Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 13-07 relatif à l’application du taux de pénalité pour retard de paiement dans le cadre d’un contrat international

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 13-07 relatif à l’application du taux de pénalité pour retard de paiement dans le cadre d’un contrat international
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La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 15 novembre 2012 sous le numéro 12-46, par laquelle un groupe international interroge la Commission sur l’application du taux de pénalité pour retard de paiement dans le cadre d’un contrat international.

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 29 avril 2013 ;

En vertu de l’article L.441-6 du Code de commerce (alinéa 12): « Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire ».

L’instauration de ce taux d’intérêt plancher pour les pénalités de retard vient compléter le dispositif de plafonnement des délais de paiement qui figure à l’article L441-6 alinéa 9 du code de commerce. Afin que le débiteur soit incité à respecter ces délais, il importe en effet que le montant des pénalités pour retard de paiement soit suffisamment élevé.

 

L’auteur de la saisine interroge à titre principal la Commission d’examen des pratiques commerciales sur le point de savoir si ce texte s’applique dans les contrats internationaux dans les rapports entre un fournisseur établi à l’étranger et un client français lorsque les conditions générales de vente du fournisseur prévoient – en conformité avec le droit de son pays d’origine – un taux d’intérêt inférieur au taux plancher imposé par la loi française.

Dans l’affirmative, il demande accessoirement en substance si le taux plancher imposé par la loi française n’a pas également vocation à s’appliquer aux contrats liant ce même fournisseur étranger à ses distributeurs à l’étranger afin que la possibilité de stipuler un taux bas pour les intérêts de retard ne crée pas de discrimination au détriment des fournisseurs français qui vendent à l’étranger.

Ces questions concernent les contrats conclus par un fournisseur établi à l’étranger, d’abord avec ses clients en France, ensuite avec ses clients à l’étranger. Les deux hypothèses seront envisagées tour à tour.

Ventes en France avec un fournisseur étranger

En vertu de l’article L.441-6 alinéa 15 du Code de commerce, le taux plancher pour les pénalités de retard est imposé sous peine de sanction pénale (amende de 15.000 euros). Son application dans l’espace dépend donc des règles gouvernant l’application de la loi pénale dans l’espace. 

Aux termes de l’article 113-2 du Code pénal, « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». La nationalité de l’auteur de l’infraction est donc indifférente. Ce qui compte, c’est que l’infraction ait été commise – en tout ou partie – sur le territoire français.Aux termes de l’article 113-2 alinéa 2 du même code : « L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». La notion de fait constitutif a été conçue largement pour embrasser à la fois les éléments constitutifs de l’infraction stricto sensu et les faits participant au processus infractionnel qui se situent en amont ou en aval de l’infraction, singulièrement ses effets dont la jurisprudence retient une conception extensive, ce qui lui permet d’étendre le champ de la loi pénale française.

Dans les relations entre un fournisseur établi à l’étranger et un client français, on peut en déduire que les dispositions de la loi LME dont l’inobservation est sanctionnée pénalement s’appliquent lorsque l’acte matériel de l’infraction réside dans l’acte d’achat et que l’acheteur est établi en France. La jurisprudence l’a admis dans les rapports entre un fournisseur belge de tomates et un client français à propos de l’application dans l’espace de l’article 31 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relatif à l’obligation de facturation « qui s’impose tant au vendeur qu’à l’acheteur » (v. en ce sens, Cass. crim. 18 juin 1998, pourvoi n°97-81510) et même si les produits doivent être distribués ou revendus à l’étranger (Cass. com. 16 juin 1998, n°96-20182 dans les rapports entre un vendeur et un exportateur, l’un et l’autre établis en France).

Même lorsque les éléments constitutifs de l’infraction sont localisés à l’étranger, les faits peuvent tomber sous le coup de la loi pénale française si leurs effets se produisent en France. La DGCCRF s’est prononcée dans ce sens à propos de l’application dans l’espace de l’article L.441-7 du Code de commerce imposant la formalisation du contrat de distribution sous peine de sanction pénale en énonçant que « tout contrat qui a un effet sur la revente de produits ou la fourniture de services en France entre dans les dispositions de l’article » (v. Réponses aux principales questions des opérateurs pour l’application de la Loi de modernisation de l’économie : dossier 28 novembre 2008, www.economie.gouv.fr/dgccrf/Les-relations-industrie-commerce).

