Moteur d’origine d’un véhicule : une information essentielle sous peine de nullité

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Moteur d’origine d’un véhicule : une information essentielle sous peine de nullité

Moteur ‘matching number’

La notion de moteur ‘matching number’, parfaitement définie, comme étant un moteur dont le numéro ‘matche’ avec le véhicule, c’est-à-dire qu’il s’agit du moteur d’origine équipant la voiture lors de sa construction, constitue une caractéristique essentielle d’un véhicule de collection aux yeux des collectionneurs, qu’ils soient ou non professionnels avertis.

L’utilisation répétée de la mention ‘matching number’ sur l’ensemble de ces documents démontre l’importance de cette qualité lors de la vente de véhicules de collection.

Valeur marchande équivalente 

Il est indifférent à cet égard de déterminer si les véhicules ‘non matching numbers’ ont une valeur marchande équivalente à celle des véhicules ‘matching numbers’, dès lors que la caractéristique recherchée par le collectionneur est l’authenticité du modèle, quel que soit son prix.

En la cause, il est démontré que la qualité de ‘matching number’ au véhicule acquis par la société intimée constitue une qualité essentielle, sans laquelle elle n’aurait pas contracté l’achat, ou en tout cas pas dans les conditions auxquelles la vente est intervenue.

Qualité de professionnelle

Si la qualité de professionnelle de la société RJI ne peut sérieusement être contestée, au regard des pièces versées aux débats et de l’intérêt que l’acheteur portait aux véhicules Porsche de collection, avant même la constitution de sa société, cette circonstance n’est pas de nature à exonérer la société venderesse de sa responsabilité en cas de dol, la connaissance des véhicules de collection n’induisant pas nécessairement celle de l’historique de la totalité des véhicules mis sur le marché, et notamment dans le cas présent du véhicule acquis par la société RJI.

COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 02 MAI 2022
N° RG 20/00875 –��N° Portalis DBVJ-V-B7E-LO27


SARL [Z] [P] AUTOMOBILE CONSULTING


c/


SARL RJI HOLDING OY


Nature de la décision : AU FOND


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 janvier 2020 (R.G. 2017F01308) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 17 février 2020


APPELANTE :


SARL [Z] [P] AUTOMOBILE CONSULTING, agissant poursuites et diligences de son gérant, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]


représentée par Maître Michel PUYBARAUD de la SCP MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Etienne RIONDET, avocat au barreau de PARIS et Maître Jonas HADDAD, avocat au barreau de ROUEN


INTIMÉE :


SARL RJI HOLDING OY, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2] (FINLAND)


représentée par Maître Hugues DE LACOSTE LAREYMONDIE, avocat au barreau de BORDEAUX


COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 15 mars 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :


Madame Nathalie PIGNON, Président,


Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,


Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,


qui en ont délibéré.


Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT


ARRÊT :


— contradictoire


— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.


EXPOSE DU LITIGE


Suivant contrat du 11 août 2013, la société RJI Holding Oy ( société RJI) a acquis auprès de la société [Z] [P] Automobile Consulting ( société [Z] [P]), dirigée par M. [Z] [P], un véhicule de collection Porsche 356 B Coupé 2000 GS Carrera 2 de l’année 1962 (la ‘Porsche 356 Carrera 2″ ‘la Porsche’) au prix de 310 000 euros.


Le véhicule a été livré le 10 octobre 2013.


Prétendant s’être aperçu en 2016 que le véhicule ne disposait pas de la qualité essentielle d’être équipé d’un moteur d’origine, et que cette information capitale lui avait été volontairement dissimulée par le vendeur, la société RJI a assigné la société [Z] [P] devant le tribunal de commerce de Bordeaux.


Par ordonnance du 24 juin 2019, le juge chargé d’instruire l’affaire a ordonné sous astreinte à [Z] [P] de produire le rapport d’expertise réalisé lors de la vente de la Porsche 356 Carrera 2 à M. [U] [N] en juin 2011.


