Coproducteur en liquidation : la cession des droits doit être autorisée

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Coproducteur en liquidation : la cession des droits doit être autorisée
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La cession de droits dans une coproduction doit être autorisée par l’autre coproducteur. En l’espèce, la société Froggies Media n’a pas sollicité l’accord de la société D’Art D’Art, de sorte que la cession dont elle se prévaut lui est inopposable et elle est donc débitrice des sommes dues en exécution du contrat.

Selon l’article 1199 du Code civil, le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties et il résulte de l’article 1216 du même code, qu’un cocontractant ne peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers qu’avec l’accord de son cocontractant. L’article 1216-1 du Code civil précise également qu’à défaut d’accord du cocontractant, celui qui a cédé son contrat est tenu solidairement à l’exécution du contrat.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022
 
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07542 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFUXH
 
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Mars 2022 – Juge commissaire de Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2022011377
 
APPELANTE
 
S.A.S. D’ART D’ART
 
[Adresse 4]
 
[Localité 3]
 
Représentée par Me Malik GUELLIL, avocat au barreau de PARIS, toque : PC 345, avocat postulant
 
Représentée par Me François-xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K.0092, avocat plaidant
 
INTIMEES
 
S.A.R.L. FROGGIES MEDIA P
 
[Adresse 1]
 
[Localité 3]
 
S.E.L.A.F.A. MJA, en la personne de Me [T] [U]
 
en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FROGGIES MEDIA
 
[Adresse 2]
 
[Localité 3]
 
Représentées par Me Valerie DUTREUILH, avocat au barreau de PARIS, toque : C0479, substituée par Me Esther CLAUDEL, avocat postulant et plaidant
 
COMPOSITION DE LA COUR :
 
En application des dispositions de l’article 804 et suivants du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant :
 
Madame Isabelle ROHART, Conseillère faisant fonction de Présidente
 
Madame Déborah CORICON, Conseillère
 
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de: Madame Sophie MOLLAT, Présidente
 
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
 
Madame Déborah CORICON, Conseillère
 
GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats
 
ARRET :
 
— contradictoire
 
— rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
 
— signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière.
 
*********
 
La SAS D’Art D’Art exerce une activité de production audiovisuelle spécialisée dans les émissions de télévision. La SARL Froggies Media créée en 1994 dont M. [O] est le dirigeant, exerçait également ce type d’activité.
 
Depuis 2002, les sociétés D’Art D’Art et Froggies Media ont co-produit l’émission culturelle « D’Art D’Art » consacrée aux oeuvres d’arts contenues dans les collections françaises, diffusée sur France 2.
 
Par contrat du 29 mai 2009, les deux sociétés ont signé un contrat de coproduction dans lequel la production exécutive est confiée à la SARL Froggies Media, ainsi que la tenue des comptes de coproduction et la ventilation des revenus d’exploitation entre les co-producteurs. Un contrat de mandat de commercialisation a annexé au contrat de production, comportant une clause confiant à la SARL Froggies Media la récupération et la ventilation des recettes.
 
Par jugement du 12 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Froggies Media, puis par jugement du 19 février 2016, ce même tribunal a arrêté un plan de redressement.
 
Le 18 mars 2019, M. [O] a créé la société D18 afin de remplacer la société Froggies Media comme partenaire de la société France Télévision.
 
Par contrat de licence de droits d’exploitation du 2 mai 2019, la société D18 a acquis l’ensemble des droits d’exploitation de la série « d’Art d’Art » et les revenus y attachés, moyennant une redevance d’exploitation à verser à la société Froggies Media.
 
Par jugement du 10 septembre 2019, sur déclaration de cessation des paiements, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de la société Froggies Media, désignant la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société.
 
Par courrier du 5 novembre 2019, la SAS D’Art D’Art a déclaré une créance de 59.073,16 euros, à titre privilégié, sur le fondement de l’article L 131-8 du code de la propriété intellectuelle, au passif de la société Froggies Media au titre de ses prestations de productrice artistique et de ses droits de coproduction de l’émission D’Art D’Art.
 
Par lettre du 15 septembre 2020, le liquidateur judiciaire a contesté la créance, au motif que la saison 22 de la série D’art D’art n’avait pas été produite par la société Froggies Media, mais par la SAS D18 qui avait d’ailleurs provisionné le montant correspondant à la rémunération de la société D’Art D’art sur le compte CARPA de Me [H], conseil de la Selafa MJA.
 
Par lettre du 13 novembre 2020, la SAS D’Art D’Art a maintenu sa déclaration de créance, rappelant qu’en application de l’accord de coproduction du 29 mai 2009 la SARL Froggies Media ne pouvait valablement céder ses droits de co-producteur sur la série à la société D18 sans en informer la SAS D’Art D’Art, sauf à le réaliser en violation et en fraude de ses droits.
 
