L.311-3 16° du code de la sécurité sociale, les journalistes professionnels payés à la pige sont obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale, quelle que soit la nature juridique du lien juridique les liant à l’entreprise de presse ; qu’en conséquence, en application de l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale, les sommes versées aux journalistes par les entreprises de presse rentrent donc dans l’assiette des cotisations et contributions sociales ; qu’au cas particulier, la société verse à ses journalistes pigistes salariés, en plus de leur rémunération, des sommes qualifiées de droit d’auteur allouées au titre de l’utilisation ou de réexploitation de leurs oeuvres ; que les rémunérations complémentaires versées à des journalistes professionnels au titre de la revente ou de la réexploitation de leurs oeuvres, quelque soit le support choisi et que ces derniers disposent ou non d’un contrat de travail, doivent être intégrées dans l’assiette des cotisations et contributions sociales du régime général par application des articles L.7111-3, L.7111-4 et L.7112-1 du code du travail et des articles L.311-3 16° et L.242-1 du code de la sécurité sociale.
Pour contester le principe de ce redressement, la société a fait valoir qu’elle a toujours versé aux journalistes des rémunérations complémentaires sous forme de droits d’auteur, en contrepartie de la revente de leurs productions écrites ou photographiques, ce système de revente étant encadré par des accords collectifs.
En tout état de cause, la loi dite « Hadopi 1 » du 12 juin 2009, qui a encadré la cession à tiers des productions des journalistes, en intégrant des dispositions spécifiques dans le code de la propriété intellectuelle, est applicable au redressement litigieux.
Au cas particulier, l’Urssaf a réintégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales les sommes versées par l’entreprise de presse à l’occasion de la cession des productions hors du titre de presse initiale ou d’une famille cohérente de presse, dont les modalités sont prévues à l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose :
« Toute cession de l”uvre en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l’exercice de son droit moral par le journaliste.
Ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, dans des conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif ».
A hauteur de cour, l’Urssaf soutient que ces cessions ont été faites sans l’accord exprès et préalable des journalistes et qu’en conséquence, les sommes versées à cette occasion doivent s’analyser comme des rémunérations comprises dans l’assiette des cotisations et contributions sociales du régime général.
La société pour contester cette analyse soutient que seuls les auteurs sont recevables à invoquer l’absence d’un accord individuel ou collectif pour justifier la nouvelle exploitation de leurs oeuvres et que l’Urssaf et [6] ne sont pas fondées à se prévaloir de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle pour justifier le redressement litigieux. Elle fait également valoir que les cessions de productions journalistiques en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse sont nécessairement rémunérées en droits d’auteur, compte tenu de la lettre de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle et que les sommes versées à cette occasion ne peuvent être considérées comme des salaires et qu’en tout état de cause, ce constat empêche les organismes sociaux de réintégrer les sommes effectivement payées en droits d’auteur dans l’assiette des cotisations et contributions sociales du régime général.
Mais il résulte de l’article L.132-40 que les entreprises de presse sont fondées à rémunérer en droit d’auteur les journalistes pour l’utilisation de leurs productions hors du titre de presse initial ou de la famille cohérente de presse, à la condition d’avoir obtenu leur accord exprès et préalable de l’auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif. Le caractère d’ordre public des règles résultant de la législation de sécurité sociale a pour conséquence qu’il appartient à la société de justifier la nature des sommes qu’elle verse à des tiers. L’appelante est donc tenue de justifier la qualification de droits d’auteur dont elle se prévaut pour faire échapper les sommes litigieuses au redressement.
L’appelante soutient que les auteurs ont donné leur accord individuel exprès et préalable à la réexploitation de leur production au motif qu’ils ont été destinataires de bordereaux de droits d’auteur, qui mentionnent la production journalistique cédée, la publication à laquelle elle est destinée, le montant de la cession à l’acquéreur et la part reversée au journaliste. Mais ces pièces qui attestent de cessions ayant déjà eu lieu ne peuvent établir l’accord préalable du journaliste. Par ailleurs, le fait que ces bordereaux soient reçus sans protestation de la part des journalistes n’établit pas leur accord exprès à la cession.
