Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/16078

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Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/16078
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 23 FEVRIER 2023

N° 2023/

CM/FP-D

Rôle N° RG 19/16078 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFBCU

SA ERNESTO VENTOS

C/

[Y] [T]

Copie exécutoire délivrée

le :

23 FEVRIER 2023

à :

Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau D’AIX-EN-

PROVENCE

Me Aurélie LAVERSA-

VINCENT, avocat au barreau de GRASSE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de GRASSE en date du 13 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 16/00905.

APPELANTE

SA ERNESTO VENTOS , demeurant [Adresse 2] – ESPAGNE

représentée par Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [Y] [T], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Aurélie LAVERSA-VINCENT, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine MAILHES, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Février 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Février 2023

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 5 janvier 2015, M. [T] (le salarié) a été embauché par la SAS Prodasynth selon contrat à durée déterminée du 5 janvier au 5 juillet 2015 en qualité de magasinier. Le contrat a été renouvelé du 5 juillet 2015 au 5 janvier 2016.

Le 1er août 2015, le salarié a été engagé par la société Ernesto Ventos, appartenant au même groupe, selon contrat à durée indéterminée.

La société Ernesto Ventos a pour activité le dépôt et le stockage de matières aromatiques.

Par courrier du 25 avril 2016, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire.

Il a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement.

Par courrier du 26 mai 2016, le salarié a été licencié pour faute grave.

Le 28 octobre 2016, M. [T], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse aux fins de voir dire que le licenciement est abusif car sans cause réelle et sérieuse et voir la société Ernesto Ventos condamnée à lui verser un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire (1838,51 euros) et l’indemnité de congés payés afférente, une indemnité compensatrice de préavis (2.091,11 euros) et l’indemnité de congés payés afférente, une indemnité légale de licenciement (581,69 euros), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (16.728,88 euros), une indemnité pour procédure irrégulière (2.091,11 euros) outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (3.000 euros).

La société Ernesto Ventos a été convoquée devant le bureau de conciliation et d’orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 2 novembre 2016.

M. [T] a sollicité en outre la condamnation de la société au verserment d’une somme de 10.000 euros pour lienciement abusif et vexatoire, harcèlement moral et discrimination à raison de son état de santé.

La société Ernesto Ventos s’est opposée aux demandes du salarié.

Par jugement sur départage du 13 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Grasse a:

déclaré que le licenciement de M. [T] est dépourvu de faute grave de cause réelle et sérieuse ;

condamné la société Ernesto Ventos à verser à M. [T] suivantes :

2080,79 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire outre 208,07 euros à titre de congés payés afférents,

2091,11 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

2091,11 euros à titre d’indemnité de préavis outre 209,11 euros à titre de congés payées afférents,

592,48 euros à titre d’indemnité de licenciement,

1250 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamné la société Ernesto Ventos à payer à M. [T] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Ernesto Ventos aux dépens de l’instance ;

ordonné le remboursement par la société Ernesto Ventos à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] du jour du licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d’indemnité de chômage ;

prononcé l’exécution provisoire du jugement ;

rejeté toutes les autres demandes.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 17 octobre 2019, la société Ernesto Ventos a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 19 septembre 2019, aux fins d’infirmation en ce qu’il a déclaré le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [T] les sommes suivantes : 2080,79 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et 208,0 7 euros à titre de congés payés afférents au rappel de salaire ‘ 2091,11 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ‘2091,11 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 209,11 euros à titre de congés payés y afférents ‘ 592,48 euros à titre d’indemnité de licenciement ‘ 6250 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ‘ 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de l’instance et à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versé à M. [T] du jour du licenciement au point de jour du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnité de chômage, le tout avec exécution provision.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 25 juillet 2020, la société Ernesto Ventos demande à la cour de réformer la décision dont appel en toutes ses dispositions contestées, et de :