En l’espèce, est pénalement sanctionné « le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes aux dispositions (de l’article L.441-6 alinéa 12 du Code de commerce) ». Si l’on considère que la contrainte pèse toute autant sur le vendeur que sur l’acheteur, il paraît possible de localiser l’infraction en France dès lors que l’acheteur est établi en France. Si l’on considère, de façon plus restrictive, que l’acte matériel de l’infraction réside dans l’offre de vente irrégulière qui est localisée à l’étranger, la loi pénale française peut encore s’appliquer – dans le droit fil du droit positif – si les faits produisent des effets en France, ce qui peut être le cas si les produits sont revendus ou distribués en France.

 

Dans les rapports intra-européens, on peut ajouter qu’en l’état du droit positif, le fait de soumettre un fournisseur étranger aux contraintes supplémentaires imposées par l’Etat d’accueil en matière de pénalité pour retard de paiement ne paraît pas poser de difficulté au regard du principe de libre circulation des marchandises dès lors que ces contraintes ne portent ni sur les marchandises commercialisées (dénomination, composition, emballage), ni à proprement parler sur les modalités de leur commercialisation dont l’application « à la vente de produits en provenance d’un autre Etat membre et répondant aux règles édictées par cet Etat ne (doit pas être) de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux » (CJCE 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, aff. Jtes C-267/91 et 268/91, Grands arrêts n°4 p.26) 

Ventes à l’étranger avec un fournisseur étranger

A supposer que le fournisseur étranger soit tenu de respecter le taux plancher fixé par la loi française dans ses rapports avec ses clients français, l’auteur de la saisine demande si ce même fournisseur peut publier des conditions générales de vente différenciées en fonction du pays de vente. Dans l’affirmative, il demande si cela ne conduit pas à créer une discrimination au détriment des entreprises françaises qui vendent à l’étranger avec un taux de pénalité pour retard de paiement conforme à la réglementation française si le taux appliqué à l’étranger par les entreprises étrangères est plus faible.

A titre liminaire, on voit mal comment les dispositions du Titre IV du Livre IV du Code de commerce pourraient atteindre les relations commerciales entretenues entre un fournisseur étranger et ses clients étrangers dès lors que les produits ou services contractuels n’ont pas vocation à être revendus ou distribués en France. Cela reviendrait à appliquer le droit français aux pratiques mises en œuvre sur les marchés étrangers, et donc à conférer à celui-ci une portée extra-territoriale. S’agissant des contraintes imposées sous peine de sanction pénale, les règles gouvernant l’application de la loi pénale dans l’espace ne vont pas en ce sens. Quant à celles dont l’inobservation est sanctionnée civilement, il paraît difficile de les imposer dans les rapports internationaux à une situation qui ne dispose d’aucun ancrage personnel ou territorial en France.

Il en résulte, d’une part, que le fournisseur établi à l’étranger, qui vend à la fois en France et sur son marché d’origine, sera en effet incité à établir des conditions générales de vente différenciées par pays de vente, ce qui ne paraît pas poser de difficulté au regard du Titre IV du Livre IV du Code de commerce. Désormais, l’article L.441-6 alinéa 6 du Code de commerce issu de la loi LME du 4 août 2008 énonce en effet que : « Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d’acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services ». L’interdiction des pratiques discriminatoires qui figurait auparavant à l’article L.442-6 I 1° du Code de commerce a par ailleurs été supprimée.

