Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. – Sur la procédure d’adoption de la loi
A. – Les députés auteurs du recours considèrent que l’étude d’impact jointe au projet de loi est insuffisante et qu’en utilisant son droit d’amendement pour introduire des articles dans le projet de loi, le Gouvernement s’est dispensé de l’obligation d’étude d’impact. Ils soutiennent également que les temps de parole impartis pour l’examen du projet de loi en séance publique en première lecture étaient insuffisants. Ils font valoir que l’examen du projet de loi en lecture définitive s’est fait sans règles claires en commission. Ils considèrent enfin que l’engagement, par le Premier ministre, de la responsabilité du Gouvernement, en application du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, avant toute discussion en séance publique a privé les députés de tout débat de fond sur des amendements intégrés au texte en nouvelle lecture et en lecture définitive.
B. – Le Gouvernement estime que ces griefs ne sont pas fondés.
1. Sur les griefs relatifs à l’étude d’impact.
Pour soutenir que l’étude d’impact jointe au projet de loi était insuffisante, les députés requérants se bornent à faire valoir que le Conseil d’Etat a indiqué, dans son avis sur le projet de loi, qu’il avait estimé que l’étude d’impact était encore lacunaire lorsqu’il en a été saisi. Mais, comme l’indique lui-même l’avis du Conseil d’Etat, l’étude d’impact a été complétée avant la saisine du Parlement.
La conformité de l’étude d’impact aux prescriptions de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution doit être contrôlée au moment de l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour du Parlement. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que le législateur organique pouvait subordonner l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour de la première assemblée saisie au dépôt d’une étude d’impact mais ne pouvait imposer au Gouvernement de justifier de la réalisation de cette étude d’impact dès le début de l’élaboration des projets de loi (décision n° 2009-579 DC, cons. 13).
Il est donc loisible au Gouvernement de compléter l’étude d’impact du projet de loi en tenant compte notamment des remarques du Conseil d’Etat.
Tel a été le cas en l’espèce. Et il n’est d’ailleurs pas contesté que le contenu de l’étude d’impact déposée devant le Parlement répond aux prescriptions de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
Ainsi, le grief tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact ne pourra qu’être écarté.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel juge que les griefs tirés de la méconnaissance des exigences relatives à la présentation des projets de loi sont inopérants à l’encontre d’articles introduits sur amendement (décision n° 2010-618 DC, cons. 4, 7 et 8).
Ainsi, le grief tiré de ce que le Gouvernement aurait méconnu les exigences relatives à la présentation d’une étude d’impact en déposant des amendements dans l’exercice du droit d’amendement qu’il tient du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution est inopérant (décision n° 2014-690 DC, cons. 48).
2. En ce qui concerne les temps de parole.
La Conférence des présidents a décidé d’appliquer à la discussion du projet de loi en première lecture la procédure du temps législatif programmé prévue à l’article 49 du règlement de l’Assemblée nationale. Elle a fixé le temps de parole attribué à l’ensemble des groupes à cinquante heures.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions sur le temps législatif programmé étaient conformes à la Constitution sous les réserves que cette durée ne soit pas fixée de manière qu’elle prive d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire et que le temps décompté aux demandes de suspension de séance et aux rappels au règlement ne privent pas les députés de toute possibilité d’invoquer les dispositions du règlement afin de demander l’application de dispositions constitutionnelles (décision n° 2009-581 DC, cons. 25 et 26). Le Conseil constitutionnel contrôle donc que la fixation du temps législatif programmé n’est pas manifestement disproportionnée au regard des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (décision n° 2011-631 DC, cons. 6).
Le Gouvernement estime, de manière générale, que l’on ne peut suivre l’argumentation des députés requérants qui estiment que le temps législatif programmé aurait dû être allongé pour tenir compte des amendements adoptés en commission. Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, en prévoyant, à l’article 44 de la Constitution, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées », le constituant a précisément entendu permettre que, dans le cadre de la procédure de temps législatif programmé, des amendements ne puissent être discutés que lors de l’examen du texte en commission (décision n° 2009-579 DC, cons. 40). Il serait donc paradoxal de considérer que le temps de parole en séance publique devrait être allongé pour reprendre des débats qui ont déjà eu lieu en commission.
