Tribunal administratif de Paris, 4e section – 1re chambre, 5 janvier 2023, n° 2203565
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février et 28 avril 2022, M. C B, représenté par Me Berdugo, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 13 décembre 2021 par laquelle le ministère de l’intérieur a refusé d’abroger l’arrêté d’expulsion du 27 février 1996 dont il fait l’objet ;
2°) d’annuler l’arrêté d’expulsion du 27 février 1996 ;
3°) d’enjoindre au ministre d’abroger cet arrêté ;
4°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur de réexaminer sa situation dans un délai de 2 mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, dans l’attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
— la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;
— elle est illégale en l’absence d’examen sérieux de sa situation personnelle ;
— elle est entachée de vice de procédure, à défaut de saisine de la commission d’expulsion ;
— elle méconnaît l’article L. 524-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; elle est entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation personnelle au regard de ces dispositions ;
— elle méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales compte tenu de ses attaches familiales en France et de son état de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu’aucun des moyens invoqués n’est fondé.
Par une ordonnance du 26 avril 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 26 mai 2022.
Vu :
— les autres pièces du dossier.
Vu :
— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— le code des relations entre le public et l’administration ;
— le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de M. A,
— les conclusions de Mme Baratin, rapporteure publique,
— et les observations de Me Berdugo, représentant M. B.
Considérant ce qui suit :
1. M. C B, ressortissant congolais, actuellement assigné à résidence, a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion pris le 27 février 1996, dont il a demandé l’abrogation au préfet de police de Paris. Par une décision du 13 décembre 2021, le préfet de police a, en application des dispositions de l’article L. 632-5 du code de l’entrée et du séjour, refusé de faire droit à cette demande. Par la présente requête, M. B demande l’annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. En premier lieu, l’arrêté mentionne les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et est, ainsi, suffisamment motivé.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n’aurait pas examiné la situation personnelle du requérant.
4. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 632-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2021 : « Lorsque la demande d’abrogation est présentée à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’exécution effective de la décision d’expulsion, elle ne peut être rejetée qu’après avis de la commission mentionnée à l’article L. 632-1, devant laquelle l’intéressé peut se faire représenter ». Aux termes de son article L. 632-1 : » L’expulsion ne peut être édictée que dans les conditions suivantes : 1° L’étranger est préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ; 2° L’étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l’autorité administrative et qui est composée : a) du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d’un juge délégué par lui, président ; b) d’un magistrat désigné par l’assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; c) d’un conseiller de tribunal administratif « .
5. L’intéressé, qui continue à résider en France, n’établit pas avoir effectivement exécuté l’arrêté d’expulsion du 27 février 1996. Dans ces conditions, le préfet de police n’était pas tenu de saisir la commission d’expulsion avant de prendre la décision contestée.
6. En quatrième lieu, aux termes de l’article L. 632-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sans préjudice des dispositions des articles L. 632-3 et L. 632-4, les motifs de la décision d’expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de sa date d’édiction. L’autorité compétente tient compte de l’évolution de la menace pour l’ordre public que constitue la présence de l’intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu’il présente, en vue de prononcer éventuellement l’abrogation de cette décision. L’étranger peut présenter des observations écrites ».
7. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens à l’appui d’un recours dirigé contre le refus d’abroger une mesure d’expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l’autorité administrative s’est fondée pour estimer que la présence en France de l’intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s’est prononcée, une menace pour l’ordre public de nature à justifier légalement que la mesure d’expulsion ne soit pas abrogée. L’autorité compétente apprécie le risque en tenant compte notamment des changements intervenus dans la situation personnelle et familiale de l’intéressé et des garanties de réinsertion qu’il présente.
8. Si M. B soutient qu’il ne représente pas de menace à l’ordre public, au regard de la « dangerosité très limitée » des faits qu’il a commis, le ministre de l’intérieur fait valoir, en défense, que l’intéressé a fait l’objet depuis l’arrêté d’expulsion en cause de plusieurs condamnations, pour un quantum de peines de 6 ans. Il ressort des pièces du dossier qu’il a notamment été condamné pour vol, contrefaçon ou falsification d’un document administratif en 2001, pour recel de bien provenant d’un vol et escroquerie en 2002, pour escroquerie en bande organisée en 2007 et 2009, pour conduite d’un véhicule sans permis et prise du nom d’un tiers pouvant entraîner des poursuites pénales contre lui en 2010 et recel d’un bien provenant d’une escroquerie en 2011. Si certains des faits qui ont motivé ces condamnations sont anciens, les délits commis qui se sont poursuivis sur plusieurs années révèlent l’appartenance de M. B à la délinquance organisée. Ni la promesse d’embauche en qualité de cariste ripeur, postérieure à la décision attaquée, ni les quelques bulletins de salaire qu’il produit entre 2014 et 2020, ni la présence en France de ses trois enfants majeurs, avec lesquels il n’est pas établi qu’il entretiendrait des liens réguliers ne constituent des gages suffisamment solides de réinsertion, eu égard à son passé délictueux. Par suite, en refusant d’abroger l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre de M. B, le préfet de police n’a entaché sa décision ni d’une méconnaissance de l’article L. 632-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ni d’une erreur dans l’appréciation de la situation personnelle de l’intéressé.
9. En dernier lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ».
10. M. B fait valoir qu’il réside en France depuis 1985, que ses trois enfants et deux petits-enfants, ainsi que sa mère et l’ensemble de sa fratrie résident en France et qu’il est suivi médicalement en France pour un diabète de type II dont la prise en charge est défectueuse dans son pays d’origine. Toutefois, M. B ne produit aucune pièce probante permettant d’établir la réalité de ses liens avec ses enfants majeurs, ni ses petits-enfants. En outre, ni le certificat médical produit par l’intéressé, rédigé en termes peu circonstanciés, ni les autres documents médicaux versés au dossier, ne sont suffisants pour infirmer l’avis du collège médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), selon lequel M. B peut bénéficier effectivement d’un traitement adapté à sa pathologie en République démocratique du Congo et voyager sans risque vers ce pays. Dans ces conditions, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le préfet de police n’a pas entaché sa décision d’une méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. B à fin d’annulation de la décision du 13 décembre 2021 par laquelle le préfet de police a refusé d’abroger l’arrêté d’expulsion du 27 février 1996 doivent être rejetées. Cet arrêté étant devenu définitif, les conclusions présentées par M. B tendant à son annulation doivent également être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée dans l’ensemble de ses conclusions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C B et au préfet de police.
Délibéré après l’audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Viard, présidente,
M. Paret, conseiller,
M. Perrot, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 janvier 2023.
Le rapporteur,
V. A
La présidente,
M-P. VIARDLa greffière,
I. SZYMANSKI
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.