Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n°462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a transmis au tribunal administratif de Montpellier, en application de l’article
R. 351-8 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse, présentée par la SARL L’Inimitable.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 décembre 2020, 24 septembre 2021 et 10 janvier 2022, la SARL L’Inimitable, représentée par Me Mace, demande au tribunal de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, ainsi que la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er mars 2014 au 31 décembre 2015, en droits et pénalités.
Elle soutient que :
– la comptabilité n’a été rejetée que sur la seule absence de tickets de caisse ;
– la mesure par échantillonnage repose sur des sondages réalisés sur une période trop brève pour être représentative et le coefficient net global sur achats revendus de l’exercice 2017 ne pouvait pas être extrapolé sur plusieurs exercices ;
– la méthode de reconstitution pour l’exercice 2014 est sommaire et radicalement viciée car un coefficient propre à l’année 2014 aurait dû être déterminé, le vérificateur a ignoré les conditions réelles d’exploitation de la société qui a démarré son activité en avril 2014 avec une politique commerciale généreuse et a réalisé des travaux d’aménagement sur les premiers mois ;
– la méthode de reconstitution pour l’exercice 2015 est viciée car elle repose sur des postulats erronés et sur des contradictions dans la détermination du taux de perte, sans tenir compte de la diminution des ventes durant les trente jours du Ramadan ;
– si la méthode de reconstitution devait être retenue, il y a lieu de fixer le coefficient sur achats revendus à 2,39 car les calculs établis sur le sondage de 2017 ont été réalisés par application des tarifs de 2017 et non ceux en vigueur en 2014 ; le calcul de perte quotidienne de viande est erroné ; les repas pris par le personnel n’ont pas été pris en compte ;
– l’inscription au crédit du compte courant d’associé n’est pas constitutive d’un passif injustifié faute pour l’administration de prouver l’appréhension des sommes et le désinvestissement ;
– en l’absence d’appréhension et de désinvestissement des sommes qualifiées de distribuées, la demande de désignation des bénéficiaires n’est pas fondée et le service ne pouvait appliquer l’amende de 100% ;
– la majoration de 1,25 n’est pas motivée ;
– en l’absence de volonté délibérée d’éluder l’impôt, la majoration de 40% pour manquement délibéré n’est pas fondée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet et 15 novembre 2021, le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Viallet, rapporteure ;
– les conclusions de M. Baccati, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. La SARL L’Inimitable exploite une activité de restauration rapide spécialisée dans la vente de kebabs. Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle le service a procédé à une reconstitution de son chiffre d’affaires. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires a émis un avis favorable le 5 juillet 2018, et le service a mis à sa charge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés portant sur les exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er mars 2014 au 31 décembre 2015, dont elle demande la décharge.
Sur le bien-fondé de l’imposition :
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d’affaires :
2. Aux termes de l’article
L. 192 du livre des procédures fiscales : » Lorsque l’une des commissions ou le comité mentionnés à l’article L. 59 ou le comité prévu à l’article L. 64 est saisi d’un litige ou d’une rectification, l’administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l’avis rendu par la commission ou le comité. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l’imposition a été établie conformément à l’avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l’administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. () « .
3. Il résulte de l’instruction que l’examen de comptabilité de la société a révélé que l’état des stocks n’était pas détaillé, que les notes papier supportant les prises de commande n’étaient pas conservées, que l’absence de caisse enregistreuse, remplacée par un tiroir-caisse, n’a pas permis de délivrer des tickets de caisse aux clients, que seules les remises carte bleue journalières ont été portées en comptabilité, les recettes espèces étant globalisées par une écriture comptable en fin d’année, et que l’écriture enregistrée au journal des opérations diverses au 31 décembre 2014 laissait supposer un paiement en espèce des comptes fournisseurs. Ce faisant, le service apporte la preuve qui lui incombe de ce que la comptabilité de la SARL L’Inimitable comporte de graves irrégularités. Dès lors que l’imposition a été établie conformément à l’avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, la charge de la preuve de l’exagération des impositions incombe à la société requérante.
4. Il résulte de l’instruction qu’au cours des opérations de contrôle contradictoire, en l’absence de caractère probant de la comptabilité de la société, l’administration a demandé au gérant de fournir des informations dénombrant, sur une période la plus large possible, les ventes de chaque préparation utilisant de la viande kebab. La société a fourni des informations se limitant à la période du 13 au 22 juin 2017, à partir desquelles le service a reconstitué le chiffre d’affaires par application de la méthode des constantes, portant sur la proportion de viande kebab utilisée dans les différentes préparations du restaurant, permettant de déterminer, à partir des achats revendus, un coefficient net global pondéré à partir de données des entreprises comparables, soit un coefficient retenu de 2,51, extrapolé aux deux années vérifiées.
