Droits des Artistes : Cour administrative d’appel de Versailles, 3ème chambre, 9 février 2023, 20VE01369

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Droits des Artistes : Cour administrative d’appel de Versailles, 3ème chambre, 9 février 2023, 20VE01369
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Extraits :
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) JBL Sculpture a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des suppléments de taxe sur la valeur ajoutée, et des pénalités qui les assortissent, qui lui ont été réclamés au titre de la période du 5 mai 2009 au 31 décembre 2010.

Par un jugement n° 1704531 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 juin 2020, l’EURL JLB Sculpture, représentée par Me Mattei, avocat, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 3 500 euros sollicitée en première instance et celle de 1 000 euros au titre de l’instance d’appel, en application des dispositions de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont dénaturé les faits en estimant que l’administration ne s’était pas fondée sur sa doctrine ; qu’ils ont omis de statuer sur l’ensemble des moyens développés sur ce point ;

– le tribunal a statué ” ultra petita ” sur des moyens et circonstances non contestés par l’administration, en commettant des erreurs de droit et des contradictions de motifs ;

– la proposition de rectification est insuffisamment motivée faute pour celle-ci de détailler précisément et individuellement les œuvres d’art en litige ;

– l’administration supporte la charge de la preuve des rectifications ;

– les opérations en litige, qui portent bien sur des sculptures constituant des œuvres d’art, relèvent du taux de 5,5 % prévu par le 2° de l’article 278 septies du code général des impôts, transposant la directive européenne 94/5/CE, dès lors que procédant à la première mise sur le marché, elle a la qualité d’ayant droit de l’artiste M. C…, une telle qualité n’étant pas limitée aux seuls et uniques héritiers ou à des personnes physiques ;

– à titre subsidiaire, la société doit, en tout état de cause, bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée dès lors qu’elle dispose de la qualité d’intermédiaire opaque de M. C… au sens du V de l’article

256 du code général des impôts ;

– l’administration ne peut se prévaloir et se fonder sur sa propre doctrine, à savoir les instructions 3 K-1121, 3 K-1127, 3K 222 et 3 K-1-95 reprises au BOI TVA-SECT-90-40 n°260.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l’EURL JLB Sculpture ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de la propriété intellectuelle ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme B…,

– et les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit

:

1. L’EURL JLB Sculpture, dont l’unique associé et le gérant est M. A… C…, sculpteur, a été créée le 15 mai 2009 et a pour objet statutaire le négoce d’œuvres d’art. Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre de la période allant du 15 mai 2009 au 31 décembre 2010, à l’issue de laquelle l’administration lui a notifié, par proposition de rectification du 8 février 2012, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée procédant de la remise en cause de l’application du taux réduit de la taxe aux ventes réalisées par celle-ci. L’EURL JLB Sculpture fait appel du jugement du 19 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge, et des pénalités qui les assortissent, au titre de la période du 15 mai 2009 au 31 décembre 2010.

Sur la régularité du jugement :

2. D’une part, si la société JLB Sculpture soutient que le jugement attaqué est entaché d’erreur de droit, de dénaturation des faits, de contradiction de motifs, et que les premiers juges ont statué ultra petita sur des moyens et circonstances non contestés par l’administration, ces moyens, qui relèvent du bien-fondé du jugement, sont sans incidence sur sa régularité. Au surplus, les erreurs de droit ainsi que la dénaturation invoquées à l’encontre du jugement attaqué constituent des moyens relevant du contrôle de cassation et sont inopérants en tant que tels devant le juge d’appel. Par suite, ces moyens ne peuvent qu’être écartés.

3. D’autre part, il résulte des termes mêmes du jugement, notamment de son point 6, que le tribunal a expressément écarté le moyen tiré de ce que l’administration ne pouvait se fonder sur sa doctrine. Par suite, la société JBL Sculpture n’est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait omis de statuer sur ce moyen.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. En premier lieu, aux termes de l’article

L. 57 du livre des procédures fiscales : ” L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…) “. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l’impôt concerné, de l’année d’imposition et de la base d’imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l’administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

5. Il résulte de l’instruction que la proposition de rectification du 8 février 2012 indique porter sur la taxe sur la valeur ajoutée, rappelle les constatations faites lors de la vérification de comptabilité, énonce les motifs tant de faits que de droit de la rectification proposée, dont elle précise le montant ainsi que les périodes auxquelles elle se rapporte. Dès lors que le chiffre d’affaires soumis au taux normal par l’administration, dont les modalités de détermination sont précisées en p. 3, 4 et 6, correspond à la totalité des ventes imposables que la requérante a mentionnées sur ses déclarations CA3 et qu’elle a soumises à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 5,5%, il n’était pas nécessaire, contrairement à ce qu’il est soutenu, que chacune des œuvres soit précisément et individuellement détaillées. Par suite, et dès lors que la contribuable a été mise à même de présenter ses observations de manière entièrement utile, le moyen tiré du défaut de motivation de la proposition de rectification ne peut qu’être écarté.