Par jugement du 27 janvier 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a :


— liquidé l’astreinte ordonnée par l’ordonnance du juge chargé d’instruire l’affaire le 24 juin 2019 à la somme de 30.000 euros,


— condamné la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL à payer la société Rji Holding oy la somme de 90.000,00 euros au titre de son préjudice,


— ordonné la publication du jugement, pour une durée de trois mois, sur la page d’accueil du site internet de la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL (http;//www.[03].com) sous un délai d’un mois a compter de la signification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31ème jour suivant la signification du jugement et dit que cette publication sera aux frais avancés de la société RJI Holding Oy,


— condamne la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL à payer une provision de 1.000 euros destinée à couvrir les frais de publication du jugement sur son site internet (httpt//carreraclasslcfi) par la société RJI Holding oy,


— ordonné l’exécution provisoire,


— débouté la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL du surplus de ses demandes,


— condamné la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL à payer a la société Rji Holding Oy la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


— condamné la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL aux dépens.


La société [Z] [P] Automobile Consulting EURL a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 17 février 2020, à l’encontre de l’ensemble des chefs qu’elle a expressément énumérés, intimant la société Rji Holding Oy.


Par dernières conclusions avant clôture transmises par RPVA le 1er février 2022, la société [Z] [P] Automobile Consulting EURL demande à la cour :


— d’infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,


— de rejeter l’ensemble des demandes incidentes de la société RJI HOLDING OY,


Statuant à nouveau,


— de condamner RJI Holding Oy à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


— de condamner la société RJI Holding Oy en tous les dépens.


S’agissant de la liquidation de l’astreinte, l’appelante fait valoir qu’elle est dans l’impossibilité de produire le rapport d’expertise réalisé en juin 2011, qui n’est plus en sa possession, et dont elle n’a jamais fait état dans ses écritures, cette pièce, qui n’est pas un document contractuel, n’étant en outre pas susceptible d’apporter le moindre élément complémentaire au débat.


Sur le fond, elle soutient :


— que la société RJI Oy est un professionnel concurrent de la société [Z] [P] qui connaissait parfaitement le modèle de voiture lors de son achat, que la notion de ‘matching numbers’ est une notion contestée, que la maison mère Porsche qui produit par hypothèse les véhicules d’origine n’est pas en mesure de certifier l’authenticité d’un véhicule ancien et ne reconnaît pas de facto l’intangibilité de la notion de ‘matching numbers’, que cette notion est en outre inconnue en droit positif , tant du droit civil français, que du droit commercial,


— que M. [C], président de la société RJI Oy n’est pas un simple collectionneur mais un véritable professionnel spécialisé et avisé, qu’il a examiné le véhicule de façon approfondie et que, par conséquent, il n’a pas pu être trompé d’une quelconque façon, une documentation complète liée au véhicule ayant été fournie, et la mention ‘matching number’ n’étant portée sur aucun document écrit, quel qu’il soit,


— dans ses propres écritures, l’intimée reconnaît avoir été parfaitement informée du fait que le châssis du véhicule avait été changé, et M. [C] était parfaitement informé des nombreuses particularités du véhicule,


— M. [C] ne prouve pas que la condition du caractère «matching number» du moteur était une condition déterminante de son consentement,


— en sa qualité d’acheteur professionnel averti, M. [C] avait l’obligation de s’informer,


— subsidiairement, que l’expertise et l’évaluation proposée par la société intimée sont totalement fantaisistes, et ne reposent sur aucun critère objectif.


Par dernières conclusions avant clôture transmises par RPVA le 1er février 2022, la société RJI Oy demande à la cour de :


— confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 27 janvier 2020 en ce qu’il a jugé que la société [Z] [P] Automobile Consulting avait commis un dol à son encontre lors de la vente de la Porsche 356 Carrera 2,


— infirmer le jugement sur les réparations,


Et statuant à nouveau :


— condamner la société [Z] [P] Automobile Consulting au paiement de la somme de 400.000 euros au titre du préjudice subi par elle du fait du dol commis ;


— ordonner la publication du présent arrêt dans les revues spécialisées suivantes : RS magazine, Flat6, Classic Porsche, 9elf, Total 911, à la charge de la société [Z] [P] Automobile Consulting, et à ses frais avancés ;


— ordonner la publication du présent arrêt, pour une durée d’un an, sur la page d’accueil du site internet de la société [Z] [P] Automobile Consulting


(http://www.[03].com) sous astreinte de 300 euros par jour de retard, en ayant anonymisé les noms de M. [U] [N], M. [T] [X], M. [J] [A], M. [K] [O] et M. [R] [S] ;


