Your cart is currently empty!
Disposition légale peu connue : à raison de ses fonctions, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie, cette protection peut notamment consister en la prise en charge de ses frais de procédure.
Un Professeur au sein de la faculté Sorbonne Université, a fait l’objet d’un signalement d’une doctorante, l’accusant d’agissements de harcèlement sexuel.
L’intéressé a informé le président de Sorbonne Université qu’il envisageait d’introduire une plainte pénale pour dénonciation calomnieuse ainsi qu’une plainte pour diffamation compte tenu de la diffusion sur les réseaux sociaux de messages relayant les accusations portées contre lui, et sollicité, sur le fondement de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la prise en charge par l’université des frais d’avocat qu’il pourrait être amené à exposer dans ce cadre.
Le président de Sorbonne Université a informé le Professeur que l’université prendrait en charge les honoraires d’avocat afférents à la plainte pour diffamation mais non ceux afférents à l’action en dénonciation calomnieuse
Les faits de dénonciation calomnieuse résultent des accusations de harcèlement, notamment sexuel, portées à son encontre par une doctorante en juin 2018 et relayées dans un courrier du Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES) du 4 juin 2018 adressé au président de Sorbonne Université.
La commission d’enquête administrative, créée par arrêté du président de Sorbonne Université avec pour mission d’apprécier la matérialité des faits imputés, a conclu, s’agissant d’éventuels faits à caractère sexuel, que les accusations portées à l’encontre de l’intéressé par la doctorante susmentionnée n’étaient pas fondées sur des faits tangibles.
Si les conclusions de la commission d’enquête, s’agissant des autres faits reprochés au Professeur, ont par ailleurs justifié l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre, la section disciplinaire du conseil académique de Sorbonne Université, dans sa décision du 24 septembre 2019, n’a prononcé aucune sanction contre l’intéressé en estimant, d’une part, que le baiser qu’il avait échangé avec une étudiante en octobre 2015 n’avait pas le caractère d’une faute disciplinaire dans les circonstances de l’espèce et, d’autre part, s’agissant de l’encadrement des étudiants placés sous son autorité, que l’instruction avait permis d’établir ” des contradictions et incohérences manifestes dans les témoignages accusateurs.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’action en dénonciation calomnieuse à l’encontre des auteurs des accusations portées contre lui, dont l’identité était connue, ne pouvait être regardée comme manifestement dépourvue de toute chance de succès.
Dans ces conditions, et alors qu’aucune faute personnelle n’est susceptible d’être imputée au requérant, au sens de l’article 11 précité de la loi du 13 juillet 1983, une telle faute ne pouvant notamment résulter du baiser échangé avec une étudiante en octobre 2015 qui est sans lien direct avec les faits de dénonciation calomnieuse en litige, le requérant est fondé à soutenir que le président de Sorbonne Université, en refusant de prendre en charge les frais d’avocats afférents à une telle action, a méconnu l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Il est, par voie de conséquence, fondé à demander l’annulation de la décision attaquée dans cette mesure.
Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur :
« I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire.
IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ».
Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à raison de leurs fonctions, sans qu’une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général.
Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l’agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis.
La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre.
Il appartient dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Tribunal administratif de Paris, 6e section – 1re chambre, 6 janvier 2023, n° 2000612
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 janvier 2020 et le 14 avril 2022, M. A B, représenté par Me Komly-Nallier, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler la décision du président de Sorbonne Université en date du 6 novembre 2019, en tant qu’elle refuse de lui accorder la protection fonctionnelle pour poursuivre les auteurs des faits de dénonciation calomnieuse dont il a été victime ;
2°) d’enjoindre à Sorbonne Université de lui accorder la protection fonctionnelle pour poursuivre les auteurs des dénonciations calomnieuses dont il est victime depuis l’année 2018, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;
3°) de prononcer la suppression du passage diffamatoire figurant en page 7 du mémoire en défense de Sorbonne Université ;
4°) de mettre à la charge de Sorbonne Université une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
— la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit ;
— elle est entachée d’une erreur de qualification juridique des faits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, Sorbonne Université conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 7 avril 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 22 avril 2022.
Un mémoire, enregistré le 30 novembre 2022, a été présenté pour M. B.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
— le code pénal, notamment son article 226-10 ;
— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
— le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de M. C,
— les conclusions de Mme Pestka, rapporteure publique,
— et les observations de M. B.
Considérant ce qui suit :
1. M. B, professeur des universités en histoire et civilisation américaines au sein de la faculté des lettres de Sorbonne Université, a fait l’objet au mois de juin 2018 d’un signalement d’une étudiante l’accusant d’agissements de harcèlement. Par courrier du 12 mars 2019, M. B a informé le président de Sorbonne Université qu’il envisageait d’introduire une plainte pénale pour dénonciation calomnieuse ainsi qu’une plainte pour diffamation compte tenu de la diffusion sur les réseauxsociaux de messages relayant les accusations portées contre lui, et sollicité, sur le fondement de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la prise en charge par l’université des frais d’avocat qu’il pourrait être amené à exposer dans ce cadre. Par décision du 11 avril 2019, le président de Sorbonne Université a informé M. B que l’université prendrait en charge les honoraires d’avocat afférents à la plainte pour diffamation mais non ceux afférents à l’action en dénonciation calomnieuse. Par courrier du 24 octobre 2019, M. B a de nouveau sollicité la prise en charge des frais d’avocat pour une action pénale en dénonciation calomnieuse. Par décision du 6 novembre 2019, le président de Sorbonne Université a confirmé la prise en charge par l’université des frais d’honoraires dans le cadre de l’action pénale en diffamation envisagée par M. B et de nouveau refusé la prise en charge des frais liés à une éventuelle action en dénonciation calomnieuse. Par la présente requête, M. B demande au tribunal d’annuler cette décision, en tant qu’elle refuse cette dernière prise en charge.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur : « I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. () IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. () ».
3. Les dispositions citées au point précédent établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à raison de leurs fonctions, sans qu’une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l’agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances.
4. Pour refuser, par la décision attaquée du 6 novembre 2019, d’accorder à M. B le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de l’action pénale pour dénonciation calomnieuse envisagée par l’intéressé, le président de Sorbonne Université s’est fondé sur la circonstance que la réalité de ces faits de dénonciation calomnieuse n’était pas suffisamment établie, en l’absence notamment de précision sur le contenu des fausses accusations dont M. B aurait fait l’objet et sur l’identité des personnes qui l’auraient dénoncé de manière calomnieuse, et dans la mesure où l’intéressé avait reconnu avoir échangé un baiser avec une étudiante en octobre 2015.
5. Toutefois, il est constant que les faits de dénonciation calomnieuse dont M. B estime avoir fait l’objet résultent des accusations de harcèlement, notamment sexuel, portées à son encontre par une doctorante en juin 2018 et relayées dans un courrier du Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES) du 4 juin 2018 adressé au président de Sorbonne Université. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la commission d’enquête administrative, créée par arrêté du président de Sorbonne Université en date du 19 novembre 2018 avec pour mission d’apprécier la matérialité des faits imputés à M. B, a conclu, s’agissant d’éventuels faits à caractère sexuel, que les accusations portées à l’encontre de l’intéressé par la doctorante susmentionnée n’étaient pas fondées sur des faits tangibles. Si les conclusions de la commission d’enquête, s’agissant des autres faits reprochés à M. B, ont par ailleurs justifié l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre, la section disciplinaire du conseil académique de Sorbonne Université, dans sa décision du 24 septembre 2019, n’a prononcé aucune sanction contre l’intéressé en estimant, d’une part, que le baiser qu’il avait échangé avec une étudiante en octobre 2015 n’avait pas le caractère d’une faute disciplinaire dans les circonstances de l’espèce et, d’autre part, s’agissant de l’encadrement par M. B des étudiants placés sous son autorité, que l’instruction avait permis d’établir ” des contradictions et incohérences manifestes dans les témoignages accusateurs selon lesquels [M. B] aurait négligé les travaux des doctorants et qu’il aurait tenu des propos pouvant être assimilés à du harcèlement « et en relevant que » des faits matériels produits devant la section disciplinaire [avaient] démenti certaines accusations “. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’action en dénonciation calomnieuse envisagée par M. B à l’encontre des auteurs des accusations portées contre lui, dont l’identité était connue, ne pouvait être regardée comme manifestement dépourvue de toute chance de succès. Dans ces conditions, et alors qu’aucune faute personnelle n’est susceptible d’être imputée au requérant, au sens de l’article 11 précité de la loi du 13 juillet 1983, une telle faute ne pouvant notamment résulter du baiser échangé avec une étudiante en octobre 2015 qui est sans lien direct avec les faits de dénonciation calomnieuse en litige, le requérant est fondé à soutenir que le président de Sorbonne Université, en refusant de prendre en charge les frais d’avocats afférents à une telle action, a méconnu l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Il est, par voie de conséquence, fondé à demander l’annulation de la décision attaquée dans cette mesure.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
6. Le présent jugement, qui annule la décision attaquée, implique nécessairement, compte tenu du motif d’annulation retenu, que l’université Sorbonne Université accorde à M. B le bénéfice de la protection fonctionnelle pour poursuivre les auteurs des faits de dénonciation calomnieuse dont il s’estime victime. Il y a lieu de lui enjoindre de lui accorder ladite protection, dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition au greffe du présent jugement.
Sur les conclusions à fin d’application de l’article L. 741-2 du code de justice administrative :
7. En vertu des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l’article L. 741-2 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.
8. Le passage dont la suppression est demandée par M. B n’excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas par lui-même, compte tenu des termes employés, un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire. Les conclusions tendant à sa suppression doivent par suite être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de Sorbonne Université une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 6 novembre 2019 par laquelle le président de Sorbonne Université a refusé d’accorder à M. B le bénéfice de la protection fonctionnelle pour poursuivre les auteurs des faits de dénonciation calomnieuse dont il s’estime victime est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à Sorbonne Université d’accorder à M. B le bénéfice de la protection fonctionnelle pour poursuivre les auteurs des faits de dénonciation calomnieuse dont il s’estime victime, dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition au greffe du présent jugement.
Article 3 : Sorbonne Université versera à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à Sorbonne Université.
Délibéré après l’audience du 9 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Marino, président,
M. Le Broussois, premier conseiller,
M. Lautard-Mattioli, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 janvier 2023.
Le rapporteur,
N. C
Le président,
Y. Marino
Le greffier,
A. Lemieux
La République mande et ordonne à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.