Droits des Artistes : Cour administrative d’appel de Paris, 8ème chambre, 14 novembre 2022, 21PA00642

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Droits des Artistes : Cour administrative d’appel de Paris, 8ème chambre, 14 novembre 2022, 21PA00642
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Extraits :
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vivendi SE a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du 9 avril 2020 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé contre la décision de l’inspecteur du travail du 5 juillet 2019, a annulé cette décision et refusé d’autoriser le transfert du contrat de travail de Mme B…, salariée protégée et d’annuler la décision de l’inspecteur du travail du 5 juillet 2019 et la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique contre cette décision.

Par un jugement n°2002810/3-2 du 9 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Vivendi SE tendant à l’annulation de la décision de l’inspecteur du travail du 5 juillet 2019 et de la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Vivendi SE.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2021, la société Vivendi SE, représentée par Me Vivant, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 2002810/3-2 du 9 décembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler la décision du 5 juillet 2019 de l’inspectrice du travail ;

3°) d’annuler la décision implicite de rejet née le 14 décembre 2019 de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

4°) d’annuler la décision explicite de rejet du 9 avril 2020 de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

5°) d’enjoindre à la ministre ou à l’inspection du travail de se prononcer à nouveau sur le transfert du contrat de travail de Mme B… de la société Vivendi vers la société Vivendi Village à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– le principe du contradictoire a été méconnu, faute pour la ministre du travail d’avoir procédé à l’audition de l’employeur ou de son représentant dans des conditions régulières conformément aux dispositions de l’article

L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, à la circulaire DGT n° 07-2012 du 30 juillet 2012 figurant au bulletin officiel du 30 août 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés, du guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés édité par le ministère du travail au mois de septembre 2019 ; en tout état de cause, l’article

R. 2421-17 du code du travail n’est pas applicable à l’employeur en vertu du deuxième alinéa de cet article ;

– il y a bien eu transfert du contrat de travail de Mme B… au sens de l’article

L. 1224-1 du code du travail ;

– la mesure de transfert du contrat de travail de la salariée protégée est sans lien avec le mandat détenu par l’intéressée.

Des observations ont été présentées et des pièces ont été communiquées, le 7 avril 2021, par Mme B….

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2022, la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion conclut au rejet de la requête.

Elle se réfère à ses écritures de première instance ainsi qu’au rapport établi par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) – Ile-de-France dans le cadre du recours hiérarchique formé par la société Vivendi SE contre la décision de l’inspecteur du travail et fait valoir que le moyen tiré de l’absence de respect du contradictoire dirigé contre sa décision du 9 avril 2020 n’est pas fondé.

Par ordonnance du 6 septembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 22 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code du travail ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme A…,

– les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

– et les observations de Me Merle, représentant la société Vivendi SE.

Considérant ce qui suit

:

1. La société Vivendi SE, constituée de sociétés spécialisées dans les contenus, les médias, et la communication, a pour filiale la société Vivendi Village dont les activités s’articulent autour du spectacle vivant. Elle a souhaité procéder à un transfert de ses actifs vers cette société à compter du 1er juillet 2019. Recrutée par la Compagnie Générale des Eaux devenue société Vivendi à compter du 9 septembre 1991, en qualité d’” agent professionnel de comptabilité “, Mme B… y a occupé les fonctions de comptable avec le statut d’agent de maitrise à partir du 1er février 2004. A compter du 1er mai 2016, elle a été mise à la disposition de la société Vivendi Village. Elue membre suppléante de la Délégation Unique du Personnel de la société Vivendi SE le 6 juin 2016, elle a bénéficié du statut de salariée protégée. Par un courrier du 29 mai 2019 reçu par son destinataire le 3 juin suivant, la société Vivendi SE a adressé une demande d’autorisation de transfert de son contrat de travail à l’inspection du travail. Par une décision du 5 juillet 2019, l’inspecteur du travail a refusé de faire droit à sa demande au motif que l’appartenance de la salariée à l’effectif transféré n’était pas établie. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 août 2019 reçue le 13 août, la société Vivendi SE a saisi la ministre du travail d’un recours hiérarchique contre cette décision. En l’absence de réponse à ce recours, une décision implicite de rejet est née le 13 décembre 2019. Le 11 février 2020, la société Vivendi SE a saisi le Tribunal administratif de Paris de demandes d’annulation de la décision de rejet du 5 juillet 2019 de l’inspecteur du travail ainsi que de la décision implicite de rejet du 13 décembre 2019 de la ministre du travail. Le 9 avril 2020, la ministre du travail a rendu une décision expresse de rejet du recours hiérarchique portant annulation de la décision de l’inspecteur du travail, également retrait de sa décision implicite de rejet et refus d’autorisation de transfert du contrat de travail de Mme B…. La société Vivendi SE relève appel du jugement du 9 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Vivendi SE tendant à l’annulation de la décision de l’inspecteur du travail du 5 juillet 2019 et de la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique et rejet de la demande d’annulation de la décision expresse de rejet du recours hiérarchique du 9 décembre 2020 intervenue en cours de première instance.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l’article