— ordonner la publication du présent arrêt, pour une durée d’un an, sur la page d’accueil du site internet de la société RJI Holding (http://carreraclassic.fi/), traduit en anglais par une traduction jurée, à la charge de la société [Z] [P] Automobile Consulting, et à ses frais avancés, en ayant anonymisé les noms de M. [U] [N], M. [T] [X], M. [J] [A], M. [K] [O] et M. [R] [S] ;


— condamner la société [Z] [P] Automobile Consulting au versement à son profit d’une provision ne pouvant être inférieure à 25 000 euros pour couvrir le coût des publications du présent arrêt ;


— débouter la société [Z] [P] Automobile Consulting de toutes ses demandes ;


— condamner la société [Z] [P] Automobile Consulting aux entiers dépens au titre des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile qui pourront être recouvrés directement par maître Hugues de Lacoste-Lareymondie, avocat aux offres de droit ;


— condamner la société [Z] [P] Automobile Consulting à lui payer la somme de 30 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.


La société intimée fait valoir :


— que la voiture lui a été vendue en tant que modèle ayant encore son moteur d’origine (le moteur est ‘matching number’ c’est-à-dire que son numéro de série ‘correspond’ (« match ») à celui du moteur d’origine fabriqué par Porsche et équipant la voiture lors de sa sortie des chaînes de production),


— qu’en réalité le moteur d’origine n° ‘P 97161« de la voiture avait été remplacé par le moteur n° ‘P 97164 », ce que la société [P] n’ignorait pas, puisqu’elle avait acheté le véhicule en 2006 avec un moteur n° 97 164, qui n’était pas le moteur d’origine, qui n’était pas le moteur « matching number ».


— que la société appelante lui a vendu le véhicule en pleine connaissance de cause puisqu’elle l’avait acquis en 2006 avec le moteur ayant le numéro de série n° « P 97164 », qui n’est donc pas le moteur d’origine, et qu’elle avait avait en sa possession la lettre Porsche de 1998 relatant le vol du moteur d’origine et son remplacement par l’usine Porsche, lettre qu’elle ne lui a jamais remise,


— que la société [P] lui a vendu un véhicule de collection avec un moteur prétendument d’origine, dont il savait que le numéro du moteur était falsifié,


— que le fait que le moteur de la Porsche soit le moteur d’origine ‘matching number’ était une qualité substantielle de la chose vendue et un élément déterminant du consentement de l’acquéreur, que le moteur lui a été présenté comme étant l’authentique moteur d’origine, que s’agissant d’une voiture de course, le moteur est la pièce essentielle, et que c’est sur cette qualité de l’authenticité du moteur d’origine, que son consentement a été trompé,


— que la société [P] a passé sous silence l’information déterminante de l’absence d’authenticité du moteur de la Porsche 356 Carrera 2 et la falsification de son numéro de série qu’elle connaissait,


— qu’elle ne pouvait pas déceler la falsification opérée sur le gravage du numéro de série du moteur du véhicule acheté ‘ le « 4 » final ayant été contrefait en « 1 », falsification indécelable à l »il nu, qui n’a pas non plus été décelée par l’expert du vendeur, M. [B] [D], et dont le vendeur avait lui parfaitement connaissance,


— qu’elle ne connaissait pas la Lettre Porsche de 1998 qui ne lui avait jamais été remise ni transmise,


— que M. [P] et la société [Z] [P] ont usé de manoeuvres et on lui ont intentionnellement dissimulé cette information déterminante de son consentement : la Porsche 356 Carrera 2 dispose d’un moteur de remplacement ayant le numéro de série n° « P 97164 », et non pas de son moteur d’origine et le numéro de série gravé sur le moteur est contrefait, falsifié, maquillé, pour le conduire à acquérir le véhicule de collection pour un prix de 310 000 euros.


L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 15 mars 2022.


Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.


MOTIFS


— Sur l’astreinte :


Il n’est pas démontré que le rapport d’expertise réalisé en 2011 à la demande de [Z] [P] au titre de « l’assurance qualité » lors de la vente de la Porsche à M. [U] [N] en juin 2011 ait été ou soit encore en possession de la société appelante, de sorte qu’il convient d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a liquidé l’astreinte ordonnée par l’ordonnance du juge chargé d’instruire l’affaire le 24 juin 2019 à la somme de 30.000 euros.


— Sur le fond :


La société [Z] [P] fait valoir en substance que le ‘matching number’ est une notion contestée, qui ne peut constituer une qualité essentielle du véhicule, et que l’acquéreur avait une parfaite connaissance de l’historique du véhicule, et du remplacement du moteur en 1998 après le vol du moteur originel.


La société intimée réplique que le moteur d’origine constitue une qualité essentielle lors de l’achat d’un véhicule de collection, que la société [Z] [P], qui ne l’ignorait pas, lui a sciemment caché le changement du moteur d’origine, et qu’elle ne peut être qualifiée de professionnelle, comme le soutient l’appelante.


En vertu de l’article 1116 du code civil dans sa version applicable à ce litige, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.


Il ne se présume pas et doit être prouvé.


En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société appelante, la notion de moteur ‘matching number’, parfaitement définie, comme étant un moteur dont le numéro ‘matche’ avec le véhicule, c’est-à-dire qu’il s’agit du moteur d’origine équipant la voiture lors de sa construction, constitue une caractéristique essentielle d’un véhicule de collection aux yeux des collectionneurs, qu’ils soient ou non professionnels avertis.


La société [Z] [P] elle-même attaché à cette qualité essentielle une importance non négligeable, puisque, ainsi que celà résulte des pièces versées aux débats :


— il ressort d’un constat d’huissier versé aux débats par l’intimée que le site internet de la société [Z] [P], le 22 juin 2017, proposait à la vente une Porsche 356 Carrera coupé ‘matching number’,


— dans une interview publiée dans une revue spécialisée, M. [P], même s’il semble le regretter, explique que ‘la demande la plus forte vient des modèles totalement d’origine’, ce qui a pour effet de créer ‘une prolifération de ‘vraies fausses’ matching numbers’,


— le rapport d’expertise de M. [D], rédigé au moment de la vente litigieuse précise au paragraphe ‘Moteur et mécanique’ : Moteur récemment rénové… Il s’agit d’un moteur ‘matching numbers’. Il a été rénové avec le plus grand soin à l’usine Porsche, permettant ainsi une optimisation de la puissance du moteur à 150 ch avec une fiabilité optimale…’.


L’utilisation répétée de la mention ‘matching number’ sur l’ensemble de ces documents démontre l’importance de cette qualité lors de la vente de véhicules de collection.


Il est indifférent à cet égard de déterminer si les véhicules ‘non matching numbers’ ont une valeur marchande équivalente à celle des véhicules ‘matching numbers’, dès lors que la caractéristique recherchée par le collectionneur est l’authenticité du modèle, quel que soit son prix.


Il est donc démontré que la qualité de ‘matching number’ au véhicule acquis par la société intimée constitue une qualité essentielle, sans laquelle elle n’aurait pas contracté l’achat, ou en tout cas pas dans les conditions auxquelles la vente est intervenue.


Si la qualité de professionnelle de la société RJI ne peut sérieusement être contestée, au regard des pièces versées aux débats et de l’intérêt que M. [C] portait aux véhicules Porsche de collection, avant même la constitution de sa société, cette circonstance n’est pas de nature à exonérer la société venderesse de sa responsabilité en cas de dol, la connaissance des véhicules de collection n’induisant pas nécessairement celle de l’historique de la totalité des véhicules mis sur le marché, et notamment dans le cas présent du véhicule acquis par la société RJI.


S’agissant des manoeuvres que la société RJI impute à la société [Z] [P], il ressort des conclusions de la société appelante que ni M. [P], ni sa société n’ignorait que le moteur d’origine avait été volé dans les années 60 puis remplacé depuis.


En revanche, il n’est pas démontré que ce vol pouvait être connu de la société RJI autrement que par une information de la société venderesse, la publication de l’événement dans deux magazines spécialisés, à une date qui n’est pas précisée, ne pouvant suppléer l’obligation pour le vendeur d’informer l’acquéreur potentiel de toutes les caractéristiques de la chose vendue, et la qualité de professionnelle de la société RJI ne pouvant pas plus dispenser le vendeur de cette information nécessaire et essentielle.


La société [Z] [P] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que dans le dossier communiqué à la société RJI figurait la lettre du 10 février 1998 de la société Porsche, écrite au propriétaire de l’époque de la voiture litigieuse indiquant qu’à l’occasion d’une réparation en atelier, le moteur avait été égaré.


