Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 6 février 2023, M. B E A, représenté par Me Aït Mehdi, demande au tribunal :
1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d’annuler l’arrêté du 24 janvier 2023 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes responsables de l’examen de sa demande d’asile ;
3°) d’enjoindre au préfet de police de l’admettre au séjour au titre de l’asile dans un délai de 24 heures à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant l’examen de sa demande d’asile et, subsidiairement, d’enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
– La décision litigieuse est insuffisamment motivée et est entachée d’un défaut d’examen de la situation personnelle de l’intéressé ;
– Elle est entachée d’un vice de procédure au regard de l’article 4 du règlement UE n° 604/2013 et de l’article 29 du règlement UE n° 603/2013;
– La décision litigieuse est entachée d’un vice de procédure au regard de l’article 5 du règlement UE n° 604/2013 ;
– Elle méconnaît les articles 23 et 25 du règlement UE n° 604/2013 2013 en l’absence de preuves de la saisine des autorités roumaines ;
– Elle viole l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– Elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article 17 du règlement UE n° 604/2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– Les moyens soulevés par M. E A ne sont pas fondés.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
– La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– Le Règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
– Le Règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
– Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– La Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– Le Code de justice administrative.
Vu la décision du président du tribunal désignant M. D, en application des dispositions de l’article
R. 776-15 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. D ;
– les observations de Me Père, substituant Me Aït Mehdi, représentant M. E A assisté d’un interprète en langue arabe, qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
– et les observations de Mme C, représentant le préfet de police, qui conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par M. E A ne sont pas fondés.
Considérant ce qui suit
:
Sur la demande d’aide juridictionnelle provisoire :
1. Aux termes de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : » Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président « .
2. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’accorder, en application des dispositions précitées, l’admission à titre provisoire de M. E A à l’aide juridictionnelle.
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
3. La décision de transfert vise les dispositions applicables, notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que les règlements européens n° 604/2013, n° 1560/2003, et n° 343/2003 relatifs à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile dans les Etats membres de l’Union européenne et n° 603/2013. Ainsi, alors même qu’elle n’expose pas tous les éléments relatifs à la situation individuelle de l’intéressé, cette décision mentionne les principaux éléments de faits relatifs à la situation personnelle de M. E A en indiquant notamment que l’intéressé, de nationalité soudanaise, a franchi irrégulièrement les frontières italiennes le 30 décembre 2021, que le 16 novembre 2022, les autorités italiennes ont été saisies d’une demande de prise en charge sur le fondement de l’article 13-1 du règlement UE n° 604/2013 et que ces mêmes autorités ont fait connaître leur accord le 13 janvier 2023 en application de l’article 13-1 du règlement UE n° 604/2013. La circonstance, invoquée à la barre, que l’arrêté litigieux ne fait pas état de la précédente mesure de transfert vers l’Italie est sans incidence sur la légalité de l’acte attaqué dès lors que le préfet de police n’était pas tenu de faire état de tous les éléments relatifs à la situation personnelle de M. E A dont il avait connaissance mais seulement des faits qu’il jugeait pertinents pour justifier le sens de sa décision. Il en résulte que la décision litigieuse est suffisamment motivée en droit et en fait. Par suite, le moyen tiré d’une insuffisance de motivation doit être écarté.
4. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n’aurait pas procédé à un examen suffisant de la situation personnelle de M. E A.
5. En vertu de l’article 4 du règlement n° 604/2013, le demandeur d’asile auquel l’administration entend faire application de ces règlements doit se voir remettre, dès le moment où sa demande de protection internationale est introduite une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu’il comprend. Cette information doit comprendre l’ensemble des éléments prévus à l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l’autorité administrative des brochures prévues par lesdites dispositions constitue pour le demandeur d’asile une garantie.
6. D’une part, il ressort des pièces du dossier que M. E A s’est vu remettre les 13 et 17 octobre 2022, contre signature, deux documents rédigés en arabe, langue que le requérant a déclaré comprendre, dont l’un est intitulé » J’ai demandé l’asile dans l’Union européenne – quel pays sera responsable de l’analyse de ma demande ‘ » (Brochure A), l’autre » Je suis sous procédure Dublin – qu’est-ce que cela signifie ‘ » (Brochure B). La remise en deux temps de ces documents n’a pas privé l’intéressé d’une garantie. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision querellée aurait été prise en méconnaissance de l’article 4 du règlement 604/2013, en raison de ce que le requérant ne se serait pas vu remettre les brochures prévues par ces dispositions, dans une langue comprise par lui, doit être écarté comme manquant en fait.
7. D’autre part, à la différence de l’obligation d’information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d’information sur les droits et obligations des demandeurs d’asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d’examen des demandes d’asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l’obligation d’information prévue par les dispositions de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd’hui reprises à l’article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d’assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d’asile concernés, laquelle est garantie par l’ensemble des Etats membres relevant du régime européen d’asile commun. Le droit d’information des demandeurs d’asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d’effacement de ces données, à cette protection. Il s’ensuit que la méconnaissance de cette obligation d’information ne peut être utilement invoquée à l’encontre des décisions par lesquelles l’Etat français refuse l’admission provisoire au séjour à un demandeur d’asile et remet celui-ci aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Par suite, M. E A ne peut utilement soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l’article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013.
