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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 22 FEVRIER 2023
(n° 40 , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07360 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQDP
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2019053118
APPELANTE
SAS ORIA PUBLISHING anciennement BEST OF COMPANY agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PONTOISE sous le numéro 433 223 161
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CHRISTINE LAMARCHE BEQUET- CAROLINE REGNIER AUBERT – BRUNO R EGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L0050, avocat postulant
Assistée de Me Romain RUE du Cabinet BOUDET ‘ RUE AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque R202, avocat plaidant
INTIMEE
S.N.C. LIDL agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 343 262 622
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant
Assistée de Me Antoine DÉROT de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque K30, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 04 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame [X] [J] dans les conditions prévues par l’article
804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article
450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
******
La société Best of Company, devenue Oria Publishing, a pour activité l’édition de livres et vidéos sur tous supports ainsi que l’achat et la vente de droits correspondants. Elle est co-titulaire avec Monoprix de la marque Bout’Chou dont elle exploite les droits pour des livres destinés à la classe d’âge 0 à 7 ans.
La société Lidl est la filiale française de l’enseigne de grande distribution allemande Lidl.
En novembre 2015, les sociétés Lidl et Best of Company sont entrées en relation pour la commercialisation des produits Bout’Chou dans les magasins Lidl.
De 2016 à 2018, quatre opérations commerciales ont eu lieu entre la société Lidl et la société Best of Compagnie sur les produits Bout’Chou, dont une opération spéciale portant sur la vente de l’ouvrage ‘Dans l’intimité de …[D]’ liée à l’événement médiatique qu’a représenté la disparition de l’artiste. Seuls 15 645 exemplaires ont été vendus sur les 54 000 commandés par Lidl qui a retourné 38 355 exemplaires à la société Best of Company tenue par une obligation de reprise des invendus pour ce produit.
Ce courant d’affaires a représenté environ 35% du chiffre d’affaires global de la société Best of Compagny pour les exercices 2017 et 2018.
Relançant la société Lidl pour une cinquième opération commerciale portant sur des livres de la collection Bout’Chou pour l’année 2019, la société Best of Compagny a finalement été informée par courriel du 15 mai 2019 de l’arrêt de la relation commerciale.
C’est dans ce contexte que par acte du 18 septembre 2019, la société Best o f Company a assigné la société Lidl devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant d’une rupture brutale de la relation commerciale et d’un déséquilibre significatif concernant la reprise des invendus pour l’opération spéciale.
Par jugement du 15 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a’:
Condamné la SNC Lidl à payer à la SARL Best of Company la somme de 40’396€ à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie’;
Débouté la SARL Best Of Company de sa demande au titre d’un déséquilibre significatif’;
Débouté la SARL Best of Company de ses demandes de publication dans 5 journaux ainsi que sur le site web de la SNC Lidl’;
Condamné la SNC Lidl à payer à la SARL Best Of Company la somme de 5’000€ au titre de l’article
700 du code de procédure civile ;
Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires;
Ordonné l’exécution provisoire ;
Condamné la SNC Lidl à supporter les dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50€ dont 12,20€ de TVA
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 15 avril 2021, la société Best of Company a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 décembre 2022, la société Best of Company, demande à la Cour de’:
Vu notamment les articles
L. 442-1 II et L. 442-4 I alinéa 2 et II du Code de commerce et 1104, 1194 et 1231-2 Code civil,
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 mars 2021 (RG n°2019053118) en ce qu’il a :
Condamné la SNC LIDL à payer à la SARL BEST OF COMPANY la somme de 40.936 € à titre de dommages et intérêts pour rupture de relation commerciale établies et débouté en conséquence la SARL BEST COMPANY du surplus de sa demande en paiement de la somme de 467.649,60 €, à parfaire, au titre de la marge brute perdue pendant le préavis auquel elle peut prétendre en application de l’article
L. 442-1 II du code de commerce,
Débouté la SARL BEST OF COMPANY de sa demande en paiement de la somme de 596.803,80 € en réparation du préjudice subi au titre du déséquilibre significatif lié à l’imposition et à la mise en ‘uvre d’une clause de reprise d’invendus,