Au contraire, les autres documents fournis aux débats démontrent que la société [Z] [P] a toujours laissé entendre à M. [C] que le véhicule possédait son moteur d’origine.


Cela résulte clairement :


— des notes manuscrites prises par M. [C] lors d’une conversation téléphonique avec l’assistante de M. [P] le 26 juin 2013, même si cet élément n’est pas suffisamment probant, dès lors qu’il émane d’une partie au litige,


— de la publicité parue sur le site internet de la société [Z] [P],


— d’un e-mail de la société [Z] [P] du 10 octobre 2013 adressé à M. [C] faisant état du fait que les filtres à air n’avaient pas été changés ‘car la voiture a un plus gros carburateur (en raison des réparations en usine réalisées à l’époque) sans qu’il soit aucunement fait mention d’un changement de moteur,


— le rapport d’expertise de M. [D] qui mentionne que le moteur est ‘matching number’, sans être contredit sur ce point par la société [Z] [P], M. [P] écrivant au contraire, dans un e-mail du 23 octobre 2013 à M. [C] accompagnant l’envoi dudit rapport, que ledit rapport ‘corrigé’, était envoyé en retard en raison des difficultés à récupérer ‘la microfiche des différents numéros de chassis et de carrosserie’ et précisant : ‘Je pense maintenant que l’expert a fait du bon travail et que tout est correctement renseigné dans le document’. Sur ce point, il est pour le moins surprenant que, si l’histoire de ce véhicule était aussi connue que l’affirme la société [Z] [P], l’expert de la vente ait affirmé qu’il s’agissait bien d’un véhicule ‘matching number’.


S’agissant de la connaissance qu’avait la société [Z] [P] qu’il ne s’agissait pas d’un véhicule ‘matching number’, et de la dissimulation de cette information essentielle à la société RJI, elle résulte des éléments suivants :


— M. [S], acquéreur du véhicule en 1996 a écrit dans un courrier versé aux débats qu’il a revendu ce véhicule en 2002 à M. [O] en 2002 en y joignant la documentation complète, y compris la lettre de confirmation du changement de moteur provenant de l’usine Porsche,


— aucun élément ne démontre que cette lettre a bien été remise à M. [C],


— la société [Z] [P] a acquis et revendu le même véhicule trois fois avant de le céder à la société RJI, et plus précisément, le contrat de vente conclu le 30 juin 2006 entre M. [O] et la société [Z] [P], versé aux débats par l’intimée, mentionne expressément que le moteur équipant la Porsche 356 Carrera 2 est le moteur n° ‘P 97164« et non pas le moteur d’origine n° ‘P 97161 »,


— M. [N], acquéreur du véhicule en 2011 auprès de la société [Z] [P] a attesté qu’il était parfaitement informé lors de l’achat par ses soins du véhicule du fait qu’il était ‘non matching number’, précisant : ‘Sur le bon de commande daté du 15 juin 2011, il est bien stipulé que le véhicule n’est pas matching et que le moteur a été remplacé et restauré à l’usine. J’ai revendu ce véhicule à la société [P] le 10 octobre 2013. Au cours de nos échanges, M. [P] m’a parfaitement informé de l’historique de la voiture.’


Aucune pièce versée aux débats par la société appelante ne permet de démontrer que cette information essentielle a été donnée à M. [C].


Au contraire, il est établi que le numéro gravé sur le moteur a été falsifié, le dernier chiffre ‘4« ayant été effacé et remplacé par le chiffre ‘1 ».


Même s’il n’appartient pas à la cour de déterminer quel est l’auteur de cette falsification, il est prouvé que cette altération ne pouvait être ignorée de la société [P] qui, ayant acquis un véhicule ‘non matching number’ avec un moteur gravé n°’P 97164« a revendu le même véhicule qualifié de ‘matching number’ avec un moteur gravé n° ‘P 97161 ».


Il en résulte que la société [Z] [P], en cachant sciemment à la société RJI que le véhicule vendu n’était pas ‘matching number’, dont elle connaissait le caractère essentiel pour l’acquéreur, s’est rendue coupable de réticence dolosive.


Il est également certain que si la société RJI avait été informée de ce changement de moteur, faisant perdre au véhicule une qualité essentielle, elle ne l’aurait pas acquis.


