Votre panier est actuellement vide !
Vu la lettre enregistrée le 5 mars 2012 sous le numéro 12-001, par laquelle un cabinet d’avocats sollicite l’avis de la Commission sur les relations commerciales d’un fabricant de matériel technique électroménager à usage domestique et professionnel avec son partenaire société spécialisée en impression de catalogue, stockage et logistique de catalogues publicitaires;
Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de la séance plénière du 16 mai 2012;
Un contrat-cadre a été conclu, en 2009, entre la société A et une société X prestataire de services relatifs à l’impression, au stockage, à l’expédition, à la gestion de documentations commerciales, techniques et publicitaires.
Le prestataire X a, semble-il, spécifiquement développé une application WEB pour permettre au réseau des revendeurs et installateurs du client A de commander les documents produits et commercialisés par ce dernier.
Suit une description précise et détaillée des différentes opérations à réaliser par le prestataire.
Les prix des prestations étaient définis et fixés sur la base de grilles tarifaires annexées au contrat, celles-ci devant être renégociées chaque année calendaire.
Le contrat porte sur l’ensemble des supports d’édition commercialisés par A, pour une période initiale de 3 ans.
Les griefs de la société A à l’encontre de son prestataire de services :
Elle indique tout d’abord que la liste de prix annexée au contrat n’était pas exhaustive mais limitée aux prestations de stockage et de transport des documents. Elle ajoute que ces tarifs ont donné lieu à deux augmentations en 18 mois. En ce qui concerne les autres prestations, le conseil de la société A considère que les prix étaient fixés unilatéralement et de façon non négociable, sous couvert de tarifs intitulés « devis », établis au cas par cas, et au fur et à mesure des demandes de la société A.
Après une étude de coûts réalisée 18 mois après la signature du contrat, cette dernière a constaté que les tarifs pratiqués par son cocontractant X étaient d’environ 30% supérieurs à ceux de la concurrence, à prestations égales (sur la base de devis comparatifs). En second lieu, elle déclare avoir découvert que ce fournisseur pratiquait vis-à-vis d’entreprises tierces (non liées par un contrat d’exclusivité) des tarifs bien inférieurs, alors qu’elle était son principal client (plus de 50% de son chiffre d’affaires).
Sollicité en début 2011 par la société A, le prestataire de services a refusé la demande « de modération » des tarifs établis sous forme desdits « devis ». Ce dernier aurait également refusé de communiquer ses CGV au motif qu’il n’en avait pas. Etait ajouté qu’il lui était impossible d’éditer des tarifs publics, les prestations d’impression étant multiples et variables et dépendant des besoins exprimés par chaque client, au cas par cas.
La société A ajoute enfin qu’ayant pris la liberté de s’approvisionner auprès d’un autre fournisseur, elle a fait l’objet d’une assignation de son prestataire de services pour violation de la clause d’exclusivité.
Les questions posées par la société A :
– L’abus dans la relation commerciale, au sens de l’article L 442-6-I-2° du code de commerce, peut-il être du fait d’une entreprise de taille modeste (SARL au capital de 50 000 €, réalisant un chiffre d’affaires annuel de quelques centaines de milliers d’€ [chiffre non repris ici pour raison de confidentialité], à l’encontre d’une entreprise beaucoup plus importante [plusieurs centaines de millions d’€] ?
– Est-il légitime pour une entreprise de se prévaloir d’une clause d’exclusivité d’approvisionnement vis-à-vis de son cocontractant, dès lors que cette clause ne trouve aucune contrepartie autre que dans les services apportés par l’entreprise prestataire et qui sont l’objet même du contrat, services par ailleurs totalement similaires à ceux apportés aux autres clients, qui ne sont, eux, pas liés par une exclusivité ? Peut-on alors considérer que le fait pour cette entreprise de se prévaloir de l’exclusivité contractuelle constitue un abus dans la relation commerciale au sens de l’article L 442-6-I-2° du code de commerce ?
– Le fait d’imposer unilatéralement des prix à son cocontractant, en se prévalant d’une clause d’exclusivité d’approvisionnement, est-il abusif en soi dès lors que les prix sont bien supérieurs à ceux pratiqués par la concurrence et également supérieurs au prix pratiqué vis-à-vis des autres clients non liés par une même clause ?