Débouté la SARL BEST OF COMPANY de ses demandes de publications de la décision dans 5 journaux ainsi que sur le site web de la SNC LIDL,
Condamné la SNC LIDL à payer à la SARL BEST COMPANY la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC et déboute’ en conséquence la SARL BEST OF COMPANY du surplus de sa demande en paiement de la somme de 15.000 € sur le fondement de l’article
700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
1. Sur la rupture brutale
Condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 467.649,60 € au titre de la marge brute perdue pendant le préavis de 12 mois auquel la société ORIA PUBLISHING peut prétendre en application de l’article
L. 442-1 II du Code de commerce,
Subsidiairement, condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 233.824,80 € au titre de la marge brute perdue pendant le préavis de 6 mois auquel la société ORIA PUBLISHING peut prétendre en application de l’article
L. 442-1 II du Code de commerce,
Très subsidiairement, condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 77.941,60 € au titre de la marge brute perdue pendant le préavis de 2 mois auquel la société ORIA PUBLISHING peut prétendre en application de l’article
L. 442-1 II du Code de commerce,
2. Sur l’exécution déloyale du contrat au titre des invendus «’Dans l’intimité de ‘ [D]’»
Condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 435.066,90 € en réparation du préjudice subi en raison de ses fautes et de sa déloyauté à l’occasion de la formation et de l’exécution du contrat relatif à la vente de l’ouvrage « Dans l’intimité’ de’ [D] » et notamment par l’imposition et la mise en ‘uvre de la clause de reprise des invendus,
Subsidiairement, condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 270.805,24 € en réparation du préjudice subi en raison de ses fautes et de sa déloyauté à l’occasion de la formation et de l’exécution du contrat relatif à la vente de l’ouvrage « Dans l’intimite’ de’ [D] » et notamment par l’imposition et la mise en oeuvre de la clause de reprise des invendus,
En tout état de cause’:
Ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux au choix de la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY et aux frais de la société LIDL SNC, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5.000€ HT,
Ordonner la publication de la décision à intervenir, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de sa signification, sur la page d’accueil du site www.lidl.fr, et ce pendant quinze jours,
Condamner la société LIDL SNC à payer à la société ORIA PUBLISHING anciennement dénommée BEST OF COMPANY la somme de 25.000 € au titre de l’article
700 du Code de procédure civile,
Condamner la société LIDL SNC aux entiers dépens de la présente instance.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 décembre 2022, la société Lidl, demande à la Cour de’:
Vu l’article
L. 442-1 du Code de Commerce ;
A titre principal’:
Recevoir la société Lidl en son appel incident et l’y dire bien fondée ;
En conséquence :
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 mars 2021 en ce qu’il a :
Condamné la société Lidl à payer à la société Best of Company la somme de 40.396 euros à titre de dommages et intérêt pour rupture brutale de relation commerciale établie ;
Condamné la société Lidl à payer à la société Best of Company la somme de 5.000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile ;
Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires, mais seulement en ce qu’il n’a pas fait droit aux demandes de la société Lidl ;
Condamné la société Lidl à supporter les dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros, dont 12,20 euros de TVA ;
Et, statuant à nouveau :
Juger que les sociétés Lidl et Oria Publishing (à l’époque Best of Company) n’entretenaient pas de relation commerciale établie au sens de l’article
L. 442-1 II du code de commerce ;
Débouter la société Oria Publishing de ses demandes au titre de la rupture d’une prétendue relation commerciale établie ;
Débouter la société Oria Publishing de ses demandes au titre de l’article
700 du Code de procédure civile et des dépens d’instance ;
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 mars 2021 pour le surplus;
Subsidiairement’:
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 mars 2021 en toutes ses dispositions’:
En tout état de cause et y ajoutant’:
Condamner la société Oria Publishing à payer à la société Lidl la somme de 25.000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Oria Publishing aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article
455 du code de procédure civile.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale
L’article
L.442-1 II du code de commerce dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
*Sur le caractère établi de la relation
Les parties s’opposent quant au caractère établi de leur relation.