En l’espèce, la fixation du temps législatif programmé à cinquante heures ne peut être regardée comme étant manifestement disproportionnée au regard des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Il convient, en premier lieu, de rappeler que le temps législatif programmé est classiquement de trente heures, y compris pour des textes comprenant de nombreux articles et abordant de nombreux sujets (projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui a donné lieu à la décision n° 2011-631 DC, projet de loi sur la consommation, projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové).
Il convient, en deuxième lieu, de constater que le temps accordé aux groupes a été augmenté lors de la réunion des Conférences des présidents du 10 février 2015. Pour répondre à une demande des groupes d’opposition, il a, en effet, été décidé que les groupes pourraient utiliser le temps de parole dont disposent ès qualités les présidents de groupe.
Il convient, en troisième lieu, de constater que le temps supplémentaire qui pouvait être demandé au titre des amendements déposés hors délai par le Gouvernement n’a été demandé que dans neuf cas sur les vingt et un possibles.
La discussion en séance publique à l’Assemblée nationale en première lecture a duré 111 heures et 16 minutes, ce qui en fait le septième débat le plus long depuis le début de la Ve République.
Dans ces conditions, il ne peut être soutenu que la clarté ou la sincérité du débat parlementaire aurait été méconnue.
3. En ce qui concerne le déroulement de la lecture définitive.
Le dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution prévoit qu’en cas d’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale peut reprendre, lors de la lecture définitive, « soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».
Le Conseil constitutionnel, dans une récente décision, a eu l’occasion de rappeler sa jurisprudence suivant laquelle le droit d’amendement est soumis à des limitations particulières lorsque le Gouvernement invite l’Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution, à statuer définitivement. Dans l’hypothèse où l’Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle, ne peuvent être adoptés que des amendements votés par le Sénat lors de la dernière lecture par lui du texte en discussion (décision n° 91-290 DC, cons. 11, décision n° 2015-709 DC, cons. 11).
Il a également précisé que, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les amendements adoptés par le Sénat qui pouvaient être repris par amendement devant l’Assemblée nationale étaient aussi bien les amendements adoptés par la commission au Sénat et non supprimés en séance publique que les amendements adoptés en séance publique.
Néanmoins, comme le relève la saisine, cette décision ne tranche pas la question de savoir si les amendements repris par l’Assemblée nationale doivent être intégrés dans un projet élaboré par la commission ou bien être déposés en séance publique.
Le Gouvernement ne peut, sur ce point, que souscrire à l’interprétation retenue lors de la séance de la commission spéciale chargée d’examiner le projet en vue de sa lecture définitive, en application de l’article 114 du règlement de l’Assemblée nationale, et qui n’a pas fait l’objet de contestation. Compte tenu du cadre particulier de la lecture définitive, les amendements reprenant des amendements adoptés par le Sénat doivent être déposés en séance publique.
En effet, en application du dernier alinéa de l’article 45, en lecture définitive, la discussion s’engage sur le texte élaboré par la commission mixte ou sur le dernier texte voté par l’Assemblée nationale. Elle ne s’engage pas sur un texte qui serait élaboré et adopté par la commission en application de l’article 42 de la Constitution. L’élaboration d’un texte par la commission à partir des amendements adoptés au Sénat serait d’ailleurs de nature à nuire à la clarté des débats parlementaires en séance publique.
De plus, comme l’a relevé le président de la commission spéciale, la possibilité de déposer les amendements en séance publique est de nature à pleinement garantir le droit d’amendement des parlementaires.
Au demeurant, à supposer que le Conseil constitutionnel estime que la discussion d’un projet de loi en lecture définitive devrait porter sur un texte adopté par la commission, cette question serait sans incidence sur la régularité de la procédure d’adoption de la loi déférée.
En effet, en l’espèce, le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi en lecture définitive en application du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution. Cette responsabilité a été engagée sur le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture le 18 juin 2015, modifié par les amendements acceptés en commission et retenus par le Gouvernement.
Il était donc, en tout état de cause, impossible que la discussion puisse s’engager sur le fondement d’un texte adopté par la commission spéciale.
4. En ce qui concerne l’utilisation du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.
Aux termes du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, le texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent.
Comme le juge de manière constante le Conseil constitutionnel, l’exercice de cette prérogative par le Premier ministre n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ces dispositions (décision n° 89-268 DC, cons. 6, décision n° 2004-563 DC, cons. 4).