5. Pour contester la méthode de reconstitution, la société soutient en premier lieu que la mesure par échantillonnage repose sur des sondages réalisés sur une période trop brève pour être représentative. Toutefois, et alors que le service s’est appuyé sur les données fournies par la société elle-même sur la période qu’elle critique, elle n’apporte aucun élément susceptible de remettre en cause le caractère représentatif du sondage. En outre, il ne résulte pas de l’instruction que cette période ne serait pas représentative, avec une précision suffisante, de l’ensemble de l’activité de l’entreprise eu égard à son objet et à ses conditions d’exercice, identifiés contradictoirement durant la phase de contrôle, ainsi qu’en atteste le compte-rendu d’intervention du 7 juillet 2017.
6. En deuxième lieu, si la société soutient que le coefficient net global calculé en 2017 ne pouvait pas être extrapolé sur plusieurs exercices, et qu’un coefficient propre à l’exercice 2014 aurait dû être déterminé pour tenir compte des conditions réelles d’exploitation, il résulte de l’instruction que pour l’année 2014, l’administration a retenu un coefficient identique à celui de 2015 à défaut de pouvoir se fonder sur les données propres de l’entreprise sur la période vérifiée, en l’absence de justificatifs de recette ou de factures exploitables d’achat de viande. Enfin, en se bornant à produire un panneau publicitaire non daté portant la mention » frites à volonté « , la société ne justifie pas suffisamment de la politique d’offerts qu’elle affirme avoir pratiquée à l’occasion du lancement de son activité.
7. En troisième lieu, si la requérante soutient que pour l’année 2015 le service n’a pas pris en considération la diminution des ventes durant les trente jours du Ramadan, elle ne l’établit pas. En tout état de cause, il résulte de l’instruction, et notamment des termes du compte-rendu d’intervention du 7 juillet 2017 portant sur les conditions d’exploitation, que la société a indiqué au vérificateur que le restaurant est ouvert toute l’année sans discontinuité, avec » une fermeture exceptionnelle de quelques jours en 2015, durant la période du Ramadan. « , sans évoquer à cette occasion la teneur de la diminution des ventes qu’elle allègue.
8. En quatrième lieu, il résulte de l’instruction que les tarifs pris en compte par le vérificateur sont ceux de l’année 2017, soit un prix unitaire de cinq euros pour le Nan Kebab. Si le requérant soutient que le tarif en vigueur en 2014 était de 4,50 euros, il se borne à produire la photo d’un panneau publicitaire non daté des menus et tarifs. En l’absence d’éléments plus probants attestant du tarif unitaire appliqué, tels que des notes clients ou des doubles de tickets de caisse, c’est à bon droit que le service a retenu le prix unitaire de cinq euros.
9. En cinquième lieu, si la société soutient que le vérificateur a par erreur défalqué de la masse totale de viande crue le poids de perte quotidienne de viande cuite sans tenir compte du taux de perte de graisse à la cuisson, il ne résulte pas de l’instruction, et notamment des termes même du paragraphe III.2.4 » détermination de la masse de viande kébab crue servie en 2015 » de la proposition de rectification, que pour déterminer la viande crue servie réellement, le vérificateur se soit fondé sur le poids de perte en viande cuite. En outre, alors que le gérant, qui n’a d’ailleurs pas effectué les pesées convenues avec le vérificateur, avait estimé le poids de perte quotidien entre 3 et 4 kg pour les journées classiques, et jusqu’à 10 kg les week-ends et jours de fête, le vérificateur a retenu un poids total plus favorable à la société, à raison de 5 kg pour les jours classiques et 10 kg pour les jours de fête ou week-end.
10. En dernier lieu, si le requérant soutient que le service a omis de prendre en compte les repas pris par les douze salariés de la société, à raison de six repas par jours pendant 330 jours, au prix de 4,50 euros l’unité, ces éléments, qui au demeurant n’ont pas été portés à la connaissance de l’administration durant la phase de contrôle, ne sont pas établis.
11. Dans ces conditions, la société requérante n’apporte pas la preuve qui lui incombe de ce que la méthode de reconstitution serait excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe, ni du caractère exagéré des impositions supplémentaires mises à sa charge.
En ce qui concerne les sommes inscrites au crédit du compte-courant d’associé :
12. Aux termes de l’article 38 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article
209 du même code : » 1 () le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apports et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. () « . Il appartient au contribuable, pour l’application de ces dispositions, de justifier l’inscription d’une dette au passif de son bilan.
13. Il résulte de l’instruction qu’au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2014 la société a inscrit au crédit du compte courant d’associé de l’ancien dirigeant de la SARL L’Inimitable des sommes ayant pour contrepartie la réduction ou l’extinction de dettes de tiers de même montant, que l’administration fiscale a réintégrées dans le résultat imposable de cet exercice. Pour contester le bien-fondé de l’imposition, la société soutient d’abord que la dette » Ventura loyer » soldée pour un montant de 20 400 euros correspond à un chèque de garantie non encaissé remis à son bailleur, inscrite par erreur au crédit du compte courant d’associé consécutivement à » la gestion chaotique de l’ancien comptable « . Ensuite, si la société fait valoir que la dette » Elis » soldée pour un montant de 3 213,68 euros correspond à des factures contestées dont le montant a été finalement porté à 1 652,23 euros, réglé par chèque du 31 décembre 2014, débité le 8 janvier 2015, il résulte de l’instruction que la somme inscrite au compte-courant d’associé n’a pas été rectifiée à due concurrence. Enfin, si la société affirme que l’inscription au compte courant de la somme de 60 523 euros correspond au paiement en espèces des fournisseurs et salariés pour lesquels il n’existe aucune réclamation, il résulte de l’instruction que ce montant, sans lien avec l’absence d’affectation alléguée des règlements concernés, demeure injustifié.
14. Dans ces conditions, la société, qui ne justifie pas de l’inscription de ces dettes au passif de son bilan, n’est pas fondée à critiquer la réintégration de ces sommes dans le résultat imposable de l’exercice clos le 31 décembre 2014.
En ce qui concerne la majoration d’assiette :
15. Aux termes de l’article
158 du code général des impôts : » 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l’impôt selon les modalités prévues à l’article 197, est multiplié par un coefficient de 1,25. Ces dispositions s’appliquent : () 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l’article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l’article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l’article 109 résultant d’une rectification des résultats de la société distributrice ; () « .
16. En l’espèce, la société ne saurait utilement se prévaloir d’un défaut de motivation de la majoration de 1,25 prévue par les dispositions précitées dès lors qu’il résulte de l’instruction, et ainsi que l’administration le fait valoir en défense, que cette majoration ne lui a pas été appliquée.
Sur les pénalités :
17. En premier lieu, aux termes de l’article
1759 du code général des impôts : » Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l’intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l’identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. () « .
18. La requérante ne saurait utilement soutenir que la demande de désignation des bénéficiaires n’était pas fondée en raison de l’absence de désinvestissement, expliquant ainsi son absence de réponse, dès lors que la circonstance qu’une société conteste formellement le bien-fondé des réintégrations envisagées en matière d’impôt sur les sociétés ne la dispense pas de répondre à la demande de désignation des bénéficiaires de la distribution des sommes contestées.
19. Dès lors, c’est à bon droit que l’administration fiscale a fait application de l’amende prévue par les dispositions de l’article
1759 du code général des impôts.
20. En second lieu, aux termes de l’article
1729 du code général des impôts : » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État entraînent l’application d’une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré () « . Aux termes de l’article
L. 195 A du livre des procédures fiscales : » En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l’administration. « . Pour établir l’existence d’un manquement délibéré, l’administration doit apporter la preuve, d’une part, de l’insuffisance, de l’inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d’autre part, de l’intention de l’intéressé d’éluder l’impôt.
21. Pour justifier l’application de la pénalité de 40% pour manquement délibéré, l’administration fiscale s’est fondée sur les insuffisances de déclaration en matière de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er mars 2014 au 31 décembre 2015, sur l’importance de la taxe sur la valeur ajoutée éludée par la minoration du chiffre d’affaires des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, sur l’importance des recettes omises et des apports non justifiés de ces mêmes exercices et sur les motifs qui l’ont amenée au rejet de la comptabilité. Ce faisant, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l’intention délibérée de la société de se soustraire à l’impôt et, par suite, du bien-fondé de l’application des pénalités pour manquement délibéré.
22. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles la SARL L’Inimitable a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, ainsi que celles en décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er mars 2014 au 31 décembre 2015, doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL L’Inimitable est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SARL L’Inimitable et au directeur départemental des finances publiques de la Haute-Garonne.
Délibéré après l’audience du 30 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rabaté, président,
Mme Moynier, première conseillère,
Mme Viallet, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2023.
La rapporteure,
ML. VialletLe président,
V. Rabaté
Le greffier,
F. Balicki
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 14 février 2023,
Le greffier,
F. Balicki
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