Droits des Artistes : Tribunal administratif d’Orléans, 1ère chambre, 2 mars 2023, 2003197

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Droits des Artistes : Tribunal administratif d’Orléans, 1ère chambre, 2 mars 2023, 2003197
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Extraits :
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 10 septembre 2020, M. G F doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) d’annuler le marché de ” mise en œuvre du 1% artistique en faveur de la construction d’une opération immobilière publique dédiée à la création, la production et la diffusion artistique pluridisciplinaire ” conclu entre la commune de Bourges et M. E C dans le cadre de la construction de la nouvelle Maison de la culture de Bourges ;

2°) d’enjoindre à la commune de Bourges de relancer une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence pour attribuer ce marché.

Il soutient que :

– l’offre retenue est en contradiction ou sans rapport avec les termes du programme objet du marché défini à son article 2 ; alors que lors de la visite technique du chantier, la représentante des architectes de France et la déléguée de la mairie veillant aux interventions urbaines avaient fait état d’une interdiction d’intervenir sur les façades et les toits des bâtiments, le projet du lauréat méconnaît délibérément cette exigence ; au surplus, il est hors sujet sur tous les points du programme ; le procès-verbal de délibération et les notes établies pour chaque point, avec leur coefficient tel qu’il est défini dans le programme, ne sont pas produits ; eu égard à l’ensemble de ces irrégularités et contradictions, les conditions d’attribution du marché sont suspectes ;

– la constitution du comité artistique est irrégulière en l’absence d’artistes agréés ;

– l’attitude du président du comité artistique qui utilisait son téléphone portable pendant son audition révèle l’existence d’un vice de forme ;

– alors que le concours excède le seuil de 200 000 euros, il n’a pas fait l’objet d’une information obligatoire dans les journaux officiels français et européens.

Par un mémoire enregistré le 2 novembre 2021, la commune de Bourges, représentée par M. A D, adjoint suppléant, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

– aucun des vices de procédure et manquements invoqués n’est en rapport direct et certain avec un intérêt lésé du requérant eu égard à son classement à l’issue de la réunion du comité artistique ;

– le pouvoir adjudicateur n’a aucune obligation de demander aux candidats évincés s’ils ont des observations à présenter à la suite du rejet de leur offre ; le seul formalisme applicable aux notifications des rejets des candidatures est celui visé par l’article

R. 421-5 du code de justice administrative ; en l’espèce, la notification du rejet envoyée au requérant l’a informé du rejet de son offre, du nom du candidat retenu, de la note qu’il a obtenue et du montant du prix retenu, ainsi que des voies et délais de recours ; dans ces conditions, cette notification est conforme à la réglementation en vigueur ;

– conformément à l’avis n° 20180944 de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en date du 14 juin 2018, seules les notes et appréciations de l’entreprise retenue sont communicables ; les notes et argumentaires des candidats non retenus ne peuvent être rendus publics ; en tout état de cause, alors que le recours devant la CADA constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux en application des dispositions de l’article

L. 342-1 du code des relations entre le public et l’administration, la demande tendant à ce que les notes, pourcentages et argumentaires soient rendus publics pour tous les candidats est irrecevable ;

– le code de la commande publique n’impose aucune règle quant au déroulé même du comité artistique ; il n’existe aucune obligation légale quant à l’attitude que doivent adopter les membres du comité ; par ailleurs, aucun règlement intérieur n’interdit au comité artistique d’utiliser son téléphone portable pendant la durée de la réunion ; par suite, cette utilisation, au demeurant non établie, ne peut révéler l’existence d’un vice de procédure ; au surplus, l’attitude des membres du comité n’est pas déterminante dans le choix des candidats ;

– le comité artistique était notamment composé d’une personnalité qualifiée désignée par le directeur régional des affaires culturelles qui était membre du syndicat national des sculpteurs et plasticiens au moment de sa désignation ; ainsi, la composition du comité était conforme aux prévisions de l’article

R. 2172-18 du code de la commande publique ;

– l’offre du candidat retenu respecte les contraintes techniques du programme et n’est pas contraire aux autres contraintes imposées ; pour le surplus, en application des stipulations de l’article 2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché, les candidats étaient libres de leurs choix artistiques ; l’article 2 du CCTP du marché autorisait l’intervention sur un bâtiment pour y installer une œuvre démontable ; l’interdiction d’intervenir sur les façades et les toits des bâtiments à laquelle fait référence le requérant n’est pas démontrée ;

– en application des dispositions de l’article

L. 2120-1 du code de la commande publique, les marchés sont passés selon leur montant soit sans publicité ni mise en concurrence préalable, soit selon une procédure adaptée, soit selon une procédure formalisée ; la procédure adaptée implique une publicité obligatoire seulement au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) ou dans un journal d’annonces légales ; il n’y a pas d’obligation de publication d’un avis d’attribution ; pour les collectivités territoriales, le seuil de procédure adaptée est de 213 999,99 euros hors-taxes (HT) pour les fournitures et services et de 5 349 999,99 euros HT pour les travaux ; en l’espèce, le marché en litige est un marché de services qui a été conclu pour un montant conforme à l’enveloppe budgétaire totale de 189 355 euros HT, autrement dit un montant inférieur au seuil de procédure formalisée ; par suite, la publication de l’avis d’appel public au BOAMP du 17 décembre 2019 au 31 janvier 2020 était suffisante.

M. E C, à qui la procédure a été communiquée le 13 décembre 2021, n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de la commande publique ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B,

– et les conclusions de Mme Best-De Gand, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit

:

1. Par un avis d’appel public à la concurrence en date du 17 décembre 2019, la commune de Bourges (Cher) a lancé un concours restreint en vue de la passation d’un marché de ” mise en œuvre du 1% artistique en faveur de la construction d’une opération immobilière publique dédiée à la création, la production et la diffusion artistique pluridisciplinaire ” dans le cadre de la construction de la nouvelle Maison de la culture de Bourges. M. G F a présenté une offre en vue de l’obtention de ce marché. Par un courrier du 4 septembre 2020, la commune de Bourges l’a informé que son offre n’avait pas été retenue et que le marché avait été attribué à M. E C, qui a obtenu la note de 9,3, pour un prix de 189 355,36 euros HT. Par sa requête, M. F doit être regardé comme demandant au tribunal de prononcer l’annulation dudit marché.

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini.

Sur la régularité de la procédure de passation du marché :

3. En premier lieu, aux termes de l’article

R. 2123-1 du code de la commande publique : ” L’acheteur peut recourir à une procédure adaptée pour passer : / 1° Un marché dont la valeur estimée hors taxes du besoin est inférieure aux seuils européens mentionnés dans un avis qui figure en annexe du présent code () “. Aux termes de l’article

R. 2131-12 du même code : ” Les marchés passés selon une procédure adaptée par () les collectivités territoriales () font l’objet d’une publicité dans les conditions suivantes : () / 2° Lorsque la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure à 90 000 euros hors taxes et inférieure aux seuils de procédure formalisée, un avis de marché est publié soit dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics soit dans un journal habilité à recevoir des annonces légales. / L’acheteur apprécie si, compte tenu de la nature ou du montant des travaux, des fournitures ou des services en cause, une publication dans un journal spécialisé correspondant au secteur économique concerné ou au Journal officiel de l’Union européenne est en outre nécessaire pour garantir l’information des opérateurs économiques raisonnablement vigilants pouvant être intéressés par le marché “.

4. Il résulte de l’instruction et notamment du cahier des clauses techniques particulières du marché de mise en œuvre du 1% artistique que le montant de l’enveloppe budgétaire allouée à la création artistique a été estimé à 209 850 euros toutes taxes comprises, soit 189 355 euros hors taxes (HT), par la commune de Bourges. Ce montant est inférieur au seuil de passation des marchés de fournitures et services formalisés en vigueur à la date de lancement de la procédure, fixé à 214 000 euros HT par l’avis relatif aux seuils de procédure et à la liste des autorités publiques centrales en droit de la commande publique annexé au code de la commande publique et publié au journal officiel de la République française n° 0286 du 10 décembre 2019. Dans ces conditions, au regard du montant du marché, M. F n’est pas fondé à soutenir que le pouvoir adjudicateur, dont l’avis d’appel public à la concurrence a été publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics du 17 décembre 2019 au 17 février 2020, aurait dû engager une procédure formalisée avec une publication de cette consultation au journal officiel de l’Union européenne. Le moyen tiré d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence doit par suite être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article

R. 2172-18 du code de la commande publique : ” Pour les opérations situées sur le territoire national, le comité artistique mentionné à l’article R. 2172-9 est composé des membres suivants : () / 5° Trois personnalités qualifiées dans le domaine des arts plastiques : / a) Une personnalité qualifiée désignée par le maître d’ouvrage ; / b) Deux personnalités qualifiées désignées par le directeur régional des affaires culturelles, dont une choisie sur une liste établie par les organisations professionnelles d’artistes () “. Il résulte de l’instruction que le comité artistique qui s’est réuni le 24 juillet 2020 pour examiner les offres des candidats était notamment composé d’une artiste céramiste, figurant sur la liste établie le 19 novembre 2018 par l’union des syndicats et organisations professionnelles des arts visuels et de l’écrit, désignée par le directeur régional des affaires culturelles le 7 février 2020 pour siéger en qualité de personnalité qualifiée. Il s’ensuit que le moyen tiré d’un vice de procédure affectant la composition du comité artistique manque en fait et doit être écarté.

