Imposition des footballeurs professionnels : Tribunal administratif de Paris, 1re Section – 2e Chambre, 21 mars 2023, 2005395

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Imposition des footballeurs professionnels : Tribunal administratif de Paris, 1re Section – 2e Chambre, 21 mars 2023, 2005395
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Le foyer fiscal de M. A C, qui exerçait l’activité de footballeur professionnel, a fait l’objet d’un contrôle sur pièces portant sur l’année 2015 à l’issue duquel le service lui a notifié notamment des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu concernant une somme de 1 000 000 euros versée à l’intéressé les 20 février et 6 juillet 2015 par son ancien employeur, la société anonyme sportive professionnelle Olympique de Marseille suite à son licenciement. M. et Mme C demandent la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.

* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 mars et 15 décembre 2020, M. A C et Mme E C, représentés par Me Bouquet, demandent au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

-l’indemnité que M. C a perçue en 2015 relève du paragraphe 1 de l’article 21 de la convention fiscale signée entre la France et le Canada et devait être imposée au Canada ;

-la rupture des relations de travail dont M. C a fait l’objet est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité qu’il a perçue doit être regardée comme une indemnité transactionnelle non imposable en application du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts ;

-l’application de la pénalité pour manquement délibéré n’est pas fondée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2020, la directrice de la direction régionale de contrôle fiscal Sud-Est conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu’aucun moyen de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-la convention du 2 mai 1975 entre la République française et le Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune ;

-le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

-le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

-le rapport de Mme D,

-et les conclusions de M. Charzat, rapporteur public.

Considérant ce qui suit

:

1. Le foyer fiscal de M. A C, qui exerçait l’activité de footballeur professionnel, a fait l’objet d’un contrôle sur pièces portant sur l’année 2015 à l’issue duquel le service lui a notifié notamment des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu concernant une somme de 1 000 000 euros versée à l’intéressé les 20 février et 6 juillet 2015 par son ancien employeur, la société anonyme sportive professionnelle Olympique de Marseille suite à son licenciement. M. et Mme C demandent la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.

Sur l’imposition en France de la somme en litige :

En ce qui concerne l’application de la loi française

2. Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, d’office, si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale.

3. Aux termes de l’article 4 A du code général des impôts : ” Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l’impôt sur le revenu en raison de l’ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française “.

4. Il est constant que les sommes versées à M. C, les 20 février et 6 juillet 2015, par son précédent employeur, la société anonyme sportive professionnelle Olympique de Marseille, constituent des revenus de source française au sens de l’article 4 A du code général des impôts et qu’elles étaient donc passibles de l’impôt sur le revenu en France.

En ce qui concerne l’application de la convention fiscale conclue entre la France et le Canada :

5. Aux termes de l’article 1 de la convention du 2 mai 1975 entre la République française et le Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune : ” La présente Convention s’applique aux personnes qui sont des résidents d’un Etat contractant ou de chacun des deux Etats “. Aux termes du 1 de l’article 4 de la même convention : ” Au sens de la présente Convention, l’expression ” résident d’un Etat contractant ” désigne: / a) Toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue, à l’exclusion des personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ; () ” et aux termes de son article 3 : ” pour l’application de la Convention par un Etat contractant, tout terme ou expression qui n’y est pas défini a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s’applique la Convention, à moins que le contexte n’exige une interprétation différente. Le sens attribué à un terme ou expression par le droit fiscal de cet Etat prévaut sur tout autre sens attribué à ce terme ou expression par les autres branches du droit de cet Etat “. En outre, l’article 17 de la même convention précise : ” 1. Nonobstant les dispositions des articles 14 et 15, les revenus qu’un résident d’un Etat contractant tire de ses activités personnelles exercées dans l’autre Etat contractant en tant qu’artiste du spectacle, tel qu’un artiste de théâtre, de cinéma, de la radio ou de la télévision ou qu’un musicien, ou en tant que sportif, sont imposables dans cet autre Etat. () “. Enfin, aux termes de l’article 21 de la convention : ” 1. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 du présent article, les éléments du revenu d’un résident d’un Etat contractant qui ne sont pas expressément mentionnés dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet Etat contractant. / 2. Toutefois, si ces revenus perçus par un résident d’un Etat contractant proviennent de sources situées dans l’autre Etat contractant, ils peuvent être imposés dans l’Etat d’où ils proviennent et selon la législation de cet Etat. () “.

6. M. et Mme C se prévalent du fait qu’ils avaient emménagé au Canada le 1er février 2015 et que la somme d’un million d’euros perçue par M. C au cours de l’année 2015 était uniquement imposable dans ce pays en application des stipulations précitées de l’article 21 de la convention du 2 mai 1975 dès lors que cette somme ne fait pas partie des revenus expressément mentionnés par cette convention. Toutefois, l’indemnité en litige, perçue par M. C en raison de la rupture anticipée de son contrat à durée déterminée, doit être regardée comme constituant un revenu tiré par l’intéressé de l’exercice de sa profession de footballeur en France au sens de l’article 17 de la convention. Ainsi, M. et Mme C ne sont pas fondés à soutenir que la somme en litige n’était pas imposable en France.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. Aux termes du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : ” Toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : / 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-11 à L. 1235-13 du code du travail ; () “. Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail : ” Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 “. L’article L. 1235-1 du même code dispose : ” en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier () le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles “.

8. Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d’une transaction conclue à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail est imposable, il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l’objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d’être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l’article L. 1235-3 du code du travail que s’il résulte de l’instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées. Il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, au vu de l’instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d’être exonérées.

9. Il résulte de l’instruction que la société anonyme sportive professionnelle Olympique de Marseille a notifié à M. C, le 27 octobre 2014, un licenciement pour faute grave et que, pour mettre un terme au litige qui les opposait à propos de ce licenciement, les parties ont signé un protocole transactionnel le 30 octobre 2014 par lequel la société s’est engagée à remettre à l’intéressé une somme de 1 600 000 euros à titre de dommages et intérêts en trois versements, un versement de 600 000 euros en 2014 et deux versements de 500 000 euros chacun en 2015. M. et Mme C soutiennent que cette somme ne constituait pas une rémunération imposable au sens de l’article 80 duodecies du code général des impôts dès lors que M. C a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils produisent à l’appui de leurs affirmations des articles de presse évoquant la mise à l’écart de l’intéressé du groupe professionnel et la volonté de l’humilier en l’obligeant à s’entrainer avec l’équipe de réserve et des échanges de courriels entre son conseil et la direction générale du club. Toutefois, ils produisent également la lettre de licenciement du 27 octobre 2014 dont il ressort que ce dernier a été justifié par l’attitude de M. C vis-à-vis du nouvel entraineur, M. B, de son staff et de la direction du club. Cette lettre indique, en particulier, que le comportement de M. C était à l’évidence concerté et orchestré et qu’il n’avait d’autre but que d’obtenir la fin de son contrat de travail avant son terme. Elle précise notamment que l’intéressé a multiplié les intempérances à l’égard de M. B et de la direction du club, qu’il s’est opposé systématiquement aux directives de l’entraineur, qu’il n’a pas respecté les règles d’entrainement ni le planning proposé par ce dernier, dont il a tourné les consignes en ridicule, qu’il a simulé une blessure pour ne pas respecter le planning d’entrainement, qu’il n’a pas changé d’attitude malgré plusieurs rappels à l’ordre, qu’il était absent de manière injustifiée depuis le 19 septembre 2014 et qu’il n’a pas voulu participer à la commission juridique, organe de conciliation du club, pour résoudre ce conflit. M. et Mme C ne contestent pas ces faits. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à soutenir que le licenciement dont M. C a fait l’objet était sans cause réelle et sérieuse et que l’indemnité qu’il a perçue ne constituait pas, en application de l’article 80 duodecies du code général des impôts, une rémunération imposable.

Sur les pénalités :

10. Aux termes de l’article 1729 du code général des impôts : ” Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; () “. Il résulte des dispositions de l’article L. 195 A du livre des procédures fiscales et du principe de présomption d’innocence prévu notamment au 2 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la charge de la preuve du bien-fondé de l’application des majorations pour manquement délibéré repose sur l’administration.

11. Pour justifier l’application des pénalités pour manquement délibéré, l’administration fait valoir que M. C ne pouvait ignorer que le licenciement dont il a fait l’objet n’était pas sans cause réelle et sérieuse et que la somme en litige constituait un revenu imposable au même titre que les autres sommes qu’il a perçues de la part de son employeur. Elle précise, en outre, que le défaut de déclaration de cette somme a permis aux requérants de bénéficier d’une restitution d’impôt de 2 961 euros, le couple ayant déclaré un déficit et aucun revenu pour l’année 2015. L’administration doit être regardée comme justifiant ainsi du caractère délibéré du manquement reproché à M. et Mme C et, par suite, du bien-fondé de l’application de la majoration de 40 % prévue à l’article 1729 précité du code général des impôts.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : ” Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ” et aux termes de l’article R. 761-1 du même code : ” Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. () “.

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. et Mme C au titre de frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En outre, aucun dépens n’ayant été exposé au cours de l’instance, les conclusions présentées par les requérants à ce titre ne peuvent qu’être rejetées.

D E C I D E

Article 1er

: La requête de M. et Mme C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, à Mme E C et à la directrice de la direction régionale de contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l’audience du 7 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Bachoffer, président,

Mme Dousset, première conseillère,

M. Khansari, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.

La rapporteure,

A. D

Le président,

B.R. BACHOFFER

La greffière,

L. REGNIER

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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