Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n°16-17 relatif à une demande d’avis d’une fédération professionnelle sur l’application de la clause de renégociation tarifaire (article L 441-8 du code de commerce)

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n°16-17 relatif à une demande d’avis d’une fédération professionnelle sur l’application de la clause de renégociation tarifaire (article L 441-8 du code de commerce)
Ce point juridique est utile ?

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 9 juin 2016, sous le numéro 16-27, par laquelle une fédération professionnelle saisit la Commission afin de recueillir son avis sur les bonnes pratiques de mise en œuvre du dispositif institué par l’article L. 441-8 du code de commerce.

De façon préalable, celle-ci interroge la Commission sur le domaine d’application de ce texte et plus précisément sur la question de savoir dans quelle mesure les produits vendus sous marque de distributeurs (ci-après MDD) sont concernés par le dispositif (1). Elle soulève par ailleurs la question de savoir s’il est loisible à une fédération professionnelle de fournisseurs de produits entrant dans le champ de l’article L. 441-8 du code de commerce de faire part, aux entreprises de distribution en relations contractuelles avec ses adhérents, de ses préconisations sur les modalités d’application et plus précisément quant aux indices à prendre en compte pour apprécier les fluctuations tarifaires, quant à un seuil chiffré de variation de l’indice choisi et quant à la diffusion d’un modèle de compte-rendu de la négociation (2).

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 22 septembre 2016 ;

L’application de l’article L. 441-8 du code de commerce à des produits MDD dépend, avant l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015  de la qualification juridique des contrats : il a vocation à jouer lorsque les produits répondent à des caractéristiques déterminées à l’avance par le fabricant et qu’il s’agit par conséquent de ventes tandis qu’il est exclu lorsque les produits répondent  à des besoins particuliers exprimés par le distributeur, cette hypothèse étant celle de contrats d’entreprise. Les contrats relatifs à des produits MDD,  conclus à compter du 8 août 2015,  doivent quant à eux  respecter les dispositions de l’article L. 441-8 du code de commerce, qu’ils soient qualifiés de contrats de vente ou de contrats d’entreprise.

La part éventuellement prise par une fédération professionnelle à la mise en œuvre du dispositif de l’article L. 441-8 doit s’effectuer dans le respect de cette règle et du décret d’application, mais aussi du droit des pratiques anticoncurrentielles.

Il en résulte que les préconisations formulées par la fédération professionnelle quant aux modalités d’application et notamment l’indice de référence ou le seuil de déclenchement de la renégociation doivent rester de simples préconisations que les parties à la relation contractuelle sont libres de prendre en compte ou non.

 1) Sur l’application de l’article L. 441-8 du code de commerce aux produits MDD

La question soulevée appelle une réponse différente selon que l’on se situe avant ou après l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 :

Avant l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 :

Selon la lettre même de l’article L. 441-8 du code de commerce, le dispositif imposé par ce texte concerne « les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente des produits figurant sur la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 442-9, complétée, le cas échéant, par décret, dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires ». Parmi les conditions requises pour l’application de cette disposition figure donc l’exigence de ventes.

S’il est vrai qu’en droit des pratiques anticoncurrentielles, a pu être privilégiée une approche, non pas juridique, mais économique de la vente, englobant également les prestations de services (v. à propos de l’interdiction des prix abusivement bas visant les offres de prix ou pratiques de prix de vente, Cons. Conc. n° 96-PB-01 du 27 novembre 1996, considérant que l’article L. 420-5 du code de commerce concerne autant les produits que les prestations de services), le droit des pratiques restrictives de concurrence s’inscrit quant à lui dans une approche différente à cet égard, privilégiant une compréhension juridique des qualifications contractuelles. Plusieurs dispositions prennent soin de viser expressément, à la fois, la vente et la prestation de services, à l’instar notamment des articles L. 441-6, L. 441-7, L. 442-5. D’autres, au contraire, se contentent de viser la vente ou les prestations de services seules et ne donnent pas lieu en ce cas à une application extensive au-delà de la qualification juridique mentionnée. Il a été jugé, à propos de l’interdiction de la revente à perte, que  celle-ci n’est pas applicable aux prestations de services.

En conséquence, et sous réserve de la position qu’adopterait une juridiction, il est permis de considérer que la notion de vente concernée par le dispositif de l’article L. 441-8 du code de commerce doit correspondre à sa qualification juridique au sens du code civil et distinctement du contrat d’entreprise.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la distinction entre contrat de vente et contrat d’entreprise s’effectue à partir du critère du travail spécifique : selon que les produits répondent à des caractéristiques déterminées à l’avance par le fabricant ou à des besoins particuliers exprimés par le donneur d’ordres, il s’agit d’un contrat de vente visé par l’article L. 441-8, dans le premier cas, d’un contrat d’entreprise exclu de ce dispositif dans le second cas.

Telle est d’ailleurs l’interprétation proposée par la DGGCRF dans sa note d’information n° 2014.185 du 22 octobre 2014 qui, certes, ne saurait lier une juridiction appelée à se prononcer, mais s’inscrit, par le raisonnement qu’elle met en œuvre, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Il en résulte, en substance, que l’application du dispositif à des produits MDD dépend de la qualification juridique des contrats en cause, qu’en présence de contrats portant sur la fourniture d’un produit fabriqué sur la base d’un cahier des charges imposé par le distributeur, incompatibles avec une production en série susceptible d’être réalisée au profit d’autres clients, et s’agissant de contrats d’entreprise, l’article L. 441-8 n’a pas vocation à s’appliquer, tandis qu’il pourrait jouer s’il s’agit de la fourniture de produits dont les caractéristiques sont déterminées à l’avance par le fabricant.

Après l’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 :

Cette loi a élargi le champ d’application de l’article L. 441-8 du code de commerce en précisant que ce texte « est également applicable aux contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la conception et la production, selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur, de produits mentionnés au premier alinéa ». Il en résulte que les contrats conclus à compter du 8 août 2015 portant sur des produits MDD, qu’ils soient qualifiés de contrats de vente ou de contrats d’entreprise, doivent respecter les dispositions de l’article L. 441-8 du code de commerce.

2) Sur la mise en œuvre du dispositif de l’article L. 441-8 du code de commerce et le rôle possible d’une organisation professionnelle

La possibilité pour une fédération professionnelle de fournisseurs de produits entrant dans le champ de l’article L. 441-8 du code de commerce de formuler, à destination d’entreprises de distribution en relations contractuelles avec ses adhérents, des préconisations sur les modalités d’application de ce dispositif doit être appréciée au regard de la règle elle-même, mais également du droit des pratiques anticoncurrentielles dans le respect duquel la mise en œuvre de ce dispositif doit s’effectuer.

Il convient à cet égard de souligner que des préconisations faites par une fédération professionnelle de fournisseurs aux distributeurs ne sauraient être considérées comme des « accords interprofessionnels » au sens de l’article L. 441-8 alinéa 2 du code de commerce.

A défaut d’élément permettant de caractériser la détention d’une position dominante sur le marché ou un état de dépendance économique, cela  peut concerner l’interdiction des ententes prévue à l’article L. 420-1 du code de commerce. Cela vaut tout particulièrement dans l’hypothèse où seraient suivies les préconisations relatives aux indices à prendre en compte pour apprécier les fluctuations tarifaires, à un seuil chiffré de variation de l’indice choisi et à la diffusion d’un modèle de compte-rendu de la négociation.

Il résulte de cette disposition comme de la pratique décisionnelle et consultative de l’Autorité de la concurrence (v. not. Cons. Conc., avis n° 05-A-17 du 22 septembre 2005, à propos des délais de paiement) que :

  • les modalités tarifaires – dont font partie les conditions de révision des tarifs convenus – ne doivent pas donner lieu à des actions concertées entre les entreprises ayant pour objet ou effet de « faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse».
  • une concertation au sein d’une filière interprofessionnelle pourrait être qualifiée d’action concertée anticoncurrentielle dans le cas où elle se traduirait par une uniformisation de la tarification des entreprises prenant part à l’accord
  • ce n’est que dans la mesure où elle ne limite pas « l’étendue des moyens par lesquels chaque entreprise peut différencier son offre et sa politique de prix » qu’une telle concertation pourrait être admise.

Du reste, l’article L. 441-8 du code de commerce souligne, en son alinéa 2, que la clause relative aux modalités de renégociation du prix est, selon ses propres termes, « définie par les parties ».

Il dispose cependant en son alinéa 3 que « des accords interprofessionnels ainsi que l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires peuvent proposer, en tant que de besoin et pour les produits qu’ils visent, des indices publics qui peuvent être utilisés par les parties, ainsi que les modalités de leur utilisation permettant de caractériser le déclenchement de la renégociation ».

Il convient dès lors de se demander si la pratique envisagée serait susceptible de bénéficier de l’exemption prévue à l’article L. 420-4-I 1° du code de commerce. Cela suppose que les pratiques « résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ». Cependant, encore faut-il, selon la pratique décisionnelle, que les pratiques soient « la conséquence directe et nécessaire du texte » (par ex. Cons. Conc. n° 03-D-04 du16 janvier 2003 sur les pratiques du barreau d’Albertville). Or en l’occurrence, si l’article L. 441-8 du code de commerce fait référence à la possibilité d’accords interprofessionnels proposant des indices publics et les modalités de leur utilisation, la même disposition souligne, à deux reprises, de façon générale à l’alinéa 2, de façon spécifique à l’alinéa 3, la liberté qui est celle des parties à la relation contractuelle et à laquelle ne sauraient faire échec d’éventuels accords interprofessionnels.

Dès lors, le lien de causalité entre l’article L. 441-8 du code de commerce et la pratique envisagée quant aux indices et aux modalités de déclenchement, qui pourrait contrevenir à l’interdiction des ententes, ne devrait pouvoir être démontré.

Si une exemption de la pratique est également possible à raison de sa contribution au progrès économique, il reste que l’article L. 420-4-I-2° du code de commerce exige pour ce faire que «  les auteurs (puissent) justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques (…) ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ». Il appartient ainsi à l’opérateur entendant se prévaloir du bénéfice de cette règle de rapporter la preuve des quatre conditions cumulativement requises, la défaillance d’une seule de ces conditions suffisant à exclure toute possibilité d’exemption individuelle sur son fondement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres. Il peut sembler tout particulièrement difficile de justifier que la restriction de concurrence résultant de la limitation apportée à la liberté tarifaire est indispensable à la réalisation des gains d’efficacité économique.

Comme le souligne la DGCCRF dans la note d’information n° 2014.185 du 22 octobre 2014, « les accords doivent se borner à proposer aux acteurs économiques des indices pouvant servir de référence, et les modalités selon lesquelles ils peuvent conduire au déclenchement de la renégociation, mais ne devront pas se prononcer sur les évolutions de prix devant en découler. En outre, les parties doivent demeurer libres de tenir compte, ou non, de ces orientations ».

Ainsi les indices de même qu’un seuil chiffré de variation de l’indice ne peuvent-ils être formulés que sous forme de propositions aucunement contraignantes pour les parties à la relation contractuelle. Quant à la diffusion d’un modèle de compte-rendu de négociation, elle n’est envisageable qu’à la condition d’être conforme aux modalités définies par décret, comme prévu à l’article L. 441-8, et résultant de l’article D. 441-7 du code de commerce et sous réserve, là encore que ce modèle ne prive pas les parties à la relation commerciale de la liberté qui doit être la leur et que la loi a entendu préserver.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 22 septembre 2016, présidée par Madame Annick LE LOCH

Fait à Paris, le 22 septembre 2016,
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Annick LE LOCH

 


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