Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00494

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Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00494
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N° RG 21/00494 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IVRT

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 23 FEVRIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 12 Janvier 2021

APPELANTE :

Société DUHAMEL LOGISTIQUE

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Yves MAHIU de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Charlotte CRET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame [VM] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Emilie BLAVIN de la SELARL EB AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/002633 du 22/11/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 11 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 11 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 Février 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 23 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [D] a été embauchée par la société Duhamel logistique sous contrat à durée déterminée en qualité de préparatrice de commandes du 1er novembre au 31 décembre 2014, puis, la relation contractuelle s’est poursuivie à durée indéterminée.

Mise à pied à titre conservatoire à compter du 27 mai 2019, Mme [D] a été licenciée pour faute grave le 17 juin 2019 dans les termes suivants :

‘Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave.

Embauchée au sein de notre entreprise depuis le 1er novembre 2014, vous occupez les fonctions de préparatrice de commandes sur le site 5. A ce titre votre rôle est d’assurer la préparation des commandes, l’emballage et la manutention des articles.

Le 22 mai 2019, une lettre anonyme a été envoyée à la délégation unique du personnel. Cette lettre décrit des incohérences et des comportements inadaptés en entreprise de la part de certains collaborateurs du site 5.

Suite à la réception de cette dernière, les membres de la délégation unique du personnel et la direction se sont réunis le jeudi 23 mai matin afin d’échanger sur le sujet. Au regard des différents témoignages, il en est ressorti que les plaintes décrites dans la lettre visaient très certainement Mme [T] [G] et vous-même.

A la suite de cette réunion, certains membres de la délégation unique du personnel ainsi que [K] [P] (directeur général) et [OY] [N] (responsable d’exploitation) se sont rendus sur le site 5 afin de recueillir l’avis des salariés du site 5 concernant les situations exposées dans la lettre reçue la veille.

Deux groupes ont ainsi été constitués (tous composés d’un membre de la direction et de deux membres de la délégation unique du personnel) et ont reçu tous les salariés présents du site 5.

Lors de ces rendez-vous, chaque groupe a lu la lettre anonyme à chaque salarié puis a demandé à ces derniers de s’exprimer sur cette dernière. Chacun a pu donner son avis et commenter les écrits.

Vous avez également été entendue et amenée à vous exprimer concernant ladite lettre.

Initialement la lettre anonyme exposait des écarts de productivité entre collaborateurs et des faits de non-respect du règlement intérieur (utilisation abusive du téléphone portable et non-respect des horaires de travail).

Néanmoins, lors de ces entretiens, les collaborateurs du site 5 se sont livrés sur des points bien plus importants et nous ont informés de faits répétés suffisamment importants et graves constitutifs de harcèlement moral de votre part.

Le temps de la procédure et afin d’écarter tout risque pour nos salariés, le 27 mai 2019 à 8h00 vous avez été reçue par [K] [P] (directeur général) et [A] [C] (responsable ressources humaines), accompagnée de [O] [I] et [H] [M] en leur qualité de représentant du personnel. Nous vous avons alors expliqué les faits rapportés par vos collègues ainsi que leur impact puis nous vous avons notifié votre mise à pied à titre conservatoire le temps de faire une enquête approfondie.

A la suite, les salariés du site 5 ont été invités à préciser leur témoignage recueillis lors des entretiens relatifs à la lettre anonyme. Ces derniers ont confirmé par écrit des faits suffisamment graves à votre encontre.

Par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée le 29 mai 2019 et reçue le 31 mai suivant, nous vous avons convoquée à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave ; entretien prévu le 11 juin 2019 auquel vous vous êtes présentée accompagnée de Mme [O] [I], membre titulaire de la délégation unique du personnel.

Au cours de cet entretien les témoignages vous ont été lus et vous avez pu vous exprimer sur les attestations écrites de vos collègues recueillis lors des différents entretiens.

Les explications recueillies auprès de vous lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

En effet, les faits relatés par vos collègues et qu’ils ont confirmés à l’écrit sont graves. Ces derniers évoquent notamment des propos vexatoires et insultants ainsi qu’une pression mentale constante de votre part, à leur égard ou envers le personnel intérimaire.

Au-delà de la pression mentale que vous faites subir à vos collègues, ces derniers nous ont majoritairement fait part de moqueries, d’insultes et d’attaques verbales dont ils ont été victimes ou témoins à plusieurs reprises.