La révision constitutionnelle de 2008 a limité la possibilité pour le Premier ministre de recourir à la procédure du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution pour un seul projet ou proposition de loi par session en dehors des projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, ce qui permet au Premier ministre d’engager la responsabilité de son Gouvernement, dans une même session, sur le vote d’un projet de loi examiné pendant cette session et sur le vote d’un autre projet de loi pour lequel la responsabilité du Gouvernement aurait déjà été engagée au cours d’une session précédente. Cette révision constitutionnelle a également imposé au Premier ministre d’engager sa responsabilité sur l’ensemble d’un projet de loi ou d’une proposition.
En revanche, elle n’a pas modifié la possibilité pour le Premier ministre d’engager sa responsabilité sur un projet ou une proposition de loi à tout moment de la procédure parlementaire en précisant l’ensemble des amendements qu’il souhaite y intégrer.
Au demeurant, comme l’indique d’ailleurs la saisine, l’Assemblée nationale a pu pleinement examiner le texte en séance publique en première lecture. En nouvelle lecture, la responsabilité a été engagée sur le texte adopté par la commission spéciale. On ne peut donc sérieusement soutenir que les députés auraient été privés de tout débat de fond sur ce texte.
La loi déférée a donc été adoptée à l’issue d’une procédure régulière.
II. – Sur l’article 31
A. – L’article 31 de la loi déférée encadre les relations contractuelles entre les réseaux de distribution commerciale et les exploitants de magasins de commerce de détail qui sont affiliés à ces réseaux. Il prévoit que l’ensemble des contrats conclus entre le réseau et l’exploitant du magasin prévoient une échéance commune, que la résiliation d’un de ces contrats vaut résiliation de l’ensemble des contrats et que les clauses post-contractuelles restreignant la liberté d’exercice d’une activité commerciale au-delà d’un an après l’échéance ou la résiliation sont réputées non écrites.
Les députés auteurs du recours estiment que ces dispositions méconnaissent la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qu’elles portent atteinte au principe de sécurité juridique et portent atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
B. – De tels griefs ne sauraient prospérer.
Le Conseil constitutionnel juge qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (décision 2012-242 QPC, cons. 6).
En prévoyant un encadrement des contrats conclus entre les commerçants et les réseaux de distribution commerciale auxquels ils sont affiliés, le législateur poursuit un but d’intérêt général en favorisant l’ordre public économique concurrentiel. En effet, comme l’a relevé un avis de l’Autorité de la concurrence du 7 décembre 2010, certains réseaux de distribution commerciale concluent des contrats différents avec les magasins qui leur sont affiliés (contrats sur la marque, sur les achats ou sur les services rendus) qui n’ont pas les mêmes durées, les mêmes échéances ou les mêmes conditions de résiliation. Cette absence de synchronisation entraîne une prolongation artificielle des contrats qui peut s’apparenter à une restriction de la liberté contractuelle susceptible de porter atteinte au principe de libre concurrence. En instituant des échéances communes à l’ensemble de ces contrats, en prévoyant que la résiliation d’un des contrats entraîne la résiliation des autres et en évitant que des clauses postcontractuelles limitent la liberté d’exercice après la fin des contrats, le législateur a entendu permettre aux magasins affiliés de pouvoir, s’ils le souhaitent, librement changer d’enseigne. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, loin de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, ce dispositif contribue ainsi à assurer la liberté d’entreprendre des commerçants concernés en évitant qu’ils ne se retrouvent prisonniers d’un enchevêtrement de contrats.
Le législateur a, de surcroît, veillé à encadrer ce dispositif.
En premier lieu, il ne s’applique qu’aux contrats conclus avec des personnes exploitant des magasins de commerce de détail. Ainsi, il ne s’applique par exemple ni aux grossistes ni aux restaurateurs.
En deuxième lieu, il ne s’applique qu’aux contrats qui comportent des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale.
En troisième lieu, il n’est pas applicable aux contrats de baux commerciaux, aux contrats d’association et aux contrats de société civile, commerciale ou coopérative.
En quatrième lieu, le législateur a prévu que les clauses post-contractuelles limitant la liberté d’exercice de l’activité commerciale, comme des clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation, ou des clauses relatives aux terrains et locaux utilisés par l’exploitant, pourraient continuer à s’appliquer pendant une durée d’un an après l’échéance ou la résiliation des contrats.