Par ordonnance du 17 mars 2022, le juge-commissaire a constaté qu’une instance était en cours devant la cour d’appel de Paris et dit n’y avoir lieu à statuer.
 
Par déclaration du 12 avril 2021,la société D’Art D’Art a interjeté appel de cette décision.
 
* * * * *
 
Dans ses conclusions d’appelante signifiées par RPVA le 7 septembre 2022, la SAS D’Art D’Art demande à la Cour de’:
 
INFIRMER l’ordonnance du Juge Commissaire à la liquidation judiciaire de la SARL FROGGIES MEDIA du 17 mars 2022 en toutes ses dispositions ;
 
Et, statuant à nouveau, de :
 
PRONONCER l’admission définitive de la créance de la SAS D’ART D’ART pour un montant de 59.073,16 euros à titre privilégié au passif de la SARL FROGGIES MEDIA;
 
DÉBOUTER la SARL FROGGIES MEDIA et la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [T] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FROGGIES MEDIA, de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre de la SAS D’ART D’ART ;
 
CONDAMNER la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [T] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FROGGIES MEDIA, à payer la somme de 4.000 euros à la SAS D’ART D’ART au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
 
CONDAMNER la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [T] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL FROGGIES MEDIA, aux dépens.
 
* * * * *
 
Dans leurs conclusions d’intimées signifiées par RPVA le 25 août 2022, La SARL Froggies Media et la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media, demandent à la cour de’:
 
INFIRMER l’ordonnance du Juge Commissaire en date du 17 mars 2022, en ce qu’elle a constaté une instance en cours et dit n’y avoir lieu à statuer,
 
Statuant à nouveau,
 
A titre principal, CONSTATER que la société FROGGIES MEDIA n’est pas la débitrice de la société D’ART D’ART au titre de la production de la saison 22 de l’émission, et que la société D’ART D’ART ne justifie pas ses créances, et REJETER l’intégralité des créances déclarées au passif par la société D’ART D’ART,
 
A titre subsidiaire, ADMETTRE au passif de la société FROGGIES MEDIA, la créance de la société D’ART D’ART à hauteur de 11.444 € au titre de la part de coproduction de la saison 22 de l’émission, à titre chirographaire, et REJETER ses créances déclarées pour le surplus.
 
En tout état de cause,
 
DEBOUTER la société D’ART D’ART de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
 
CONDAMNER la société D’ART D’ART au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
 
SUR CE
 
Sur l’absence d’instance en cours
 
La société D’art D’art demande l’infirmation de l’ordonnance déférée en indiquant que la seule procédure l’opposant à la société Froggies Media devant la cour d’appel de Paris résulte d’une assignation du 26 décembre 2019, soit postérieure au jugement d’ouverture du 10 septembre 2019, et qu’elle n’est pas relative à la créance discutée . Elle considère qu’il n’y a pas d’instance en cours au sens de l’article L.624-2 du Code de commerce.
 
Le liquidateur judiciaire demande également l’infirmation de l’ordonnance déférée sur ce même fondement, faisant valoir que l’instance en cours a été introduite postérieurement au jugement de liquidation judiciaire.
 
L’article L.624-2 du Code de commerce dispose que: «’Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d’admission est recevable, décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission.’»
 
La cour rappelle que l’instance en cours au sens de l’article L.624-2 du Code de commerce est une instance qui doit être en cours au jour du jugement d’ouverture, contre le débiteur, devant une juridiction du fond et tendre à la condamnation du débiteur au paiement ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une créance antérieure.
 
Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque l’instance visée par le juge commissaire avait été introduite par acte du 26 décembre 2019, postérieurement au jugement d’ouverture.
 
Il s’ensuit que c’est à tort que le juge commissaire a constaté l’existence d’une instance en cours et l’ordonnance sera donc infirmée.
 
Sur le débiteur de la créance au passif de la SARL Froggies Media
 
La société D’Art D’Art souligne que le liquidateur judiciaire et la société Froggies Media ne contestent ni l’existence, ni le montant de la créance, mais contestent le fait que la société Froggies Media en soit la débitrice, soutenant que seule la SAS D18 est redevable de la somme concernée.
 
Elle fait valoir que le contrat du 29 mai 2019 prévoyait que les parties étaient copropriétaires des droits sur les émissions composant la série, chacune à hauteur de 50 % et que la société Froggies Media n’a pas pu céder ses droits de coproducteur sur l’émission à la SAS D18 sans l’en informer, sauf à réaliser cette cession en violation et en fraude de ses droits.
 
