Si le requérant produit des pièces justificatives établissant qu’il conserve des liens avec les trois enfants, au profit desquels il a effectué quelques achats ou virements et qu’il a vus durant sa période de remise en liberté ainsi qu’au cours de visites occasionnelles au parloir de la prison ou en unité de vie familiale avec leurs mères, auxquelles il passe de courts appels téléphoniques, la mesure attaquée, eu égard à la récurrence et à la gravité croissante des actes commis par M. H jusqu’à une date récente, alors même que la commission d’expulsion a émis un avis défavorable et que la cour d’assises n’a pas prononcé une peine d’interdiction du territoire, ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
Tribunal administratif de Bordeaux, 2ème chambre, 4 janvier 2023, n° 2203274
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 15 juin 2022, complétée de pièces les 2 août 2022, 21 octobre 2022 et 9 novembre 2022, M. C H, représenté par Me Lassort, demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du 20 mai 2022 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de l’expulser du territoire français et a fixé le pays de destination de cette mesure ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision d’expulsion du territoire français :
— la décision a été prise par une autorité incompétente dès lors que le signataire de l’acte ne dispose pas d’une délégation régulièrement publiée ;
— elle est entachée d’un défaut de motivation ;
— elle méconnaît les dispositions de l’article L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— elle porte atteinte à son droit à mener une vie privée et familiale normale tel que garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
— elle est dépourvue de base légale dès lors qu’elle est fondée sur une décision d’expulsion elle-même illégale.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2022, la préfète de la Gironde conclu au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 octobre 2022, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 11 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions lors de l’audience publique.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de M. E,
— et les observations de Me Lassort, représentant M. H.
Considérant ce qui suit :
1. M. H, de nationalité congolaise, est entré en France le 9 février 2000. Le 25 septembre 2002, il a sollicité le bénéfice de l’asile avant de retirer sa demande. Il a bénéficié de plusieurs titres de séjour en qualité de parent d’enfant français sur les périodes allant du 30 octobre 2003 au 29 octobre 2007 et du 19 avril 2013 au 23 juin 2016. Il a été condamné le 4 octobre 2019 par la cour d’assises de la Dordogne à 15 ans d’emprisonnement, peine ramenée en appel à 11 ans d’emprisonnement par un arrêt du 30 avril 2021. Par un arrêté du 20 mai 2022, la préfète de la Gironde a prononcé l’expulsion de M. H au motif que son comportement constitue une menace grave pour l’ordre public. Par la présente requête, il demande l’annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, par un arrêté du 11 février 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 33-2021-161 du même jour et accessible à tous, la préfète de la Gironde a donné délégation à M. G A du Payrat, secrétaire général de la préfecture de la Gironde, pour signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, requêtes, mémoires, correspondances et documents concernant les attributions de l’État dans le département de la Gironde, à l’exception de trois catégories d’actes limitativement énumérés, au nombre desquelles ne figurent pas les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’arrêté en litige doit être écarté.
3. En deuxième lieu, l’arrêté attaqué vise les dispositions applicables du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il énonce les éléments essentiels du contexte du séjour en France de M. H, de sa situation personnelle et familiale, et expose les faits et les éléments de procédure judiciaire permettant de considérer qu’il constitue une menace grave, réelle et actuelle pour l’ordre public et que son éloignement ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 631-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ». Aux termes de l’article L. 631-2 du même code : » Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l’article L. 631-3 n’y fasse pas obstacle : 1° L’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; () 3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été pendant toute cette période titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention « étudiant » () Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application de l’article L. 631-1 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. « . Et aux termes de l’article L. 631-3 du code : » Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : () 2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans () 4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an () La circonstance qu’un étranger mentionné aux 1° à 5° a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans ne fait pas obstacle à ce qu’il bénéficie des dispositions du présent article « .