– L’entreprise prestataire peut-elle refuser de communiquer ses conditions générales de vente comprenant les tarifs publics au motif avancé que les prix des prestations sont dans le contrat signé entre les parties, alors même que les tarifs indiqués dans ce contrat n’ont pas été négociés sur la base des tarifs publics contenus dans les CGV ?
– L’entreprise peut-elle légitimement prétendre n’avoir pas de tarifs publics accompagnant ses CGV pour ses prestations, au motif que certaines prestations dépendent des besoins exprimés par le client et sont réalisées, au cas par cas, alors même que le refus exprimé concerne aussi les prestations qui accompagnent le service principal et qui sont, elles, totalement standards et uniformes (en l’espèce, les prestations standards sont le stockage, facturé au mètre linéaire, et le transport, facturé en fonction du poids et de la distance) ?
Réponses au regard des documents reçus par le rapporteur :
Il n’est pas possible pour la Commission de répondre de façon purement théorique à l’ensemble des questions posées par la société A. Elles doivent être analysées sur la base des circonstances de l’espèce. Les réponses seront donc apportées en s’appuyant sur les documents communiqués par la société A. Elles seront regroupées en quatre sections : Réponse à la première question relative au champ d’application de l’article L 442-6-I- 2° (1) ; absence d’élaboration de tarifs publics de la part du prestataire de services X (2) ; Absence présumée de négociation des prix futurs communiqués par celui-ci (3) ; Absence alléguée de contrepartie à la clause d’approvisionnement exclusif souscrite par la société A (4)
La CEPC a déjà estimé que : « la caractéristique de la pratique consistant à soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif ne requiert pas d’établir au préalable que son auteur détient une puissance d’achat ou de vente, et est donc facilitée par rapport aux dispositions précédentes ». [Avis du 22/12/08 ; rapport d’activité 2008/09, Page 65].
Le fait que la relation commerciale soit établie entre un client réalisant un chiffre d’affaires important et un cocontractant de taille plus modeste ne met pas ce dernier à l’abri de l’application des dispositions de l’article L 442-6-I-2° du code de commerce.
L’article L 441-6 du code de commerce prévoit que tout prestataire de services est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Les CGV comprennent le barème des prix unitaires. Toutefois, un prestataire de services peut convenir avec un demandeur des conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l’obligation de communication prescrite au premier alinéa de l’article L 441-6.
En l’espèce, la société A fait valoir que son cocontractant aurait refusé de lui communiquer ses « tarifs publics » au motif que certaines prestations dépendent des besoins exprimés, au cas par cas, par les clients. Parmi les documents reçus par le rapporteur, on relève simplement un échange de courriels l’un émanant de la société A demandant que lui soient communiquées les conditions générales de vente, l’autre, en réponse, indiquant que celles-ci sont contenues dans l’accord cadre.
Toutefois, parmi les documents communiqués par le conseil de la société A, figurent trois courriers émanant du prestataire de services, portant sur ses grilles tarifaires détaillées pour les années 2010 et 2011 et qui concernent les trois prestations suivantes : « stockage », « expédition » et « impression » des documents.
La Commission ne dispose pas d’informations supplémentaires concernant le fait de savoir si ces grilles correspondaient à des « tarifs publics » ou à des conditions particulières appliquées au seul client en cause.
Parmi l’ensemble des éléments communiqués, on constate toutefois que la pratique, dans cette activité, semble être celle de demandes, au cas par cas, de la meilleure offre d’un prestataire pour la réalisation d’un service déterminé. Les opérations réalisées, telles qu’elles apparaissent dans les documents communiqués, se réfèrent à des demandes précises portant sur : les types de papier utilisé, le type d’impression (en particulier nombre de couleurs recto et (ou) verso), la qualité de la finition, et du façonnage, etc.
De ce fait, il n’est pas impossible que, dans ce type d’activité, les relations commerciales s’établissent, en matière de services d’impression, essentiellement sur la base de devis. En tout état de cause, et curieusement, la société A ne communique aucun document démontrant l’existence de « tarifs publics » édités par des concurrents du prestataire X, susceptibles de démontrer le caractère « anormal » du comportement de ce dernier au regard des pratiques tarifaires généralement adoptées dans ce secteur d’activité.
Le contrat cadre signé entre les parties prévoit explicitement que « les grilles tarifaires seront négociées chaque année calendaire ».Certains prix de départ étaient annexés au contrat. Il n’est pas contesté que ces prix avaient fait l’objet d’un accord entre les parties « y compris « s’agissant des augmentations » [courrier du conseil de la société A]. Selon la société A, ces prix établis dans l’annexe ne concernaient cependant pas l’ensemble des prestations prévues au contrat. Ce document n’a toutefois pas été communiqué au rapporteur. La société A indique ne pas l’avoir retrouvé.
La société A communique un courrier du prestataire annonçant, en septembre 2010, une hausse de 4% de ces prix en raison de l’augmentation du coût des matières premières. Elle déclare également que les nouvelles grilles présentées pour 2011 n’auraient pas fait l’objet d’une négociation entre les parties.
On constate toutefois, à la lecture de différents courriels et courriers, que le prestataire de services fait valoir que la grille 2010 ainsi que la hausse de 4% ont été acceptées par la société A [Courrier du 07/12/10], ce que celle-ci ne dément pas : « Vous nous avez adressé une nouvelle grille tarifaire en septembre 2010 qui a effectivement été approuvée par notre responsable marketing » ajoutant toutefois qu’il « n’apparaît pas trace d’une quelconque négociation au sens du contrat, mais bien plutôt d’une révision des prix unilatérale».
Sur la base des éléments communiqués, il n’est pas possible à la Commission de se prononcer sur le fait de savoir si les tarifs 2011 établis par le prestataire de services ont fait ou non l’objet d’une réelle négociation. Elle constate toutefois que n’a pas été démentie l’assertion selon laquelle les tarifs 2010 ont été acceptés.
En se fondant, en particulier sur les attendus d’un arrêt de la Cour de Cassation en date du 08/02/05 (contrat litigieux jugé nul pour absence de cause), la société A considère tout d’abord que la clause d’exclusivité incluse dans le contrat cadre n’aurait aucune contrepartie autre que dans les services fournis par le prestataire des services en cause, ceux-ci étant similaires à ceux apportés à d’autres clients non liés par un contrat d’approvisionnement exclusif (4-1). Elle fait également valoir que les tarifs qui lui sont imposés s’avèrent supérieurs à ceux offerts à d’autres clients non concernés par une clause d’approvisionnement exclusif ainsi qu’à ceux pratiqués par la concurrence (4-2).
Le prestataire X rappelle avoir réalisé pour le compte de la société A « une application Web spécifiquement développée à ses documents ». Le système en cause aurait été réalisé à la demande de A selon un cahier des charges précis, son coût de financement ayant été totalement couvert par le prestataire.
Le contrat cadre signé entre les parties fait en effet expressément référence à la mise en place du système en question.
La société A considère toutefois qu’elle a participé au financement de ce système (une partie des coûts lui étant facturée) et qu’elle ne dispose pas de l’exclusivité d’utilisation de l’outil élaboré sous l’appellation « plateforme S ». Elle communique un document de nature publicitaire, élaboré par le prestataire de services à l’intention d’éventuels clients, évoquant les caractéristiques de ladite plateforme ainsi qu’un courrier adressé à un client soulignant que: « la passation des commandes peut se faire à partir de notre plateforme S ».
La société A communique : a) un courrier adressé par le prestataire X à une entreprise lui ayant demandé une tarification pour un travail d’impression d’un document; b) des réponses faites par des entreprises concurrentes à ses demandes de tarification :
a) Il ressort du seul document communiqué que le prestataire avait offert gratuitement à l’entreprise concernée les opérations de stockage et de livraison des exemplaires de l’impression objet de la demande.
b) Les réponses de plusieurs entreprises concurrentes aux demandes de la société A pour des prestations apparemment proches d’une commande effectuée, à la même période, auprès de son prestataire X peuvent en effet être de nature à mettre en évidence des différences de prix relativement substantielles.
Avis de la commission :
Un système, dédié aux besoins de la société A, a, semble-t-il, été réalisé par le prestataire de services X.
Au moment de la conclusion du contrat, la mise en place de ce système pouvait, de ce fait, justifier une contrepartie sous forme d’un contrat d’approvisionnement exclusif pour une durée, en l’espèce limitée à 3 ans, ne serait-ce que pour permettre l’amortissement (au moins partiel) des coûts de R&D.