La société produit également trois attestations émanant pour l’une de la directrice de l’agence [9], du directeur-adjoint de « Paris-Match » et de la directrice de la syndication des éditions internationales du magazine « Elle » qui indiquent que l’accord exprès du journaliste est systématiquement recueilli avant la cession d’une production en vue d’une réexploitation. Mais ces témoignages ne peuvent pallier l’absence d’accord individuel exprès et préalable de chacun des auteurs.
La société ne rapporte donc pas la preuve de l’obtention pour chaque cession ayant donné lieu au versement de droits d’auteur, d’un accord exprès et préalable des journalistes concernés.
Alors que l’affaire avait été plaidée le 21 octobre 2021, la société a adressé à la cour une note en délibéré en demandant la réouverture des débats au motif qu’elle avait signé le 25 novembre 2021 avec les organisations syndicales un accord collectif en application de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle.
Pour soutenir que les dispositions de cet accord sont applicables aux sommes reversées en 2010, 2011 et 2012 aux journalistes en rémunération de la cession de leurs productions en vue de leur ré-exploitation, la société se prévaut des dispositions transitoires de la loi n°2009-669 dite « Hadopi 1 » qui prévoient :
« Durant les trois ans suivant la publication de la présente loi, les accords relatifs à l’exploitation sur différents supports des ‘uvres des journalistes signés avant l’entrée en vigueur de la présente loi continuent de s’appliquer jusqu’à leur date d’échéance, sauf cas de dénonciation par l’une des parties.
Dans les entreprises de presse où de tels accords n’ont pas été conclus à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les accords mentionnés à l’article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle fixent notamment le montant des rémunérations dues aux journalistes professionnels en application des articles L. 132-38 à L. 132-40 du même code, pour la période comprise entre l’entrée en vigueur de la présente loi et l’entrée en vigueur de ces accords. »
La société soutient que ces dispositions prévoient la rétroactivité des accords collectifs signés en application de la loi Hadopi 1 et qu’elle est donc bien fondée à se prévaloir de l’accord signé le 25 novembre 2021 pour justifier d’avoir rémunéré les cessions de productions journalistiques en vue de réexploitation en droits d’auteurs, conformément aux dispositions de l’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle.
L’Urssaf soutient qu’en vertu de la théorie de l’estopel, la société ne saurait se prévaloir à son détriment d’une position différente de celle qu’elle a prise antérieurement.
Mais il convient de relever que la société a toujours soutenu que le versement de sommes en rémunération des cessions de droit de réexploitation constituait des droits d’auteur et que cette position a été remise en cause dans le cadre du contrôle puis du redressement par l’organisme de sécurité sociale qui a réintégré les sommes en question dans l’assiette de cotisations et contributions sociales du régime général.
Par ailleurs, il ressort d’un courrier du 11 décembre 2013 adressé par l’Urssaf à la société lors de la phase contradictoire suivant immédiatement l’envoi de la lettre d’observations que l’organisme de sécurité sociale indique ce qui suit : « De plus, vous précisez que, au sein de [8] ([8]), l’accord d’entreprise prévu par les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle relatives au droit d’exploitation des oeuvres des journalistes, n’a pas encore été signé entre la direction de [8] et les organisations syndicales. »
Ce courrier démontre, le cas échéant, la possibilité d’un accord en application de l’article L.132-40 qui était envisagée par la société dès 2013, ce dont elle avait informé l’organisme de sécurité sociale.
Cet accord collectif, dont la conformité à la loi du 2009-669 du 12 juin 2009 n’est pas contestée par les intimées, établit que la cession des contributions des journalistes hors du titre de presse initial ou de la famille de presse cohérente est rémunérée par l’entreprise de presse par le versement de droits d’auteur.
1.2. Sur la convention de cession des droits d’exploitation des contributions photographiques conclue avec M. [M] [W]
Le chef de redressement n°15 inclut la somme de 80 000 euros versée par la société appelante à M. [M] [W] dans le cadre d’une convention signée le 4 octobre 2011.