La société Oria Publishing expose pour l’essentiel que la société Lidl, sixième enseigne de la grande distribution française et disposant du plus grand nombre de points de vente en France, a communiqué sur sa volonté de changer de stratégie pour se positionner sur du plus haut de gamme. Cherchant ainsi à se mettre dans le sillage de l’enseigne concurrente Monoprix, la société Lidl a souhaité proposer des produits de la marque ‘Bout’Chou’ dans ses magasins. Par la suite quatre contrats se sont succédés entre les parties à compter de
septembre 2016, au rythme de deux opérations de commercialisation par an, permettant à Best of Compagny de réaliser une part importante de son chiffre d’affaire avec Lidl (environ 35%). Relevant que sur une période de 2 ans et 9 mois, les commandes se sont succédées pour des quantités d’ouvrages équivalentes et faisant toutes parties de la même collection jeunesse ‘Bout’Chou’, sauf l’opération spéciale Jonny, la société Oria Publishing soutient que par l’importance et la régularité des commandes, elle pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du courant d’affaires avec la société Lidl. Elle insiste sur le fait que les produits vendus n’ont pas de caractère saisonnier.
La société Lidl réplique pour l’essentiel que la relation d’affaires avec la société Best of Compagnie a été de courte durée (18 mois) et n’a porté que sur quatre commandes ponctuelles et isolées les 14 septembre 2016, 3 mars 2017 et le 5 mars 2018 de produits différents et saisonniers, la commande du 6 mars 2018 ayant concerné une opération commerciale exceptionnelle. Elle relève que cette relation n’a fait l’objet d’aucun contrat-cadre, ni d’engagement de volume ou d’exclusivité (sauf pour l’opération spéciale) de la part de Lidl. Elle insiste sur le fait que dès avant les premières commandes, la société Best of Compagnie avait été avertie de la précarité de la relation, à savoir que pour une massification des achats à l’international la maison mère de Lidl privilégiait les fournisseurs historiques et référencés. Elle ajoute qu’il ressort des échanges entre les parties que la société Best of Compagnie a accepté en pleine connaissance de cause les modalités de la relation excluant toute garantie d’un flux d’affaires régulier et durable avec Lidl. Elle en déduit que la relation commerciale nouée entre les parties n’avait pas de caractère établi au sens des dispositions de l’article
L.442-1 II du code de commerce.
Réponse de la Cour,
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.
La société Lidl a passé avec la société Best of Compagny, devenue Oria Publishing, trois commandes entre septembre 2016 et mars 2018 portant sur des ouvrages de la collection Bout’Chou destinées à un jeune public, outre une commande spéciale en mars 2018 de l’ouvrage ‘Dans l’intimité de…[D]’. Les trois premières opérations commerciales ont porté sur des ouvrages de même caractéristique et suivant des volumes similaires, alors que la dernière a porté sur une opération exceptionnelle d’un ‘beau livre’ à un prix plus élevé et non représentative du courant d’affaires initié entre les parties depuis 2016.
Il n’est pas contesté que ces commandes successives sur une période de 18 mois ont porté sur des volumes significatifs et ont représenté environ 30 % du chiffre d’affaires global de la société Oria Publishing pour les exercices 2017 et 2018.
Néanmoins, outre le fait que ce courant d’affaires entre les parties a été limité sur une période d’à peine deux années, cette relation était encore emprunte de précarité lorsqu’ elle s’est achevée en 2019.
En effet, il ressort de la correspondance entre les deux sociétés (pièces Lidl n° 4 et 5) courant juin 2016 au moment où cette relation commerciale s’est nouée, qu’il était nécessaire pour l’interlocuteur Lidl France d’obtenir l’autorisation de Lidl International de procéder à des commandes de produits auprès d’un fournisseur national non historique ni référencé et que la société Best of Compagnie avait bien mesuré la difficulté de s’insérer dans un procession d’approvisionnement par la maison mère Lidl cherchant plutôt à massifier ses achats auprès de fournisseurs historiques. Ainsi, dans un courriel du 4 mai 2018 l’interlocuteur de Lidil précisait concernant l’opération ‘[D]’ ‘ vous parlez d’un cas particulier (prolonger exceptionnellement l’action [D]) mais cette demande a déjà
été formulée de manière ‘exceptionnelle’ pour les 2 actions Bout’Chou que nous avons fait ensemble…Ni le Merchandising, ni la Logistique, ni aucun autre service ne décide de notre stratégie d’achats (…)’ (pièce Oria n°35).
