Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 22-1 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur la conformité au droit de la pratique de distributeurs visant à imposer aux fournisseurs l’apposition du logo Nutri-Score sur les produits à leurs marques

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 22-1 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur la conformité au droit de la pratique de distributeurs visant à imposer aux fournisseurs l’apposition du logo Nutri-Score sur les produits à leurs marques
Ce point juridique est utile ?

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 25 novembre 2019, sous le numéro 19-66, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur la conformité au droit, et, plus précisément de l’article L. 442-1 du code de commerce, de la pratique de distributeurs visant à imposer aux fournisseurs l’apposition du logo Nutri-Score sur les produits à leurs marques.

Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 31 mars 2022 ;

La question posée par le saisissant est double :

1.    La pratique consistant pour un distributeur à imposer à un fournisseur de produits commercialisés sous marque de fabricants le score nutritionnel (Nutri-Score) alors que ce fournisseur n’est pas exploitant, au sens du règlement du Nutri-Score, est-elle conforme au droit et plus particulièrement à l’article L. 442-1 du code de commerce ?

2.    A la suite de la disparition du 4° de l’article L. 442-6, I dans le cadre de la refonte du titre IV du livre IV du code de commerce par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, comment appréhender juridiquement la menace de déréférencement en cas d’absence d’adhésion du fournisseur au règlement d’usage Nutri-Score ou à toute autre signalétique complémentaire sollicitée par un distributeur ?

L’information relative aux produits de grande consommation correspond et répond à une demande forte des consommateurs, qui sont de plus en plus attentifs à la composition des produits, à l’origine des matières premières, aux mécanismes de transformation et à leur impact sur la santé.

Ceci se caractérise par la multiplication récente des applications digitales à destination des consommateurs, dont la fiabilité est plus ou moins sujette à discussion selon les applications. Cette démarche (Nutri-Score, NumAlim ou autres dénominations) est néanmoins encouragée par les autorités publiques de santé françaises et européennes et fait l’objet de règles d’adhésion publiques.

L’information sur les produits est donc devenue un enjeu majeur de la relation commerciale. Elle relève, à l’égard du consommateur, de la stratégie commerciale des enseignes, qui peuvent être amenées, pour le choix de leurs fournisseurs, à arbitrer entre les industriels susceptibles d’apposer le Nutri-Score sur leurs produits en adhérant ou pas à la démarche volontaire sous l’égide des pouvoirs publics.

I – L’apposition du Nutri-Score peut-elle être imposée par un distributeur ?

1.1    Le Nutri-Score

Le Nutri-Score est un logo apposé sur la face avant des emballages qui vise à informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des produits sous une forme simplifiée et complémentaire à la déclaration nutritionnelle obligatoire.

Il consiste en une indication basée sur une échelle de cinq couleurs : du vert foncé au orange foncé, en associant à ces couleurs des lettres allant de A à E pour optimiser sa lisibilité et sa compréhension par le consommateur.

À la suite d’une demande du ministère des Solidarités et de la Santé, Santé publique France, établissement public administratif sous tutelle du ministère chargé de la Santé, a créé ce système d’étiquetage nutritionnel placé à l’avant des emballages, qui peut être apposé par les producteurs sur leurs produits sur la base du volontariat.

Le Nutri-Score a été développé pour faciliter la compréhension des informations nutritionnelles par les consommateurs et vise ainsi à les aider à faire des choix éclairés.

Le Nutri-Score a été mis en place pour la première fois en France en 2017. Depuis son lancement en France, plusieurs pays ont décidé de recommander son utilisation : la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg.

1.2    L’apposition du Nutri-Score n’est pas obligatoire pour le fabricant de produits

L’apposition du Nutri-Score relève d’une démarche volontaire de la part des fabricants.

Le règlement (UE) n°1169/2011 dit règlement INCO impose l’indication sur les denrées alimentaires préemballées d’une déclaration nutritionnelle (article 30). Afin de faciliter la compréhension de cette déclaration nutritionnelle, l’article 35 de ce règlement prévoit la possibilité pour chaque État membre de recommander l’apposition d’une ou plusieurs formes d’expression ou de présentations complémentaires à cette déclaration nutritionnelle, sous forme de graphiques ou de symboles à condition que ces formes et présentations respectent des critères exigeants en termes de pertinence des informations et de compréhensibilité par les consommateurs.

En France, le Nutri-Score est le système recommandé par le Gouvernement, en application des  articles  L. 3332-8 et R. 3232-7 du code de la santé publique. Complémentaire à la déclaration nutritionnelle obligatoire prévue par le règlement n° 1169/2011, l’apposition du Nutri-Score est facultative et est réalisée de manière volontaire par les fabricants et les distributeurs mettant sur le marché des produits sous leurs marques propres.

Le caractère facultatif du Nutri-Score et l’aspect volontaire de la démarche ont notamment été rappelés par le Gouvernement lors de la signature de l’arrêté fixant la forme de présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle recommandée par l’État (communiqué de presse des Ministère des Solidarités et de la santé, Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et Ministère de l’Economie et des Finances en date du 31 octobre 2017).

Concernant l’apposition du Nutri-Score, l’article R. 3232-7, II du code de la santé publique dispose que « L’engagement des fabricants et des distributeurs dans la démarche volontaire d’utiliser la forme de présentation complémentaire recommandée mentionnée au I porte sur l’ensemble des catégories de denrées alimentaires qu’ils mettent sur le marché sous leurs propres marques, dans le respect du champ d’application de la déclaration nutritionnelle obligatoire prévue par le règlement (UE) n° 1169/2011 précité ».

À la lecture de cet article, il apparait que, d’une part, la démarche d’apposition du Nutri-Score est volontaire et repose sur une décision interne de l’entreprise, et, d’autre part, que l’engagement des fabricants et des distributeurs vaut pour les produits qu’ils mettent sur le marché sous leur marque propre.

Le règlement d’usage, élaboré par Santé publique France et encadrant l’utilisation du Nutri-Score, précise par ailleurs en son article 8.3 qu’il est « expressément interdit à un Exploitant de contraindre un tiers à présenter une Demande auprès d’un Régulateur ». La violation de cette interdiction constitue un manquement au règlement d’usage pouvant être constaté par Santé publique France.

1.3    L’appréhension de l’imposition du Nutri-Score par le distributeur au regard de l’article L. 442-1 du code de commerce

La pratique du distributeur consistant à imposer à son fournisseur la mention du Nutri-Score sur ses produits, alors que celui-ci n’est pas obligatoire doit être examinée sous l’angle des pratiques restrictives de concurrence interdites par l’article L. 442-1 du code de commerce.

a.    L’avantage sans contrepartie

Cette pratique se caractérise par le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie.

Elle suppose donc l’obtention d’un avantage au profit du distributeur. Le plus souvent, la jurisprudence considère que cet avantage correspond à la rémunération d’un service de coopération commerciale.

Or, en l’espèce, le Nutri-Score ne constitue pas la rémunération quantifiable d’un service fourni par le distributeur mais une mention sur l’emballage informant le consommateur de la qualité nutritionnelle du produit. Pour retenir l’existence d’un avantage sans contrepartie, il faudrait démontrer que le distributeur retire un avantage de cette information, par exemple une dynamisation des ventes, ce qui semble difficile à établir. En outre, on peut penser que si le distributeur était avantagé par un Nutri-Score élevé, il serait au contraire pénalisé pour des produits présentant des qualités nutritionnelles médiocres. En tout état de cause, il sera impossible de chiffrer précisément les gains éventuellement obtenus par le distributeur.

L’avantage sans contrepartie n’est donc pas adapté pour caractériser cette pratique.

b.    Le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Cette pratique est constituée lorsqu’une partie soumet ou tente de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Il est tout d’abord nécessaire de démontrer la soumission, c’est-à-dire que les obligations en cause n’ont pas pu être négociées par la partie qui en est le débiteur et ont été imposées par le distributeur.

En l’espèce, des contrats types qui contiendraient des clauses identiques quant à la mention du Nutri-Score constituent un indice de cette absence de négociation effective. Par ailleurs, les déréférencements ou menaces de déréférencements subis par les fournisseurs qui refuseraient d’adhérer au Nutri-Score renforceraient la démonstration de la soumission. Dans ce cas, on pourra considérer que le Nutri-score est véritablement imposé.

En plus de la soumission, il faut également que les obligations en cause créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La jurisprudence précise que « l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties (…)» (Cour d’appel de Paris, 21 mai 2017, Expedia c. Ministre, n°15/18784).

En l’espèce, le déséquilibre ne va pas forcément de soi s’agissant de l’obligation de mentionner le Nutri-Score. Il faut tout d’abord préciser que conformément à l’article 6.1.1 du règlement d’usage, le titulaire du Nutri-Score ne peut pas sélectionner les produits sur lesquels apposer le Nutri-Score. À partir du moment où il choisit de l’utiliser pour une de ses marques, il doit l’afficher sur l’ensemble des catégories de produits vendues sous cette marque1.

Un excellent Nutri-Score sera avantageux à la fois pour le distributeur et pour le fournisseur. La qualité nutritionnelle du produit est un argument commercial de nature à inciter à l’achat, dans une période où les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par la qualité de leur alimentation. A l’inverse, un produit alimentaire avec un Nutri-Score médiocre pourrait être désavantageux pour les deux parties.

Une étude de l’IRI de 2019 montre en ce sens que, sur les 24 catégories de produits pour lesquels il existe des disparités en termes de Nutri-Score, les produits notés A ou B voient leurs ventes progresser par rapport aux autres produits (+ 0,5% en moyenne) tandis que les produits C, D, E voient leurs ventes diminuer (-1.7 % en moyenne). Cette même étude montre également, pour la catégorie des plats cuisinés que les ventes de ces produits frais avec le logo Nutri-Score augmentaient 2 fois plus vite que celles des produits sans le logo.

Si la démonstration de la soumission est possible, le déséquilibre dans les droits et obligations des parties n’est donc pas évident à caractériser, sauf à ce que l’apposition du Nutri-Score génère des frais importants à la charge du fournisseur auquel elle aurait été imposée par le distributeur. Les pratiques en la matière devront être examinées au cas par cas, en prenant éventuellement en compte l’économie générale du contrat.

II – L’appréhension des pratiques de déréférencement ou de menaces de déréférencement au regard des dispositions de l’article L. 442-1 du code de commerce

Selon les dispositions légales antérieures à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 précitée, la pratique visée dans la saisine de la Commission était visée à l’article L. 442-6, I, 4° comme suit : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] 4° D’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ».

À l’occasion de la refonte du titre IV du livre IV du code de commerce opérée par l’ordonnance du 24 avril 2019, le législateur a, en matière de pratiques restrictives, opté pour une simplification des textes, consistant à supprimer bon nombre des pratiques et clauses énumérées jusqu’alors à l’article L. 442-6, I et II, et à recentrer les pratiques restrictives de concurrence sur les trois notions les plus utilisées : l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné ainsi que le déséquilibre significatif, qui font l’objet d’un chapeau commun, et la rupture brutale des relations commerciales établies.

Les pratiques de déréférencement ou de menaces de déréférencement abusives peuvent être appréhendées sous l’angle des dispositions telles que rappelées au point 1.3 ci-dessus, de l’article L. 442-1, I, 1° et 2° du code de commerce. Cependant, la rupture de la relation commerciale établie à l’initiative de l’une des parties pour convenance, c’est-à-dire au cas particulier dans le cadre de  la mise en œuvre par le distributeur de sa politique commerciale à l’égard du consommateur dans un marché concurrentiel, relève de la liberté contractuelle, sous réserve du respect de l’obligation d’accorder un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale conformément à l’article L 442-1, II du code de commerce2.

Comme l’indique la fiche technique mise en ligne sur le site de la DGCCRF3 , les fondements juridiques supprimés du texte par l’ordonnance du 24 avril 2019 « étant très peu utilisés, en tant que tels, devant les juridictions commerciales, l’ordonnance a donc procédé à la suppression de ces pratiques. Cependant, les comportements illicites qu’elles visent à réprimer pourront être poursuivis sur le fondement du déséquilibre significatif (1° du nouvel article L. 442-1) ou de l’avantage sans contrepartie (2° du nouvel article L. 442-1) dont les champs d’application ont été élargis dans cette optique.

La simplification apportée par l’ordonnance n’a donc pas pour objet de rendre licites les pratiques et clauses anciennement prohibées mais de recentrer les pratiques restrictives de concurrence sur des notions générales qui permettent d’englober les nombreuses clauses et pratiques énumérées dans l’ancien article L. 442-6 du code de commerce ».

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 31 mars 2022, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

Fait à Paris, le 1er avril 2022,

Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Daniel TRICOT


1 Article 6.1.1 « Si l’Exploitant Titulaire décide d’utiliser le Logo Classant sur une ou plusieurs de ses marques en application de l’Article 5.1 du Règlement d’usage, il a obligation de l’utiliser sur l’ensemble des catégories de Produits qu’il met sur le marché sous ses marques inscrites au Règlement d’usage »

2 Article L 442-1 II du code de commerce : « II. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. 
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

3 Consultable via le lien hypertexte suivant : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/pratiques-restrictives-de-concurrence

 


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