Ces dernières étant toujours proférées à haute voix, devant témoins, au milieu de l’entrepôt. Les personnes attaquées se sentant ainsi humiliées devant une partie de leurs collègues.

Plusieurs faits similaires et à l’encontre de personnes différentes nous ont ainsi été remontés pendant les premiers entretiens puis confirmés à l’écrit.

Ainsi, il est apparu que lorsqu’il vous a été demandé, en avril dernier d’aider sur le déménagement du client Jimmy Fairly, vous avez rétorqué, toujours devant témoins et de façon audible : ‘non, je ne bosse pas avec ces connasses’.

Vous avez ainsi clairement affiché votre mépris et un manque de respect vis-à-vis de vos collègues.

Votre manque de respect vis-à-vis des salariés habituellement affectés au client Jimmy Fairly s’est répété lorsque vous les avez qualifiés de ‘troupeau qu’on ne reverra bientôt plus’ (le client étant sur le départ et vos collègues en fin de contrat à durée déterminée ou en mutation inter site); sans oublier au préalable de rappeler à vos collègues d’apporter des croissants pour leur départ. Votre ton moqueur ainsi que les rires qui accompagnaient vos dires n’ont pas échappés à vos collègues présents au moment des faits.

L’équipe Jimmy Fairly n’est pas la seule à avoir fait l’objet d’un manque de respect et de considération de votre part.

L’équipe réception/expéditions/stocks de votre site a également été visée à plusieurs reprises.

Ainsi, ‘retourne bosser avec ton équipe de merde’. Tels sont les propos que vous tenez pour qualifier vos collègues. Tel que remonté par vos collègues et confirmé à l’écrit, ce terme ainsi que ceux de ‘traine-cul’ et ‘faignasse’ reviennent régulièrement lorsque vous désignez l’équipe de réception et ses membres.

Comme nous vous l’avons indiqué lors de votre entretien, un de vos collègues cariste atteste avoir été régulièrement et particulièrement visé par vos propos insultant, ce qui a été confirmé par écrit par un autre salarié.

Nous avons également découvert qu’une de vos collègues du service réception a été menacée verbalement lors d’une réunion quotidienne à laquelle l’ensemble des salariés et intérimaires du site sont conviés le matin à 8h00. Vous lui avez ainsi dit : ‘si elle ferme pas sa gueule je vais lui mettre une tarte dans la gueule à cette grosse vache’.

Les adjectifs que vous utilisez pour qualifier vos collègues (ou leur famille rencontrée lors d’une soirée d’entreprise) ne manquent pas et sont toujours insultants : ‘[KA]’, ‘[L]&[E]’, ‘[S]’, ‘Le saucisson roti’, ‘(…) avec sa robe de pute’, etc…

Pour finir, une de vos collègues, déjà visée par des menaces verbales (‘si elle ferme pas sa gueule je vais lui mettre une tarte dans la gueule à cette grosse vache’), affirme avoir été victime d’agression physique.

Ainsi, elle atteste qu’à plusieurs reprises vous lui avez ‘foncé’ dessus avec votre chariot de préparation, dans les pickings, faisant ainsi tomber les produits qu’elle était en train de préparer et qui se trouvait dans son chariot de préparation. Si cela aurait pu être assimilé à de l’inattention, vous avez réitéré ce geste à deux ou trois reprises et ne vous êtes jamais excusée. Vous n’avez pas non plus voulu aider votre collègue à ramasser ses produits mais au contraire l’avez laissée seule dans l’allée.

Lors de son entretien une de vos collègues rapporte également qu’en étant affectée au même client que vous elle a subi une pression constante de votre part, des jugements perpétuels et une intolérance à l’erreur. Elle souligne ‘le moindre défaut m’était imputé par ses soins, j’ai eu le sentiment d’être incapable de bien faire mon travail, d’être constamment surveillée’. Cette collègue précise qu’étant ‘préparatrice sur le même client, j’ai travaillé un an avec un stress quotidien’.

En période de forte charge, comme se fut le cas au dernier trimestre 2018, le site 5 était dotée d’une équipe du matin constituée de salariés volontaires. Vous faisiez partie de ces volontaires. Occasionnellement, lorsque le flux de commandes le nécessitait, une collaboratrice, embauchée en contrat à durée déterminée venait renforcer l’équipe du matin. Un jour, sur un ton agacé vous lui avez souligné son manque d’expérience en lui disant, ‘à quoi ça sert de venir à 6h00 s’il reste encore tout ça à emballer”. Face à votre attitude, votre collègue s’est sentie rabaissée et a pleuré pendant sa pause, devant d’autres collaborateurs du site dont l’une nous l’a appris lors de son entretien et nous l’a confirmé par écrit.

Vos collègues salariés de la société Duhamel logistique ne sont pas les seuls à avoir subi vos agissements.

En effet, une de vos collègues a attesté de la façon dont vous parliez au personnel intérimaire en charge de la production du client My Vity Box : ‘Sortez-vous les doigts du cul’ ou encore ‘bougez-vous le cul’. Cette même collègue a également attesté que de nombreux intérimaires pleuraient face à cette pression et ce manque de respect.

Votre dénigrement pour le personnel intérimaire était constant et répété. Vos collègues attestent vous avoir entendu dire à plusieurs reprises et à haute voix que ‘les intérimaires ne servent à rien et qu’ils font que de la merde’.

L’ensemble des fais relatés par vos collègues sont graves. Nous ne pouvons tolérer un tel comportement au sein de notre entreprise. De plus, vos actes inacceptables ont eu des conséquences sur la santé et l’intégrité de vos collègues.

En effet, lorsqu’ils expliquent les faits qu’ils ont subi de votre part, vos collègues soulignent avoir pris les initiatives suivantes :

– ‘J’ai fini par prendre mes pauses dans mon bureau, je ne voulais plus sortir (…) elle réussissait à isoler sa victime’,

– ‘J’ai pensé à démissionner’,

– ‘J’ai souvent eu envie de m’arrêter mais être absente m’angoisser encore plus car je ne pouvais pas maîtriser ses dires’,

– ‘Chaque personne au sein de notre entreprise a un jour été humiliée, critiquée voire persécutée par cette femme’,

– ‘Nous sommes tous venus travaillé avec la boule au ventre en appréhendant chaque lendemain’,

– ‘J’ai réussi à passer outre parce que je suis forte mais une personne faible elle vous la fout en l’air’.

Ces derniers déplorent une ambiance de travail pesante, de la méchanceté, des propos vexatoires et insultants ainsi que des moqueries constantes en votre présence.

Au cours des différents entretiens que nous avons mené, nous avons découvert une équipe fragile, blessée et lassée.

De plus, face aux propos que vous tenez à l’égard du personnel intérimaire, l’image de l’entreprise au niveau de ses partenaires intérim est ternie.

Sur un marché du travail tendu et concurrentiel, nous rencontrons d’importantes difficultés à recruter sur des postes physiques et précaires tels que préparateur de commandes ou opérateur de conditionnement. La réputation de l’entreprise auprès des agences de travail temporaires du secteur et des intérimaires du bassin d’emploi étant un facteur aggravant.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, faits découverts au cours des entretiens et confirmés par vos collègues, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible. (…)’.

Par requête du 30 décembre 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en contestation du licenciement, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 12 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a :

– jugé que le licenciement de Mme [D] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Duhamel logistique au paiement des sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 3 564,90 euros

congés payés afférents : 356,49 euros

rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire : 823,37 euros

congés payés afférents : 82,33 euros

indemnité légale de licenciement : 2 079,52 euros

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 694,70 euros

dommages et intérêts pour préjudice moral et vexatoire du licenciement : 1 000 euros

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros

– ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformes à la décision sans astreinte,

– ordonné le remboursement à Pôle emploi des indemnités chômage en application de l’article L. 1235-4 du code du travail dans la limite de six mois,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision en application de l’article R. 1454-28 du code du travail,

– débouté la société Duhamel logistique de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Duhamel logistique aux entiers dépens.

La société Duhamel logistique a interjeté appel de cette décision le 4 février 2021.

Par conclusions remises le 9 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Duhamel logistique demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– juger le licenciement pour faute grave fondé et débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes,

– à titre subsidiaire, si la cour jugeait le licenciement causé et sérieux, débouter Mme [D] de sa demande d’indemnité au titre du licenciement vexatoire et allouer à Mme [D] les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 3 561,02 euros

congés payés afférents : 356 euros

rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire : 823,37 euros

congés payés afférents : 82,33 euros

indemnité légale de licenciement : 2 061,31 euros

– à titre infiniment subsidiaire, si la cour jugeait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixer le montant des dommages et intérêts à 5 341,53 euros,

– en tout état de cause, condamner Mme [D] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Par conclusions remises le 28 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme [D] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, débouter en conséquence la société Duhamel logistique de ses demandes et la condamner à lui régler la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Mme [D], qui conteste la réalité des griefs, soutient que l’imprécision de la lettre de licenciement qui ne mentionne ni la date des faits qui lui sont reprochés, ni le nom des victimes ou des personnes l’accusant, rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle soutient que cette même conséquence ressort de ce qu’elle n’a pu se défendre utilement à l’occasion de l’entretien préalable à licenciement dès lors qu’il lui a été opposé une lettre anonyme dans laquelle ne sont visés ni des faits de harcèlement, ni son nom et qu’il ne lui a pas été donné lecture des attestations. En tout état de cause, elle relève que ces attestations, qui émanent toutes de salariées appartenant au même groupe, sont là encore imprécises et qu’elle-même verse au contraire aux débats des attestations qui démontrent qu’elle n’a jamais eu un comportement inadapté envers des collègues, étant précisé que ce licenciement a été opportunément prononcé à l’occasion d’une réorganisation de la société Duhamel logistique.

En réponse, rappelant que la délégation unique du personnel, informée de faits susceptibles de porter atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale, doit en saisir immédiatement l’employeur, la société Duhamel logistique s’étonne que le conseil de prud’hommes lui ait reproché d’avoir pris l’initiative de mener une enquête sur la base de la lettre anonyme envoyée à la délégation unique du personnel, cette enquête ayant été réalisée auprès de l’ensemble des salariés du site et ayant permis de mettre à jour des griefs précis et circonstanciés, constitutifs de harcèlement, dont la véracité est corroborée par la production de six attestations répondant aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile, contrairement à celles produites par Mme [D].

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et l’employeur qui l’invoque doit en rapporter la preuve.

A l’appui du licenciement, la société Duhamel logistique verse aux débats la lettre anonyme à l’origine de l’enquête menée par la délégation unique du personnel dans laquelle était dénoncée, au sein du site 5, la disparité dans la charge de travail liée à l’attitude peu professionnelle de certaines préparatrices (départ avant l’heure, téléphone portable, absence de participation aux tâches au détriment des autres), sans qu’aucune action sérieuse ne soit menée pour y remédier.

Si ce courrier n’est pas daté, il résulte cependant du compte-rendu dressé le 29 mai 2019 par la délégation unique du personnel qu’il a été reçu le 22 mai, qu’une réunion a été organisée pour en discuter le 23 mai et qu’il en est ressorti que les plaintes décrites visaient très certainement Mmes [D] et [G].

C’est dans ces conditions, et conformément à l’article L. 2312-59 du code du travail, qu’une enquête a alors été diligentée en prévoyant l’audition de l’ensemble des salariés du site, menée par deux groupes de trois membres de la délégation qui ont recueilli leurs observations après lecture de la lettre anonyme et en ont fait restitution lors de la réunion du 29 mai, sans qu’il puisse être utilement invoqué le fait que l’employeur n’aurait pas fourni aux membres de cette délégation les attestations produites aux débats, celles-ci ayant légitimement pu être rédigées postérieurement, sachant qu’à la date du 29 mai, la société Duhamel logistique était, à tout le moins, en possession des auditions signées des salariés entendus.

En effet, celles-ci sont versées aux débats et il en ressort que la plupart des salariés ont indiqué que le contenu de la lettre était véridique, qu’il y avait une ambiance catastrophique, que cela durait depuis des années et, si plusieurs n’ont pas donné de nom, au contraire, nombreux sont ceux qui ont cité Mmes [G] et [D], indiquant qu’elles ne respectaient pas les horaires, que Mme [G] pouvait passer beaucoup de temps sur son téléphone personnel mais que pour autant son attitude était correcte lorsque Mme [D] était absente, qu’au contraire cette dernière était toujours impliquée dans les histoires et ce, sans que la chef d’équipe, [U] [FT], ne dise jamais rien à raison du copinage existant.

Par ailleurs, M. [Z], Mmes [W], [AG] et [B] ont fait état de harcèlement à l’égard des intérimaires, de manque de respect ou de propos agressifs ainsi, notamment à l’égard de Mme [B] ‘qu’est ce qu’elle a la grosse, je vais lui mettre une tarte dans la gueule’.

Afin de corroborer la réalité de ces auditions, qui émanent de salariés des différents services, il est produit un certain nombre d’attestations.

Ainsi, Mme [AG] explique, qu’arrivée en 2015, elle a travaillé dans un stress quotidien car Mme [D] faisait remonter la moindre difficulté, que les critiques et les moqueries étaient le quotidien, qu’elle l’avait ainsi surnommée ‘[S]’, de même qu’elle avait surnommé son mari ‘[KA]’ et leur couple ‘[L] et [E]’ mais ce, de manière blessante, que c’est dans ces conditions qu’elle a fini par prendre ses pauses dans son bureau et qu’elle a même pensé à démissionner. Elle indique encore que lors d’une soirée organisée par l’entreprise, alors qu’elle lui demandait qui était la personne qui arrivait, elle lui avait dit ‘c’est [Y] avec sa robe de pute’, précisant que suite à cet incident, il y avait eu une convocation pour témoigner mais que Mme [D] avait tout nié et n’avait pas été sanctionnée, en ressortant encore plus forte, ce que confirme Mme [UW] qui date cet événement de décembre 2015.

Au-delà de ces faits anciens, Mme [AG] indique que lors d’un point matinal, elle s’est violemment exprimée contre une collègue en lui disant ‘si elle la ferme pas la grosse vache, je vais lui coller une tarte dans sa gueule’, sachant qu’elle n’a, là non plus, pas été sanctionnée, cet épisode étant par ailleurs confirmé par Mmes [W], [UW] et [B], cette dernière, destinataire des propos ainsi relatés, indiquant par ailleurs que Mme [D] dénigre son travail quand elle la remplace à son poste, qu’elle a été victime d’agressions verbales mais aussi physique, Mme [D] l’ayant percutée avec son chariot en faisant tomber les produits de son propre chariot.

Mme [AG] relate encore que Mme [D] gère régulièrement une équipe d’intérimaires et que beaucoup sont partis en pleurant car insultés et humiliés, Mme [D] leur disant ‘sortez vous les doigts du cul’, ‘les intérimaires c’est de la merde’, sachant qu’elle peut également dire lorsqu’elle ne veut pas travailler avec une équipe ‘non, je ne bosse pas avec ces connasses’ ou lors d’une simple remarque d’une collègue ‘je te pisse à la raie’ et elle conclut en disant que chaque personne au sein de l’entreprise a un jour été humiliée, critiquée, voire persécutée par cette femme, qu’ils sont tous venus travailler avec la boule au ventre en appréhendant chaque lendemain.

Cette attestation est corroborée par celle de Mme [R] qui indique que Mme [D] a fait pleurer une personne, [F], en lui disant ‘ça sert à quoi de venir à 6 heures s’il reste tout ça à emballer’ et plus généralement qu’elle rabaisse ses collègues en leur disant d’aller plus vite ou qu’ils n’avancent pas alors qu’elle-même fait en sorte d’avoir une cadence faible pour ne pas aider les autres.

Enfin, M. [J] indique l’avoir entendue dire à haute voix à plusieurs reprises que les intérimaires ne servaient à rien et faisaient de la merde mais aussi pour certains préparateurs, qu’ils étaient des ‘traine-cul’, ou encore, vers 16h dire à ‘[FC]’ ‘c’est à cette heure que tu bosses toi feignasse’, précisant que lorsqu’elle n’aime pas une personne, elle la dénigre en disant des méchancetés sur elle et en la regardant de travers pour l’impressionner. Il précise qu’elle aime faire des réflexions à voix haute pour faire constater à toute l’usine que quelqu’un a oublié de faire quelque chose ou l’a mal fait. Il indique encore qu’elle a dit à Mme [G] ‘regarde le troupeau’ en parlant des gens du labo Jimmy Fairly, ‘de toutes façons, d’ici peu on les verra plus’ en éclatant de rire, Mme [UW] indiquant quant à elle l’avoir entendue dire ‘je ne travaille pas avec ces connasses’ et précisant qu’elle n’a pas changé, qu’elle a continué à dire du mal de tout le monde, personne n’étant épargné de ses méchancetés.

Face à ces attestations, signées, datées, accompagnées de la pièce d’identité et qui comprennent le rappel des sanctions encourues en cas de faux témoignages, Mme [D] produit de simples courriers de collègues accompagnés de leur carte d’identité aux termes desquels Mmes [G], [X], [OH] et [V] indiquent ne l’avoir jamais vue violente ou blessante dans ses paroles, et expliquent au contraire qu’il s’agit d’une collègue courageuse, sincère, attentionnée, ce que confirme également Mme [U] [FT], chef d’équipe, qui affirme qu’elle était toujours volontaire pour faire des heures supplémentaires et qu’en tant que responsable N+1 depuis octobre 2017, elle n’a jamais reçu de plaintes quant à un éventuel harcèlement, la seule altercation dont elle a été témoin ayant donné lieu à un entretien avec un second responsable au cours duquel il a été rappelé les règles de bonnes conduites à tenir au sein de l’entreprise.

Pour autant, aucun de ces courriers, qui ne répondent pas aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile, n’est de nature à remettre en cause la véracité des propos prêtés à Mme [D], lesquels peuvent être qualifiés de vulgaires, insultants et agressifs, étant au contraire relevé que Mme [FT], dont il est attesté qu’elle a été témoin des paroles de Mme [D] à l’égard de Mme [B], à savoir ‘si elle la ferme pas la grosse vache, je vais lui coller une tarte dans sa gueule’ n’atteste pas pour nier la tenue de ces propos et se contente de parler d’une altercation dont elle a été témoin.

En outre, alors que la réalité des termes ainsi employés est particulièrement caractérisée, ce qui est le témoignage de ce qu’elle peut être violente et agressive dans ses propos, force est de constater que cela infirme l’ensemble des attestations produites par Mme [D].

Par ailleurs, s’il existe une imprécision sur la date des faits ainsi relatés, certains pouvant remonter à plusieurs années, ainsi notamment ceux décrits lors de la soirée organisée par l’entreprise, ou à quelques mois, ainsi, les violences verbales à l’encontre de Mme [B] lors d’une réunion d’équipe, il ressort cependant suffisamment des attestations ainsi produites qu’il s’agit en réalité, au-delà de faits plus marquants pour lesquels les salariés peuvent les situer dans le temps, d’un comportement habituel fait de moqueries et de remarques blessantes qui se poursuit et s’amplifie à mesure de l’absence de sanctions par les chefs d’équipe, ce dont la direction a eu une entière et pleine connaissance à l’issue de l’enquête diligentée après réception du courrier anonyme.

A cet égard, il importe peu que le courrier anonyme n’ait pas mentionné le nom de Mme [D] dans la mesure où l’enquête qui s’en est suivie a permis de mettre à jour un comportement inadapté de sa part, de même qu’il ne saurait être tiré argument du fait que les personnes ayant dénoncé ces comportements ne soient pas visés dans la lettre de licenciement ou n’aient pas été précisés à Mme [D] lors de l’entretien préalable à licenciement dès lors qu’il ressort du compte-rendu dressé à cette occasion que les faits reprochés ont été suffisamment circonstanciés pour qu’elle puisse utilement se défendre et qu’il a été produit devant la juridiction les attestations de nature à établir les différents griefs.

Enfin, il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir consulté la délégation unique du personnel suite à cette enquête pour recueillir leur avis sur les suites à y donner, cet avis ne liant pas la société Duhamel logistique qui restait libre de la décision à prendre suite à l’entretien préalable à licenciement.

Au regard des faits ainsi établis, qui interdisaient toute poursuite du contrat de travail compte tenu des risques qu’ils faisaient courir sur la santé d’autres salariés, il ne peut utilement être mis en avant par Mme [D] que son licenciement aurait été motivé par une volonté de réorganisation et il convient en conséquence d’infirmer le jugement, de dire que le licenciement pour faute grave est fondé et de débouter Mme [D] de l’ensemble de ses demandes, y compris de sa demande de dommages et intérêts pour mise à pied vexatoire dès lors que la société Duhamel logistique a, au contraire, fait preuve de retenue en attendant d’avoir recueilli l’ensemble des auditions des salariés avant de prononcer la mise à pied.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [D] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à la société Duhamel logistique la somme de 300 euros sur ce même fondement.

 

 


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