à titre principal sur le licenciement,

juger régulier en la forme le licenciement intervenu,

juger bien fondé le licenciement pour faute grave,

débouter M. [T] de toutes ses demandes,

sur l’appel incident du salarié,

débouter l’intimé de ses demandes de nullité du licenciement,

débouter l’intimé de sa demande fondée sur le caractère prétendument vexatoire du licenciement,

débouter l’intimé de sa demande d’augmentation à 6 mois de salaire brut l’indemnité allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

subsidiairement sur les condamnations indemnitaires prononcées pour licenciement injustifié,

réduire à un mois de salaire brut l’indemnité versée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

réformer la condamnation prononcée sur le fondement de l’article L. 1235 ‘ 4 du code du travail,

condamner M. [T] aux entiers dépens ainsi qu’à la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 6 décembre 2022, M. [T] ayant fait appel incident, demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté la nullité du licenciement et rejeté la demande de M. [T] pour dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

et statuant à nouveau,

dire et juger nul le licenciement à raison d’une discrimination liée à son état de santé,

en conséquence,

porter la condamnation des dommages-intérêts pour licenciement nul à la somme de 16’722 8,88 euros,

en tout état de cause

porter la condamnation des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12’546, 66 euros,

condamner la société Ernesto Ventos à lui payer la somme de 10’000 euros en réparation de son préjudice moral pour licenciement vexatoire ;

condamner la société Ernesto Ventos à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

la condamner aux entiers dépens et au paiement des sommes qui pourraient être retenues par huissier de justice en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001.

La clôture des débats a été ordonnée le 26 décembre 2022 et l’affaire a été évoquée à l’audience du 9 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la rupture du contrat de travail

Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave du 26 mai 2016 qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié les faits suivants :

‘(…)

EN PREMIER LIEU, SUR VOS ABSENCES REPETEES ET INJUSTIFIEES

Depuis votre entrée dans l’entreprise, nous avons enregistré un grand nombre de retards et d’absences qui n’ont jamais été sanctionnés, pour lesquels vous aviez simplement fait l’objet d’avertissements oraux.

En effet, vos absences réitérées n’ont été sanctionnées qu’à partir du 4 avril 2016.

Sur vos absences injustifiées des 4 et 5 avril

Vous avez été absent les journées des 4 et 5 avril sans fournir de justification probante.

En effet, de retour le 6 avril vous aviez d’abord évoqué « l’accident grave d’un cousin’. Nous

avons alors sollicité la production d’un justificatif, pièce que vous ne fournirez jamais.

Redoutant vraisemblablement qu’une sanction soit prise à votre encontre, vous avez ensuite produit une attestation médicale datée du 15 avril afin de justifier rétroactivement de vos absences des 4 et 5. Or, d’une part ce délai de 10 jours est anormalement long, d’autre part la contradiction est patente entre le motif d’absence initial qui était (( accident d’un cousin» (un motif de nature personnelle) et ce motif « d’état anxiogène » qui lui est de nature médicale.

Sur ce point, vous n’avez été honnête ni avec votre employeur ni avec votre médecin et avez

obtenu, in fine, un certificat de complaisance.

Puis vous soutiendrez dans le même temps avoir été victime de faits de harcèlement.

En tout état de cause, vu la tardiveté de l’envoi de l’attestation, vu l’absence d’original, vu le délai

étonnamment long de 10 jours et vu la contradiction de motifs, nous considérons vos absences du 4 et 5 avril comme étant des absences injustifiées.

Sur votre absence injustifiée du 11 avril

Vous vous êtes absenté une nouvelle fois le lundi 11 avril. Or un arrêt de travail nous parviendra

seulement pour la période du 12 au 24 avril.

La journée du 11 avril est donc restée injustifiée. Vous évoquerez là-encore des faits de harcèlement.

Sachez que vos absences ont lourdement désorganisé le magasin étant entendu que vous faites partie d’une équipe de seulement 2 personnes.

Le magasin a fonctionné à 50% occasionnant d’importantes difficultés dans le iivraisons, ce malgré les heures supplémentaires effectuées par le personnel chargé de vous remplacer.

Nous avons par la suite été contraints d’embaucher une personne en intérim, et même une deuxième en remplacement du premier faute de savoir à quelle date vous envisagiez de reprendre le travail.

Ces absences imprévues ont lourdement entravé la bonne marche du magasin. Sur ce point vous auriez pu faire preuve d’élégance en nous informant immédiatement de la teneur de vos absences afin que nous puissions prendre nos dispositions et éviter ces inutiles perturbations.

Ces absences répétées sont de nature à entraîner votre licenciement pour faute grave en raison des perturbations occasionnées qui nous ont contraints à rechercher des palliatifs pour assurer la continuitéIde votre travail, aussi en raison de l’absence de justificatif en dépit de nombreuses mises en demeure et de la production d’un certificat de complaisance.

EN SECOND LIEU, SUR LES CONSOMMATIONS DE STUPEFIANTS DANS L’ENCEINTE DE L’USINE

Depuis votre retour du 6 avril, vous avez prétendu être victime de faits de harcèlement.

Ces accusations étant très graves, nous avons réuni et entendu l’ensemble de vos collègues, entendu aussi le médecin du travail, et comme nous le pensions aucun fait de cette nature ne s’est déroulé.

C’est à cette occasion que vos collègues nous ont rapportés que vous consommiez des stupéfiants au sein même de l’usine, pendant vos heures de travail, des substances que vous auriez vous-même introduites.

Ces faits sont d’une nature extrêmement grave car au-delà de l’interdiction absolue de fumer à l’intérieur des installations, vous manipulez quotidiennement des produits dangereux et inflammables, ce qui implique de disposer de toutes vos capacités physiques et psychiques. Par ces actes totalement inconscients vous avez mis en péril la sécurité de l’usine, la vôtre et celle de vos collègues.

C’est dans ce contexte que nous avons décidé de vous mettre à pied à titre conservatoire le 25 avril, votre retour étant inenvisageable sans un avis médical.

Par ailleurs, Mme [W], membre de la direction, vous a croisé le 7 avril et a constaté que vous trembliez anormalement des mains alors qu’elle ne vous avait jamais vu dans cet état.

Vos collègues ont eux aussi constaté un changement de comportement et une nervosité inhabituelle.

Or nous avons appris également que vous aviez décidé, sur la fin, d’arrêter la consommation de

stupéfiants; ce sevrage est certes tout à votre honneur, néanmoins cette information est aussi de nature à mieux nous éclairer sur l’origine de vos tremblements et des ennuis de santé que vous évoquez depuis le mois d’avril surtout que jusqu’ici nous n’en comprenions strictement pas la cause (le lien avec le harcèlement n’ayant convaincu que vous).

Ces faits sont eux-aussi de nature à justifier votre licenciement pour faute grave.

EN TROISIEME LIEU, SUR LES ACCES INFORMATIQUES NON AUTORISES

Nous avons constaté que vous avez fait usage de l’ordinateur de M. [Z] le 6 avril, que vous avez consulté sa messagerie pendant son absence, sans autorisation et manifestement par ruse. Par ailleurs vous aviez parfaitement anticipé cette incursion puisqu’elle est survenue la veille de votre départ définitif

Nous vous rappelons que vous êtes tenu d’une obligation de loyauté, or cette messagerie contenait des données et des échanges à caractère très confidentiel. Nous avons appris cette intrusion à la suite de vos propres déclarations où vous évoquiez un échange d’email entre M. [Z] et Mme [W] vous concernant, puis par le biais des journaux de connexions Windows et Gmail où il apparait effectivement des connexions étrangères à celles des heures de M. [Z].

Vous êtes informé qu’en cas de divulgation de données confidentielles acquises à cette occasion, vous ferez immédiatement l’objet de poursuites pénales.

Votre licenciement pour faute grave se justifie également sur ce point.

SUR LA MISE A PIED CONSERVATOIRE

Votre mise à pied conservatoire est confirmée, elle a débuté le 25/04/2016 et s’achèvera à la date de votre licenciement.

SUR LES FAITS DE HARCELEMENTS

Depuis votre message électronique du 07/04/2016, vous dites avoir été victime de faits de harcèlements.

Ces accusations grotesques ne méritent aucune réponse.

SUR VOTRE COMPORTEMENT

En revanche votre comportement depuis le 4 avril a été méprisable de bout en bout, méprisable et surtout inexplicable, car si vous souhaitiez quitter l’entreprise pourquoi alors ne pas avoir prévenu votre direction plutôt que d’inventer de telles histoires. Des indemnités complémentaires auraient même pu vous être octroyées, c’est ainsi que nous procédons habituellement et nous organisons parfois même un pot de départ.

Peut-être avez-vous cru que les tribunaux étaient des casinos où l’on pouvait facilement gagner de l’argent rien qu’en prononçant le mot « harcèlement »

Votre comportement est absolument inexplicable.

Concernant vos difficultés de santé, nul besoin d’être médecin pour constater qu’elles sont strictement sans rapport avec vos conditions de travail.

Si vous souhaitez poursuivre dans cette voie, nous vous suggérons de vous rapprocher d’un avocat spécialiste en droit social ou pénal afin de vous guider véritablement aux mieux de vos intérêts.

Nous attirons enfin votre attention sur le fait qu’une plainte risque d’être déposée par votre employeur pour usage de stupéfiants.

Par l’ensemble de ces motifs nous prononçons votre licenciement pour faute grave. Celui-ci prend effet immédiatement sans indemnité de préavis ni de licenciement conformément aux dispositions du code du travail (…)’.

1- Sur la procédure de licenciement

La société fait grief au jugement de la condamner à une indemnité pour procédure irrégulière alors que :

– le délai a été respecté dès lors que le report de l’entretien préalable du 9 mai au 12 mai 2016, acté par une seconde convocation, a été demandé par le salarié ; le délai de convocation de 5 jours court à compter de la première convocation et l’employeur n’est pas tenu d’adresser une seconde convocation mais seulement d’aviser en temps utile et par tous moyens le salarié des nouvelles date et heure de l’entretien préalable ;

– le salarié ne justifie d’aucun préjudice que ce soit dans le cadre de la seule application de l’article L.1235-2 du code du travail que de celle de l’application combinée des dispositions des articles L.1235-2 et L.1235-5 du code du travail.

Le salarié qui conclut à la confirmation de ce chef de jugement soutient que :

– le délai de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre, issu de l’article L.1232-2 du code du travail n’a pas été respecté et que ce délai s’applique en cas de report à l’initiative de l’employeur ;

– le report de la date de l’entretien préalable est imputable à l’employeur et l’employeur ne justifie pas qu’il a été à l’initiative du salarié.

Il résulte des dispositions de l’article L.1232-2 du code du travail, que l’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 3 mai 2016, présenté le 7 mai 2016 au salarié, l’employeur a reporté la date de l’entretien préalable au jeudi 12 mai 2016 à 11H30 en indiquant : ‘Suite à votre appel téléphonique mais aussi en raison du fait qu’un deuxième rendez-vous médical à la médecine du travail nous paraît opportun avant d’envisager toute éventuelle sanction à votre encontre, nous vous invitons à vous présenter à notre bureau (…)le temps qu’un nouveau rendez-vous vous soit proposé par le médecin.’

Il ne ressort aucunement de ce courrier que le salarié a sollicité le report de l’entetien préalable mais que la décision de report a été prise à l’initiative de l’employeur, en sorte que l’employeur ne peut se prévaloir de la date de présentation de la première convocation.

Au regard de la présentation le samedi 7 mai 2016 pour l’entretien le jeudi 12 mai 2016, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le délai de 5 jours ouvrables n’avait pas été respecté et que la procédure de licenciement était irrégulière.

Pour autant, il appartient au salarié de justifier le préjudice qu’il a subi à raison de ce manquement. Aussi, dès lors que le salarié a reconnu dans ses conclusions (page 8) ne pas s’être présenté à l’entretien préalable compte tenu de son état de santé et des difficultés rencontrées avec son employeur, il ne caractérise ni justifie de la réalité du préjudice subi.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Ernesto Ventos au paiement d’une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement.

La demande est rejetée.

2- Sur la nullité du licenciement

Le salarié conteste le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté sa demande tendant à déclarer le licenciement nul en faisant valoir que :

– la mesure de licenciement est discriminatoire pour avoir été prise à raison de son état de santé

comme il ressort explicitement du courrier de mise à pied conservatoire ;

– il a fait l’objet d’un harcèlement moral qui s’est manifesté par des mesures de représailles à compter du jour où il a dénoncé à son employeur les agissements de son collègue M. [Z] à son encontre (courriers lui reprochant des absences datant de plus d’un an le 11 avril 2016), par la mise à pied conservatoire fondée sur son état de santé, par le ton ironique utilisé par l’employeur dans ses courriers et le manque de considération.

La société reprend à son compte la motivation des premiers juges qui ont dit que :

la lecture de la lettre ayant pour objet la mise à pied conservatoire visait la consommation de stupéfiants à l’intérieure de l’usine ajoutant que le salarié se trouvant dans un état de santé fragilisé, son retour au travail était susceptible de constituer un risque pour sa sécurité et celle de ces collègues ;

le contenu de cette lettre ne permettait pas de retenir un motif discriminatoire lié à son été de santé.

1-1- Sur la discrimination

Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte telle que définie par l’article1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération au sens de l’article L 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L’article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La lettre de mise à pied conservatoire du 25 avril 2016 mentionne que :

‘(…) En effet, nous avons appris durant votre absence pour maladie que vous avez fait usage de stupéfiants à l’intérieur de l’usine, à de multiples reprises, pendant vos heures de travail, des substances que vous auriez vous-même introduites dans l’enceinte. Dans la mesure où votre état de santé s’est fragilisé ces derniers temps (tremblement, nervosité) et que plusieurs personnes ont bien constaté ce changement, y compris votre direction, nous pensons que votre retour serait de nature à remettre sérieusement en question votre sécurité mais aussi la sécurité de vos collègues de travail eu égard à la nature des produits que vous manipulez et à la dangerosité que représentent nos installations. Ces faits étant de nature particulièrement grave, vous aurez bien entendu l’occasion de vous en justifier à l’occasion d’un prochain entretien (…)’

A la lecture de ce courrier, la mise à pied conservatoire est fondée expressément sur l’état de santé du salarié, même partiellement.

Il s’ensuit que cet élément de fait laisse supposer que la mesure de licenciement dont les motifs visent également les tremblements de mains du salarié et les ennuis de santé dont ce dernier faisait état à l’employeur, est fondée sur son état de santé.

Et l’employeur ne justifie par aucun élément que la mise à pied conservatoire est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il s’ensuit que le licenciement est discriminatoire. Il sera en conséquence déclaré nul.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a dit qu’il a rejeté la demande de nullité du licenciement et en ce qu’il a déclaré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

1- Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul

En conséquence de la nullité du licenciement, le salarié qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, au moins égale à six mois de salaire.

Le salaire mensuel brut de 2.091,11 euros invoqué par le salarié n’est pas discuté par l’employeur.

Le salarié se prévaut d’une ancienneté d’une année et cinq mois alors que l’employeur se prévaut d’une ancienneté de 10 mois tout au plus.

Le contrat de travail établi avec la société Ernesto Ventos n’a pas repris l’ancienneté de M. [T] au sein du groupe de sociétés auquel la société Ernesto Ventos et la société Prodasynth appartenaient, en sorte que l’ancienneté du salarié ne court qu’à compter du 1er août 2015 et non du 5 janvier 2015. Le salarié avait donc une ancienneté de 9 mois et 25 jours.

Compte tenu du salaire mensuel brut dont le montant de 2.091,11 euros n’est pas discuté, de son âge au jour de son licenciement (29 ans), de son ancienneté à cette même date (9 mois et 25 jours), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient d’indemniser le salarié en lui allouant la somme de12.054,97 euros bruts au titre de la perte illicite de son emploi.

La société Ernesto Ventos sera donc condamnée à lui verser une indemnité de 12.054,97 euros pour licenciement nul et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Ernesto Ventos au paiement de la somme de 6 250,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2- Sur l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité compensatrice de congés payés afférente

Le salarié dont le licenciement est nul peut prétendre aux indemnités de rupture.

Compte tenu de l’ancienneté de 9 mois et 25 jours, le salarié a droit, au regard de la nullité du licenciement, à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à un mois de salaire soit à la somme de 2 091,11 euros outre à une indemnité compensatrice de congés payés afférente de 209,11 euros.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Ernesto Ventos au paiement de ces sommes.

3- Sur l’indemnité de légale de licenciement

En application des dispositions légales, le salarié qui avait moins d’un an d’ancienneté au moment de la rupture sera débouté de sa demande d’indemnité de licenciement.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il condamné la société Ernesto Ventos à payer la somme de 592,48 euros.

4- Sur la mise à pied conservatoire

Compte tenu de la nullité du licenciement, le salarié est en droit de prétendre au paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire injustifiée. Le jugement dont les sommes accordées ne sont pas discutées au titre du rappel de salaire et d’indemnité de congés payés afférente sera confirmé sur ces chefs.

5- Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Le salarié conteste le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, en faisant valoir qu’il a subi un préjudice distinct de la perte de l’emploi à raison de circonstances brutales et vexatoire liées à la violence dans laquelle le contrat a été rompu et résultant de la seule lecture de la lettre de licenciement outre de ce que l’employeur a prétendu qu’il aurait été incarcéré, faisant preuve de dénigrement à son encontre.

La société conclut à la confirmation du jugement déféré en reprenant à son compte la motivation du juge départiteur, étant précisé qu’elle est limitée à l’affirmation selon laquelle le licenciement n’est pas intervenu dans un processus vexatoire.

La teneur même des propos tenus par l’employeur au sein de la lettre de licenciement, lequel considère comme des accusations grotesques ne méritant aucune réponse, les dénonciations de fait de harcèlement moral et qualifie de méprisable de bout en bout le comportement du salarié depuis le 4 avril, établit que les circonstances entourant le licenciement ont été brutales et vexatoires. Celles-ci ont causé au salarié un préjudice moral qui sera entièrement réparé par la somme de 700 euros à titre de dommages et intérêts que la société sera condamnée à lui verser.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur le remboursement des indemnités chômages à Pole emploi

Les dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail dans sa version applicable au litige ne sont pas applicables en cas de nullité du licenciement.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement par la société Ernesto Ventos à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] du jour du licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite du mois d’indemnité de chômage.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société Ernesto Ventos succombant sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire bénéficier M. [T] de ces mêmes dispositions et de condamner la société Ernesto Ventos à lui verser une indemnité de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de 1 000 euros complémentaire au titre de l’appel.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces chefs et il y sera ajouté concernant l’appel.

Il résulte de l’application des articles R. 444-52, R. 444-53, 3° et R. 444-55 du code de commerce, que lorsque le recouvrement ou l’encaissement est effectué sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance née de l’exécution d’un contrat de travail, le versement d’une provision avant toute prestation de recouvrement ne peut pas être mise à la charge du créancier, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à faire supporter par l’employeur en cas d’exécution forcée du présent arrêt le droit proportionnel dégressif mis à la charge du créancier.

Le salarié sera débouté de sa demande en paiement des sommes qui pourraient être retenues par l’huissier de justice en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001.

Il sera ajouté à ce titre au jugement.

 

 


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