Interdiction de tracts sur la voie publique : la liberté d’expression prime

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Interdiction de tracts sur la voie publique : la liberté d’expression prime

Un maire de commune est en droit de réglementer la  distribution des tracts, prospectus et objets sur la voie publique mais sans excès et il doit justifier, en cas d’interdiction, de circonstances particulières. La distribution de supports est une extension de la liberté de communiquer.

En la cause, l’arrêté en litige, qui prohibe le colportage et la distribution de tracts, de surcroît dans les lieux les plus favorables à son exercice, porte atteinte à la liberté d’expression et de communication garantie, notamment, par la loi du 29 juillet 1881, sans aucune justification tenant aux nécessités de préservation de l’ordre public.

Pouvoirs de la police municipale

En premier lieu, aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

Des libertés en cause

La liberté d’expression a, comme la liberté de communication des idées et des opinions, le caractère d’une liberté fondamentale, à laquelle les autorités de police ne peuvent apporter de restrictions, afin de concilier son exercice avec les exigences de l’ordre public, que dans la mesure où elles sont strictement nécessaires et proportionnées à ces exigences.

Exemple d’abus du Maire sanctionné

En l’espèce, l’arrêté du 8 octobre 2020 relatif à la distribution de tracts, de prospectus et d’objets sur la voie publique interdit l’activité de colporteur et de distribution de tracts jusqu’au 11 octobre 2020 à 19 heures, sur la place Gauquelin Despallières et sur les rues d’Eterville, de Cabourg et Montfiquet. Cet arrêté est motivé par le risque de jets de papier sur la voie publique et d’atteinte à toute circulation qu’entraînent les activités de colportage et de tractage, par la nécessité d’assurer le bon ordre et garantir la sécurité des personnes, des biens et des déplacements, et par la nécessité de limiter l’afflux aux abords du chapiteau dans un contexte de crise sanitaire.

La commune n’allègue pas que la distribution de tracts déjà effectuée par les requérants le 5 octobre 2020 ait entraîné des incidents ou des risques de troubles à l’ordre public, lesquels ne sont aucunement caractérisés. A cet égard, il ressort d’un article de presse du 7 octobre 2020 relatif à la distribution de tracts par l’association Bayeux Bessin Demain du 5 octobre 2020, que les participants au tractage étaient peu nombreux, porteurs de masque sanitaire et qu’aucune atteinte à l’ordre public n’a été constatée. Si l’abandon de tracts sur la voie publique par les personnes qui les reçoivent peut présenter des inconvénients pour l’esthétique des lieux, voire un risque de chute, il n’apparaît pas, au vu des pièces du dossier, qu’un tel trouble ait été effectivement constaté ni que la commune ne disposait pas, le cas échéant, des moyens suffisants pour y remédier par d’autres voies que celle de l’interdiction édictée. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le colportage ou la distribution de tracts dans le secteur concerné de la commune de Bayeux, dans le cadre du Prix de Bayeux Calvados-Normandie, ait été de nature à porter atteinte à la circulation des piétons ou des voitures, à la sécurité des déplacements, des personnes ou des biens. L’arrêté est également motivé par le contexte de la crise sanitaire et la nécessité de limiter l’afflux aux abords du chapiteau. Toutefois, l’interdiction en cause n’est pas restreinte aux entrées du chapiteau et ne concerne pas la distribution des tracts par la commune.

Par ailleurs, cette dernière n’apporte aucun élément permettant d’indiquer que l’interdiction édictée était la mesure la plus appropriée pour permettre effectivement de limiter l’impact de la circulation du covid-19 dans le cadre de l’organisation d’un évènement public tel que celui du Prix de Bayeux Calvados-Normandie. Ainsi, l’interdiction édictée n’était ni nécessaire ni proportionnée au but recherché.

Dans ces conditions, l’arrêté en litige, qui prohibe le colportage et la distribution de tracts, de surcroît dans les lieux les plus favorables à son exercice, porte atteinte à la liberté d’expression et de communication garantie, notamment, par la loi du 29 juillet 1881, sans aucune justification tenant aux nécessités de préservation de l’ordre public.

Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’arrêté en litige doit être annulé.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS 
 
Tribunal administratif de Caen
1ère chambre, 7 octobre 2022
n° 2002400
 
Vu la procédure suivante :
 
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 2 décembre 2020, 28 juin 2021 et 10 janvier 2022, l’association Bayeux Bessin Demain, la Ligue des droits de l’Homme, Mme B D et M. A E, représentés par Me Le Briero, demandent au tribunal :
 
1°) d’annuler l’arrêté n° 2020-353 du 8 octobre 2020 par lequel le maire de la commune de Bayeux a réglementé la distribution des tracts, prospectus et objets sur la voie publique ;
 
2°) de mettre à la charge de la commune de Bayeux une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
 
Ils soutiennent que :
 
— ils ont intérêt donnant qualité pour agir ;
 
— l’arrêté attaqué est entaché de défaut de motivation et de disproportion manifeste ;
 
— il porte atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’utiliser le domaine public ;
 
— il est entaché d’erreur manifeste d’appréciation en l’absence de nécessité tenant à l’ordre public ;
 
— il est entaché d’erreur de droit dès lors qu’il met les frais de ramassage des tracts à la charge des distributeurs ;
 
— il est entaché de détournement de pouvoir.
 
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 11 février et 8 juillet 2021, la commune de Bayeux, représenté par Me Cassaz, conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
 
Elle soutient que :
 
— les requérants ne présentent pas d’intérêt donnant qualité pour agir ;
 
— l’arrêté attaqué ne fait pas grief ;
 
— les autres moyens présentés par les requérants ne sont pas fondés.
 
Vu les autres pièces du dossier.
 
Vu :
 
— le code général des collectivités territoriales ;
 
— le code de justice administrative.
 
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
 
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 
— le rapport de Mme C,
 
— les conclusions de M. Bonneu, rapporteur public,
 
— les observations de Me Cassaz, représentant la commune de Bayeux.
 
Considérant ce qui suit :
 
1. La commune de Bayeux a organisé, du 5 au 11 octobre 2020, la remise du Prix Bayeux Calvados-Normandie, destiné, selon sa présentation « à rendre hommage aux journalistes qui exercent leur métier dans des conditions périlleuses pour permettre d’accéder à une information libre ». Le 5 octobre 2020, lors de la soirée d’ouverture du Prix, l’association Bayeux Bessin Demain a organisé une distribution de tracts d’information et d’opposition au projet de création d’un parc mémoriel sur le débarquement de 1944 et a annoncé, le 7 octobre 2020 par voie de presse, vouloir procéder à une nouvelle distribution de tract le 10 octobre suivant. Par un arrêté du 8 octobre 2020, le maire de la commune de Bayeux a interdit l’activité des colporteurs, la distribution de tracts ainsi que toute manifestation troublant l’ordre public sur la voie publique jusqu’au 11 octobre 2020 à 19 heures. Par la présente requête, l’association Bayeux Bessin Demain, la Ligue des droits de l’Homme, Mme B D et M. A E demandent l’annulation de cet arrêté.
 
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :
 
En ce qui concerne l’intérêt à agir des requérants :
 
2. En premier lieu, si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.
 
3. En l’espèce, l’interdiction de l’activité des colporteurs, de distribution de tracts ainsi que de toute manifestation a été édictée dans le cadre de la tenue de l’évènement du Prix Bayeux Calvados-Normandie. Il est constant que l’arrêté en cause a été pris par la commune alors que l’association Bayeux Bessin Demain avait annoncé, le 7 octobre 2020, son intention de tracter aux abords de l’évènement du Prix Bayeux Calvados-Normandie le samedi 10 octobre 2020. Compte tenu des circonstances purement locales dans lesquelles est intervenu cet arrêté, la Ligue des droits de l’homme, association ayant un ressort national, ne présente pas d’intérêt à agir à l’encontre de ce dernier. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la Ligue des droits de l’Homme opposée en défense doit être accueillie.
 
4. En deuxième lieu, l’association Bayeux Bessin Demain a pour objet, d’après ses statuts, « la protection de l’environnement, de la biodiversité et la défense des droits humains sous toute ses formes » et plus précisément de former et d’informer les habitants et les élus. Ses statuts mentionnent à cet égard qu’elle peut « partager des informations sous différents supports ». La commune de Bayeux indique elle-même dans son mémoire en défense que l’arrêté attaqué a été pris en réaction à l’annonce de tractage de l’association Bayeux Bessin Demain. Cette circonstance ressort également d’un courriel du 9 octobre 2020 par lequel la commune a également transmis à l’association l’arrêté en litige portant interdiction de tractage. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Bayeux et tirée de l’absence d’intérêt donnant qualité pour agir ne saurait être retenue.
 
5. En dernier lieu, Mme D, résidente de Bayeux, et M. E, résident de la commune de Vaux-sur-Aure, sont tous deux administrateurs de l’association Bayeux Bessin Demain. Il est constant qu’ils ont annoncé publiquement leur volonté de tractage. La commune de Bayeux a d’ailleurs transmis à M. E, par courriel du 9 octobre 2020, l’arrêté attaqué. Dans ces conditions, Mme D et M. E démontrent leur intérêt donnant qualité pour agir contre l’arrêté du 8 octobre 2020 et la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.
 
En ce qui concerne le caractère faisant grief de l’arrêté attaqué :
 
6. La commune de Bayeux soutient que l’arrêté attaqué du 8 octobre 2020, applicable jusqu’au 11 octobre 2020 dans le périmètre de l’évènement du Prix de Bayeux Calvados-Normandie, était ainsi circonscrit dans le temps et l’espace et n’a pas modifié durablement l’ordonnancement juridique. Toutefois, cet arrêté a produit des effets juridiques et, en raison de son objet relatif à l’interdiction de distribution de tracts sur la voie publique, a nécessairement fait grief aux requérants, lesquels avaient au surplus annoncés publiquement le 7 octobre 2020 leur intention de tracter le 10 octobre suivant. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense et tirée de ce que l’arrêté attaqué ne ferait pas grief ne peut qu’être écartée.
 
Sur les conclusions à fin d’annulation :
 
7. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
 
8. La liberté d’expression a, comme la liberté de communication des idées et des opinions, le caractère d’une liberté fondamentale, à laquelle les autorités de police ne peuvent apporter de restrictions, afin de concilier son exercice avec les exigences de l’ordre public, que dans la mesure où elles sont strictement nécessaires et proportionnées à ces exigences.
 
9. En l’espèce, l’arrêté du 8 octobre 2020 relatif à la distribution de tracts, de prospectus et d’objets sur la voie publique interdit l’activité de colporteur et de distribution de tracts jusqu’au 11 octobre 2020 à 19 heures, sur la place Gauquelin Despallières et sur les rues d’Eterville, de Cabourg et Montfiquet. Cet arrêté est motivé par le risque de jets de papier sur la voie publique et d’atteinte à toute circulation qu’entraînent les activités de colportage et de tractage, par la nécessité d’assurer le bon ordre et garantir la sécurité des personnes, des biens et des déplacements, et par la nécessité de limiter l’afflux aux abords du chapiteau dans un contexte de crise sanitaire.
 
10. La commune n’allègue pas que la distribution de tracts déjà effectuée par les requérants le 5 octobre 2020 ait entraîné des incidents ou des risques de troubles à l’ordre public, lesquels ne sont aucunement caractérisés. A cet égard, il ressort d’un article de presse du 7 octobre 2020 relatif à la distribution de tracts par l’association Bayeux Bessin Demain du 5 octobre 2020, que les participants au tractage étaient peu nombreux, porteurs de masque sanitaire et qu’aucune atteinte à l’ordre public n’a été constatée. Si l’abandon de tracts sur la voie publique par les personnes qui les reçoivent peut présenter des inconvénients pour l’esthétique des lieux, voire un risque de chute, il n’apparaît pas, au vu des pièces du dossier, qu’un tel trouble ait été effectivement constaté ni que la commune ne disposait pas, le cas échéant, des moyens suffisants pour y remédier par d’autres voies que celle de l’interdiction édictée. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le colportage ou la distribution de tracts dans le secteur concerné de la commune de Bayeux, dans le cadre du Prix de Bayeux Calvados-Normandie, ait été de nature à porter atteinte à la circulation des piétons ou des voitures, à la sécurité des déplacements, des personnes ou des biens. L’arrêté est également motivé par le contexte de la crise sanitaire et la nécessité de limiter l’afflux aux abords du chapiteau. Toutefois, l’interdiction en cause n’est pas restreinte aux entrées du chapiteau et ne concerne pas la distribution des tracts par la commune. Par ailleurs, cette dernière n’apporte aucun élément permettant d’indiquer que l’interdiction édictée était la mesure la plus appropriée pour permettre effectivement de limiter l’impact de la circulation du covid-19 dans le cadre de l’organisation d’un évènement public tel que celui du Prix de Bayeux Calvados-Normandie. Ainsi, l’interdiction édictée n’était ni nécessaire ni proportionnée au but recherché. Dans ces conditions, l’arrêté en litige, qui prohibe le colportage et la distribution de tracts, de surcroît dans les lieux les plus favorables à son exercice, porte atteinte à la liberté d’expression et de communication garantie, notamment, par la loi du 29 juillet 1881, sans aucune justification tenant aux nécessités de préservation de l’ordre public.
 
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’arrêté en litige doit être annulé.
 
Sur les frais liés au litige :
 
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que la commune de Bayeux demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Bayeux une somme de 1 500 euros à verser aux requérants au titre des frais de même nature.
 
D E C I D E :
 
Article 1er : La requête présentée par la Ligue des droits de l’Homme est rejetée.
 
Article 2 : L’arrêté n° 2020-353 du 8 octobre 2020 est annulé.
 
Article 3: La commune de Bayeux versera une somme globale de 1 500 euros à l’association Bayeux Bessin Demain, Mme B D et M. A E sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
 
Article 4 : Les conclusions de la commune de Bayeux présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
 
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association Bayeux Bessin Demain, à la Ligue des droits de l’Homme, à Mme B D, à M. A E et à la commune de Bayeux.
 
Délibéré après l’audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
 
M. Cheylan, président,
 
M. Martinez, premier conseiller,
 
Mme Arniaud, conseillère.
 
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 octobre 2022.
 
La rapporteure,
 
Signé
 
C. C
 
Le président,
 
Signé
 
F. CHEYLAN
 
La greffière,
 
Signé
 
C. BÉNIS
 
La République mande et ordonne au préfet du Calvados, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
 
Pour expédition conforme,
 
la greffière,
 
C. Bénis
 

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