En cinquième lieu, les parties resteront libres de fixer comme elles l’entendent la durée et l’échéance commune de l’ensemble des contrats et de prévoir, le cas échéant, leur tacite reconduction.
Dans ces conditions, au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, cet article ne peut être regardé comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.
Compte tenu du motif d’intérêt général poursuivi, le législateur a souhaité que ces dispositions s’appliquent aux contrats en cours. Il a néanmoins prévu un délai d’un an à compter de la date de promulgation de la loi pour laisser aux intéressés pour renégocier les contrats qui les unissent conformément aux exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2001-451 DC, cons. 28). Il ne porte pas atteinte à la sécurité juridique.
Par ailleurs, l’article 31 ne contrevient pas à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
Les griefs invoqués ne pourront qu’être écartés.
III. – Sur l’article 39
A. – L’article 39 de la loi déférée renforce le pouvoir d’injonction structurelle de l’Autorité de la concurrence dans le domaine du commerce de détail.
Les députés et sénateurs auteurs des recours estiment que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété et à la garantie des droits. Les députés requérants soutiennent également que ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines et méconnaissent l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
B. – Il n’en est rien.
1. Sur l’atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.
L’article 39 a pour objet de permettre à l’Autorité de la concurrence de prononcer, sur le territoire métropolitain, des injonctions structurelles en cas d’existence d’une position dominante et de détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d’une part de marché supérieure à 50 %. L’Autorité pourra adresser un rapport motivé à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause si elle constate que cette concentration excessive porte atteinte à une concurrence effective dans la zone considérée et que cette atteinte se traduit, dans la même zone, par des prix ou des marges élevés, en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné. A l’issue de cette procédure, l’Autorité de la concurrence pourra enjoindre à l’entreprise ou au groupe d’entreprises de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges et peut également enjoindre de procéder à la cession d’actifs si cette cession constitue le seul moyen de garantir une concurrence effective. L’inexécution de ces injonctions peut faire l’objet de sanctions pécuniaires ou d’astreintes.
Comme le relèvent les députés et les sénateurs requérants, cette procédure s’inspire de la procédure d’injonction structurelle s’appliquant en Nouvelle-Calédonie qui a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2013-3 LP, cons. 16).
Le Conseil constitutionnel a estimé que ce dispositif d’injonction structurelle poursuivait un objectif d’intérêt général et qu’en prévoyant le déclenchement de la procédure à partir du seuil de 25 % de part de marché, représentant un chiffre d’affaires supérieur à 600 millions d’euros, le congrès de Nouvelle-Calédonie avait tenu compte de la situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie.
En s’inspirant de ce précédent pour établir une procédure d’injonction applicable au territoire métropolitain, le législateur poursuit le même objectif d’intérêt général que celui reconnu dans la décision n° 2013-3 LP. Il vise ainsi à doter l’Autorité de la concurrence de prérogatives lui permettant de préserver l’ordre public économique concurrentiel (décision n° 2012-280 QPC, cons. 11). Le législateur s’est ainsi inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil (décisions n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011).
Contrairement à ce que soutiennent les députés et les sénateurs requérants, les risques d’atteinte à la concurrence par une concentration excessive dans le domaine du commerce de détail existent sur le territoire métropolitain. L’avis de l’Autorité de la concurrence du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris a ainsi relevé que les parts de marché d’un groupe d’entreprises atteignaient 61,7 %. De telles situations peuvent se retrouver dans d’autres zones du territoire métropolitain.
L’article 39 retient néanmoins des critères plus stricts et plus précis que le dispositif applicable en Nouvelle-Calédonie jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
En premier lieu, la procédure d’injonction structurelle ne pourra être déclenchée que si l’entreprise ou le groupe d’entreprises détient une part de marché d’au moins 50 %, et non de 25 % comme dans le dispositif calédonien.
En deuxième lieu, au-delà de l’existence de cette part de marché, la procédure devra reposer sur le constat que deux conditions objectives et cumulatives sont remplies : une atteinte à une concurrence effective dans la zone considérée, ce qui est plus stricte que l’existence de « préoccupations de concurrence » exigée en Nouvelle-Calédonie, et le fait que cette atteinte se traduit, dans cette même zone, par des prix ou des marges élevées en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique.
Il convient, à cet égard, de constater que ces différentes notions ne souffrent d’aucune ambiguïté. Le constat d’une concentration excessive se fera par le contrôle de la part de marché dans le secteur économique et la zone de chalandise concernés.
