Cathédrale de Strasbourg : la fin du rayon vert

·

·

Cathédrale de Strasbourg : la fin du rayon vert
Ce point juridique est utile ?

 

L’existence du rayon vert 

M. B a observé pour la première fois en 1972 dans la cathédrale de Strasbourg, classée aux monuments historiques, l’existence du ” rayon vert “, phénomène lumineux se caractérisant par l’éclairage vers midi, les jours d’équinoxe, du Christ de la chaire par un jet de lumière de couleur verte provenant d’une verrière du triforium sud.

Par un communiqué de presse du 21 mars 2022, la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Grand Est a informé de la pose en mars 2022 d’une patine réversible sur la pièce de verre de la verrière du triforium à l’origine du rayon vert, à savoir sur le pied gauche de Juda, et des raisons pour lesquelles il était procédé à cette opération. Par lettres du 13 juillet 2022, M. B a demandé à la préfète de la région du Grand Est, préfète du Bas-Rhin et au directeur régional des affaires culturelles de la région Grand Est de retirer la patine mise en place. Des décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé par l’administration.

Par sa requête, M. B, demande sans succès au tribunal d’annuler les décisions implicites de rejet.

 

La responsabilité de la conservation du monument historique

 

En premier lieu, aux termes des dispositions du premier alinéa de l’article L. 621-1 du code du patrimoine : ” Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l’autorité administrative. “. Aux termes des dispositions de l’article L. 621-29-1 du même code : ” Le propriétaire ou l’affectataire domanial a la responsabilité de la conservation du monument historique classé ou inscrit qui lui appartient ou lui est affecté. “

 

L’intérêt public respecté 

Il résulte de ces dispositions que les mesures prises pour assurer la conservation d’un monument historique doivent être appréciées au regard de l’intérêt public, au point de vue de l’histoire ou de l’art.

Il ressort des pièces du dossier que le phénomène lumineux du rayon vert ne date pas de la construction de la cathédrale de Strasbourg, ni de la pose du vitrail représentant Juda, fils de A, dans les années 1870.

En effet, ce phénomène est apparu entre 1950 et 1971, après la réinstallation du vitrail restauré dans le triforium sud en 1950. Il ressort également des pièces du dossier que la partie du vitrail d’origine représentant le pied gauche de Juda a été remplacée par du verre transparent entre 1950 et 1971 à la suite d’une destruction accidentelle. Ce verre n’est pas de même couleur et de même qualité que la partie originelle du vitrail représentant le pied droit de Juda. Or, c’est ce verre transparent qui est à l’origine du phénomène lumineux du rayon vert.

À cet égard, dans la perspective d’une campagne de restauration des vitraux de la cathédrale, la DRAC du Grand Est a fait appel en novembre 2022 à un maître-verrier conservateur-restaurateur afin qu’il dresse un constat de l’état des vitraux du triforium sud et qu’il propose des mesures de conservation. Celui-ci a proposé de déposer le verre transparent matérialisant le pied gauche de Juda et de le remplacer par une pièce en coloration trait et modelé identique au pied droit de Juda, afin d’assurer une restauration du vitrail au plus près de son état initial. Ainsi, il résulte de ce qui précède que le phénomène lumineux du rayon vert n’a pas été voulu par les concepteurs de la cathédrale ou de la verrerie en cause et n’est dû qu’à une restauration sommaire à la suite d’une destruction accidentelle.

Par ailleurs, la curiosité que peut susciter le rayon vert depuis quelques années ne suffit pas, en tout état de cause, à établir un intérêt public au sens du point 3 de nature à justifier le maintien du phénomène lumineux. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, en apposant une patine réversible sur le pied gauche de Juda afin qu’il retrouve une couleur proche de celle du pied droit, c’est-à-dire conforme à l’œuvre d’art initiale, dans l’attente d’une restauration pérenne, l’administration n’a pas méconnu l’intérêt public au point de vue de l’histoire et de l’art.

En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en apposant une patine sur le pied gauche de Juda, la préfète de la région Grand Est et le directeur régional de la DRAC du Grand Est aient souhaité, en réalité, supprimer le phénomène lumineux du rayon vert pour accommoder les instances religieuses catholiques. Dès lors le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté.

 *     *     *

Tribunal administratif de Strasbourg, 5ème chambre, 17 mars 2023, 2207087

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 octobre 2022 et 26 janvier 2023, M. D B, représenté par Me Laurent, demande au tribunal :

1°) d’annuler les décisions implicites par lesquelles la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin et le directeur régional de la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est ont rejeté sa demande du 13 juillet 2022 tendant au retrait de la patine réversible mise en place en mars 2022 sur une partie d’un vitrail de la cathédrale de Strasbourg et qui a eu pour effet de mettre fin à l’apparition d’un phénomène lumineux appelé ” rayon vert ” les jours d’équinoxe ;

2°) d’enjoindre à la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin et au directeur régional de la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est de restaurer le rayon vert en procédant à l’enlèvement de la patine mise en place en mars 2022 dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Il soutient que :

– la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin et le directeur régional de la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est ont commis une erreur manifeste d’appréciation ;

– la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin et le directeur régional de la direction régionale des affaires culturelles du Grand Est ont commis un détournement de pouvoir dès lors que la décision attaquée a pour objet de satisfaire la volonté des autorités religieuses.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2023, la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir :

– à titre principal, que la requête est irrecevable car M. B n’a pas d’intérêt à agir et qu’elle est tardive ;

– à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 28 décembre 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 27 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code du patrimoine ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme C,

– les conclusions de Mme Milbach, rapporteure publique.

– et les observations de Me Laurent, représentant M. B, et de MM. Gabalda et Cojano, représentant la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin.

Une note en délibéré présentée pour M. B a été enregistrée le 14 mars 2023.

Une note en délibéré présentée par la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin a été enregistrée le 15 mars 2023.

Considérant ce qui suit

:

1. M. B a observé pour la première fois en 1972 dans la cathédrale de Strasbourg, classée aux monuments historiques, l’existence du ” rayon vert “, phénomène lumineux se caractérisant par l’éclairage vers midi, les jours d’équinoxe, du Christ de la chaire par un jet de lumière de couleur verte provenant d’une verrière du triforium sud. Par un communiqué de presse du 21 mars 2022, la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Grand Est a informé de la pose en mars 2022 d’une patine réversible sur la pièce de verre de la verrière du triforium à l’origine du rayon vert, à savoir sur le pied gauche de Juda, et des raisons pour lesquelles il était procédé à cette opération. Par lettres du 13 juillet 2022, M. B a demandé à la préfète de la région du Grand Est, préfète du Bas-Rhin et au directeur régional des affaires culturelles de la région Grand Est de retirer la patine mise en place. Des décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé par l’administration. Par sa requête, M. B, demande au tribunal d’annuler les décisions implicites.

2. En premier lieu, aux termes des dispositions du premier alinéa de l’article L. 621-1 du code du patrimoine : ” Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l’autorité administrative. “. Aux termes des dispositions de l’article L. 621-29-1 du même code : ” Le propriétaire ou l’affectataire domanial a la responsabilité de la conservation du monument historique classé ou inscrit qui lui appartient ou lui est affecté. “

3. Il résulte de ces dispositions que les mesures prises pour assurer la conservation d’un monument historique doivent être appréciées au regard de l’intérêt public, au point de vue de l’histoire ou de l’art.

4. Il ressort des pièces du dossier que le phénomène lumineux du rayon vert ne date pas de la construction de la cathédrale de Strasbourg, ni de la pose du vitrail représentant Juda, fils de A, dans les années 1870. En effet, ce phénomène est apparu entre 1950 et 1971, après la réinstallation du vitrail restauré dans le triforium sud en 1950. Il ressort également des pièces du dossier que la partie du vitrail d’origine représentant le pied gauche de Juda a été remplacée par du verre transparent entre 1950 et 1971 à la suite d’une destruction accidentelle. Ce verre n’est pas de même couleur et de même qualité que la partie originelle du vitrail représentant le pied droit de Juda. Or, c’est ce verre transparent qui est à l’origine du phénomène lumineux du rayon vert. À cet égard, dans la perspective d’une campagne de restauration des vitraux de la cathédrale, la DRAC du Grand Est a fait appel en novembre 2022 à un maître-verrier conservateur-restaurateur afin qu’il dresse un constat de l’état des vitraux du triforium sud et qu’il propose des mesures de conservation. Celui-ci a proposé de déposer le verre transparent matérialisant le pied gauche de Juda et de le remplacer par une pièce en coloration trait et modelé identique au pied droit de Juda, afin d’assurer une restauration du vitrail au plus près de son état initial. Ainsi, il résulte de ce qui précède que le phénomène lumineux du rayon vert n’a pas été voulu par les concepteurs de la cathédrale ou de la verrerie en cause et n’est dû qu’à une restauration sommaire à la suite d’une destruction accidentelle. Par ailleurs, la curiosité que peut susciter le rayon vert depuis quelques années ne suffit pas, en tout état de cause, à établir un intérêt public au sens du point 3 de nature à justifier le maintien du phénomène lumineux. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, en apposant une patine réversible sur le pied gauche de Juda afin qu’il retrouve une couleur proche de celle du pied droit, c’est-à-dire conforme à l’œuvre d’art initiale, dans l’attente d’une restauration pérenne, l’administration n’a pas méconnu l’intérêt public au point de vue de l’histoire et de l’art.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en apposant une patine sur le pied gauche de Juda, la préfète de la région Grand Est et le directeur régional de la DRAC du Grand Est aient souhaité, en réalité, supprimer le phénomène lumineux du rayon vert pour accommoder les instances religieuses catholiques. Dès lors le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête présentée par M. B ne peuvent qu’être rejetées y compris les conclusions à fin d’injonction, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. D B et à la ministre de la culture. Copie en sera adressée à la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l’audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Carrier, président,

M. Duez-Gündel, conseiller,

Mme Klipfel, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mars 2023.

La rapporteure,

V. C

Le président,

C. CARRIER

Le greffier,

P. HAAG

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,  


Chat Icon