5. M. H soutient qu’il est entré en France il y a vingt-trois ans et y réside depuis lors de manière continue, contribuant par ailleurs à l’éducation et à l’entretien de ses enfants. Il en tire qu’il entre dans le champ des 2° et 4° précités de l’article L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui font obstacle à l’expulsion d’un étranger fondée sur une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique, même en cas de condamnation définitive à une peine d’emprisonnement ferme de plus de cinq ans. Toutefois, et d’une part, il ressort des pièces du dossier que si le requérant est entré en France le 9 janvier 2000, il n’a bénéficié de titres de séjour en qualité de parent d’enfant français qu’entre le 30 octobre 2003 et le 29 octobre 2007, puis entre le 19 avril 2013 et le 23 juin 2016, soit durant environ sept ans. Entre-temps, il a fait l’objet d’une mesure d’éloignement en date du 14 janvier 2009, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 avril 2009 puis par une ordonnance du président de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 juillet 2009 devenue définitive. Il est d’autre part incarcéré depuis le 12 mai 2016 et, en conséquence, la période comprise entre cette date et la date de la décision attaquée ne peut être prise en compte dans le calcul de la durée de résidence régulière en France de M. H. Par suite, même en tenant compte de la période durant laquelle il était détenteur d’une attestation de demandeur d’asile, le requérant ne justifie pas d’au moins de dix ans de présence régulière en France et, dès lors qu’il a été définitivement condamné le 30 avril 2021 à onze ans d’emprisonnement par la cour d’assises de la Dordogne pour des faits d’extorsion avec arme et violences, M. H, qui ne conteste d’ailleurs pas entrer dans le champ du dernier alinéa de l’article L. 631-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, n’est pas fondé à soutenir que la préfète de la Gironde a méconnu les dispositions de l’article L. 631-3 du même code et commis une erreur de droit en mettant en œuvre une procédure d’expulsion à son encontre sur le fondement de l’article L. 631-1 dudit code.
6. En quatrième lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
7. Il résulte de l’instruction que M. H a été condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis le 2 novembre 2004 pour conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, à un mois d’emprisonnement le 19 janvier 2007 pour violence avec usage ou menace d’une arme, à une amende le 24 mars 2009 pour conduite d’un véhicule sans assurance, à un an d’emprisonnement le 26 mai 2010 pour recel de biens provenant d’un délit, contrefaçon ou falsification de chèque contrefait. Il est en outre signalé dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires pour des faits de contrefaçon et escroquerie en 2005, outrage à personne dépositaire d’une mission de service public en 2005, escroquerie en 2005, viol en 2006, violation de domicile et violence avec incapacité de travail de moins de huit jours en 2009. Enfin, M. H a été condamné en appel à une peine de onze ans de réclusion criminelle par la cour d’assise de la Dordogne, le 30 avril 2021, pour des faits d’extorsion commise avec une arme, extorsion avec violence, menace ou contrainte, commis le 5 novembre 2015. L’examen psychiatrique récent dont se prévaut le requérant mentionne certes une prise de conscience « probable » de la gravité de ses actes et l’absence de traits psychopathiques ou plus généralement de dangerosité psychiatrique mais n’exclue pas une « dangerosité sociale dans une dimension de comportement avec un recours à l’escroquerie ou des malversations financières ». Lors de cet examen, M. H a mentionné la perspective d’être hébergé par ses sœurs en région parisienne à sa libération, ce qui suggère qu’une reprise de la communauté de vie avec sa dernière compagne n’est pas envisagée. Le requérant se prévaut de ses liens avec ses enfants mineurs D, F et B, nés de mères françaises respectivement en 2012, 2014 et 2016, mais il est constant qu’il n’a pu contribuer que très partiellement à leur éducation et à leur entretien eu égard à son incarcération à compter du 12 mai 2016, interrompue seulement durant une période de six mois entre octobre 2020 et avril 2021. Si le requérant produit des pièces justificatives établissant qu’il conserve des liens avec les trois enfants, au profit desquels il a effectué quelques achats ou virements et qu’il a vus durant sa période de remise en liberté ainsi qu’au cours de visites occasionnelles au parloir de la prison ou en unité de vie familiale avec leurs mères, auxquelles il passe de courts appels téléphoniques, la mesure attaquée, eu égard à la récurrence et à la gravité croissante des actes commis par M. H jusqu’à une date récente, alors même que la commission d’expulsion a émis un avis défavorable et que la cour d’assises n’a pas prononcé une peine d’interdiction du territoire, ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
8. En conséquence, M. H n’est pas fondé à exciper, à l’appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, de l’illégalité de l’arrêté portant expulsion dont il fait l’objet.
9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête aux fins d’annulation de l’arrêté du 20 mai 2022 doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. H est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C H et à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l’audience du 14 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pouget, président,
M. Josserand, conseiller,
M. Frézet, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 janvier 2023.
Le président-rapporteur,
L. E
L’assesseur le plus ancien,
L. JOSSERAND
La greffière,
M-A PRADAL
La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière