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La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 30 mars 2021, sous le numéro 21-9, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur la conformité au droit, et, plus précisément, des dispositions de l’article L. 442-1, I, 2°, d’une clause permettant au client d’un éditeur de logiciel de revoir le prix du contrat à la baisse lorsqu’il est supérieur de 5 % aux prix du marché, sous peine d’une résiliation du contrat.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 31 mars 2022 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie d’une demande d’avis sur la conformité aux dispositions de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce relatives au déséquilibre significatif d’une clause insérée dans une proposition de contrat entre un éditeur de logiciel et son client.
Plus précisément, cette clause permet au client, à l’issue d’une comparaison des prix du marché, de contraindre son prestataire à revoir ses prix à la baisse si ceux-ci sont au moins 5 % plus élevés que les prix moyens résultant de la comparaison, sous peine de résiliation unilatérale du contrat sans compensation.
L’objet de la saisine est donc de déterminer si cette clause est conforme à l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, lequel sanctionne le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Deux éléments sont nécessaires à la caractérisation de la pratique restrictive du déséquilibre significatif : une soumission ou une tentative de soumission (i) à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les parties (ii).
i) La soumission ou tentative de soumission
À titre liminaire, la circonstance que la clause litigieuse soit inscrite dans une proposition de contrat et non pas dans un contrat effectivement conclu n’est pas de nature à écarter l’application de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce. En effet, celui-ci réprime tant la soumission que la tentative de soumission de telle sorte qu’il peut s’appliquer à une simple proposition de contrat[1].
Pour autant, il est admis que cette condition implique la démonstration que les clauses litigieuses n’aient pas pu faire l’objet d’une négociation effective. En d’autres termes, c’est l’absence de possibilité de négociation du contrat qui constitue le critère déterminant de caractérisation de la soumission[2]. De cette manière, le simple fait que les contrats soient pré-rédigés et présentés à un nombre important de prestataires n’est pas suffisant. La Commission a déjà eu l’occasion de rappeler ce principe dans un avis précédent : «Le fait pour des parties à la négociation d’obtenir des contrats pré rédigés avec l’ensemble ou un nombre important de ses cocontractants pourrait révéler l’existence d’un déséquilibre dans leurs relations commerciales. Proposer des clauses pré-rédigées n’est toutefois pas interdit dès lors que celles-ci peuvent être modifiées à l’issue d’une réelle négociation entre les parties »[3].
Dans son appréciation, le juge peut également prendre en compte d’autres éléments et notamment le contexte de la relation, c’est-à-dire la structure du marché au sein duquel celle-ci prend place[4]. Ainsi, le pouvoir de marché important détenu par l’opérateur à qui est reproché la pratique du déséquilibre significatif ou encore l’état de dépendance de son co-contractant pourrait constituer des indices d’une soumission. Néanmoins, comme l’a précisé la cour d’appel de Paris « cette seule considération ne peut suffire à démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission »[5]. Par conséquent, la position de force sur un marché d’un opérateur économique ne peut constituer qu’un indice à la preuve de cette première condition, lequel doit nécessairement être étayé de la démonstration d’une absence de négociation.
En l’état des éléments de fait en possession de la Commission, il est impossible de se prononcer sur la faculté qu’a eue l’éditeur de logiciels de négocier la clause litigieuse imposée par son client. Par ailleurs, il convient de préciser que ni l’état de dépendance économique de l’éditeur de logiciels vis-à-vis du client (plus de 40 % de son chiffre d’affaires), ni le fait que la clause litigieuse ait été insérée dans l’ensemble des contrats proposés par le client à ses prestataires ne sont des éléments suffisants permettant la caractérisation d’une soumission.
En résumé, comme l’a affirmé la cour d’appel de Paris : « l’élément de soumission implique la démonstration de l’absence de négociation effective, l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation impliquant cette absence de négociation effective[6] ».
ii) Le déséquilibre significatif
Outre la démonstration d’une tentative de soumission ou d’une soumission, il est également nécessaire de rapporter la preuve que les clauses litigieuses créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
De manière générale, il semble admis par la jurisprudence que le déséquilibre significatif implique des obligations injustifiées et non réciproques nées du rapport de force existant entre les parties[7]. La Commission a eu l’occasion de reconnaitre que les stipulations d’un contrat créaient un déséquilibre significatif parce qu’elles imposaient à un co-contractant « une obligation défavorable, sans réciprocité ni contrepartie véritable ou justification objective [8]».
Plus spécifiquement, les clauses de révision de prix sont constitutives d’un déséquilibre significatif lorsqu’elles sont dépourvues de réciprocité, c’est-à-dire lorsqu’elles permettent plus facilement à une partie de solliciter la révision du prix alors même que l’autre partie est confrontée à des conditions de révision beaucoup plus strictes[9].