Contrairement à ce qui avait été prévu par la loi du 2 août 2005 sur les PME, le législateur français a donc finalement laissé les opérateurs libres de déterminer eux-mêmes les conditions de cette différenciation. Aucun obstacle issu du Titre IV du Livre IV du Code de commerce ne paraît donc s’opposer à l’établissement de conditions catégorielles différenciées suivant le pays de vente dès lors qu’il s’agit également du pays de revente. Il ne faudrait pas en effet qu’un distributeur français se délocalise à l’étranger pour bénéficier de conditions générales de vente différenciées alors que les produits contractuels ont vocation à être revendus en France (comp. Rapport annuel 2009-2010, CEPC 10100303, p.57)

Pour le surplus, cette différenciation est fondée, non pas sur la différence de nationalité de l’acheteur, mais sur la différence de marché de destination des produits ou services contractuels de sorte qu’elle ne devrait pas s’analyser comme une discrimination à raison de la nationalité qui pourrait, le cas échéant, heurter certains principes fondamentaux.

En revanche, l’établissement de conditions catégorielles différenciées suivant le pays de vente serait sans doute susceptible de s’analyser, dans certains cas, comme une pratique anticoncurrentielle de nature à cloisonner le marché. 

Certes, on peut s’interroger, d’autre part, sur l’incidence de cette situation sur les rapports entre les fournisseurs français et leurs clients et concurrents sur les marchés étrangers. Est-ce que, comme le suggère l’auteur de la saisine, en bénéficiant au fournisseur français, la loi française ne va pas rompre l’égalité des conditions de concurrence sur le marché étranger au détriment des fournisseurs français ?

Dans les rapports entre les fournisseurs français et leurs clients étrangers, le taux plancher pour les intérêts de retard a vocation à s’appliquer en vertu des règles gouvernant l’application de la loi pénale dans l’espace lorsque l’un des faits constitutifs de l’infraction est localisé en France (v. supra). Lorsque le fournisseur est établi en France, l’acte matériel de l’infraction est bien localisable en France dès lors que l’offre de taux non conforme est faite en France au lieu d’établissement du fournisseur par ailleurs partie au contrat. 

La DGCCRF s’est prononcée dans le même sens à propos des délais de paiement en indiquant : « la DGCCRF qui intervient au nom de l’ordre public économique veillera à ce que des créanciers français ne se voient pas imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs débiteurs, en particulier ceux qui utiliseraient des centrales de paiement à l’étranger dans le seul but d’échapper aux dispositions nationales » (avis n°09-06). Si l’hypothèse d’une délocalisation frauduleuse de l’opération est mise en avant, cette réponse ne paraît pas exclure l’applicabilité des délais de paiement français aux opérations d’exportation.

Quels que soient les effets de l’application de la loi pénale dans l’espace sur la situation du fournisseur français, on n’en doit pas moins constater que la règle qui interdit au fournisseur français, sous peine de sanction pénale, de stipuler un taux d’intérêts de retard inférieur au taux plancher imposé par la loi française, s’impose en principe que son contractant soit français ou étranger, dès lors qu’un élément constitutif du délit est bien localisé en France, sans préjudice de l’appréciation de l’opportunité de mettre en œuvre cette règle dans les rapports entre un fournisseur français et un client étranger.

Comme il a été vu, ce taux plancher est en revanche inapplicable dans les rapports entre fournisseurs étrangers et clients étrangers en l’absence de rattachement matériel de la situation avec la France. Cette différence est peut-être de nature à désavantager les entreprises françaises qui veulent vendre à l’étranger, sans préjudice de l’appréciation de l’opportunité de mettre en œuvre cette règle dans les rapports entre un fournisseur français et un client étranger.

En conclusion

Dans les rapports contractuels entre un fournisseur étranger et un client français, il est permis de penser qu’en l’état du droit positif, le taux plancher des pénalités pour retard de paiement énoncé par la loi française s’applique dès lors que les produits ou services contractuels sont distribués en France. En revanche, ce taux ne s’applique pas aux contrats liant ce fournisseur étranger à ses clients étrangers dès lors que les produits ou services contractuels sont distribués à l’étranger.

 

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 27 mai 2013, présidée par M. Daniel TRICOT.

 

Fait à Paris, le 27 mai 2013

Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Daniel TRICOT

 


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