9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 18/08253 – N° Portalis DBVL-V-B7C-PMSM
URSSAF BRETAGNE
C/
Société [5]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Avril 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 20 Novembre 2018
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du Morbihan
Références : 21700564
****
APPELANTE :
L’UNION DE RECOUVREMENT DE COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET DES ALLOCATIONS FAMILIALES DE BRETAGNE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Mme [Y] [O] en vertu d’un pouvoir spécial
INTIMÉE :
LA [5] ([5])
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Mickaël D’ALLENDE, avocat au barreau de PARIS
et par Me VERRANDO, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant,
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite d’un contrôle de l’application de la législation sociale et de la lutte contre le travail illégal opéré par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne (l’URSSAF) au sein de la SARL [3], a été constatée l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
Par lettre du 1er septembre 2016, l’inspecteur a demandé à la [5] ([5]) (la société), donneur d’ordres de la société [3], certains documents afin de vérifier si la société avait bien respecté son devoir de vigilance.
En l’absence de l’intégralité des documents de vigilance, l’inspecteur a, le 11 janvier 2017, adressé à la société une lettre d’observations concernant la mise en oeuvre de la solidarité financière pour un montant de 9 124 euros.
Par lettre du 24 janvier 2017, la société a fait valoir ses observations.
En réponse, par lettre du 15 février 2017, l’inspecteur a maintenu le redressement au titre de la solidarité financière.
L’URSSAF a adressé une mise en demeure du 18 mai 2017 tendant au paiement des cotisations dues au titre de la mise en oeuvre de la solidarité financière et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 10 164 euros.
Par ailleurs, le 16 février 2017, l’inspecteur a adressé à la société une lettre d’observations concernant l’annulation des exonérations du donneur d’ordres non vigilant, pour un montant de 53 871 euros.
Par lettre du 14 mars 2017, la société a fait valoir ses observations.
En réponse, par lettre du 26 avril 2017, l’inspecteur a maintenu l’annulation des exonérations de cotisations contestée.
L’URSSAF a adressé une mise en demeure du 6 juillet 2017 tendant au paiement des cotisations dues au titre de l’annulation des exonérations de cotisations sociales et des majorations de retard y afférentes pour un montant de 60 443 euros.
Par lettre du 9 mai 2017, la société a saisi la commission de recours amiable de l’organisme.
Le 21 août 2017, se prévalant d’un rejet implicite de son recours par ladite commission, la société a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Morbihan.
Par décision du 16 novembre 2017, la commission a rejeté les demandes de la société et a maintenu la procédure de la solidarité financière ainsi que l’annulation des exonérations de cotisations qui en découle.
Le 12 février 2018, la société a contesté cette décision explicite de rejet devant le même tribunal.
Par jugement du 19 novembre 2018, ce tribunal a :
– déclaré recevables et bien fondés les recours formés par la société ;
– ordonné la jonction des recours n°21700564 et n°21800117 ;
– annulé les mises en demeure des 18 mai 2017 et 6 juillet 2017 ;
– annulé la décision de la commission de recours amiable du 16 novembre 2017 ;
– condamné l’URSSAF au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration adressée le 17 décembre 2018, l’URSSAF a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 22 novembre 2018.
Par ses écritures parvenues au greffe le 14 octobre 2020, auxquelles s’est référé et qu’a développées son représentant à l’audience, l’URSSAF demande à la cour de :
– infirmer le jugement du 19 novembre 2018 du tribunal des affaires de sécurité sociale ;
– confirmer purement et simplement la décision prise par la commission de recours amiable le 16 novembre 2017 ;
– condamner la société au paiement des causes de la mise en demeure du 6 juillet 2017 soit 60 443 euros (53 871 euros de cotisations, 6 572 euros de majorations de retard initial) sans préjudice du calcul des majorations de retard complémentaires ;
– condamner la société au paiement des causes de la mise en demeure du 18 mai 2017, soit 10 164 euros (9 124 euros de cotisations, de 1 040 euros de majorations de retard initiales) sans préjudice du calcul des majorations de retard complémentaires ;
– condamner la requérante à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses écritures parvenues par le RPVA le 30 octobre 2020, auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable et bien fondé le recours formé par la société, annulé la décision de rejet de la commission de recours amiable du 16 novembre 2017 adressée à la société le 13 décembre 2017, annulé les mises en demeure du 18 mai 2017 et du 6 juillet 2017,
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
– constater que la société est recevable et bien fondée à agir ;
– constater que la société a respecté l’ensemble de ses obligations de vigilance à l’égard de la société [3] ;
Et par conséquent :
– annuler la décision de rejet de la commission de recours amiable du 16 novembre 2017 adressée à la société le 13 décembre 2017 ;
– annuler les mises en demeure des 18 mai 2017 et 6 juillet 2017 ;
A titre subsidiaire :
– constater que la solidarité financière de la société ne pouvait être recherchée que pour la période du 29 mai au 22 juillet 2015 ;
En conséquence :
– annuler la décision de rejet de la commission de recours amiable ;
– limiter le montant du redressement à la somme de 4 430 euros ;
– rejeter la demande formulée par l’URSSAF de suppression des exonérations et réductions dont la société a bénéficié au seul titre des périodes concernées, en application des articles L. 133-4-2 et L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, à défaut de transmission des éléments permettant à la société de bénéficier de la modulation de droit prévue par ces textes ;
En tout état de cause :
– condamner l’URSSAF à verser à la société la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, outre les 1 500 euros octroyés en première instance par le tribunal avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 – Sur le bien-fondé du redressement :
Il est constant qu’un contrat cadre de sous-traitance a été régularisé le 13 mars 2015 pour une durée indéterminée entre la société [5] et la société [3] qui venait de se créer (pièce n°2 de la société). Cette dernière est en effet immatriculée depuis le 26 février 2015 (pièce n°19 de la société) et dispose de salariés depuis le 12 mars 2015.
L’article L. 8222-1 du code du travail dans sa version applicable dispose que :
« Toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte :
1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; […] »
L’article R.8222-1 du code du travail en vigueur jusqu’au 30 avril 2015 énonce que :
« Les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues à l’article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d’un montant au moins égal à 3 000 euros ».
Dans sa rédaction à compter du 1er mai 2015, le montant est porté à 5 000 euros hors taxes.
L’article D. 8222-5 du code du travail dispose que :
« La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution :
1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L.243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants :
a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;
b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ;
c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ;
d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription ».
Il est admis que la société [3] a fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé établi le 8 juin 2016, transmis au procureur de la république de Lorient.
Le 1er septembre 2016, l’inspecteur du recouvrement de l’URSSAF a demandé à la société de lui communiquer la copie des pièces de vigilance obtenues de son sous-traitant.
La société [5] justifie de ce qu’au jour de la signature du contrat-cadre, lui ont été remis à par la société [3] un extrait Kbis, la déclaration préalable à l’embauche des trois salariés et la copie du registre unique du personnel.
L’URSSAF indique dans la lettre d’observations que n’a pas été produite par la société [5] l’attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales pour les contrats conclus entre le 15 avril et le 23 juillet 2015.
Elle soutient que puisque la périodicité des déclarations et des paiements est fixée au trimestre, la société aurait pu obtenir une première attestation de son sous-traitant pour les contrats signés à compter du 15 avril 2015, ce qu’elle a manqué de solliciter.
La société réplique que la société [3] se trouvait dans l’impossibilité de lui fournir l’attestation de paiement des cotisations sociales au jour de la signature du contrat-cadre dès lors qu’elle s’était immatriculée à l’URSSAF en qualité d’employeur le 12 mars 2015, soit la veille ; qu’elle a respecté ses obligations en obtenant une attestation le 23 juillet 2015, soit moins de 6 mois après le début de la relation contractuelle ; que par « contrats conclus entre le 15 avril et le 22 juillet 2015», l’URSSAF fait référence aux différents avenants (11) intervenus au contrat-cadre de sous-traitance sur cette période ; que néanmoins pour apprécier le respect des obligations, la cour ne pourra que retenir la date de signature du contrat-cadre, soit le 13 mars 2015.
Sur ce :
Lorsque la prestation est réalisée de façon continue, répétée et successive dans le temps, pour le compte du même client, la globalisation des relations contractuelles est prise en considération, même si chacune des prestations est d’un montant inférieur à 3 000 euros ou à 5 000 euros hors taxes, dans la mesure où elles portent sur le même objet (2e Civ., 16 novembre 2004, pourvoi n° 02-30.550).
Ceci est d’autant plus le cas en présence d’un contrat-cadre de sous-traitance comme en l’espèce.
Dès lors que l’URSSAF tient compte de l’ensemble des avenants qu’elle nomme « contrats » sur la période allant du 15 avril au 22 juillet 2015 pour apprécier l’obligation de la société au regard du seuil de 3 000 euros ou de 5 000 euros hors taxes, elle ne peut soutenir, sans se contredire, que la société se devait de solliciter pour chacun d’eux la production de l’attestation de vigilance alors que la plupart n’atteignent pas le seuil légal.
C’est au jour de la signature du contrat-cadre que la société avait l’obligation de solliciter de son sous-traitant les pièces listées à l’article D. 8222-5 du code du travail, ce qu’elle a fait.
Lui ont été communiqués les documents que ce dernier pouvait produire à cette date compte tenu de son immatriculation récente au registre du commerce et des sociétés et de la date d’embauche de ses salariés.
L’URSSAF admet à ce titre qu’à la date du 13 mars 2015, aucune attestation de paiement des cotisations et contributions sociales ne pouvait être établie par ses services. Compte tenu de la trimestrialité de l’appel des cotisations, la première attestation ne pouvait être délivrée qu’à partir du 15 avril 2015.
Aucun texte n’impose au donneur d’ordre dans un tel cas de solliciter, avant un délai de six mois, l’attestation que le sous-traitant n’a pu produire pour des raisons légitimes lors de la signature du contrat.
Pour autant, la société a obtenu de la société [3] une attestation de fourniture des déclarations sociales et paiement des cotisations et contributions sociales datée du 23 juillet 2015, soit quatre mois après la signature du contrat-cadre.
Comme l’ont retenu à juste titre les premiers juges, il est ainsi établi que la société [5] a respecté l’obligation de vigilance mise à sa charge en sa qualité de donneur d’ordre de sorte que l’engagement de la solidarité financière de la société est injustifié.
Le jugement sera en conséquence confirmé sauf en ce qu’il a annulé la décision de la commission de recours amiable du 16 novembre 2017, les juridictions de l’ordre judiciaire n’étant pas juridiction d’appel de ces commissions.
2 – Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il n’apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société ses frais irrépétibles.
L’URSSAF sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 4 000 euros.
S’agissant des dépens, l’article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s’ensuit que l’article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu’à la date du 31 décembre 2018 et qu’à partir du 1er janvier 2019 s’appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de l’URSSAF qui succombe à l’instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a annulé la décision de la commission de recours amiable du 16 novembre 2017 ;
CONDAMNE l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne à verser à la [5] en cause d’appel une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT