Marchés publics informatiques : contester une offre anormalement basse

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Marchés publics informatiques : contester une offre anormalement basse
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Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public. Toutefois, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur, qui constate qu’une offre paraît anormalement basse, de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé.

 

Contestation d’un marché de l’UGAP

 

L’UGAP (centrale d’achat public généraliste) a lancé une procédure en vue de la passation d’un accord-cadre ayant pour objet la fourniture de solutions d’infrastructures informatiques (matériels, logiciels et prestations associées) sous environnements x86. L’accord-cadre était divisé en huit lots. La date limite de réception des offres était fixée au 11 juillet 2022 à 16 heures. La société Antemeta a présenté une offre pour les lots 1, 2 et 4.

Par un courrier du 19 janvier 2023, l’UGAP a informé la société Antemeta que ses offres ont été rejetées et que les contrats ont été attribués à la société SCC et à la société SPIE. Par la présente requête, la société Antemeta demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure de passation du lot n° 1.

 

Notion d’offre anormalement basse

 

Aux termes de l’article L. 2152-5 du code de la commande publique : ” Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. “. Aux termes de l’article L. 2152-6 de ce code : ” L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. “. Aux termes de l’article R. 2152-3 de ce même code : ” L’acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu’il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L’originalité de l’offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d’exécution des prestations ; / 5° L’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire. “.

Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur, qui constate qu’une offre paraît anormalement basse, de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre.

 

La procédure spécifique de détection des offres basses 

En l’espèce, si la société Antemeta soutient que le prix des sociétés attributaires est sous-évalué, elle n’allègue à aucun moment que l’offre de ces dernières serait susceptible de compromettre la bonne exécution du contrat, ce qui, au demeurant, ne résulte pas de l’instruction. La société SPIE, qui observe que le prix proposé par la société SCC était très faible, n’invoque pas non plus cet élément. Les deux conditions prévues à l’article L. 2152-5 du code de la commande publique précité, afin de qualifier les offres anormalement basses, étant cumulatives, à supposer que le prix proposé par les sociétés SCC et SPIE était effectivement sous-évalué, la société Antemeta n’établit pas que l’UGAP aurait dû mettre en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses. Dès lors, le moyen doit être écarté.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 janvier et 6 février 2023, la société Antemeta, représentée par le cabinet de Pardieu Brocas Maffei, demande au juge des référés statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d’annuler la procédure de passation de l’accord-cadre engagée par l’Union des groupements d’achats publics (” UGAP “) ayant pour objet la fourniture de solutions d’infrastructures informatiques sous environnements ×86, en ce qui concerne le lot n° 1 ;

2°) d’enjoindre à l’UGAP de procéder à une vérification des offres des sociétés attributaires au titre du contrôle des offres anormalement basses, de rejeter les offres anormalement basses retenues à tort pour l’attribution du lot n° 1 et de reprendre la procédure de passation au stade de l’évaluation des offres ;

3°) de mettre à la charge de l’UGAP la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l’UGAP a méconnu les dispositions des articles L. 2152-5, L. 2152-6 et R. 2152-3 du code de la commande publique, dès lors qu’elle n’a pas mis en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses ; il résulte de la lettre de rejet de son offre qu’elle a obtenu une note inférieure aux sociétés attributaires sur le critère du prix ; or, les candidats ont eu les mêmes contraintes de coût et ont dû adopter des stratégies tarifaires similaires, ce qui empêche des écarts de prix importants entre leurs offres ; en effet, les constructeurs et éditeurs déterminent les prix d’achat des équipements, qui s’imposent à tous les candidats ; en outre, les candidats ont été soumis à deux séries de contrainte : l’augmentation du prix des matières premières et l’arrêt des remises commerciales d’une part, la précision des spécifications techniques imposées par l’UGAP d’autre part, qui a réduit les marges de manœuvre des candidats dans la sélection des constructeurs et éditeurs ; elle a appliqué, dans son offre, une marge nulle sur la composante de son prix relatif à la fourniture du matériel ; par ailleurs, les exigences techniques du marché ont conduit les trois candidats à sélectionner les trois mêmes constructeurs et éditeurs et à proposer un matériel informatique et des logiciels identiques ; ils ont donc eu les mêmes contraintes de coût ; les exigences du règlement de consultation ont conduit à proposer les produits conçus par HPE, Dell et Nutanix.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2023, l’UGAP, représentée par la SELARL d’avocats Symchowicz-Weissberg et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de la société Antemeta la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu’aucune des offres n’était douteuse économiquement ; les prix proposés par les deux sociétés attributaires étaient proches et moins élevés que celui proposé par la société requérante ; la différence entre la notation de la société SCC par rapport à la notation moyenne est de 16 % et celle de la société SPIE est de 2, 71 % ; par ailleurs, les offres des sociétés attributaires ne manifestaient aucun risque d’inexécution du contrat.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2023, la société SCC, représentée par la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de la société Antemeta la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle observe qu’il n’est pas établi que son offre était sous-évaluée et susceptible de remettre en cause l’exécution du contrat.

Par un mémoire, enregistré le 7 février 2023, la société SPIE ICS, représentée par Me Sanguinette, conclut au rejet de la requête en ce qui concerne les conclusions dirigées à son encontre et à ce qu’il soit fait droit au surplus des conclusions de la requête.

Elle observe que :

– son offre n’avait pas à faire l’objet d’une procédure de vérification, dès lors qu’elle n’est pas anormalement basse ;

– l’UGAP était en revanche tenue de mettre en œuvre cette procédure s’agissant de l’offre de la société SCC.

Des pièces complémentaires ont été produites le 7 février 2023 par l’UGAP et n’ont pas été communiquées, dès lors qu’elles sont couvertes par le secret des affaires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de la commande publique ;

– le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé en application des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique, tenue en présence de Mme Starzynski, greffière d’audience :

– le rapport de Mme A ;

– les observations de Me Gardellin, représentant la société Antemeta, qui conclut aux mêmes fins que la requête et qui soutient également qu’elle était titulaire d’un premier marché de l’UGAP en 2018 ; la procédure de détection des offres anormalement basses n’exige pas que la différence entre les prix soit très importante ; l’UGAP ne produit pas d’analyse comparative des offres permettant d’établir qu’elle a contrôlé le prix de la société SCC ; la notoriété de la société SCC ne permet pas d’établir que son offre n’est pas anormalement basse ; il est improbable que l’inflation ne touche pas les logiciels ;

– de Me Letellier, représentant l’UGAP, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire et, en outre, au rejet des conclusions présentées par la société SPIE ; elle soutient également que la société requérante est la dernière sur tous les critères ;

– de Me Sanguinette, représentant la société SPIE ICS, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire et qui soutient en outre que l’accord-cadre est multi attributaire et qu’elle ne savait pas quel était son rang avant de recevoir la communication de la requête ; le marché de l’hyperconvergence conduit les prix à être proches sur le matériel ; en revanche les prix sont différents sur les logiciels car les producteurs font des remises commerciales ; l’écart entre les prix est à aborder différemment selon les marchés ; sur le marché de l’hyperconvergence, un écart de 16 % est considérable ;

– et de Me Boudieb, représentant la société SCC, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire et, en outre, au rejet des conclusions de la société SPIE dirigées à son encontre ; elle soutient qu’elle dispose de remises commerciales, ce qui lui permet de proposer des prix plus favorables pour les personnes publiques.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit

:

1. L’UGAP a lancé une procédure en vue de la passation d’un accord-cadre ayant pour objet la fourniture de solutions d’infrastructures informatiques (matériels, logiciels et prestations associées) sous environnements x86. L’accord-cadre était divisé en huit lots. La date limite de réception des offres était fixée au 11 juillet 2022 à 16 heures. La société Antemeta a présenté une offre pour les lots 1, 2 et 4. Par un courrier du 19 janvier 2023, l’UGAP a informé la société Antemeta que ses offres ont été rejetées et que les contrats ont été attribués à la société SCC et à la société SPIE. Par la présente requête, la société Antemeta demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la procédure de passation du lot n° 1.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : ” Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. “.

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l’administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l’opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Aux termes de l’article L. 2152-5 du code de la commande publique : ” Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. “. Aux termes de l’article L. 2152-6 de ce code : ” L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. “. Aux termes de l’article R. 2152-3 de ce même code : ” L’acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu’il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L’originalité de l’offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d’exécution des prestations ; / 5° L’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire. “.

5. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur, qui constate qu’une offre paraît anormalement basse, de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre.

6. En l’espèce, si la société Antemeta soutient que le prix des sociétés attributaires est sous-évalué, elle n’allègue à aucun moment que l’offre de ces dernières serait susceptible de compromettre la bonne exécution du contrat, ce qui, au demeurant, ne résulte pas de l’instruction. La société SPIE, qui observe que le prix proposé par la société SCC était très faible, n’invoque pas non plus cet élément. Les deux conditions prévues à l’article L. 2152-5 du code de la commande publique précité, afin de qualifier les offres anormalement basses, étant cumulatives, à supposer que le prix proposé par les sociétés SCC et SPIE était effectivement sous-évalué, la société Antemeta n’établit pas que l’UGAP aurait dû mettre en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses. Dès lors, le moyen doit être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société

Antemeta aux fins d’annulation de la procédure de passation du lot n° 1 de l’accord-cadre engagée par l’UGAP ayant pour objet la fourniture de solutions d’infrastructures informatiques sous environnements ×86 doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions à fin d’injonction.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : ” Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent et le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. “.

9. D’une part, l’UGAP n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la société Antemeta sur ce fondement doivent être rejetées. D’autre part, dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par l’UGAP et par la société SCC sur ce même fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Antemeta est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de l’UGAP, de la société SCC et de la société SPIE est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Antemeta, à l’Union des groupements d’achats publics, à la société SCC et à la société SPIE.

Fait à Melun le 9 février 2023.

La juge des référés,

J. A

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,


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