Il convient en conséquence de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 27 janvier 2020 en ce qu’il a jugé que la société [Z] [P] Automobile Consulting avait commis un dol vis-à-vis de la société RJI Holding Oy lors de la vente de la Porsche 356 Carrera 2.


La victime d’un dol peut, à défaut de demander l’annulation de la convention, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manoeuvres de son cocontractant, par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de l’excès de prix qu’elle a été conduite à payer.


Elle peut en outre solliciter l’indemnisation des préjudices complémentaires qu’elle a subis.


En l’espèce, la société RJI ne sollicite pas expressément l’annulation du contrat qu’elle a conclu avec la société [Z] [P], de sorte qu’elle ne peut prétendre obtenir la restitution du prix du véhicule qu’elle a acquis, pas plus que la somme équivalente à l’estimation du véhicule s’il avait effectivement été équipé d’un moteur ‘matching number’, ou sa valeur actuelle, même non ‘matching number’.


Son préjudice réparable correspond à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ou de ne pas contracter, augmenté des frais qu’elle a dû exposer, et du préjudice moral induit par la tromperie, majoré par la résistance abusive de la société [Z] [P] qui l’a contrainte à de longues et coûteuses investigations pour voir reconnaître ses droits.


Au regard de l’ensemble de ces éléments, la somme de 90.000 euros a été justement arbitrée par le tribunal de commerce, dont la décision de ce chef sera également confirmée.


La mesure de publication sollicitée, loin d’être disproportionnée comme le soutient la société appelante est au contraire nécessaire compte tenu de la notoriété de la société venderesse et de la gravité de la tromperie.


La décision déférée sera donc également confirmée en ce qu’elle a ordonné la publication de la décision de condamnation, mais complétée selon les termes figurant au dispositif du présent arrêt, les frais provisionnels de publication étant mis à la charge de la société appelante à hauteur de 25.000 euros.


Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de la SARL [Z] [P] Automobile Consulting .


Il est équitable d’allouer à la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, que la SARL [Z] [P] Automobile Consulting sera condamnée à lui payer.


PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,


Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 27 janvier 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a liquidé l’astreinte prononcée par ordonnance du 24 juin 2019 du juge du tribunal de commerce chargé d’instruire l’affaire à l’encontre de la SARL [Z] [P] Automobile Consulting  ;


Statuant à nouveau de ce seul chef de demande ;


Dit n’y avoir lieu à liquider l’astreinte prononcée le 24 juin 2019 du juge du tribunal de commerce chargé d’instruire l’affaire à l’encontre de la SARL [Z] [P] Automobile Consulting  ;


Y ajoutant,


Ordonne la publication de l’arrêt à intervenir dans les revues spécialisées suivantes : RS magazine, Flat6, Classic Porsche, 9elf, Total 911, à la charge de la SARL [Z] [P] Automobile Consulting, et aux frais avancés de la société RJI Holding Oy ;


Ordonne la publication de l’arrêt à intervenir, pour une durée d’un an, sur la page d’accueil du site internet de la société [Z] [P] Automobile Consulting (http://www.[03].com) sous astreinte de 300 euros par jour de retard, en ayant anonymisé les noms de M. [U] [N], M. [T] [X], M. [J] [A], M. [K] [O] et M. [R] [S] ;


Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir, pour une durée d’un an, sur la page d’accueil du site internet de la société RJI Holding (http://carreraclassic.fi/), traduit en anglais par une traduction jurée, à la charge de la SARL [Z] [P] Automobile Consulting, et aux frais avancés de la société RJI Holding Oy, en ayant anonymisé les noms de M. [U] [N], M. [T] [X], M. [J] [A], M. [K] [O] et M. [R] [S] ;


Condamne la SARL [Z] [P] Automobile Consulting à payer à la société RJI Holding Oy une provision de 25 000 euros pour couvrir le coût des publications du présent arrêt ;


Déboute la SARL [Z] [P] Automobile Consulting de toutes ses demandes ;


Condamne la SARL [Z] [P] Automobile Consulting à payer à société RJI Holding Oy la somme de 5.000 euros en application, en cause d’appel, des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;


Condamne la SARL [Z] [P] Automobile Consulting aux entiers dépens au titre des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile qui pourront être recouvrés directement par maître Hugues de Lacoste-Lareymondie, avocat aux offres de droit.


Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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