Séjour des mineurs étrangers : M. B D, représenté F Me Calonne du Teilleul, demande au juge des référés : 1°) de l’admettre à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle ; 2°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 13 décembre 2022 F laquelle le président du conseil départemental des Côtes-d’Armor a refusé de le prendre en charge en qualité de jeune majeur
* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante : F une requête et un mémoire enregistrés le 24 janvier et le 5 février 2023, M. B D, représenté F Me Calonne du Teilleul, demande au juge des référés : 1°) de l’admettre à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle ; 2°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 13 décembre 2022 F laquelle le président du conseil départemental des Côtes-d’Armor a refusé de le prendre en charge en qualité de jeune majeur ; 3°) d’enjoindre au président du conseil départemental des Côtes-d’Armor de le faire bénéficier d’une prise en charge en qualité de jeune majeur dans l’attente de la décision à intervenir au fond, adapté à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de scolarité et de ressources et de déterminer avec lui les modalités concrètes de la mise en œuvre de cette prestation, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros F jour de retard ; 4°) de mettre à la charge du département des Côtes-d’Armor le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il soutient que : – la condition d’urgence est satisfaite : sa demande est recevable alors même que l’administration n’a pas encore statué sur son recours administratif préalable obligatoire et il existe une présomption d’urgence dans le cas où un jeune majeur se voit opposer un refus de prolongation de sa prise en charge F le conseil départemental ; il se retrouve dans une situation d’extrême précarité sans logement ni ressources, ni aucun soutien familial et ne suit aucune scolarité ; – sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse : – elle est entachée d’une erreur de droit : il résulte des dispositions des articles L. 111-2 et L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que les personnes de nationalité étrangère n’ont pas à justifier d’un titre de séjour pour bénéficier des prestations d’aide sociale à l’enfance, parmi lesquelles figure l’accompagnement jeune majeur ; de plus, le droit à une prise en charge posé F le 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles n’est pas limité aux majeurs ayant fait l’objet d’une décision de placement définitif mais s’étend également à ceux qui ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance F le biais d’ordonnances provisoires de placement ; – elle est entachée d’un défaut d’examen réel et sérieux de sa situation et d’une erreur de fait : la faute d’orthographe sur son extrait d’acte de naissance ne permet pas de conclure qu’il est contrefait ; l’acte de naissance et l’extrait d’acte de naissance de février 2019 comme son passeport sont présumés authentiques en vertu des dispositions de l’article 47 du code civil ; la charge de la preuve de son identité ne saurait reposer sur le mineur ; le droit à l’identité d’un mineur est garanti conventionnellement F l’article 8 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ; il produit le jugement supplétif du 14 février 2019 et sa carte nationale d’identité établie le 21 mars 2019 à Bamako ; le non-respect des dispositions de l’article 126 du code des personnes et de la famille concernant la date de déclaration de naissance écrite en chiffres, ou la date d’établissement de l’acte en chiffres, n’est pas de nature à invalider l’acte de naissance contrairement à ce qu’indique la police aux frontières; les dispositions de la loi du 11 août 2006, qui a institué au Mali, le numéro d’identification nationale des personnes physiques ou morales (NINA) n’étaient pas applicables lors de sa naissance ; s’agissant de l’acte de naissance, les officiers d’état civil qui ont utilisé ces imprimés, comportant cette » coquille » (mention » Offier d’Etat Civil « ), ont établi des actes de naissance avec les imprimés mis à leur disposition F l’administration de leur région et/ou pays ; – elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ; – elle méconnaît l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ; – elle méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. F deux mémoires en défense, enregistrés les 1er et 6 février 2023, le département des Côtes-d’Armor conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : – la condition d’urgence n’est pas satisfaite : M. D, qui serait devenu majeur peu de temps après son arrivée en France, a bénéficié des mesures d’accompagnement vers l’insertion en France et, dans les meilleurs délais, d’un accompagnement administratif ; surtout, le département a fait les démarches préalables pour déposer un dossier complet de demande de titre de séjour auprès de la préfecture mais l’analyse des documents fournis pour justifier de son état-civil F la direction zonale de la police aux frontières a mis en évidence leur caractère contrefait ; au regard de l’impossibilité d’accompagner M. D dans une démarche de régularisation, il l’a accompagné dans sa fin de prise en charge et l’a orienté vers les dispositifs de droit commun relatifs aux adultes ; – sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse : – le requérant ne saurait se prévaloir d’un acte illégal pour se faire reconnaître un droit F le département et sa réelle identité n’est pas connue de telle sorte qu’il n’est pas possible d’établir que l’intéressé serait âgé de moins de vingt-et-un ans ; – le