Relèveront de la juridiction éventuellement saisie les questions de savoir si :
1) ce système a bien été réalisé, justifiant, de ce fait, la validité de la clause d’approvisionnement exclusif.
2) ce système a été utilisé et, dans quelles conditions, au profit d’autres clients du prestataire
3) cette constatation serait de nature à remettre en cause de façon substantielle la portée de la clause d’approvisionnement exclusif
4-2-1) Il n’est pas interdit à un fabricant ou à un prestataire de services de pratiquer des prix différents selon ses clients. La LME a supprimé, au sein de l’article L 442-6, l’interdiction per se des pratiques discriminatoires, sauf à démontrer que la discrimination en cause constitue la marque d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
En l’espèce, n’ont pas été communiqués d’éléments suffisamment probants permettant à la Commission de se prononcer sur ce chef de demande de la société A. Mais la question de l’application de l’article L 442-6-I-2° au contrat en cause pourrait se poser s’il était avéré que, pour des prestations identiques, des conditions plus avantageuses étaient systématiquement pratiquées à l’égard de tiers non liés au prestataire de services par des contrats d’approvisionnement exclusif.
4-2-2) A la lecture des pièces communiquées, il n’est effectivement pas impossible que les prix pratiqués en 2011 par le prestataire X à l’égard de la société A aient été supérieurs, pour des prestations de nature apparemment similaires, à ceux de la concurrence. Il appartiendra à la juridiction éventuellement saisie de constater l’existence éventuelle d’un abus dans la fixation des prix en cours de contrat, à supposer qu’il n’y ait pas eu accord sur ceux-ci.
Au total :
-Sur la question de l’absence de tarifs publics :
La Commission ne dispose pas d’informations suffisantes pour se prononcer sur cette question. Elle relève toutefois que pour les années 2010 et 2011 des grilles tarifaires ont été communiquées à la société A. D’autre part, cette dernière n’a pas apporté de preuves que les concurrents du prestataire X éditaient des tarifs publics.
-Sur la question de l’absence présumée de négociation sur les offres tarifaires 2011 :
La Commission ne dispose pas d’éléments permettant de répondre à cette question. Elle constate toutefois que n’a pas été démentie l’assertion du prestataire X selon laquelle les tarifs 2010 avaient été approuvés. Il appartiendra à la société A de démontrer à la juridiction éventuellement saisie que les tarifs 2011 avaient été fixés de façon unilatérale par le prestataire de services.
-Sur la question relative à l’insuffisance alléguée de contrepartie à la clause d’exclusivité d’approvisionnement et sur la base des éléments communiqués:
Il n’est pas exclu qu’au regard de l’argument évoqué par la société A quant à la nature des services rendus, l’application du contrat sur la période incriminée puisse démontrer l’absence d’une contrepartie suffisamment substantielle de nature à légitimer la clause d’approvisionnement exclusif. Il appartiendra à la société A de démontrer que la « plateforme S » ne lui pas été spécifiquement dédiée et qu’elle l’a également utilisée au profit d’autres clients de X non liés par un contrat exclusif.
-Sur la question de l’application à la société A de tarifs moins favorables que ceux consentis à d’autres clients du prestataire X non liés par des contrats d’approvisionnement exclusif :
La Commission ne dispose pas d’éléments suffisants d’informations pour se prononcer sur cette question. Mais, s’il était prouvé que cette pratique avait été adoptée de façon systématique par le prestataire X, le désavantage subi par la société pourrait relever de l’application des dispositions de l’article L 442-6-I-2° du code de commerce. Une telle constatation pourrait être également de nature à conforter la thèse de l’absence ou de l’insuffisance de contreparties à la clause d’approvisionnement exclusif
-Sur la question des écarts de prix significatifs, pour des prestations identiques, entre ceux établis par X et ses concurrents
Si ces écarts étaient avérés, cette constatation pourrait révéler l’existence d’un abus dans la fixation des prix en cours de contrat pour autant que démonstration soit faite de l’absence de négociation. Elle pourrait être également de nature à conforter la thèse de l’absence ou de l’insuffisance de contreparties à la clause d’approvisionnement exclusif.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 16 mai 2012, présidée par Mme Catherine VAUTRIN.
Fait à Paris, le 16 mai 2012
La Présidente de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
Catherine VAUTRIN