Droits des Artistes : Cour de cassation, Première chambre civile, 8 février 2023, 21-23.976

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Droits des Artistes : Cour de cassation, Première chambre civile, 8 février 2023, 21-23.976
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Extraits :
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 février 2023

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 93 FS-B

Pourvoi n° V 21-23.976

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023

1°/ M. [A] [N], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Productions Alleluia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° V 21-23.976 contre l’arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Librairie Artheme Fayard, dont le siège est [Adresse 2],

En présence de :

1°/ M. [P] [S], domicilié [Adresse 5],

2°/ M. [G] [D], domicilié [Adresse 3],

3°/ Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 7],

4°/ Mme [U] [R], domiciliée [Adresse 6],

5°/ M. [L] [T], domicilié [Adresse 8],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [N] et de la société Productions Alleluia, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Librairie Artheme Fayard, et l’avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article

R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), M. [N], agissant en qualité d’exécuteur testamentaire en charge de l’exercice du droit moral de [P] [K], dit [P] [Y], compositeur et artiste-interprète, décédé le 13 mars 2010, et la société Productions Alleluia, titulaire des droits de reproduction des oeuvres de celui-ci, faisant grief à la société Librairie Arthème Fayard d’avoir publié un ouvrage intitulé « [P] [Y] « Je ne chante pas pour passer le temps » », signé par l’écrivain [E] [M], qui reproduisait cent trente-et-un extraits des chansons de [P] [Y], ainsi que, en page de couverture, le titre de l’une d’elles, l’ont assignée en contrefaçon.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

2. En application de l’article

1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches

Enoncé du moyen

3. M. [N] et la société Productions Alleluia font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que, lorsqu’une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu’en affirmant, de manière générale, pour accueillir l’exception de courte citation, que l’ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d’information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l’ouvrage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article

L. 122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 5 § 3 d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

2°/ qu’une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu’il ne peut être suppléé au défaut ou à l’insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu’en énonçant, pour accueillir l’exception de courte citation, qu’en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s’inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l’analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d’appel n’a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l’article

455 du code de procédure civile ;

3°/ que la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l’auteur ; qu’une chanson, lorsqu’elle est l’oeuvre d’un auteur-compositeur unique ou lorsqu’elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu’en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l’exception de courte citation pour les

oeuvres dont il était auteur compositeur ou coauteur, qu’aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d’appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l’article

L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article

L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l’article 5, § 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. »

Réponse de la Cour

4. Selon l’article

L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, lequel, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et dont l’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

5. Cependant, lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut, en application de l’article

L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle, interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source.

6. En premier lieu, la cour d’appel a énoncé, à bon droit, que, le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.

7. En second lieu, en retenant que la société Librairie Arthème Fayard avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d’elles était nécessaire à l’analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l’oeuvre évoquée et l’engagement de l’artiste, et que ces citations ne s’inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage qui, richement documenté, s’attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y], la cour d’appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a pu accueillir l’exception de courte citation.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [N] et la société Productions Alleluia aux dépens ;

En application de l’article

700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et la société Productions Alleluia et les condamne à payer à la société Librairie Arthème Fayard la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [N] et la société Productions Alleluia.

La société Productions Alleluia et M. [N] reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté leurs demandes fondées sur la contrefaçon des droits patrimoniaux d’auteur de [P] [Y], pour la première, et sur l’atteinte à son droit moral d’auteur, pour le second, ce dernier dans la limite de la recevabilité de ses demandes,

1) ALORS QUE lorsqu’une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu’en affirmant, de manière générale, pour accueillir l’exception de courte citation, que l’ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d’information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l’ouvrage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article

L. 122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 5 § 3 d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

2) ALORS QU’ une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu’il ne peut être suppléé au défaut ou à l’insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu’en énonçant, pour accueillir l’exception de courte citation, qu’en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s’inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l’analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d’appel n’a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l’article

455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l’auteur ; qu’une chanson, lorsqu’elle est l’oeuvre d’un auteur-compositeur unique ou lorsqu’elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu’en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l’exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu’aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d’appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l’article

L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article

L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l’article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

4) ALORS QUE le droit moral de l’auteur est inaliénable ; que l’auteur ne peut y renoncer par avance ; qu’en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l’exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu’il avait, en d’autres circonstances, autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, la cour d’appel a violé l’article

L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article

L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l’article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;

5) ALORS QU’ en toute hypothèse, la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu’en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l’exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu’il avait en d’autres circonstances autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, ce qui ne pouvait valoir autorisation générale de dissocier les paroles et la musique pour ne citer que les premières, la cour d’appel a de nouveau violé l’article

L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article

L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l’article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.


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