L. 9 du code de justice administrative : ” Les jugements sont motivés “.

3. Il ressort des points 10 à 12 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que la ministre du travail n’avait pas fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 1124-1 du code du travail citées au point 11 du jugement, en prenant en compte l’ensemble des circonstances de fait et de droit de l’espèce dont il résultait que la société Vivendi SE ne pouvait être regardée comme ayant procédé à un transfert partiel d’activité vers la société Vivendi Village au sens de cet article, faute de lien organisationnel et fonctionnel des salariés détachés avec la société mère depuis le 1er mai 2016. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, d’une part, aux termes du deuxième alinéa de l’article

R. 2421-17 du code du travail : ” La demande d’autorisation de transfert prévue à l’article

L. 2421-9 est adressée à l’inspecteur du travail (…). / Les dispositions des articles R. 2421-11 et R. 2421-12 s’appliquent “. Il en résulte que l’inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation de transfert d’un salarié protégé, doit procéder à une enquête contradictoire. Aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d’un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l’article

R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire. Il en va toutefois autrement si l’inspecteur du travail n’a pas lui-même respecté les obligations de l’enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d’autorisation.

5. D’autre part, aux termes des dispositions de l’article

L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration : ” Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable “. En vertu de l’article

L. 122-1 du même code : ” Les décisions mentionnées à l’article L. 211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (…) “. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l’égard du bénéficiaire d’une décision, lorsque l’administration est saisie par un tiers d’un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l’article

R. 2422-1 du code du travail, d’un recours contre une décision autorisant ou refusant d’autoriser le transfert d’un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits – à savoir, l’employeur ou le salarié protégé – à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l’ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

6. Il ressort en l’espèce des pièces du dossier, qu’ayant estimé que l’enquête contradictoire diligentée par l’inspecteur du travail était irrégulière dès lors que l’audition de l’employeur avait été effectuée téléphoniquement, par courrier du 4 septembre 2019 réceptionné le 6 septembre suivant, le directeur adjoint de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France a accusé réception du recours hiérarchique formé par la société Vivendi SE et a demandé à sa directrice des ressources humaines, ou à son représentant dûment mandaté, de se présenter dans les locaux de la Direccte, le 19 septembre 2019 à 9h30. Dans ces conditions et en tout état de cause, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’administration a méconnu le principe du contradictoire.

7. En deuxième lieu, d’une part, aux termes de l’article

L. 1224-1 du code du travail : ” Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ” ; d’autre part, en vertu de l’article

L. 2414-1 du même code : ” Le transfert d’un salarié compris dans un transfert partiel d’entreprise ou d’établissement par application de l’article

L. 1224-1 ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail lorsqu’il est investi de l’un des mandats suivants : (…) 2° Membre élu (…) de la délégation du personnel du comité social et économique (…) “. En application de ces dispositions, lorsqu’une entreprise cède tout ou partie de ses actifs dans des conditions de nature à caractériser le transfert d’une entité économique autonome, le salarié légalement investi de fonctions représentatives qui est en activité au sein de cette entité bénéficie du transfert de son contrat de travail. Ce transfert du contrat de travail est de plein droit si l’activité de l’entreprise est intégralement transférée. Si la cession des actifs de l’entreprise constitue un transfert partiel d’entreprise ou d’établissement, le transfert du contrat de travail de ce salarié ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail.

8. Le contrôle opéré par l’autorité administrative, saisie à l’occasion d’un transfert partiel d’entreprise ou d’établissement sur le fondement des dispositions précitées du code du travail, s’effectue en deux temps, et sous le contrôle du juge. En effet, il appartient à l’autorité administrative compétente, dans un premier temps, de s’assurer qu’elle est en présence d’un transfert par un employeur à un autre employeur d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur. L’autorité administrative doit également vérifier si le contrat de travail du salarié impacté par cette opération de transfert est en cours au jour de la modification intervenue dans la situation juridique de l’employeur et si la condition d’exécution effective dudit contrat de travail dans l’activité transférée est remplie. Il lui appartient, à cette fin, d’analyser concrètement l’activité du salarié concerné et de s’assurer que ce dernier exerce effectivement son contrat de travail dans l’entité transférée à la date du transfert. Dans un second temps, il incombe à cette même autorité de s’assurer, conformément aux dispositions de l’article

L. 2421-9 du code du travail, que le salarié ne fait pas l’objet d’une mesure discriminatoire.

9. Il ressort des pièces du dossier, qu’afin de structurer et de renforcer l’autonomie de sa filiale, la société Vivendi Village, ayant pour objet le développement des activités dédiées au spectacle vivant dénommées ” activité village ” et elle-même société mère d’autres sociétés ayant la même activité, la société Vivendi SE a décidé de lui apporter une partie de son actif. La mise en œuvre de ce projet a été fixée au 1er juillet 2019. Celui-ci prévoyait le transfert d’une trentaine de contrats de travail vers les entités composant l’” activité village “, dont quatorze vers la société Vivendi Village, en ce compris celui de Mme B…, salariée protégée. A compter du 1er mai 2016, et suivant convention tripartite de détachement du 30 décembre 2016, celle-ci ainsi que d’autres salariés de la direction de l’administration et des finances de la société Vivendi SE, avaient déjà été mis à la disposition de la société Vivendi Village, avec effet rétroactif, pour une durée indéterminée. Il en résulte que l’activité ” Village “, dédiée au spectacle vivant, était déjà effectivement exercée par la société Vivendi Village et les autres sociétés du groupe Vivendi composant la

structure ” Vivendi Village “, que les transferts de salariés avaient précédé le transfert de l’activité et qu’ainsi, dès le 1er mai 2016, les salariés détachés auprès de la société Vivendi Village, n’avaient plus de liens organisationnel et fonctionnel avec la société mère, laquelle refacturait à sa filiale l’ensemble de coûts de fonctionnement liés à l’” activité village “, y compris les coûts salariaux liés aux salariés détachés. Dans ces conditions, ainsi que l’ont estimé à bon droit les premiers juges, la société Vivendi SE ne peut être regardée comme ayant procédé à un transfert partiel d’activité vers la société Vivendi Village au sens de l’article

L. 1224-1 du code du travail dès lors que les salariés concernés ont en réalité seulement changé d’employeur. En l’absence de transfert partiel d’activité, la ministre du travail pouvait dès lors, pour ce seul motif, considérer que les conditions de mise en œuvre du transfert du contrat de travail de Mme B… n’étaient pas réunies.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Vivendi SE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l’annulation de la décision du 5 juillet 2019 de l’inspecteur du travail et de la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique et a rejeté sa demande d’annulation de la décision du 9 décembre 2020 de la ministre du travail.

11. Par suite, ses conclusions aux fins d’annulation doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction ainsi que celles présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu’être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Vivendi SE est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vivendi SE, au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et à Mme C… B….

Délibéré après l’audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

– M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,

– Mme Jayer, première conseillère,

– Mme Collet, première conseillère.

Rendu publique par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2022.

La rapporteure,

M-D A…Le président,

F. HO SI FAT

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 21PA00642


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