Cette convention indique à titre liminaire que ce dernier était journaliste salarié de la société jusqu’à son départ le 31 octobre 2011, dans le cadre d’une négociation mettant fin à la relation de travail. Afin de régler les conditions d’exploitation future des contributions photographiques exécutées par le salarié dans le cadre de la relation de travail, les parties ont conclu une convention qui prévoyait le versement de la somme de 80 000 euros au journaliste, qui s’engageait à céder à titre définitif et inconditionnel l’ensemble de ses droits de propriété intellectuelle attachés à ses contributions photographiques dans le monde entier, pour toute la durée de la propriété intellectuelle, telle que reconnue par le droit français.
La société soutient que cet accord constitue une cession de droits d’auteur et que la somme de 80 000 euros versée à cette occasion a été réintégrée à tort par l’Urssaf dans l’assiette des cotisations et contributions sociales.
L’alinéa 1er de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle dispose :
« La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. »
L’article L.131-4 du code de la propriété intellectuelle dispose :
« La cession par l’auteur de ses droits sur son ‘uvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.
Toutefois, la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants :
1° La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée;
2° Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut;
3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre;
4° La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l”uvre, soit que l’utilisation de l”uvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité;
5° En cas de cession des droits portant sur un logiciel»;
6° Dans les autres cas prévus au présent code.
Est également licite la conversion entre les parties, à la demande de l’auteur, des droits provenant des contrats en vigueur en annuités forfaitaires pour des durées à déterminer entre les parties. »
Il ressort de ces dispositions que la convention conclue entre la société et M. [M] [W] ne correspond pas à un contrat d’exploitation de droits d’auteur puisqu’elle est illimitée et définitive et qu’elle ne prévoit pas au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation des oeuvres.
Dès lors, la société n’établit pas avoir conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec M. [M] [W] et l’Urssaf était bien fondée à réintégrer la somme de 80 000 euros dans l’assiette des cotisations et contributions sociales du régime général.
En conséquence, il convient d’annuler le chef de redressement n°15 de la lettre d’observations sauf en ce qu’il a réintégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales la somme de 80 000 euros.
2. Sur l’observation exprimée en termes identiques dans la lettre d’observations du 31 octobre 2013
La société demande à la cour d’annuler, en tant que besoin, l’observation exprimée en termes identiques dans la lettre d’observations du 31 octobre 2013 que l’Urssaf, pour le compte de [6], a distinctement notifiée à la société [7].
La cour constate que la lettre d’observations du 31 octobre 2013 comporte trois observations pour l’avenir aux points 27, 28 et 29, qu’aucune ne concerne la rémunération des journalistes dans le cadre de la cession de leurs productions en vue de la réexploitation, qu’il n’est produit par l’appelante aucune pièce ni moyen de droit à l’appui de cette demande. Elle sera donc rejetée.
3. Sur les rémunérations non déclarées versées à l’occasion d’accords transactionnels (chef de redressement n°24)
3.1 sur la somme versée dans le cadre du protocole transactionnel signé avec M. [Z] [H]
Il ressort de la convention signée entre la société et M. [Z] [H] que ce dernier, salarié de la société jusqu’en décembre 2007 a réalisé de très nombreuses contributions photographiques pour le compte de son employeur. Le protocole signé le 1er juin 2011 prévoyait deux versements de 15 000 euros chacun, le premier en réparation des détériorations et pertes de certaines photographies, dont le salarié cédait, en tout état de cause, l’intégralité de droits corporels à la société, le second en contrepartie de la cession définitive et inconditionnelle à la société de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés aux productions photographiques, dans le monde entier et pour toute la durée légale de protection du droit d’auteur
La commission de recours amiable a décidé que le premier versement de 15 000 euros destiné à la réparation d’un préjudice n’avait pas à être inclus dans l’assiette de cotisations et contributions sociales.
S’agissant du second versement de 15 000 euros correspondant à la cession définitive et inconditionnelle à la société de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés aux contributions, dans le monde entier et pour toute la durée légale de protection du droit d’auteur, la société fait valoir que cette somme ne peut pas être rattachée au contrat de travail de l’intéressé, puisque la convention litigieuse a été signée quatre années après la rupture de ce contrat. Cet argument de pur fait, étayé par aucun moyen de droit ne peut pas emporter la conviction de la cour.
La société ne peut pas valablement soutenir qu’il s’agit d’un contrat d’exploitation de droits d’auteur, car comme il a été rappelé dans les motifs précédents, ce type de contrat exige que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée et que la participation proportionnelle au profit de l’auteur aux recettes provenant de l’exploitation des oeuvres soit prévue.