La notion de zone de chalandise est fréquemment utilisée en matière d’urbanisme (
article L. 122-3 du code de l’urbanisme
) et d’équipement commercial (article L. 751-2 du code de l’urbanisme). La zone de chalandise d’un magasin se définit comme l’aire géographique au sein de laquelle ce magasin attire une clientèle. Cette notion est usuellement appliquée par l’Autorité de la concurrence en tenant compte des spécificités du commerce de détail. Dans l’avis du 7 décembre 2010 précité, l’Autorité a rappelé que, dans le domaine du commerce de détail, on peut distinguer trois zones de chalandise suivant la taille du magasin concerné. Pour les hypermarchés, dont la surface est supérieure à 2 500 m2, cette zone de chalandise couvre les consommateurs qui peuvent accéder à l’équipement commercial en moins de trente minutes de déplacement en voiture. Pour les supermarchés, dont la surface est comprise entre 1 000 et 2 500 m2, ce temps de déplacement en voiture est fixé à quinze minutes. Pour les commerces de proximité, dont la surface est inférieure à 1 000 m2, la zone de chalandise couvre les consommateurs qui se trouvent à moins de 500 mètres à pied.
De la même manière, les prix ou les marges élevées qui justifieront l’engagement de la procédure reposeront sur des données objectives d’observation, à partir des moyennes habituellement constatées dans les magasins de la zone considérée. Il convient de rappeler, à cet égard, que les entreprises auront l’occasion de critiquer les différents éléments lors de la procédure contradictoire.
En effet, le législateur a prévu, en troisième lieu, une procédure contradictoire renforcée. L’engagement de la procédure imposera la transmission d’un rapport motivé aux entreprises concernées par l’Autorité de la concurrence si celle-ci estime que les deux conditions sont réunies. Ce rapport devra préciser les éléments fondant l’estimation par l’Autorité de la concurrence de la part de marché et du niveau de prix ou de marge qui justifie le déclenchement d’une procédure d’injonction structurelle. Un deuxième rapport devra être notifié par l’Autorité de la concurrence en cas de contestation par les entreprises concernées du constat établi. Et l’injonction structurelle sera prononcée par une décision motivée, prise après réception des observations des entreprises et à l’issue d’une séance devant le collège.
En quatrième lieu, les dispositions déférées prévoient des garanties particulières en matière de contrôle juridictionnel. Le juge sera amené à exercer un contrôle entier sur les injonctions structurelles prononcées par l’Autorité de la concurrence. Le législateur a enfin prévu, au b du 1° de l’article 39, que le recours serait suspensif si la décision enjoint à l’entreprise ou au groupe d’entreprises de procéder à une cession d’actifs.
Compte tenu de l’ensemble de ces conditions et garanties, ce dispositif ne peut être regardé comme portant à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.
Et en prévoyant qu’en cas d’atteinte à la concurrence, l’Autorité de la concurrence pouvait demander la modification ou la résiliation de contrats par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet l’existence de prix ou de marges élevés, le législateur a porté une atteinte à des situations légalement acquises justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. L’article 39, en encadrant précisément la procédure et en utilisant des notions claires et connues, ne porte aucune atteinte au principe de la légalité des délits et des peines et ne portent pas atteinte à l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
IV. – Sur l’article 50
A. – L’article 50 de la loi déférée réforme le dispositif d’établissement des tarifs réglementés des professions juridiques. Il prévoit également l’institution d’une contribution pour l’accès au droit et à la justice.
Les députés requérants estiment que le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi en ne définissant pas de manière suffisamment précise les règles encadrant la détermination des tarifs réglementés. Les sénateurs requérants considèrent que le législateur a délégué la détermination des tarifs à l’Autorité de la concurrence sans encadrement suffisant et que les règles fixées par le législateur portent atteinte à la liberté d’entreprendre. Les députés et les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent que les dispositions relatives à la contribution à l’accès au droit et à la justice ne pouvaient être introduites en nouvelle lecture et devaient être prévues en loi de finances, qu’elles sont entachées d’incompétence en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition du seuil à partir duquel la taxe est assise et qu’elles méconnaissent le principe de nécessité de l’impôt et d’égalité devant les charges publiques.
B. – Ces griefs ne pourront qu’être écartés.
1. Il convient, à titre liminaire, de rappeler que la loi poursuit un but d’intérêt général de modération des tarifs réglementés de certaines professions juridiques.