Si après quatre commandes significatives, la société Best of Compagny pouvait espérer une cinquième commande pour l’année 2019, il ressort des échanges entre les parties courant 2019 (pièces Oria n° 10 à14, Lidl n°11 à 18) que celle-ci conservait néanmoins un caractère hypothétique en raison du processus de validation de la maison mère et du caractère exceptionnel des opérations avec des fournisseurs nationaux non référencés. Ainsi un représentant de Best of Compagnie écrivait le 19 avril 2019 à son interlocuteur Lidl France en ces termes ‘ (…), depuis quelques mois, nous avions en suspens une opération Bout’Chou pour laquelle aucune date de mise en place n’avait été définie. Pourriez-vous me confirmer l’éventualité de cette OP et m’en donner une date approximative de mise en place ou, le cas échéant, m’aviser qu’elle n’est ne rien programmée, dans lequel cas, je prendrai mes dispositions en conséquence’ . Il obtenait le 26 avril suivant une réponse en ces termes ‘ Je vais être très transparent avec vous : le dossier est en attente à l’international qui valide tous nos achats, j’attends leur retour. J’ai déjà relancé 2 fois et argumenté (..)’ puis une réponse définitive le 14 mai que ‘l’international’ ne donnait pas suite à l’offre.
Enfin, outre le fait que la société Best of Compagny a toujours été informée du processus de validation des commandes et de la politique de hiérarchisation des approvisionnements de Lidl, il ne ressort d’aucune pièce versée aux débats que cette dernière se soit engagée envers la société Best of Compagny sur des volumes de commandes ou ait même amorcé une discussion sur un éventuel partenariat à plus long terme.
Il s’ensuit qu’au moment où le courant d’affaires entre les parties s’est terminé, la relation commerciale nouée entre les parties ne présentait pas encore de caractère établi au sens des dispositions de l’article
L.442-1 II précité.
Dès lors le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Lidl à payer à la société Best of Compagny devenue Oria Publishing la somme de 40 396 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie, et la société Oria Publishing sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la demande de dommages-intérêt au titre des invendus
La société Oria Publishing expose que la société Best of Compagny a conçu et réalisé une nouvelle collection de beaux livres sous le titre ‘Dans l’intimité de..;’ dont la ligne éditoriale consiste à brosser le portait intime d’un artiste populaire. Compte tenu de ses relations commerciales avec la société Lidl, elle a accepté d’imprimer 54 000 exemplaires de l’ouvrage ‘Dans l’intimité de …[D]’ et de lui concéder une exclusivité de vente du 5 mai au 4 juin 2018. Elle précise que cette opération s’inscrivait dans la nouvelle stratégie commerciale de montée en gamme de Lidl, et présentait un caractère inédit du fait du prix de 35€ au consommateur final en comparaison du panier d’achat moyen d’un client de l’enseigne Lidl de 21 € ( en 2018). Cependant, cette opération n’a permis d’écouler que 15 645 exemplaires de l’ouvrage précité sur les 54 000 exemplaires commandés, Lidl ayant selon la société Oria Publishing mal mesuré sa capacité de vente et retourné les invendus à Best of Compagny. Elle précise qu’elle s’est abstenue de toute réclamation auprès de Lidl dès lors qu’elle était en attente d’une quatrième commande pour les ouvrages Bout’Chou pour la fin de l’année 2018.
La société Oria Publishing soutient que pour cette opération, Lidl a exigé la réalisation d’un taux de marge minimum et que la mise en oeuvre de la clause de reprise des stocks imposée par Lidl a crée un déséquilibre significatif au détriment de Best of Compagny en lui faisant supporter un taux exceptionnel de retour de 71% sans aucune contrepartie, lui générant des difficultés financières, alors que Lidl a réalisé une marge de 159 709,20 euros. La société Oria Publishing fait en outre valoir qu’en ne renonçant pas au bénéfice de la clause de retour d’invendus en dépit de son défaut de diligences commerciales pour la vente de l’ouvrage, en refusant de prolonger l’opération commerciale et de renégocier les termes du contrat initial devenu très avantageux pour Lidl au détriment de Best of Compagny, Lidl a fait un usage déloyal de ses prérogatives contractuelles constitutif d’une faute.