6. En troisième lieu, si M. F entend soutenir que le président du comité artistique n’aurait pas respecté le principe d’impartialité en utilisant son téléphone portable durant son audition, ce comportement, à le supposer même établi, ne suffit pas à faire présumer que l’intéressé se serait prononcé au vu de critères autres que les mérites du candidat. Le moyen doit, par suite, également être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l’article

L. 2125-1 du code de la commande publique : ” L’acheteur peut, dans le respect des règles applicables aux procédures définies au présent titre, recourir à des techniques d’achat pour procéder à la présélection d’opérateurs économiques susceptibles de répondre à son besoin ou permettre la présentation des offres ou leur sélection, selon des modalités particulières. / Les techniques d’achat sont les suivantes : () / 2° Le concours, grâce auquel l’acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d’un jury, un plan ou un projet () “. Aux termes de l’article

R. 2162-18 du même code : ” Après avoir analysé les candidatures et formulé un avis motivé sur celles-ci, le jury examine les plans et projets présentés de manière anonyme par les opérateurs économiques admis à participer au concours, sur la base des critères d’évaluation définis dans l’avis de concours. / Il consigne dans un procès-verbal, signé par ses membres, le classement des projets ainsi que ses observations et, le cas échéant, tout point nécessitant des éclaircissements et les questions qu’il envisage en conséquence de poser aux candidats concernés. / L’anonymat des candidats peut alors être levé. / Le jury peut ensuite inviter les candidats à répondre aux questions qu’il a consignées dans le procès-verbal. Un procès-verbal complet du dialogue entre les membres du jury et les candidats est établi “. Aux termes de l’article R. 2162-19 du même code : ” L’acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l’avis du jury et publie un avis de résultats de concours dans les conditions prévues aux articles R. 2183-1 à R. 2183-7 “.

8. Il résulte de l’instruction et notamment de l’avis d’appel public à la concurrence, comme du règlement de consultation, que les critères de jugement des offres portaient, d’abord, sur l’adéquation de l’œuvre avec l’esprit et les prescriptions du programme (critère pondéré à 50%), ensuite, sur la qualité de la réponse en termes d’accessibilité, de longévité, de sécurité et de développement durable (critère pondéré à 30%) et, enfin, sur la compatibilité de l’enveloppe budgétaire avec le cahier des charges (critère pondéré à 20%). Le courrier du 4 septembre 2020, notifiant à M. F le rejet de son offre, qui mentionne que le candidat retenu a obtenu la note de 9,3, ne comporte l’énoncé d’aucun élément justifiant ce rejet ni l’attribution du marché à une société concurrente. Alors que M. F met en cause les conditions dans lesquelles le jury d’évaluation et le pouvoir adjudicateur ont procédé à l’analyse des offres et à la sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse et sollicite la présentation du rapport d’analyse des offres, la commune de Bourges se borne à produire un rapport d’examen des offres en date du 24 juillet 2020, qui ne fait pas ressortir qu’il aurait été procédé à une notation, point par point, des prestations proposées par les candidats sur la base des critères de jugement des offres, tels que prévus par le règlement de la consultation. Ni ce rapport, ni les avis des membres du comité artistique qui lui sont adjoints ne mettent en œuvre, au-delà d’un simple rappel liminaire des critères et pondérations applicables et d’un classement final des candidats par chacun des membres de 1 à 4, une notation des quatre candidats. Dans ces conditions, le pouvoir adjudicateur ne peut être réputé avoir régulièrement déclaré M. C attributaire du marché et rejeté l’offre du requérant.

Sur les conséquences du vice constaté :

9. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.

10. Ce n’est ainsi que dans le cas où le contrat a un contenu illicite ou se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité devant être relevé d’office que le juge peut prononcer son annulation, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

11. Eu égard à sa nature, le vice relevé au point 8 ne peut donner lieu à aucune régularisation. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que le marché de ” mise en œuvre du 1% artistique ” d’une durée d’un an, renouvelé à deux reprises, a été entièrement exécuté au 30 avril 2022, que son contenu n’est pas illicite et que l’irrégularité de son attribution à M. C n’a pas vicié le consentement de la commune de Bourges au contrat et ne présente pas une gravité telle qu’elle aurait dû être relevée d’office. Dans ces conditions, l’irrégularité relevée n’implique aucune mesure de régularisation, de résiliation ou d’annulation en application des principes énoncés au point précédent.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l’annulation du marché de ” mise en œuvre du 1% artistique en faveur de la construction d’une opération immobilière publique dédiée à la création, la production et la diffusion artistique pluridisciplinaire ” conclu entre la commune de Bourges et M. E C, dans le cadre de la construction de la nouvelle Maison de la culture de Bourges, présentées par M. F doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. F est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. G F, à la commune de Bourges et à M. E C.

Délibéré après l’audience du 31 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Defranc-Dousset, première conseillère,

M. Joos, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

Le rapporteur,

Emmanuel B

La présidente,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

La greffière,

Lucie BARRUET

La République mande et ordonne au préfet du Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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