Les tarifs des prestations de certaines professions juridiques font l’objet d’une réglementation par l’Etat afin d’assurer la fourniture de services juridiques d’une qualité comparable sur l’ensemble du territoire.
Certains tarifs sont fixés de manière proportionnelle à la valeur mentionnée dans l’acte. Dans ces tarifs, la contrepartie financière demandée au client n’est pas nécessairement liée à la complexité du dossier ou au temps passé par le professionnel. Ce mode de tarification a été instauré afin de compenser, par une forme de péréquation, les pertes constatées sur des petites transactions dont le tarif est inférieur au prix de revient et les activités gratuites de conseil.
Mais différents rapports administratifs et parlementaires ont montré que le niveau de ces tarifs n’était plus fixé de manière adéquate et assurait une rentabilité excessive à certaines professions juridiques au détriment de leurs clients.
Trois facteurs repris dans l’étude d’impact de la loi expliquent cette évolution.
En premier lieu, les valeurs figurant dans les actes à partir desquels les tarifs sont calculés de manière proportionnelle ont connu une croissance beaucoup plus rapide que les coûts supportés par les professionnels.
Ainsi, l’Inspection générale des finances a constaté qu’entre 2000 et 2012, les émoluments perçus par un notaire ont augmenté de 77 % pour la vente d’une maison de 100 m2 en Auvergne et de 159 % pour la vente d’un appartement de 60 m2 à Paris.
En deuxième lieu, certaines professions ont bénéficié de revalorisations tarifaires excédant les besoins de la péréquation. Ainsi, le taux de base des greffiers des tribunaux de commerce, qui constitue l’unité de valeur des actes, a crû de 7,5 % hors inflation entre 2000 et 2012. De même, les tarifs des huissiers de justice ont augmenté de 9 % hors inflation entre 1996 et 2012.
En troisième lieu, la fixation des tarifs n’a pas pris en compte les gains de productivité permis et réalisés par les nouvelles technologies, la réduction de certains formalismes ou les investissements mis en œuvre par ces professionnels.
Ces niveaux tarifaires élevés permettent des niveaux de rentabilité moyens exceptionnels : ils sont compris entre 30 et 40 %, soit près de quatre fois la rentabilité moyenne des entreprises françaises. La rentabilité moyenne des offices des greffiers des tribunaux de commerce est ainsi comprise entre 45 et 58 %, celle des études d’huissiers de justice comprise entre 33 et 47 % et celle des structures d’administrateur ou de mandataire judiciaire se situe aux alentours de 30 %.
Le Gouvernement et le Parlement ont donc souhaité mieux encadrer ces tarifs.
2. Sur la détermination des tarifs réglementés.
Les députés et les sénateurs requérants soutiennent que le législateur aurait méconnu sa compétence en ne définissant pas avec suffisamment de précision les critères qui fondent les tarifs.
On peut s’étonner, en premier lieu, de cette critique quand on constate que, dans la situation actuelle, la fixation des tarifs réglementés des professions juridiques n’est absolument pas encadrée par la loi. L’article 1er de la loi du 29 mars 1944 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels et l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pour les avocats ne définissent aucun critère qui s’imposerait au pouvoir réglementaire dans la fixation des tarifs réglementés.
La loi déférée a, au contraire, fixé des critères précis permettant d’encadrer la fixation des tarifs réglementés des professions juridiques.
Elle prévoit que les tarifs réglementés devront prendre en compte « les coûts pertinents du service rendu » et « une rémunération raisonnable définie sur la base de critères objectifs. »
Contrairement à ce que soutiennent les députés et les sénateurs requérants, ces notions ne souffrent d’aucune ambiguïté.
La notion de rémunération raisonnable est déjà utilisée par l’
article L. 134-5 du code de commerce
, qui prévoit que l’agent commercial a droit à une « rémunération raisonnable qui tient compte de tous les éléments qui ont trait à l’opération ». Elle est également utilisée par l’
article 15 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978
portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, qui permet à l’administration d’inclure dans l’assiette d’une redevance d’utilisation d’informations publiques « une rémunération raisonnable de ses investissements ».
L’approche par les coûts pertinents est également une approche habituelle en matière de tarifs réglementés. Ainsi, l’
article L. 337-5 du code de l’énergie
impose de définir les tarifs réglementés de vente de l’électricité e