Dès lors, le versement d’une somme d’argent à un ancien salarié pour acquérir de manière définitive et illimitée la possibilité d’exploiter les contributions qu’il a produites dans le cadre de son contrat de travail doivent s’analyser comme une rémunération complémentaire soumise aux cotisations et contributions sociales du régime général.
3.2 Sur la somme versée à M. [I] [E]
Il ressort de la transaction signée le 7 avril 2011 entre M. [I] [E] et la société, que cette dernière s’est engagée à verser la somme forfaitaire de 2 000 euros en contrepartie de la reconnaissance et la garantie par l’auteur de ce que la société se trouve titulaire à titre définitif des droits corporels s’attachant aux contributions et pleinement investie à titre exclusif pour le monde entier et pour toute la durée légale de leur protection reconnue par le droit français de tous les droits incorporels s’attachant aux contributions.
La société soutient que cette indemnité ne peut pas être considérée comme se rattachant au contrat de travail, lequel avait cessé quatre ans avant la signature du protocole. Cet argument de pur fait, étayé par aucun moyen de droit ne peut pas emporter la conviction de la cour.
Il ressort des mentions liminaires de la convention que « l’éditeur rappelle la titularité des droits qu’il revendique sur les contributions de l’auteur produites dans le cadre de sa collaboration aux publications, dont il a supporté l’intégralité des coûts de réalisation et de développement ». Il ressort de cette mention que l’employeur reconnaît que les contributions ont été produites dans le cadre de la relation de travail. Il est dès lors mal fondé à soutenir que le versement de la somme destinée à en obtenir la cession définitive et illimitée à son profit ne constituerait pas un complément de rémunération liée à l’exécution de ce contrat de travail. C’est à bon droit que l’Urssaf a réintégré la somme de 2 000 euros dans l’assiette des cotisations et contributions sociales.
La décision du premier juge sera confirmée en ce qu’elle a validé le point n°24 du redressement à hauteur de 6 367 euros.
4. Sur le montant des majorations de retard
L’article R.243-18 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose :
« Il est appliqué une majoration de retard de 5 % du montant des cotisations qui n’ont pas été versées aux dates limites d’exigibilité fixées aux articles R. 243-6, R. 243-6-1, R. 243-7 et R. 243-9 à R. 243-11.
A cette majoration s’ajoute une majoration complémentaire de 0, 4 % du montant des cotisations dues, par mois ou fraction de mois écoulé, à compter de la date d’exigibilité des cotisations. »
L’Urssaf détaille, sans que la société n’élève aucune contestation sur ce point, dans ses écritures le calcul des majorations de retard en application de ces dispositions. Toutefois, dans la mesure où le chef de redressement n°15 pour partie annulé, il appartiendra à l’organisme de sécurité sociale de calculer à nouveau les majorations de ce retard s’agissant de ce chef précis.
5. Sur l’article 700 du code de procédure civile
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu’elle a exposés.
6. Sur les dépens
Les dépens de l’instance seront partagés par moitié entre les parties.
LA COUR,
CONFIRME le jugement du 8 juin 2018 en date du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny en ce qu’il a :
– dit l’action de la société [8] aux droits de laquelle vient la société [7] recevable
– confirme le chef de redressement n°24 « rémunérations non déclarées : rémunérations soumises à cotisations (transactions identifiées en comptabilité) pour un montant de 6 367 euros,
INFIRME pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
DIT que l’Urssaf d’Ile de France devra calculer le montant du redressement résultant du point n°15 de la lettre d’observations du 31 octobre 2013 « Journalistes salariés : droits d’auteurs/droits de revente » sur la somme de 80 000 euros,
CONDAMNE la société [7] à payer le montant des cotisations et contributions sociales résultant de ce calcul,
CONFIRME l’intégralité des autres chefs de redressement de la lettre d’observations du 31 octobre 2013,
CONDAMNE la société [7] à payer les payer les sommes correspondant à ces chefs de redressement,
CONDAMNE la société [7] à payer les majorations de retard,
DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles,
DIT que les dépens seront mis à la charge des parties par moitié.
La greffière La présidente