S’agissant des clauses de résiliation, la Cour de cassation reconnait qu’elles ne créent pas un déséquilibre significatif lorsqu’elles confèrent aux parties au contrat le même droit d’y mettre fin et dans les mêmes conditions[10].
En l’espèce, la clause litigieuse prévoit qu’à l’issue du processus de comparaison des prix du marché ayant constaté un écart de plus de 5 % entre les prix du contrat et le prix moyen du marché, le prestataire doit formuler une nouvelle proposition tarifaire. Le client est alors libre d’accepter ou de refuser cette proposition. En cas de refus, il peut même résilier le contrat moyennant un préavis de trente jours et sans aucune compensation. Plusieurs remarques doivent être formulées.
En premier lieu, l’activation de cette clause est à l’initiative du client et une nouvelle proposition tarifaire ne doit être formulée que lorsqu’il est constaté que les prix du contrat sont au moins 5 % plus élevés que les prix du marché. À l’inverse, le prestataire ne dispose d’aucun moyen pour solliciter une révision du prix du contrat lorsque celui-ci serait inférieur au prix du marché. De cette manière, la clause litigieuse semble dépourvue de réciprocité et conçue uniquement dans l’intérêt du client.
En second lieu, la clause litigieuse ne précise pas les modalités du processus de comparaison des prix. Il en résulte une incertitude quant au périmètre de la comparaison, les résultats de celle-ci pouvant varier selon les critères retenus (zone géographique, qualité des prestations…). Dans ces circonstances, une telle imprécision participe à renforcer les possibilités d’un abus de la part du client dont l’activation de la clause dépend.
En troisième lieu, le refus du client d’accepter la nouvelle proposition tarifaire n’est soumis à aucune justification et semble purement discrétionnaire. Il en résulte que le client peut tout à fait opposer un refus alors même que la nouvelle proposition tarifaire s’alignerait sur les prix du marché résultant de la comparaison. En ce sens, la clause litigieuse s’apparente fortement à une clause de résiliation unilatérale.
En quatrième lieu, réserver la faculté au client de résilier le contrat lorsqu’il refuse la nouvelle proposition tarifaire résultant du processus de comparaison lui confère nécessairement un moyen de pression sur son co-contractant. En effet, cela limite la liberté tarifaire du prestataire, qui s’expose à une résiliation unilatérale du contrat s’il pratique des prix supérieurs à 5 % de ceux du marché.
Enfin, l’ensemble des effets défavorables de la clause litigieuse s’inscrit dans le contexte d’un rapport de force dominé par le client. En effet, l’éditeur de logiciel réalise près de 40 % de son chiffre d’affaires grâce à cette relation commerciale de sorte qu’il n’apparait pas en mesure de s’opposer à l’application d’une telle clause.
Au vu des éléments qui précède, la clause litigieuse pourrait donc créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Néanmoins, le déséquilibre significatif doit donner lieu à une appréciation globale du contrat et non à une appréciation clause par clause, les juges n’ayant pas à retenir un tel déséquilibre dès lors que des clauses favorisant une partie sont compensées par d’autres[11]. Ainsi, les éléments portés à la connaissance de la Commission ne permettent pas une appréciation globale du contrat de sorte qu’il est impossible d’affirmer si la clause litigieuse déséquilibrée est en réalité compensée par d’autres clauses plus favorables au prestataire.
En conclusion, aux yeux de la Commission, la clause litigieuse pourrait être constitutive d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce sous réserve que deux conditions soient vérifiées, à savoir qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une négociation effective et que son effet défavorable pour le prestataire, tel qu’exposé ci-dessus, ne soit pas compensé par d’autres clauses du contrat.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 31 mars 2022, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 1er avril 2022,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Daniel TRICOT
[1] Cass. civ., 4 octobre 2016, n°14-28.013
[2] Sur ce point, voir notamment Com, 26 avril 2017, n°15-27.865 ; Com, 27 mai 2015, n°14-11.387 ; Com, 3 mars 2015, n°14-10.907
[3] CEPC, avis n°09-05, 5 mars 2009
[4] Com, 3 octobre 2016, n°14-28.013
[5] CA Paris, 16 mai 2018, n°17/11187
[6] CA Paris, 16 mai 2018, n°17/11187
[7] CA Paris, 24 juin 2016, n°13/20422
[8] CEPC, avis n°14-06, 30 septembre 2014
[9] Cass. com., 3 mars 2015, n°13-27.525
[10]Cass. com., 12 avril 2016, n°13-27.712
[11] CEPC, avis n°15-23 du 25 juin 2015