Elle souligne qu’elle n’est pas partie audit contrat de licence d’exploitation uniquement conclu entre les sociétés Froggies Media et D18 (qui ont le même représentant légal et signataire : M. [O]). Elle considère que le contrat et son contenu lui sont inopposables en application de l’article 1199 du Code civil et en conclut que la société Froggies Media est seule débitrice des 59.073,16 euros dues au titre de cet accord (soit 21.952,80 euros au titre de ses prestations de productrice artistique de l’émission D’Art D’Art pour les épisodes de la saison 22 (2019/2020) et 37.120,36 euros au titre des droits de coproduction de l’émission D’Art D’Art pour la saison 22 (2019/2020)).
 
De son côté, le liquidateur judiciaire demande le rejet intégral de la créance. Il explique que la créance porte sur les revenus de l’exploitation de la saison 22 de l’émission d’Art d’Art et que cette saison a été produite par la société D18 par application d’un contrat de licence de droits d’exploitation du 2 mai 2019 et que seule la société D18 est débitrice à l’égard de la société D’Art D’Art.
 
Selon l’article 1199 du Code civil, le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties et il résulte de l’article 1216 du même code, qu’un cocontractant ne peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers qu’avec l’accord de son cocontractant.
 
Enfin l’article 1216-1 précise qu’à défaut d’accord du cocontractant, celui qui a cédé son contrat est tenu solidairement à l’exécution du contrat.
 
Or, en l’espèce, la société Froggies Media n’a pas sollicité l’accord de la société D’Art D’Art, de sorte que la cession dont elle se prévaut lui est inopposable et elle est donc débitrice des sommes dues en exécution du contrat.
 
Sur le montant de la créance et son caractère privilégié
 
A titre subsidiaire, le liquidateur judiciaire soutient que les créances déclarées au passif ne sont pas justifiées dans leur quantum et leur rang et demande que seule une créance de 11.444 euros soit admise au passif au titre de la coproduction, à titre chirographaire.
 
Il fait valoir que la ventilation des recettes au titre des produits dérivés n’était plus assurée par la société Froggies Media, mais par la société D’Art D’Art elle-même depuis la conclusion d’un contrat de commission de droits dérivés du 5 décembre 2013, ne permettant pas de justifier la créance.
 
Il soutient que la marge de profit de la société D’Art D’Art sur la saison 22 de l’émission est de 11.444 euros au titre des droits de coproduction et non 37.952,80 euros et que les prestations de production artistique de la société D’Art D’Art au titre de la saison 22 sont contestées.
 
Par ailleurs, il fait valoir que la qualité de coproducteur ne permet pas de bénéficier du rang privilégié, et l’appelante ne justifie pas d’une qualité d’auteur, compositeur ou artiste.
 
Il convient de relever que le montant de la créance n’a jamais été contesté ni par la société débitrice, ni par le liquidateur judiciaire, et qu’il ne l’a été pour la première fois que dans les dernières conclusions devant la cour du 25 aout 2022, alors que le montant de la créance déclarée a été séquestrée sur le compte CARPA du conseil des appelantes, par la société D 18 qui a le même dirigeant que la société Froggies Media . C’est ainsi que dans sa lettre de contestation de la société D’Art D’Art’ a écrit: «’la série 22 n’a pas été produite par Froggies Media, mais par la société D 18, qui a d’ailleurs provisionné le montant correspondant à la rémunération de la société D’Art D’Art’», ce qui démontre l’absence de contestation sur le montant de la créance.
 
Il s’ensuit qu’il convient d’admettre la créance de la société D’Art D’Art’ pour le montant déclaré de 59.073,16 euros au passif de la société Froggies Media.
 
Selon l’article L 131-8 du code de la propriété intellectuelle, en vue du paiement des redevances et des rémunérations qui leurs sont dues pour les 3 dernières années à l’occasion de la cession, de l’exploitation ou de l’utilisation de leurs oeuvres, les auteurs compositeurs et artistes bénéficient du privilège prévu au 3° de l’article 2311 et à l’article 2377 du code civil.
 
En l’espèce, la créance résulte de prestations de production artistique et de droits de coproduction et entre donc dans le champ visé par l’article L 131-8.
 
Il s’ensuit que la créance sera admise à titre privilégié.
 
Sur les dépens et les frais hors dépens
 
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective et il convient de condamner la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media au paiement de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
 
PAR CES MOTIFS,
 
Infirme l’ordonnance,
 
Statuant à nouveau
 
Admet la créance de la société D’Art D’Art’ pour un montant de 59.073,16 euros, à titre privilégié, au passif de la société Froggies Media,
 
Déboute la société Froggies Media et la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media de leurs demandes,
 
Ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective ,
 
Condamne la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media au paiement de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
 
La greffière La présidente
 
 

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