6. En deuxième lieu, d’une part, aux termes de l’article 278 septies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d’imposition en litige : ” La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 5,5 % : (…) 2° Sur les livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit ; (…) “. Aux termes du II de l’article 98 A de l’annexe III au même code, pris pour l’application de ces dispositions et reprenant la liste figurant au point a) de l’annexe I de la directive 94/5/CE du 14 février 1994 du Conseil portant régime particulier applicable dans le domaine des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité : ” Sont considérées comme œuvres d’art les réalisations ci-après : (….)/ 3. Productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières dès lors que les productions sont exécutées entièrement par l’artiste ; fontes de sculptures à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit; (…) “. D’autre part, aux termes du V de l’article

256 du code général des impôts : ” L’assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, qui s’entremet dans une livraison de bien ou une prestation de services, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien, ou reçu et fourni les services considérés “.

7. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l’impôt, au vu de l’instruction et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention d’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.

8. Il résulte de l’instruction que l’administration fiscale a remis en cause l’application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, prévu par les dispositions précitées du 2° de l’article 278 septies du code général des impôts, aux ventes réalisées par la société JLB Sculpture au cours de la période vérifiée, lesquelles portent sur des sculptures portant la signature de M. A… C…. Ces œuvres, dont il est constant qu’elles constituent des œuvres d’art, ont, d’une part, été remises à la société par M. A… C… lors de sa constitution, leur valeur ” fonderie ” ayant alors été inscrite sur le compte courant d’associé ouvert à son nom dans les écritures de la société, et, ont, d’autre part, été réalisées par ce dernier dans le cadre de cette société.

9. Eu égard notamment aux dispositions relatives aux droits moraux de l’auteur édictées par les articles L. 121-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, le seul fait qu’une personne physique ou morale détienne un droit patrimonial sur tout ou partie des œuvres d’un auteur ne suffit pas à lui conférer la qualité d’ayant droit de celui-ci, laquelle s’entend des successeurs légaux et les légataires de l’artiste défunt. En l’espèce, il ne résulte pas de l’instruction que l’EURL JLB Sculpture pourrait être regardée comme un ayant droit de M. A… C…, au sens des dispositions du 2° de l’article 278 septies du code général des impôts. Si la société fait valoir qu’elle s’occupe de la première mise sur le marché des sculptures en cause, cette circonstance est sans incidence dans la mesure où ces dispositions, dépourvues d’ambiguïté, ne font aucunement référence à une telle notion comme condition d’application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, la société n’étant ni l’auteur des œuvres d’art, ni l’ayant droit de ce dernier, l’administration était fondée à remettre en cause le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée indûment appliqué aux opérations réalisées par l’intéressée. Si la société soutient, à titre subsidiaire, qu’elle agissait en son nom propre et pour le compte de M. C…, auteur des sculptures qu’elle cédait, elle n’apporte toutefois, alors qu’elle est la seule à même de pouvoir le faire, aucun élément permettant d’établir qu’elle disposait de la qualité d’intermédiaire entrant dans les prévisions du V de l’article 256 précité. Il résulte au contraire de l’instruction, notamment des conditions d’exploitation de la société retracées dans les mentions non contestées de la proposition de rectification, que la société était la propriétaire des œuvres vendues au cours des années vérifiées et exerçait ainsi son activité de négoce d’œuvres originales pour son propre compte. C’est, par suite, à bon droit que l’administration lui a refusé le bénéfice du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.

10. En dernier lieu, et ainsi que l’ont relevé les premiers juges, l’administration a simplement appliqué la loi fiscale et ne s’est pas fondée sur sa propre doctrine administrative, à savoir les instructions 3 K-1121, 3 K-1127, 3K 222 et 3 K-1-95 reprises au BOI TVA-SECT-90-40 n°260, alors même qu’elle les auraient mentionnées dans la proposition de rectification.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société JLB Sculpture n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l’EURL JLB Sculpture est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société JLB Sculpture et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l’audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

Mme Danielian, présidente-assesseure,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2023.

La rapporteure,

I. B…La présidente,

L. Besson-LedeyLa greffière,

A. Audrain-Foulon

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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N° 20VE01369


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