Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 07-04 concernant certaines pratiques appliquées à un groupement de pharmaciens d’officine par des laboratoires fabriquant des produits cosmétiques et/ou des spécialités pharmaceutiques.

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 07-04 concernant certaines pratiques appliquées à un groupement de pharmaciens d’officine par des laboratoires fabriquant des produits cosmétiques et/ou des spécialités pharmaceutiques.
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La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu les lettres enregistrées le 28 octobre 2003 sous le numéro 03-067, le 15 décembre 2003 sous le numéro 03-080 et les lettres complémentaires par lesquelles un groupement de pharmaciens a soumis à son examen certaines pratiques tarifaires mises en œuvre par des laboratoires fabriquant des produits cosmétiques et/ou des spécialités pharmaceutiques;

Vu l’article L.440-1 du code de commerce ;

Vu le décret n° 2001-1370 du 31 décembre 2001 portant organisation de la Commission d’examen des pratiques commerciales, modifié par le décret n° 2002-1370 du 21 novembre 2002 ;

Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières du 18 décembre 2006 et 09 mai 2007 ;

Adopte l’avis suivant :

Objet de la saisine

Par lettre du 15 décembre 2003 faisant suite à une première lettre du 28 octobre insuffisamment motivée, un groupement de pharmaciens d’officine a saisi la Commission d’examen des pratiques commerciales. Selon la saisine, de nombreux laboratoires fabriquant des produits cosmétiques pratiqueraient des conditions de vente à l’égard du groupement qui se traduisent par des remises d’un taux nettement inférieur à celui offert aux pharmaciens d’officine achetant en direct ou à des distributeurs non-officinaux. Cette pratique constituerait une discrimination illicite. Des lettres postérieures du groupement font état des conditions de commercialisation de spécialités pharmaceutiques par les laboratoires qui seront également examinées.

Recevabilité de la saisine

Aux termes de l’article L 440-1 du code de commerce, la « commission a pour mission de donner des avis ou de formuler des recommandations sur les questions, les documents commerciaux ou publicitaires, y compris les factures et contrats couverts par un secret industriel et commercial, et les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs, revendeurs qui lui sont soumis… ». Elle peut être saisie par « tout producteur, fournisseur, revendeur s’estimant lésé par une pratique commerciale ». Facturant ses adhérents, le groupement agit en tant que revendeur et la saisine même implique qu’il s’estime lésé par la pratique qu’il expose.

L’activité du groupement

Le regroupement des pharmacies d’officine

Environ la moitié des 23 000 officines françaises adhère à un groupement dont la création remonte à une quinzaine d’années. Il s’agissait à l’époque, pour les officines, de compenser la baisse de marge résultant d’une modification de la réglementation des prix des spécialités remboursables. On passait en effet d’une marge linéaire de 32,44% à une marge dégressive lissée sur 6 tranches, ce qui se traduisait par une perte de marge d’environ 2 points.

La forme juridique et l’activité de ces groupements sont des plus diverses. Le nombre d’adhérents varie de 6 à 4500. Les plus petits ont une implantation locale et exercent essentiellement une activité de référencement  accompagnée de quelques services de formation et d’information apportés à leurs adhérents. Certains sont liés à des grossistes-répartiteurs. Leurs membres bénéficient alors à la fois de la logistique des grossistes et des conditions négociées par le groupement. Le grossiste, lui, s’assure ainsi la fidélité des officines. Des groupements de taille moyenne s’adossent à une structure  composée de plusieurs autres groupements. Cette structure négocie deux fois par an des tarifs avec les laboratoires qu’elle rencontre. Les adhérents achètent ensuite directement auprès des laboratoires aux conditions négociées. 

Les achats réalisés au travers d’un groupement représentent en moyenne 10% du chiffre d’affaires d’une officine car ils portent, pour l’essentiel, sur des produits de parapharmacie et des médicaments non remboursables qui peuvent être délivrés sans ordonnance. La part des médicaments remboursables dans une officine est de l’ordre de 80% à90%. On note toutefois, ces dernières années, une orientation des groupements vers le médicament générique dont la rémunération est, pour l’officine, supérieure à celle du médicament princeps.

Le groupement qui a saisi la Commission est organisé sous la forme d’une société coopérative à capital variable. Il regroupe environ 600 officines situées en Ile de France. Les excédents nets résultant de son activité sont distribués aux associés au prorata des opérations traitées avec chacun d’eux au cours de l’exercice social, après constitution d’un fonds de réserve. L’objet social du groupement est de fournir « en totalité ou en partie à ses associés des produits qualifiés parapharmacie…et plus généralement tout ce qui est vendu en officine de pharmacie avec ou sans A.M.M., compte tenu de la législation en vigueur ». Le groupement commercialise donc deux catégories de produits: ceux entrant dans le monopole pharmaceutique et ceux dont la vente n’est pas réservée aux pharmaciens bien qu’ils en fassent aussi le commerce, essentiellement la parapharmacie.

Les produits en cause

Les produits de parapharmacie

À l’appui de la saisine sont citées les conditions de vente des produits solaires. Ceux-ci relèvent de la catégorie des produits cosmétiques, définis par l’article L 5131-1 du code de la santé publique comme « toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain, notamment l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes, ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état, ou de corriger les odeurs corporelles ».
Ces produits, comme ceux de parapharmacie, en général, n’ont pas le statut de médicament. Leurs prix ne sont pas réglementés et leur vente est libre. Ils doivent néanmoins satisfaire à un certain nombre de critères de composition et de présentation afin d’en garantir l’innocuité.

Leur diffusion emprunte plusieurs canaux : pharmacies d’officine, grandes et petites parfumeries, instituts de beauté, grande distribution, bazars, vente à distance. Les laboratoires exploitant les marques les plus notoires ont recours à la distribution sélective qui peut s’accommoder d’un ou plusieurs de ces canaux.

Les produits du monopole

Ces produits sont, pour l’essentiel, les spécialités pharmaceutiques, remboursables ou non par les organismes de Sécurité Sociale. Un certain nombre de spécialités non-remboursables peuvent être délivrées sans l’ordonnance d’un médecin. Les spécialités remboursables font l’objet d’une réglementation qui fixe la marge maximale du grossiste répartiteur et du pharmacien d’officine ainsi que le prix maximum de vente au public. Les prix des autres spécialités sont libres.

Le statut pharmaceutique du groupement

Pour les produits du monopole

Lorsque le groupement intervient dans le circuit de distribution, il s’insère entre le fabricant ou l’exploitant du médicament et l’officine. Le code de la santé publique ne connaît que deux statuts à ce niveau: celui de grossiste-répartiteur sur qui pèsent des obligations de service public et celui de dépositaire. C’est ce dernier statut qui est celui du groupement.

L’article R 5124-2-4° du code de la santé publique définit le dépositaire comme toute entreprise “se livrant d’ordre et pour le compte d’un ou plusieurs exploitants de médicaments… au stockage de ces médicaments… dont elle n’est pas propriétaire, en vue de leur distribution en gros et en l’état”. Le dépositaire a, le plus souvent, la qualité de commissionnaire à la vente. Agissant pour le compte du laboratoire, il est rémunéré par une commission, librement convenue par les parties.

Le code de la santé publique ne prévoit pas la possibilité, pour le dépositaire, d’agir pour le compte des pharmaciens d’officine. En pratique, certains groupements jouent le rôle de «  référenceur » et peuvent discuter des prix et conditions de vente consentis à leurs membres par les laboratoires.

Pour les produits hors monopole

Selon ses déclarations, le groupement achète les produits parapharmaceutiques auprès des laboratoires pour les revendre à ses membres ; il exerce ainsi une fonction de grossiste dont il est rémunéré par la marge qu’il prélève.

Les conditions commerciales offertes au groupement

Pour les produits du monopole

Dans des courriers postérieurs à sa saisine, notamment sa lettre du 28 juin 2006, le groupement s’estime victime du refus opposé par certains laboratoires de lui livrer leurs médicaments. N’ayant pas le statut de grossiste- répartiteur, le groupement n’est pas en droit d’acheter de tels produits pour les revendre à ses membres. On ne peut donc faire grief  aux laboratoires de refuser de vendre leurs spécialités au groupement. Ses membres peuvent se les procurer par les canaux habituels.