président du conseil départemental dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge F le service de l’aide sociale à l’enfance d’un jeune de moins de vingt-et-un ans et peut, à ce titre, prendre en considération les perspectives d’insertion : en l’espèce, à la suite de la contrefaçon des documents d’état-civil, le département n’était pas en mesure d’accompagner M. D dans une démarche d’insertion et a fortiori dans le cadre d’une demande de titre de séjour ; – il a procédé à un examen sérieux de la situation concrète de M. D ; – le requérant n’apporte aucun élément sérieux pour remettre en cause les analyses effectuées F la police aux frontières, qui a conclu à la falsification de l’acte de naissance et de l’extrait d’acte de naissance produits ; le jugement supplétif produit dans le cadre de la présente instance n’est pas davantage conforme au code des personnes et de la famille malien ; la carte d’identité produite n’est pas un document d’état-civil et ne bénéficie pas de la présomption reconnue à l’article 47 du code civil ; le département n’est pas lié F l’évaluation, ni l’ordonnance de placement provisoire qui a reconnu la minorité de M. D avant toute expertise de la police aux frontières. Vu : – le recours administratif préalable obligatoire exercé le 18 janvier 2023 auprès du président du conseil départemental des Côtes-d’Armor F lequel le requérant demande l’annulation de la décision en litige ; – les autres pièces du dossier. Vu : – le code civil ; – le code de l’action sociale et des familles ; – la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; – le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné Mme Plumerault, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique du 7 février 2023 : – le rapport de Mme E, – les observations de Me Calonne du Teilleul, représentant M. D, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu’elle développe, retrace le parcours migratoire du requérant, souligne l’urgence de la situation dès lors que M. D est isolé sur le territoire français, ne dispose d’aucun hébergement ni d’aucune ressource, insiste sur le fait que M. D est désormais en possession d’un jugement supplétif qui atteste de son âge et que l’avis des services de la direction zonale de la police aux frontières, qui a conclu à l’inauthenticité de l’acte de naissance et de l’extrait d’acte de naissance produits, est contestable, que le département des Côtes-d’Armor aurait dû s’adresser aux autorités consulaires du Mali, indique que M. D souhaite intégrer la mission de lutte contre le décrochage scolaire ; – Mme C, représentant le département des Côtes-d’Armor, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu’elle développe, rappelle les conditions de la prise en charge de M. D F le département à son arrivée, souligne que le blocage de la situation est du fait même du requérant, qui a produit des documents d’état-civil falsifiés, insiste sur le fait qu’il est en tout état de cause majeur et ne peut pas être considéré comme un enfant, qu’il ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’un contrat jeune majeur dès lors qu’il ne prouve pas avoir moins de vingt-et-un ans, fait valoir que le numéro NINA est entré en vigueur en 2006 soit avant l’établissement des documents d’état-civil produits F M. D en 2019 et que ce numéro est indispensable aujourd’hui pour obtenir une carte d’identité et un passeport, ce qui tend à prouver que l’intéressé n’a pas déposé ses empreintes digitales, que la carte d’identité produite comporte également des mentions, notamment quant au domicile, qui permettent de douter de son authenticité, souligne encore qu’aucun des documents produits ne mentionne le domicile des parents, que la situation est bloquée, M. D ne pouvant prétendre qu’à rentrer en apprentissage, ce qui nécessite la régularisation de son séjour F la possession d’un titre de séjour au préalable, qui ne peut pas lui être délivré en l’absence de documents d’état-civil probants. La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience. Une note en délibéré, présentée pour M. D, a été enregistrée le 8 février 2023. Considérant ce qui suit : 1. M. A, se disant M. B D, ressortissant malien, est entré en France, selon ses déclarations, au mois d’août 2022. Se déclarant mineur, né le 23 septembre 2004, il a été pris en charge à titre provisoire F les services de l’aide sociale à l’enfance et a été accueilli le 7 septembre 2022 dans le département des Côtes-d’Armor dans le cadre du dispositif d’orientation des mineurs non accompagnés. Un accompagnement éducatif a alors été mis en place jusqu’en janvier 2023. M. D a sollicité, F courrier du 25 octobre 2022, une poursuite d’accompagnement F la contractualisation d’un contrat jeune majeur. F décision du 13 décembre 2022, le président du conseil départemental des Côtes-d’Armor a refusé de poursuivre sa prise en charge après le 2 janvier 2023. M. D demande la suspension de l’exécution de cette décision. Sur l’aide juridictionnelle : 2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : » Dans les cas d’urgence, () l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée F la juridiction compétente ou son président « . 3. M. D justifiant avoir déposé, le 24 janvier 2023, une demande d’aide juridictionnelle, il y a lieu, F suite, de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire. Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : 4. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () « . 5. Aux termes de l’article L. 111-2 du code de l’action sociale et des familles : » Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : / 1° Des prestations d’aide sociale à l’enfance ; () / Elles bénéficient des autres formes d’aide sociale, à condition qu’elles justifient d’un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France () « . Aux termes de l’article L. 222-5 du même code : » Sont pris en charge F le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : () 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité, y compris lorsqu’ils ne bénéficient plus d’aucune prise en charge F l’aide sociale à l’enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, F le service chargé de l’aide sociale à l’enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l’avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée « . 6. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge F le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge F ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants. 7. En l’espèce, pour justifier de son identité, le requérant a initialement produit un acte de naissance et un extrait d’acte de naissance, tous deux établis au regard d’un jugement supplétif d’acte de naissance n° 437 du 14 février 2019 produit dans le cadre de la présente instance. Il ressort du rapport d’analyse technique établi le 2 octobre 2022 pour rendre compte au département des Côtes-d’Armor des résultats de l’analyse documentaire des documents initialement produits, que le service, au terme d’un examen approfondi de l’acte de naissance qui lui était soumis, a relevé qu’alors que l’article 126 du code malien des personnes et de la famille impose que les dates mentionnées dans un tel acte le soient en toutes lettres, la date d’établissement figurant sur l’acte présenté F l’intéressé était mentionnée en chiffres. Le service a relevé, en outre, que l’acte analysé comporte une faute d’orthographe » Offier d’état civil » et que le numéro NINA, numéro d’identification nationale prévu F la réglementation malienne, n’est pas renseigné. S’agissant de l’extrait d’acte de naissance, tout comme pour l’acte de naissance, le service a relevé que sa date d’établissement est en lettres et non en chiffres et que le numéro NINA n’est pas mentionné. Il peut en outre être relevé que le texte pré-imprimé comporte lui aussi une faute d’orthographe, la mention » Officicer » y figurant. Ces irrégularités et anomalies sont, en l’espèce, de nature à remettre en cause la valeur probante de l’acte de naissance et de l’extrait d’acte de naissance présentés F le requérant et des informations y figurant et à accréditer l’utilisation frauduleuse de documents défectueux. La délivrance d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport, qui ne constituent pas des actes d’état civil et ont pu être délivrés sur la foi des mêmes extraits d’acte de naissance, regardés comme non probants, n’est pas non plus de nature à justifier de l’état civil et notamment de la date de naissance de l’intéressé. Le jugement supplétif n° 437 produit dans le cadre de la présente instance n’apparaît pas davantage recevable dès lors qu’il ne mentionne ni l’identité du magistrat, ni l’adresse précise des parents et est daté du 14 février 2019 alors que tant l’acte de naissance que l’extrait d’acte de naissance font état d’un jugement du 11 février 2019. 8. Si le requérant soutient que les constatations précitées ne permettraient pas de remettre en cause son identité et son âge et fait notamment valoir que la pratique de l’état-civil a consacré la rédaction des actes aussi bien en chiffres qu’en lettres, que le numéro NINA n’a été introduit qu’à compter de 2006 soit postérieurement à sa naissance et que les fautes susmentionnées constituent de simples erreurs matérielles qui ne peuvent lui être imputées, toutefois, outre que le numéro NINA était entré en vigueur à la date d’établissement des actes qu’il produit, les erreurs typographiques grossières précitées, les approximations sur l’adresse des parents ou encore la date du jugement supplétif sont, ainsi qu’il a été dit, de nature à remettre en cause l’authenticité des actes d’état civil produits sans qu’il soit en conséquence nécessaire pour l’autorité administrative de saisir les autorités maliennes pour faire procéder à des vérifications. 9. Il résulte de ce qui précède que M. A, se disant M. B D, n’apporte pas la preuve qu’il serait âgé de moins de vingt-et-un ans. F suite, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles n’est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige. 10. Aucun des autres moyens invoqués susvisés n’étant davantage, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse, les conclusions à fin de suspension de la requête ne peuvent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, qu’être rejetées. Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte : 11. La présente ordonnance qui rejette les conclusions à fin de suspension de la requête n’appelle aucune mesure d’exécution. F suite, les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte présentées F l’intéressé doivent être rejetées. Sur les frais liés au litige : 12. En vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement F l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre F le requérant doivent, dès lors, être rejetées. O R D O N N E : Article 1er : M. D est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Article 2 : La requête de M. D est rejetée. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B D et au département des Côtes-d’Armor. Fait à Rennes, le 10 février 2023. Le juge des référés, signé F. E La greffière d’audience, signé J. Jubault La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d’Armor en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.