8. M. E A se prévaut de manquements aux stipulations susvisées de l’article 5 du règlement n° 604/2013 et soutient que le préfet ne démontre pas que l’entretien prévu par ce texte s’est déroulé en présence d’un agent qualifié et dans des conditions de confidentialité. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le requérant a bénéficié d’un entretien individuel le 17 octobre 2022, mené par un agent du bureau de l’accueil de la demande d’asile de la délégation à l’immigration à la préfecture de police, au cours duquel il a pu présenter des observations orales sur la procédure de transfert. Le compte rendu de l’entretien, qui s’est déroulé en arabe, ne révèle aucune difficulté de compréhension des questions qui ont été posées, auxquelles le requérant a apporté des réponses précises et substantielles. Par ailleurs, le requérant n’apporte aucun élément circonstancié de nature à faire douter de la qualité de l’agent ayant procédé à cet entretien. Enfin, la circonstance que la qualité et le nom de la personne qualifiée ayant mené l’entretien individuel ne sont pas mentionnés dans le compte rendu de cet entretien, est sans incidence sur sa régularité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. M. E A fait valoir que la décision attaquée viole les articles 23 et 25 du règlement UE n° 604/2013 dès lors que le préfet de police ne justifie pas avoir saisi les autorités italiennes d’une demande de reprise en charge. Il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment de l’accusé de réception émis dans le cadre du réseau Dublinet, par le point d’accès national de l’Italie que les autorités italiennes ont été saisies le 16 novembre 2022 d’une demande de prise en charge de M. E A. Le préfet de police produit la décision en date du 13 janvier 2023 par laquelle les autorités italiennes acceptent la reprise en charge de l’intéressé. Par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le préfet de police n’apporte pas la preuve de la saisine des autorités italiennes.
10. Le conseil du requérant fait valoir à la barre que la décision litigieuse est entachée d’une erreur de droit dès lors que le fichier Eurodac fait état d’un hit 2 en Italie le 30 décembre 2021 et d’un hit 1 le 3 février 2022 en France. Il considère que la France est devenue l’État responsable de sa demande d’asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. E A est entré sur le territoire des Etats membres de l’Espace Schengen par l’Italie où ses empreintes ont été relevées le 30 décembre 2021 en hit 2 ce qui correspond à un franchissement irrégulier des frontières de ce pays, qu’il s’est ensuite rendu en France où il a sollicité l’asile le 3 février 2022. L’intéressé a été transféré vers l’Italie le 22 juillet 2022 mais est revenu en France où il a à nouveau sollicité l’asile. Le préfet de police ayant considéré que l’Italie était toujours responsable, a présenté une seconde requête de prise en charge aux autorités italiennes, qui a été acceptée le 13 janvier 2023. Il a donc décidé un nouveau transfert de M. E A par l’arrêté attaqué du 24 janvier 2023.
11. Si le paragraphe 1 de l’article 13 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que la responsabilité de l’Etat membre dans lequel le demandeur est irrégulièrement entré depuis un Etat tiers » prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière « , il résulte des dispositions du paragraphe 2 de l’article 7 de ce règlement que la détermination de l’Etat membre responsable en application des critères énoncées au chapitre III, et notamment à l’article 13, se fait sur le fondement de » la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d’un Etat membre « . Ainsi qu’il vient d’être dit, M. E A a irrégulièrement franchi la frontière italienne le 30 décembre 2021 et a introduit sa première demande d’asile en France le 3 février 2022, soit moins de douze mois plus tard. La date de sa seconde demande d’asile, présentée le 12 octobre 2022, est sans incidence sur l’application des dispositions précitées. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le requérant, les autorités françaises ne sont pas devenues responsables de l’examen de sa demande d’asile. Le moyen tiré de l’erreur de droit doit, dès lors, être écarté.
12. Aux termes de l’article 17 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: » 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. () » et aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants « .
13. Le requérant fait valoir que l’arrêté attaqué est entaché d’une erreur manifeste dans la mise en œuvre du pouvoir d’appréciation que le préfet de police tient de l’article 17 précité du règlement du 26 juin 2013, dès lors que sa remise aux autorités italiennes l’exposerait au risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison des défaillances systémiques de l’Italie dans le traitement des demandes d’asile. Toutefois, l’arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l’intéressé en Italie et non dans son pays d’origine. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l’Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l’absence de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu’à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l’intéressé serait susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations. L’Italie, Etat membre de l’Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. M. E A ne produit aucun élément de nature à établir qu’il existerait des raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques en Italie dans la procédure d’asile ou que les juridictions italiennes ne traiteront pas sa demande d’asile dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation en s’abstenant de faire application des dispositions dérogatoires dites » clauses discrétionnaires » mentionnées à l’article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé, ne peut qu’être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. E A doit être rejetée y compris en ce qu’elle contient des conclusions à fin d’injonction et d’astreinte et fondées sur l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : M. E A est admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B E A, à Me Aït Mehdi et au préfet de police.
Copie au Bureau d’aide juridictionnelle.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2023.
Le magistrat désigné,
D. DLa greffière,
A. DEPOUSIER
La République mande et ordonne au préfet de police, en ce qui le concerne ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision./8