Les laboratoires pourraient néanmoins recourir au groupement comme dépositaire, puisque tel est son statut. Toutefois le dépositaire n’est qu’un intermédiaire qui agit  pour le compte du laboratoire ; il n’est pas acheteur-revendeur.  Un fabricant n’est donc pas tenu de recourir à ses services, notamment s’il assure lui-même le stockage et la vente en gros des médicaments qu’il fabrique ou a recours, pour ce faire,  à des grossistes répartiteurs, voire à un autre dépositaire.

Pour les produits hors monopole

 Le groupement s’estime victime d’une pratique discriminatoire en ce que les remises ou ristournes qui lui sont proposées seraient sensiblement inférieures à celles offertes aux pharmaciens d’officine qui  achètent en direct auprès des laboratoires. Il en irait de même pour les conditions faites à des centrales d’achats de la grande distribution.

L’article L 442-6-1-1° du code de commerce dispose: “Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:
1°De pratiquer à l’égard d’un partenaire économique, ou d’obtenir de lui des prix, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat, discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un avantage ou un désavantage dans la concurrence”.

La pratique de prix ou de conditions commerciales différentes selon les clients n’est donc fautive que si elle n’est pas justifiée par des contreparties équilibrées ou si elle crée un avantage ou un désavantage dans la concurrence. Ce dernier point implique que l’entreprise discriminée soit concurrente de celle qui bénéficie de conditions plus avantageuses.

En l’occurrence, le groupement exerce une fonction de grossiste et les conditions préférentielles dont il s’estime victime sont celles réservées aux pharmaciens d’officine achetant en direct. Il n’opère donc pas sur le même marché que les pharmaciens qui vendent au détail et l’article précité ne s’appliquerait pas. Cela est conforté par l’article L 441-6 du code de commerce, introduit par la loi PME du 2 août 2005, selon lequel “Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d’acheteurs de produits ou de demandeurs de prestations de services, et notamment entre grossistes et détaillants”. En pareil cas, en effet, le fournisseur n’a pas à communiquer à un demandeur les conditions réservées à une catégorie qui n’est pas la sienne. Dès lors aucun contrat de vente ne peut se nouer à des conditions inconnues de l’acheteur potentiel.

Toutefois, dans un arrêt de sa chambre commerciale du 25 avril 2006, portant sur une affaire antérieure à la modification législative précitée, la Cour de cassation confirme l’application du principe de non-discrimination à un fabricant qui était devenu concurrent de son distributeur en traitant directement avec les clients de ce dernier à des conditions plus favorables. Si l’on retient cette interprétation, en vendant directement aux membres du groupement, les laboratoires concurrencent apparemment ce dernier, alors même que les bénéficiaires d’une éventuelle discrimination sont ses membres exclusifs. Ces conditions de vente plus favorables devraient donc se trouver justifiées par des “contreparties réelles”.

La politique commerciale de certains laboratoires privilégie le traitement direct avec chaque officine, de façon à lui assurer des conseils adéquats sur les qualités des produits, sur leurs fonctions, sur les catégories de consommateurs auxquels ils sont destinés et sur leurs modes diversifiés de commercialisation. En contrepartie, ils peuvent obtenir certaines assurances quant à la continuité et à la qualité de leur commercialisation dans l’officine. Le principe d’une telle politique commerciale ne paraît pas devoir être remis en cause. Le groupement coopératif devrait pouvoir obtenir les mêmes avantages quantitatifs que ses propres membres et les autres grossistes, dès lors que l’importance des achats est considérée indépendamment des autres fonctions. La fonction logistique peut également constituer une contrepartie à des réductions de prix. En toute hypothèse, ces avantages quantitatifs et logistiques peuvent rester inférieurs à ceux, de nature qualitative, consentis à raison de la fonction exercée par le revendeur. Il appartient aux laboratoires de justifier de la réalité et de l’importance de ces contreparties, ainsi éventuellement, que de la moindre capacité du groupement coopératif à les fournir avec la même efficacité. Si les conditions pratiquées envers le groupement s’avéraient, sans de telles justifications, différentes de celles offertes à d’autres groupements ou grossistes offrant les mêmes contreparties, elles constitueraient une pratique discriminatoire dont le groupement serait en droit de demander réparation en application de l’article L 441-6 du code de commerce.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en ses séances plénières du 18 décembre 2006, 09 mai et 14 juin 2007, présidées par M. Pierre Leclercq.

Fait à Paris, le 14 juin 2007

Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales

            Pierre LECLERCQ

 


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