La société Lidl réplique pour l’essentiel que la clause de reprise des invendus sur laquelle les parties s’étaient accordées est habituelle dans la profession et particulièrement adaptée au caractère exceptionnel et ponctuel de l’opération consécutive au décès du chanteur. Elle insiste sur le fait que c’est la société Best of Compagny qui a décidé de la date de mise en vente des livres et qu’elle n’avait aucune obligation de renégociation. Elle en déduit qu’il n’est démontré ni un déséquilibre significatif, ni une faute dans l’exécution du contrat.
Réponse de la Cour,
L’article
L.442-1 I 2° du code de commerce dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties .
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif.
Concernant la soumission ou de la tentative de soumission, cette condition implique de démontrer l’absence de négociation effective des clauses incriminées ou l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation.
La Cour constate d’abord que des échanges entre les parties courant mars 2018 sur l’opération ‘ [D]’ (pièce Oria n°19) il ne se dégage aucune pression de la part de la société Lidl pour la détermination des conditions de l’offre, l’interlocuteur de la société Best of Compagny écrivait notamment le 1er mars 2018 : ‘ et merci de votre accueil toujours très agréable et des discussions qui nous permettent d’affiner encore les diverses propositions que nous sommes amenés à vous faire en tenant compte de vos impératifs internes’. Ensuite, il ressort de ces mêmes échanges que les parties se sont accordées sur la reprise des invendus après 30 jours de présence en magasin, sans aucune tentative de négociation ou de précision de la part de la société Best Of Compagny sur les conditions de mise en oeuvre de cette reprise d’invendus et que la la date de mise en vente de l’ouvrage n’a pas été imposée par la société Lidl.
En réalité, la société Best of Compagny ne conteste pas le principe même de cette clause de reprise des invendus, habituelle dans l’activité de l’édition et adaptée pour une opération spéciale de vente d’un ouvrage dont la sortie est liée à des circonstances particulières, mais déplore d’avoir eu à assumer seule un taux élevé et inhabituel de retour d’invendus à 71% et ce lié à l’échec commercial de l’ouvrage. Si la société Best of Compagny impute à la société Lidl cet échec commercial, elle ne produit cependant aux débats aucun élément tangible permettant de démontrer une faute caractérisée de la part de la société Lidl dans la commercialisation du produit au regard des conditions de l’opération telles que convenues entre les parties. Il n’est pas davantage démontré une tentative de Best of Compagny de renégocier cette reprise d’invendus.
Si dans les négociations, les marges de manoeuvres de la société Best of Compagny pouvaient être limitées en ce qu’elle cherchait à développer une relation commerciale avec la société Lidl susceptible de lui apporter de réelles opportunités de vente, les pièces produites et les explications fournies ne permettent d’établir ni une soumission au sens des
dispositions précitées, ni un manquement caractérisé de la part de la société Lidl dans le déroulement de l’opération commerciale litigieuse, ni une déloyauté dans la mise en oeuvre de l’obligation convenue entre les parties d’une reprise d’invendus.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Best of Compagny, devenue Oria Publishing, de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’obligation de reprise des invendus et de publication de la décision.
Sur les dépens et l’application de l’article
700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Lidl aux dépens de première instance et à payer à la société Best of Compagny la somme de 5 000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile.
La société Oria Publishing, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
En application de l’article
700 du code de procédure civile, la société Oria Publishing sera déboutée de ses demandes et condamnée à verser à la société Lidl la somme de 10 000 euros.
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour en ce qu’il a :
– condamné la société Lidl à payer à la société Best of Compagny la somme de 40 396 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
– condamné la société Lidl aux dépens de première instance et à payer à la société Best of Compagny la somme de 5 000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que la relation commerciale nouée entre la société Lidl et la société Oria Publishing, anciennement Best of Compagny, n’est pas établie au sens des dispositions de l’article
L.442-1, II ;
Déboute la société Oria Publishing de sa demande de dommages-intérêts formulée à l’encontre de la société Lidl au titre d’une rupture brutale de la relation commerciale ;
Condamne la société Oria Publishing aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés selon la procédure de l’article
699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Oria Publishing à payer à la société Lidl la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civle ;
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE